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Date : 20080218

Dossier : T-1098-07

Référence : 2008 CF 204

Ottawa (Ontario), le 18 février 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

 

ENTRE :

MARIO HERNANDO PAEZ

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par le demandeur en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, ch. 108 (la Loi), et de l’article 21 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et modifications, relativement à une décision rendue le 20 avril 2007 par un juge de la citoyenneté, qui a conclu que le demandeur n’avait pas satisfait à la condition de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

 

 

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur et sa famille, tous citoyens de la Colombie, ont obtenu le statut de résident permanent le 24 août 2000.

 

[3]               Depuis l’obtention de son statut de résident permanent, le demandeur s’est absenté du Canada à de multiples reprises, se rendant presque exclusivement en Colombie où il possédait, jusqu’en janvier 2002, une clinique médicale et où il possédait toujours une lunetterie au moment de sa demande de citoyenneté.

 

[4]                Le 23 juin 2004, le demandeur a présenté une demande de citoyenneté canadienne. 

 

[5]               Par la suite, le demandeur et son épouse ont vendu leur maison et, accompagnés de leurs enfants, ils sont retournés vivre en Colombie, où ils ont vécu en 2006.

 

[6]               Lors d’une entrevue avec un agent de citoyenneté tenue le 7 février 2006, le passeport du demandeur a été examiné et l’agent a relevé plusieurs voyages non déclarés. 

 

[7]               Dans un questionnaire sur la résidence rempli le 23 février 2006, le demandeur a admis que même s’il avait mentionné dans sa demande qu’il avait été en dehors du Canada pendant 295 jours, il avait en fait passé environ 542 jours à l’étranger, principalement pour des raisons d’affaires en Colombie. 

 

[8]               Le 17 janvier 2007, le demandeur a comparu lors d’une audience tenue devant un juge de la citoyenneté concernant sa demande de citoyenneté canadienne.

 

[9]               Dans une décision datée du 20 avril 2007, le juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas à la condition de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi, et il a donc rejeté la demande de citoyenneté. Dans la lettre de décision, le juge de la citoyenneté a établi qu’au moment de la présentation de la demande, le 23 juin 2004, le demandeur avait été absent pour un total de 551 jours au cours des 4 années précédentes et que, dans un tel cas, le demandeur devait montrer, dans ses intentions et dans les faits, qu’il avait centralisé son mode d’existence au Canada.

 

[10]           De plus, dans les notes jointes à la lettre de décision, le juge de la citoyenneté a appliqué les six facteurs énumérés par la juge Reed dans la décision Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.). Il est de droit constant que ces notes sont partie intégrante des motifs ayant mené à la décision. Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, il n’y a aucune preuve dans le dossier du tribunal qui montre que le demandeur n’a pas reçu ces notes.

 

ANALYSE

 

La norme de contrôle

[11]           En ce qui concerne l’examen de la condition de résidence prévue dans la Loi, la jurisprudence de la Cour révèle que la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable simpliciter (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1693, [2004] A.C.F. n2069 (QL), paragraphe 5; Rasaei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1688, [2004] A.C.F. no 2051 (QL), paragraphe 4; Gunnarson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1592, [2004] A.C.F. no 1913 (QL), paragraphe 22; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chen, 2004 CF 848, [2004] A.C.F. no 1040 (QL), paragraphe 6; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fu, 2004 CF 60, [2004] A.C.F. no 88 (QL), paragraphe 7; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chang, 2003 CF 1472, [2003] A.C.F. no 1871 (QL), paragraphe 7).

 

[12]           Étant donné qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit au sujet de laquelle le juge de la citoyenneté possède un degré de connaissance et d’expérience, la Cour doit faire preuve d’une certaine retenue envers les conclusions portant sur le respect, par le demandeur, de la condition de résidence prévue à la Loi. Par conséquent, la conclusion d’un juge de la citoyenneté est raisonnable « si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n’est pas convaincante aux yeux de la cour de révision » (Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247 (QL), paragraphe 55).

 

La décision du juge de la citoyenneté était-elle raisonnable?

[13]           Comme la jurisprudence l’a mentionné à de nombreuses reprises, l’interprétation du terme « résidence » donnée par la Cour a mené à la création de trois critères différents (Mizani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 698, [2007] A.C.F. no 947 (QL), paragraphe 10; Farrokhyar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 697, [2007] A.C.F. no 946 (QL), paragraphe 9). Le premier critère nécessite un calcul strict des jours où le demandeur était réellement au Canada, dont le total doit s’élever à 1095 jours de résidence au pays au cours des quatre années précédant la demande (Re Pourghasemi, [1993] A.C.F. no 232 (QL). Le deuxième critère est moins strict : une personne peut résider au Canada même si elle en est temporairement absente, pour autant qu’elle conserve de solides attaches avec le Canada (Re Antonios E. Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.)). Le troisième critère découle du deuxième, et il définit la résidence comme étant le lieu où une personne « vit régulièrement, normalement ou habituellement », ou bien, l’endroit où elle a « centralisé son mode d'existence », et il comporte une liste non exhaustive de six facteurs dont il faut tenir compte lors de l’analyse (Re Koo, précitée, paragraphe 10).

 

[14]           En règle générale, lorsque l’on examine les six facteurs, l’analyse doit être contextualisée (Zhao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1536, [2006] A.C.F. n1923 (QL), paragraphe 59). Au paragraphe 60 de la décision Zhao, précitée, le juge Russell mentionne que l’on doit tenir compte du contexte global de la situation du demandeur.

 

[15]           De plus, en ce qui concerne le deuxième facteur de la décision Re Koo, soit le lieu de résidence des membres de la famille, bien que le juge de la citoyenneté doive prendre en considération le lieu de résidence de la famille proche, le demandeur ne peut faire sienne la situation de sa famille pour fonder sa résidence (Sleiman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 230, [2007] A.C.F. no 296 (QL), paragraphe 25; Eltom c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1555, [2005] A.C.F. no 1979 (QL), paragraphe 22; Faria c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1385, [2004] A.C.F. n1849 (QL), paragraphe 12); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chang, 2003 CF 1472, [2003] A.C.F. no 1871 (QL), paragraphe 9).  

 

[16]           En outre, bien que la présence physique du demandeur ne soit pas le facteur le plus important, il demeure essentiel dans le cadre d’une analyse fondée sur les six facteurs de la décision Re Koo, et le juge peut et doit prendre en considération les absences du demandeur et les raisons les justifiant (voir Canada (Secrétraire d’État c. Nakhjavani, [1988] 1 C.F. 84, [1987] A.C.F. no 721 (QL), paragraphe 15; Agha (Re), [1999] A.C.F. no 577 (QL), paragraphe 45). Plus particulièrement, le juge Martineau a conclu dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration c. Chen), 2004 CF 848, [2004] A.C.F. no 1040 (QL), au paragraphe 10 :

Quand les absences sont un mode de vie régulier plutôt qu'un phénomène temporaire, elles indiquent que la vie est partagée entre les deux pays, et non pas un mode de vie centralisé au Canada, comme le prévoit la Loi […] 

 

(Voir, par exemple, le paragraphe 28 de la décision Sleiman, précitée.)

 

 

[17]           Je suis d’accord avec mon collègue. Bien que le critère de la décision Re Koo soit foncièrement souple puisqu’il prend en considération la situation personnelle du demandeur, cette souplesse a une limite. Si la personne souhaite devenir citoyen canadien, elle doit à un certain moment centraliser son mode d’existence au Canada.

 

 

[18]           Enfin, en ce qui concerne la qualité des attaches avec le Canada, la Cour a été peu disposée à conclure qu’en eux‑mêmes les indices « passifs » – comme la possession de maisons, d’automobiles, de cartes de crédit, de permis de conduire, de comptes en banque, de cartes de bibliothèque, ainsi que la souscription à un régime d’assurance‑santé et les déclarations de revenus – montrent suffisamment l’existence d’une attache réelle (Sleiman, précitée, paragraphe 26; Eltom, précitée, paragraphe 25; Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration) c. Xia, 2002 CFPI 453, [2002] A.C.F. no 613 (QL), paragraphe 25). Lorsque l’on doit juger de l’attache, il doit y avoir un certain nombre d’éléments de preuve qui montrent une certaine communication avec la collectivité canadienne ou une explication rationnelle de l’absence de tels éléments de preuve, et non pas simplement des indices passifs (Xia, précitée, paragraphe 26).

 

[19]           Dans la présente affaire, je conclus que la décision du juge de la citoyenneté était raisonnable. Il a analysé la situation du demandeur à la lumière des six facteurs de la décision Re Koo, et il a souligné que le demandeur a effectué de nombreux voyages en Colombie, son pays d’origine, qu’il a continué de pratiquer la médecine et gardé sa lunetterie dans ce pays et qu’il a investi dans deux entreprises de construction canadiennes, desquelles il est dirigeant. En raison de ces facteurs, il était raisonnable que le juge de la citoyenneté conclût que les absences du demandeur n’étaient pas temporaires, mais qu’elles témoignaient plutôt d’un mode de vie structuré. 

 

[20]           Il est vrai qu’à l’exception de l’omission du demandeur de payer ses impôts aux autorités canadiennes, le juge de la citoyenneté n’a mentionné aucun des indices passifs de résidence; cependant, comme je l’ai mentionné précédemment, les indices passifs, en soi, ne permettent pas de conclure que le demandeur a centralisé son mode de vie au Canada. 

 

[21]           De plus, malgré que le juge de la citoyenneté ait affirmé que la présence de la famille du demandeur au Canada était un facteur important, cela n’était pas déterminant. Le fait que le demandeur ait été disposé à voyager pour subvenir aux besoins de sa famille est louable; cependant, en me fondant sur l’ensemble des facteurs, je conclus que la conclusion tirée par le juge de la citoyenneté, selon laquelle le demandeur a un lien plus fort avec la Colombie qu’avec le Canada, était raisonnable.

 

[22]           J’ajouterais que même si le juge de la citoyenneté a effectivement mentionné la période de temps durant laquelle le demandeur était en Colombie après avoir présenté sa demande de citoyenneté (période ne faisant donc pas partie de la période de temps pertinente), il est clair que cela est semblable à la récente affaire Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1140, dans laquelle la juge Layden‑Stevenson a affirmé au paragraphe 15 que « [e]n mentionnant des absences hors de la période pertinente, la juge ne faisait que placer la demande de M. Chen dans son contexte. Rien dans ce contexte général ne permettait d’arriver à une conclusion différente de celle tirée à l’égard de la période pertinente ». Je crois que le même raisonnement s’applique en l’espèce.

 

Les motifs fournis étaient-ils suffisants?

[23]           La présentation de motifs est exigée par la Loi : le paragraphe 14(3) qui dispose que « [e]n cas de rejet de la demande, le juge de la citoyenneté en informe sans délai le demandeur en lui faisant connaître les motifs de sa décision et l’existence d’un droit d’appel ».

 

[24]           Dans l’arrêt VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25, [2000] A.C.F. no 1685 (QL), aux paragraphes 21 et 22, la Cour d’appel fédérale a déclaré que l’obligation de fournir des motifs sera observée s’ils sont suffisants. De plus, elle a conclu que :

On ne s'acquitte pas de l'obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion. Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur et l'examen des facteurs pertinents.

 

 

[25]           En outre, dans la décision Tulupnikov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1439, [2006] A.C.F. no 1807 (QL), aux paragraphes 19 et 20, le juge Gibson – en se fondant sur l’analyse de la juge Layden-Stevenson dans la décision Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1067, [2002] A.C.F. no 1415 (QL), au paragraphe 13 – a souligné que, lors de l’analyse du caractère suffisant des motifs, il ne faut pas tenir le juge de la citoyenneté à une norme abstraite quelconque de perfection.

 

[26]           À mon avis, les motifs étaient suffisants, car il fournissaient au demandeur l’explication du rejet de sa demande. Ils renfermaient une analyse des facteurs de la décision Re Koo, lesquels ont été appliqués aux circonstances particulières de l’affaire, de même que les conclusions concernant le lieu où le demandeur a centralisé son mode d’existence.

 

[27]           Pour ces motifs, l’appel interjeté contre la décision du juge de la citoyenneté est rejeté sans dépens.

 

 

JUGEMENT

[28]           LA COUR ORDONNE que l’appel interjeté contre la décision du juge de la citoyenneté soit rejeté sans dépens.

 

                             

 

                                  « Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                T-1098-07

 

 

INTITULÉ :                                                               MARIO HERNANDO PAEZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 4 FÉVRIER 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LA JUGE TREMBLAY‑LAMER

 

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 18 FÉVRIER 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Deborah Mankovitz

 

POUR LE DEMANDEUR

Michèle Joubert

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Grey Casgrain

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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