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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20080131

Dossier : IMM-5358-06

Référence : 2008 CF 127

Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MANDAMIN

ENTRE :

MARYAM MORENIKE ATUNWA

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]                    Il s’agit d’une demande présentée par Maryam Morenike Atunwa (la demanderesse), en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), en vue du contrôle judiciaire de la décision du 12 septembre 2006 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger visée par les articles 96 et 97 de la LIPR.

Le contexte

[2]                La demanderesse est une Yorouba chrétienne de Lagos, au Nigeria. Sa mère est également chrétienne, tandis que son père est musulman. Elle prétend que son père veut l’obliger à épouser un homme qu’elle n’a pas choisi et que ce mariage donnera lieu à une circoncision forcée. Elle prétend que l’homme proposé pour être son mari est également musulman et beaucoup plus âgé qu’elle.

[3]         La Commission a conclu qu’on avait pas tenté d’obliger la demanderesse à contracter mariage avec quelqu’un qu’elle n’avait pas choisi. La Commission a aussi conclu, subsidiairement, que la demanderesse disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) dans la ville de Bénin, dans l’État d’Edo.

Les questions en litige

[4]         Bien que la demanderesse et le défendeur aient formulé les questions en litige de plusieurs façons différentes, je conclus que les trois questions qui suivent sont soulevées en l’espèce.

a.              La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que n’était pas crédible la prétention de la demanderesse selon laquelle on voulait l’obliger à contracter un mariage arrangé?

b.             La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la crainte de persécution de la demanderesse n’était pas objectivement fondée?

c.              La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant en l’existence d’une PRI viable?

La norme de contrôle

[5]         La Section de la protection des réfugiés est un tribunal spécialisé doté d’une expertise en matière d’immigration. Les demandes de contrôle judiciaire de ses décisions sont instituées en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, sous réserve d’autorisation en application du paragraphe 72(1) de la LIPR. Dans Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 741, au paragraphe 25, le juge Richard (plus tard juge en chef de la Cour d’appel fédérale) a conclu comme suit, après avoir procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle approfondie :

Par conséquent, lorsqu’on examine les décisions que la section du statut a rendues sur des questions de droit et de fait relevant de son champ d’expertise, la norme de contrôle judiciaire à appliquer aux motifs de contrôle énoncés aux alinéas 18.1(4)c) et d) de la Loi sur la Cour fédérale est celle du caractère manifestement déraisonnable.

[6]                   La première question à trancher a trait à la conclusion de la Commission quant à la crédibilité. La Cour d’appel a confirmé la norme de contrôle applicable à une telle conclusion de la Section de la protection des réfugiés. En effet le juge Decary a conclu, au paragraphe 4 de Aguebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n° 732 (C.A.F.), que cette norme était celle de la décision manifestement déraisonnable.

[7]                La seconde question en litige nécessite que l’on établisse la norme de contrôle applicable à une décision de la Commission relative à l’élément objectif d’une demande d’asile. Pour se voir reconnaître la qualité de réfugié en application de l’article 96 de la LIPR, le demandeur d’asile doit éprouver une crainte subjective d’être persécuté, et cette crainte doit être objectivement justifiée (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, au paragraphe 47; Rajudeen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1984), 55 N.R. 129, à la page 134).

[8]                Dans Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1449, au paragraphe 7, le juge Dawson a statué que la norme de contrôle applicable à une décision de la Section de la protection des réfugiés portant sur l’élément objectif de la définition d’un réfugié au sens de la Convention était celle de la décision manifestement déraisonnable.

[9]                   La troisième question à trancher a trait à la conclusion d’existence d’une PRI tirée par la Commission. Dans Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 999, aux paragraphes 8 et 9, la juge Snider a statué que la norme de contrôle applicable à une telle conclusion était celle de la décision manifestement déraisonnable.

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[10]               La demanderesse a prétendu que son père musulman avait voulu l’obliger à se marier contre son gré. La Commission n’a pas cru la demanderesse. Selon la Commission, il ne suffisait pas que le témoignage oral et écrit de la demanderesse soient cohérents; les allégations de cette dernière devaient également être cohérentes avec les probabilités avancées dans la preuve documentaire objective.

 

[11]            S’appuyant ainsi sur la preuve documentaire soumise, la Commission en est venue à la conclusion que « la grande majorité des Yoroubas ne célèbrent plus de mariages arrangés […[ [et] la majorité des mariages reposent sur le choix des personnes concernées » (pages 1 et 2 des motifs de la Commission). La Commission a également conclu que la tendance dans les centres urbains à prédominance chrétienne dans le sud du Nigeria était de ne plus pratiquer de mariages forcés. Elle  a en outre relevé que la Direction des recherches de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié n’avait pu trouver aucun renseignement précis sur les mariages forcés chez les Yoroubas, et que la demanderesse n’avait fourni aucune preuve documentaire qui puisse infirmer la preuve sur laquelle elle s’était appuyée.

 

[12]            La Commission a conclu que la preuve documentaire objective indiquait clairement que les mariages forcés chez les Yoroubas et les autres collectivités chrétiennes du sud du Nigeria n’étaient pas courants. La Commission a donc conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’on ne tentait pas d’obliger la demanderesse à conclure un mariage avec quelqu’un qu’elle n’avait pas choisi.

 

[13]               La Commission a ensuite examiné la possibilité de l’existence d’un refuge intérieur hors de Lagos, soit dans la ville de Bénin, la capitale de l’État d’Edo à prédominance chrétienne dans le sud du Nigeria. La Commission a fait valoir l’absence de renseignements concernant la prévalence des mariages forcés dans l’État d’Edo pour conclure qu’une PRI était disponible. La Commission a écarté les arguments de la demanderesse selon lesquels elle ne pourrait s’établir dans la région de la PRI parce qu’elle n’avait pas de diplôme universitaire, qu’elle serait incapable d’y trouver un emploi, qu’elle ne connaissait personne dans la ville de Bénin et que son père pourrait l’y retrouver.

[14]               La Commission a conclu que devait donc échouer pour absence de fondement objectif la demande de reconnaissance par la demanderesse de sa qualité de réfugiée au sens de la Convention et de personne à protéger. La Commission a conclu subsidiairement que, même si les prétentions de la demanderesse étaient véritablement fondées, et ce, par exception à la norme, cette dernière disposait néanmoins d’une possibilité de refuge intérieur viable dans la ville de Bénin. La Commission ayant conclu que la demande d’asile de la demanderesse n’avait pas de fondement objectif, elle n’a pas appliqué les Directives du président concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe.

LES ARGUMENTS

Les prétentions de la demanderesse

[15]               La demanderesse prétend que le dossier ne permet pas d’étayer les inférences tirées par la Commission, soit principalement que les Yoroubas ne célèbrent plus de mariages arrangés et que la plupart des mariages reposent sur le choix des personnes concernées, et que tirer ces inférences avait donc constitué une erreur. Selon la demanderesse, la preuve documentaire sur laquelle la Commission s’est appuyée laissait également entendre que le droit coutumier encourageait les attitudes culturelles favorables aux mariages d’enfants ou aux mariages forcés au Nigeria, et que les époux étaient souvent choisis selon des critères sociaux, religieux et pécuniaires, de sorte qu’ils étaient souvent beaucoup plus vieux que les futures mariées (NGA101044.EF). La demanderesse prétend en outre que, même s’il est dit dans la preuve documentaire que la grande majorité des Yoroubas ne procèdent plus à des mariages arrangés, la Commission n’a pas pris en compte le fait que son père ne faisait pas partie de cette majorité de Yoroubas, car c’est un homme musulman aux fortes convictions qui croit toujours en la pratique du mariage arrangé.

[16]               En ce qui concerne la conclusion de la Commission relative à une PRI viable, la demanderesse prétend que le défaut de la Direction des recherches de trouver des renseignements concernant la prévalence des mariages forcés dans l’État d’Edo ne veut pas dire qu’il n’existe pas de tels mariages dans les faits. La demanderesse fait valoir des extraits de la preuve documentaire mentionnant qu’il continue à y avoir des mariages forcés dans le sud du Nigeria pour prétendre qu’il n’y avait pas de PRI viable dans l’État d’Edo, situé au sud du Nigeria (NGA100418.EF). Pour étayer sa prétention d’absence de PRI viable dans la ville de Bénin, la demanderesse ajoute qu’elle ne pourrait y gagner sa vie, qu’elle est peu instruite, qu’elle n’a pas d’endroit où loger et qu’elle ne connaît personne dans la région de la PRI.

Les prétentions du défendeur

[17]            Le défendeur prétend pour sa part que la crainte de la demanderesse n’était pas justifiée comme elle n’avait pas de fondement objectif. La demanderesse résidait à Lagos, elle était instruite et le prétendu mariage n’était pas censé être contracté avant qu’elle n’atteigne l’âge de 21 ans. Selon le défendeur, tous ces éléments faisaient contraste avec la preuve documentaire laissant voir que les mariages forcés existaient dans les collectivités musulmanes des régions rurales et que les futures épouses étaient plus jeunes que ne l’est la demanderesse. Le défendeur ajoute enfin que la Commission n’est pas tenue d’accepter pour véridiques les inférences qu’un demandeur d’asile (maintenant la demanderesse devant la Cour) tire des faits (Derbas c. Canada (Solliciteur général), [1993] A.C.F. n° 829, au paragraphe 3).

 

 

[18]               Le défendeur prétend que, même si la preuve documentaire donne à penser qu’il existe parfois des  mariages forcés dans le sud du Nigeria, ces mariages sont plus fréquents dans les collectivités musulmanes. Le défendeur souligne que la ville de Bénin, dans l’État d’Edo dans le sud du Nigeria, est à prédominance chrétienne. Il ajoute que la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que la ville de Bénin ne constitue pas une PRI viable. Le défendeur prétend en outre que les arguments de la demanderesse fondés sur sa situation personnelle sont plutôt de l’ordre de la commodité et qu’ils ne concernent pas véritablement l’existence d’une PRI viable dans la ville de Bénin.

L’analyse

[19]               La Commission a déclaré que le témoignage de la demanderesse devait être cohérent avec les probabilités avancées dans la preuve documentaire objective. Elle a toutefois reconnu que le récit de la demanderesse pouvait toujours constituer une exception à la norme. En reconnaissant ce fait, la Commission devait avoir des motifs rationnels pour ne pas croire la prétention de la demanderesse selon laquelle on avait voulu l’obliger à épouser un homme qu’elle n’avait pas choisi.

[20]            Les éléments que la demanderesse fait particulièrement valoir pour soutenir échapper à la tendance générale, signalée par la preuve documentaire, au fort déclin des mariages forcés et de leurs conséquences connexes chez les Yoroubas du Nigeria, sont que son père est un musulman fortement attaché à la pratique du mariage forcé et que l’époux potentiel est un musulman plus âgé qu’elle. La demanderesse sous-entend ainsi que son père insistera pour qu’elle contracte le mariage et qu’il la pourchassera à cette fin jusque dans la ville de Bénin. Selon certains extraits de la preuve documentaire, ajoute-t-elle, il y a toujours des mariages forcés au sein des collectivités musulmanes au Nigeria. C’est là l’argument le plus solide de la demanderesse.

 

 

[21]               La décision de la demanderesse pourrait très bien manquer de fondement rationnel si elle a insisté pour dire que le récit de la demanderesse devait être cohérent avec les probabilités avancées dans la preuve documentaire quant à un fort déclin des mariages forcés dans les centres urbains à prédominance chrétienne du sud du Nigeria, sans toutefois avoir considéré en quoi cela avait trait à la demanderesse. Ce n’est cependant pas ce qu’il est advenu en l’espèce.

[22]               La Commission est présumée avoir examiné l’ensemble de la preuve dont elle était saisie, même si elle ne mentionne pas dans ses motifs chacun des documents qui lui a été soumis (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n° 598 (C.A.F.)). La Commission a conclu que la demanderesse était une Yorouba chrétienne de Lagos, le plus important centre urbain du sud du Nigeria. La Commission a également souligné que la mère de la demanderesse était chrétienne, et que la demanderesse était bien scolarisée, car elle avait suivi des cours à l’université. Comme le défendeur l’a mentionné, la preuve révélait également que le prétendu mari de la demanderesse attendait que celle-ci atteigne l’âge de 21 ans avant de l’obliger à l’épouser. Il y a également lieu de souligner que, selon la preuve présentée à la Commission, le père de la demanderesse avait une épouse chrétienne et que la demanderesse elle-même avait été élevée dans la foi chrétienne.

[23]            La preuve susmentionnée étaye la conclusion de la Commission que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse n’avait pas été obligée d’accepter un mariage arrangé. Je ne peux donc pas affirmer que la conclusion de la Commission quant à la crédibilité était clairement irrationnelle, de sorte qu’elle était manifestement déraisonnable.

[24]            Le profil de la demanderesse tout juste décrit correspond suffisamment à la preuve documentaire selon laquelle les mariages forcés chez les Yoroubas et les autres collectivités chrétiennes du sud du Nigeria sont rares. Cela montre bien le caractère raisonnable de la conclusion de la Commission quant à l’absence de fondement objectif de la demande d’asile présentée par la demanderesse en application de l’article 96 de la LIPR. Je n’estime donc pas manifestement déraisonnable la conclusion de la Commission quant à l’élément objectif de la reconnaissance, en application de l’article 96, de la qualité de réfugié au sens de la Convention.

[25]               La demanderesse a prétendu ne pas disposer d’une possibilité de refuge intérieur dans la ville de Bénin car son père pourrait l’y retrouver et qu’elle aurait du mal à s’y établir. La Commission a conclu qu’il n’y avait qu’une simple possibilité que la demanderesse soit retrouvée par son père, et que celle-ci pouvait réussir son établissement dans la ville de Bénin comme elle était jeune, souple, bien scolarisée et qu’elle était disposée à relever des défis semblables en voulant s’établir au Canada. J’estime que le raisonnement de la Commission n’est pas manifestement déraisonnable à cet égard.

 

 

CONCLUSION

[26]            Je conclus que n’était pas manifestement déraisonnable la décision de la Commission quant à la crédibilité de la demanderesse quant à l’élément objectif de la reconnaissance, en application de l’article 96, de la qualité de réfugié au sens de la Convention, et quant à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur.

[27]            La demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

                                                                                                « Léonard S. Mandamin »          

                                                                                                                  Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.


 

 

COUR FÉDÉRALE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                             IMM-5358-06

 

INTITULÉ :                                                            MARYAM MORENIKE ATUNWA

                                                                                 c.

                                                                                 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                                                 DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                    LE 4 OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                 LE JUGE MANDAMIN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                            LE 31 JANVIER 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alesha Green

 

POUR LA DEMANDERESSE

Modupe Oluyomi

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Green Willard

Avocats

Toronto (Ontario) M5S 1X1

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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