Ottawa (Ontario), le 25 février 2008
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
et LE MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. INTRODUCTION
[1] Il s’agit du contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), selon laquelle M. Baron ne pouvait se prévaloir d’une exception prévue à l’Entente sur les tiers pays sûrs (l’ETPS) conclue par le Canada et les États‑Unis. Il affirmait être visé par cette exception au motif qu’un membre de sa famille est au Canada.
II. LE CONTEXTE
[2] Le demandeur allègue qu’il a fui la Colombie parce qu’il avait été la cible de menaces. Son voyage l’a mené de Miami jusqu’à Buffalo pour se terminer au Canada.
[3] M. Baron a été interrogé par un agent de l’ASFC pour déterminer s’il répondait aux conditions d’exception prévues à l’ETPS, ou s’il faisait ainsi partie de la catégorie des personnes qui, autrement, seraient renvoyées aux États‑Unis. Il s’est fondé sur le fait que sa sœur avait présenté une demande d’asile.
[4] L’agent de l’ASFC a noté que la demande d’asile de la sœur du demandeur avait été rejetée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) et qu’aucun sursis à son renvoi n’avait été accordé; par conséquent, il a conclu que la sœur du demandeur n’avait pas la qualité de membre de la famille prêt à aider et ne pouvait donc pas constituer le fondement de la demande relative à l’exception. Le 3 août 2006, le demandeur a été avisé de cette décision, du rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) et de la mesure d’exclusion dont il était frappé.
[5] La sœur du demandeur a contesté la décision de la CISR, et le contrôle judiciaire a été rejeté le 16 mai 2006. La Cour a certifié une question, et l’appel interjeté par la sœur du demandeur a entraîné une suspension automatique de la mesure de renvoi. La demande de réexamen, présentée par le demandeur à la CISR, a été rejetée.
[6] L’appel interjeté par la sœur du demandeur était toujours en instance lorsque la Cour a été saisie de la présente affaire. Par la suite, il a été rejeté, et la Cour a rendu la décision Conseil canadien pour les réfugiés c. Canada, 2007 CF 1262, dans laquelle elle a conclu, entre autres, que la section du règlement mettant en œuvre l’ETPS est invalide. La décision est actuellement en sursis devant la Cour d’appel fédérale. Les parties se sont vu accorder l’occasion de faire des observations supplémentaires à la lumière de ces circonstances.
III. ANALYSE
[7] Si l’on tient pour acquis que le règlement applicable est valide, la question en litige dans le présent contrôle judiciaire est de savoir si la demande de la sœur (le membre de la famille prêt à aider) doit être rejetée définitivement avant que le demandeur lui-même puisse être déclaré non admissible à se réclamer de la demande de sa sœur comme fondement de sa propre demande relative à l’exception prévue à l’ETPS.
[8] Les dispositions légales et réglementaires pertinentes se lisent comme suit :
159.1 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et aux articles 159.2 à 159.7.
…
«membre de la famille» À l’égard du demandeur, son époux ou conjoint de fait, son tuteur légal, ou l’une ou l’autre des personnes suivantes : son enfant, son père, sa mère, son frère, sa soeur, son grand-père, sa grand-mère, son petit-fils, sa petite-fille, son oncle, sa tante, son neveu et sa nièce. (family member) |
159.1 The following definitions apply in this section and sections 159.2 to 159.7.
…
"family member" , in respect of a claimant, means their spouse or common-law partner, their legal guardian, and any of the following persons, namely, their child, father, mother, brother, sister, grandfather, grandmother, grandchild, uncle, aunt, nephew or niece. (membre de la famille)
|
159.5 L’alinéa 101(1)e) de la Loi ne s’applique pas si le demandeur qui cherche à entrer au Canada à un endroit autre que l’un de ceux visés aux alinéas 159.4(1)a) à c) démontre, conformément au paragraphe 100(4) de la Loi, qu’il se trouve dans l’une ou l’autre des situations suivantes :
…
c) un membre de sa famille âgé d’au moins dix-huit ans est au Canada et a fait une demande d’asile qui a été déférée à la Commission sauf si, selon le cas :
(i) celui-ci a retiré sa demande,
(ii) celui-ci s’est désisté de sa demande,
(iii) sa demande a été rejetée,
(iv) il a été mis fin à l’affaire en cours ou la décision a été annulée aux termes du paragraphe 104(2) de la Loi;
[Non souligné dans l’original.] |
159.5 Paragraph 101(1)(e) of the Act does not apply if a claimant who seeks to enter Canada at a location other than one identified in paragraphs 159.4(1)(a) to (c) establishes, in accordance with subsection 100(4) of the Act, that
…
(c) a family member of the claimant who has attained the age of 18 years is in Canada and has made a claim for refugee protection that has been referred to the Board for determination, unless
(i) the claim has been withdrawn by the family member,
(ii) the claim has been abandoned by the family member,
(iii) the claim has been rejected, or
(iv) any pending proceedings or proceedings respecting the claim have been terminated under subsection 104(2) of the Act or any decision respecting the claim has been nullified under that subsection;
(Emphasis added)
|
[9] Étant donné qu’il s’agit d’une affaire concernant l’interprétation de textes de loi, c’est la décision correcte qui s’applique comme norme de contrôle à la décision contestée. Aucun aspect de l’analyse pragmatique et fonctionnelle n’appelle une autre norme de contrôle.
[10] En plus de l’article 12 de la Loi d’interprétation, qui dispose qu’il faut donner une interprétation équitable et large au texte de loi pour veiller à ce que son objet soit réalisé, la Cour suprême a confirmé qu’il faut interpréter les termes dans leur contexte en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur (voir Re Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., [1998] 1 R.C.S. 27). À ce sujet, faire l’historique législatif des lois aide à déterminer l’intention et l’objet véritables d’un texte de loi.
[11] La Cour, dans la décision Ballie c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993) 101 D.L.R. (4th) 761, a conclu que la modification consistant à enlever les mots « définitivement établi » de l’ancienne Loi sur l’immigration indiquait que l’intention du législateur était de considérer une demande comme rejetée même si un contrôle judiciaire était en instance.
[12] La formulation actuelle de la LIPR, dans laquelle le mot « rejeté » est utilisé seul, indique une intention semblable à celle à laquelle la Cour avait conclu dans la décision Ballie.
[13] Cette interprétation trouve un autre appui dans la LIPR actuelle où l’intention de faire en sorte qu’une décision définitive comprenne l’aboutissement de toute autre procédure judiciaire est attestée par « dernier ». Par exemple, l’adjectif « dernier » est utilisé au paragraphe 21(2) de la LIPR, qui concerne l’octroi de la résidence permanente à des réfugiés, pour indiquer que l’affaire a été jugée de façon définitive, et qu’il n’y a pas d’autres voies d’appel possibles.
[14] L’alinéa 232c) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement), qui est semblable au sous‑alinéa 159.5(1)c)(iii), emploie le mot « rejeté » sans rien ajouter pour faire ressortir le caractère définitif.
232. Il est sursis à la mesure de renvoi dès le moment où le ministère avise l’intéressé aux termes du paragraphe 160(3) qu’il peut faire une demande de protection au titre du paragraphe 112(1) de la Loi. Le sursis s’applique jusqu’au premier en date des événements suivants :
…
c) la demande de protection est rejetée; |
232. A removal order is stayed when a person is notified by the Department under subsection 160(3) that they may make an application under subsection 112(1) of the Act, and the stay is effective until the earliest of the following events occurs:
…
(c) the application for protection is rejected; |
[15] Selon l’alinéa 232c) du Règlement, le sursis à la mesure de renvoi est levé dès qu’une décision défavorable concernant l’ERAR a été prise. S’il y a une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en instance, le demandeur doit présenter une demande de sursis à la Cour, sans quoi la mesure de renvoi est exécutée.
[16] À mon avis, le sous‑alinéa 159.5(1)c)(iii) du Règlement devrait être interprété et appliqué de la même façon, car il ne tient pas compte du fait qu’il puisse encore y avoir des voies d’appel dont pourrait se prévaloir le demandeur.
[17] Le mot « rejeté » devrait toujours être interprété de la même façon, et cette interprétation n’englobe pas « rejeté définitivement ». Dès que la demande de la sœur du demandeur a été rejetée, elle a cessé d’être un membre de la famille prêt à aider.
[18] Toujours est‑il que la demande de la sœur est arrivée au terme de la procédure et qu’elle a encore été rejetée. Mais le contraire n’aurait rien changé.
IV. CONCLUSION
[19] Par conséquent, le contrôle judiciaire sera rejeté.
[20] Il y a des motifs suffisants pour certifier deux questions : une selon l’hypothèse que l’ETPS est valide et une autre selon l’hypothèse qu’elle ne l’est pas. Elles se lisent comme suit :
1. Le mot « rejeté » employé dans le membre de phrase « sauf si […] sa demande a été rejetée », au sous‑alinéa 159.5c)(iii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, englobe‑t‑il la décision définitive de tout contrôle judiciaire ou appel qui puisse découler du rejet de la demande initiale?
2. Quelles seraient les conséquences de la confirmation de la décision Conseil canadien pour les réfugiés c. Canada, 2007 CF 1262, déclarant ultra vires les articles 159.1 et suivants du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, sur les demandeurs dont les demandes ont été rejetées en vertu du sous‑alinéa 159.5c)(iii) du règlement?
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
a) Le contrôle judiciaire est rejeté;
b) Sont certifiées les questions suivantes :
1. Le mot « rejeté » employé dans le membre de phrase « sauf si […] sa demande a été rejetée », au sous‑alinéa 159.5c)(iii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, englobe‑t‑il la décision définitive de tout contrôle judiciaire ou appel qui puisse découler du rejet de la demande initiale?
2. Quelles seraient les conséquences de la confirmation de la décision Conseil canadien pour les réfugiés c. Canada, 2007 CF 1262, déclarant ultra vires les articles 159.1 et suivants du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, sur les demandeurs dont les demandes ont été rejetées en vertu du sous‑alinéa 159.5c)(iii) du règlement?
Juge
Traduction certifiée conforme
Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4534-06
INTITULÉ : CAMILO ORLANDO VELANDIA BARON
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 26 JUIN 2007
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : LE 25 FÉVRIER 2008
COMPARUTIONS :
Michael A. Foster
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POUR LE DEMANDEUR
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Sally Thomas
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POUR LES DÉFENDEURS |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Community Legal Services of Niagara South Inc. Ridgeway (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LES DÉFENDEURS |