Toronto (Ontario), le 21 février 2008
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Le demandeur a eu la malchance d’agir comme caution pour M. Somu, beau-frère d’un ami. M. Somu était alors détenu, en juillet 2002, par l’Agence des services frontaliers du Canada jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa demande d’asile. Le demandeur a déposé deux garanties, une garantie en espèces au montant de 5 000 $ et une garantie de bonne exécution, elle aussi de 5 000 $. Il se trouve que M. Somu fut finalement renvoyé du Canada et que le ministre n’entend pas restituer au demandeur les deux garanties. Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision du ministre de ne pas lui restituer les garanties. Pour les motifs qui suivent, je ferai droit à la demande.
[2] La norme de contrôle qui s’applique aux affaires portant sur la restitution ou la confiscation de garanties de ce genre a été examinée par le juge Mosley, de la Cour fédérale, dans la décision Kang c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 652. Il a considéré d’autres décisions de la Cour, pour conclure que la jurisprudence en la matière est complexe et encore fluctuante. Selon au moins un précédent (Tsang c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 474), la norme est la décision correcte, mais selon un autre (Khalife c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 221), c’est la norme de décision raisonnable. Le juge Mosley a conclu qu’il examinerait l’affaire selon la norme de décision raisonnable et j’appliquerai la même norme, sauf pour les questions de droit, qui sont revues selon la norme de décision correcte.
[3] Le 22 juillet 2002, le demandeur a signé une garantie en espèces et remis la somme de 5 000 $ aux représentants du ministre. Les conditions étaient indiquées par des coches et par des interlignes manuscrits, sur un formulaire réglementaire fourni par les représentants du ministre :
[traduction]
L’intéressé devra se présenter, après en avoir reçu l’ordre par écrit, pour que soient prises les dispositions touchant son renvoi et pour qu’il soit procédé à son renvoi si la mesure de renvoi conditionnelle devient exécutoire.
L’intéressé devra, avant d’être mis en liberté, indiquer aux fonctionnaires de l’immigration le lieu de son domicile. Avant tout changement de domicile, il devra signaler tel changement en personne à un fonctionnaire de l’immigration, au Centre de contrôle de Citoyenneté et Immigration Canada, 6900 chemin de l’Aéroport, entrée 2D, à Mississauga, en Ontario, ou à tel autre endroit qu’indiquera par écrit un fonctionnaire de l’immigration.
L’intéressé devra se présenter au Centre de contrôle de Citoyenneté et Immigration Canada, 6900 chemin de l’Aéroport, entrée 2B, à Mississauga, en Ontario, une fois par semaine, conformément à un calendrier en forme écrite qui lui sera remis par Citoyenneté et Immigration Canada au moment de sa mise en liberté. Un agent pourra, par écrit, annuler cette information, changer l’endroit où l’intéressé devra se présenter ou réduire la fréquence de ses visites au Centre, et cela, à compter du mercredi 31 juillet 2002, entre 9 heures et 15 heures.
L’intéressé coopérera pleinement avec Citoyenneté et Immigration Canada en remplissant avec exactitude tout document ou questionnaire portant sur l’établissement de son identité ou sur l’obtention de titres de voyage, et il devra signer en temps utile tout document du genre.
L’intéressé résidera en tout temps chez la caution, sauf autorisation écrite d’un agent.
L’intéressé ne pourra pas travailler, sauf autorisation de Citoyenneté et Immigration Canada.
L’intéressé produira, avant sa mise en liberté, un document original établissant son identité.
[4] Le même jour, le 22 juillet 2002, le demandeur signait une garantie de bonne exécution, c’est-à-dire un engagement de payer la somme de 5 000 $ si les conditions susmentionnées n’étaient pas respectées. La première page du document contient les mots suivants : voir les conditions annexées de mise en liberté. Les conditions annexées étaient signées par le demandeur, mais, malgré l’assurance des représentants du ministre qu’elles lui seraient envoyées prochainement, elles n’ont été transmises au demandeur que bien plus tard, le 6 décembre 2006, alors que les parties étaient engagées dans une discussion sérieuse concernant les deux garanties. Les conditions de la garantie de bonne exécution et celles de la garantie en espèces sont les mêmes.
[5] Le 22 août 2005, le représentant du ministre a écrit au demandeur pour lui dire que M. Somu ne s’était pas conformé aux conditions de chacune des garanties et il le priait de payer la somme de 5 000 $ pour satisfaire à la garantie de bonne exécution. Le manquement allégué était que M. Somu ne s’était pas présenté le 19 août 2005 à l’entrevue portant sur l’examen des risques avant renvoi (ERAR). Il semble qu’une certaine correspondance a disparu du dossier du ministre, car l’avocat qui représentait alors à la fois le demandeur et M. Somu aurait remis aux représentants du ministre certains documents qui ne figuraient pas dans leurs dossiers. On ne sait trop quels documents étaient absents, ni depuis combien de temps. En tout état de cause, les représentants du ministre ont envoyé une deuxième lettre au demandeur le 27 juillet 2006, pour exiger paiement en accord avec la garantie de bonne exécution. Ils écrivaient ce qui suit :
[traduction]
Merci de votre communication, que nous avons reçue le 30 janvier 2006 et que nous avons examinée. Je suis arrivé à la conclusion qu’il y a lieu de donner effet à la garantie de bonne exécution de 5 000 $ et de confisquer la garantie en espèces n° B106194 au montant de 5 000 $, deux garanties que vous avez signées le 22 juillet 2002.
1- M. Somu ne s’est pas présenté à son entrevue et il a donc transgressé l’une des conditions de la garantie, puisqu’il devait se présenter, si ordre lui en était donné, pour que soient prises les dispositions touchant son renvoi et pour qu’il soit procédé à son renvoi si la mesure de renvoi conditionnelle devenait exécutoire.
2- Il devait résider en tout temps avec la caution, sauf autorisation écrite d’un agent d’immigration.
3- Avant tout changement de domicile, il devait signaler tout changement du genre, en personne, à un agent d’immigration, au Centre d’Immigration Canada, 6900 chemin de l’Aéroport, à Mississauga, en Ontario.
[6] Le demandeur a répondu promptement, le 14 août 2006, en fournissant des explications concernant ces manquements prétendus. Il a souligné que c’était lui, Hussain, qui amenait M. Somu aux autorités dès qu’une difficulté surgissait. Les représentants du ministre ne semblent pas avoir accordé un poids suffisant à cette coopération. Le demandeur écrivait ce qui suit :
[traduction]
Ce que j’essaie de vous faire comprendre, c’est que j’ai conduit M. Somu immédiatement à vos bureaux quand la lettre a été trouvée. En outre, il a été expulsé, c’est-à-dire qu’il ne s’est pas enfui du pays. S’agissant du deuxième motif que vous invoquez pour confisquer la garantie, M. Somu résidait en permanence chez moi. Cependant, au cours des travaux de rénovation de mon habitation, il n’y avait pas de place pour lui ici et il a donc dû demeurer ailleurs temporairement. Néanmoins, il résidait chez moi d’une manière permanente. Cela répond également au troisième motif que vous invoquez pour confisquer la garantie : si vous n’avez pas été informé d’un changement de domicile de M. Somu, c’est parce que M. Somu n’a pas changé de domicile.
[7] Le 11 septembre 2006, le ministre a répondu au demandeur que M. Somu avait « manifestement transgressé plus d’une de ces conditions » et que la somme prévue par la garantie de bonne exécution devait être payée :
[traduction]
Le 27 juillet 2006, nous vous avons envoyé une lettre faisant état des nombreuses transgressions commises par M. Somu, déclenchant ainsi la garantie en espèces et la garantie de bonne exécution datées du 22 juillet 2002. M. Somu a manifestement transgressé plus d’une de ces conditions, puisqu’il ne s’est pas présenté à son entrevue, qu’il n’a pas résidé chez vous en tout temps et qu’il n’a pas signalé aux fonctionnaires de l’immigration sa nouvelle adresse.
En ce qui concerne les déclarations faites par un agent à propos de vos responsabilités en tant que caution, une copie des « conditions de mise en liberté » est remise à toutes les cautions, et nous avons dans nos dossiers une copie des « conditions de mise en liberté » qui accompagnait les garanties que vous avez signées le 22 juillet 2002.
[8] Un cabinet d’avocats, Stikeman Elliott, agissant pour le demandeur, a répondu à cette lettre le 2 novembre 2006. Les avocats voulaient obtenir une copie des conditions annexées à la garantie de bonne exécution et ils priaient le ministre de réexaminer sa position. Le représentant du ministre a répondu par lettre du 6 décembre 2006, dans laquelle il écrivait que seuls étaient retenus les manquements se rapportant à l’obligation de résidence de M. Somu :
[traduction]
La présente fait suite à votre lettre du 2 novembre 2006, examinée par l’agent J. Martin. L’agent Martin a conclu que M. Manoharan Somu avait transgressé la condition suivante de sa mise en liberté : il a manqué à son obligation de résider en tout temps chez la caution, alors qu’il n’avait pas l’autorisation écrite d’un agent de l’ASFC de se soustraire à cette obligation.
Lorsque M. Manoharan Somu fut invité à se présenter le 30 août 2005 pour un examen des risques avant renvoi, il a déclaré qu’il vivait chez un ami pour un mois et non chez la caution, comme il y était tenu de par la garantie de bonne exécution. L’Agence des services frontaliers du Canada n’a approuvé aucun changement de domicile.
Par ailleurs, à deux reprises, le 1er septembre 2005 et le 8 septembre 2005, lors du contrôle de sa détention, M. Somu a confirmé à nouveau qu’il ne vivait pas chez la caution, car des travaux de rénovation étaient en cours d’exécution chez M. Mohammed Hussain. M. Hussain avait demandé à M. Somu de trouver un autre endroit durant les rénovations. Cependant, M. Somu n’a jamais sollicité ni obtenu l’approbation de l’ASFC pour un changement de domicile, y compris à la date où il s’est présenté à l’ASFC, 6900 chemin de l’Aéroport, à Toronto, en Ontario.
Par conséquent, M. Somu a transgressé les conditions de sa mise en liberté et la garantie doit donc être confisquée.
[9] Les avocats du demandeur ont répondu par lettre datée du 29 janvier 2007 en contestant la position du ministre pour qui M. Somu avait transgressé les conditions touchant son lieu de résidence. La lettre contenait notamment ce qui suit :
[traduction]
Nous croyons comprendre que l’ASFC a conclu à une violation des conditions après que M. Somu eut communiqué une information à des agents de l’ASFC au cours d’entrevues durant sa détention. Cependant, M. Hussain a communiqué des renseignements additionnels à propos des faits pertinents; l’ASFC ne lui a pas expliqué pourquoi les renseignements en cause qu’il a communiqués ne justifiaient pas la restitution au moins partielle de son dépôt.
Par exemple, les renseignements fournis par M. Hussain dans ses lettres à l’ASFC datées du 14 août 2006 et du 29 septembre 2006 font notamment état des faits suivants :
M. Manoharan Somu a continué de résider en tout temps chez M. Hussain;
Durant les travaux de rénovation entrepris chez M. Hussain, M. Somu est demeuré temporairement chez un ami; cependant, il continuait de résider en permanence chez M. Hussain.
En outre, durant la période en question, même les deux filles de M. Hussain sont allées demeurer temporairement chez leur grand-mère, mais leur lieu de résidence n’avait pas changé pour autant. Pareillement, le lieu de résidence de M. Somu n’avait pas changé : ses effets personnels se trouvaient chez M. Hussain; son courrier était livré chez M. Hussain, et il se présentait régulièrement chez M. Hussain.
À notre avis, la correspondance de l’ASFC à ce jour ne montre pas qu’il a été tenu compte de l’information communiquée par M. Hussain à l’ASFC.
[10] Citoyenneté et Immigration Canada, comme on appelle cet organisme, communique des directives à l’intention de ses représentants, pour les aider lorsqu’ils prennent des décisions dans l’exercice de leurs diverses fonctions. Ces directives n’ont pas la force ou l’effet d’une loi ou d’un règlement, mais sont reconnues comme des instruments qui permettent à la Cour de dire si un pouvoir discrétionnaire a été validement exercé (Kang, précitée, au paragraphe 37). Jusqu’à aujourd’hui, ces directives, et en particulier la directive ENF 8 Garanties renfermait ce qui suit à propos de la confiscation d’une garantie :
Les agents délégués de CIC ou de l’ASFC doivent examiner chaque cas en fonction de son bien‑fondé.
[…]
Le gestionnaire déterminera au cas par cas s’il convient de fixer un montant plus faible que celui stipulé à l’origine dans la garantie d’exécution, en accord avec les lignes directrices de l’administration centrale.
[11] Ces directives ont été modifiées le 11 février 2007. Le deuxième passage susmentionné est maintenant formulé comme il suit:
Les gestionnaires et agents de CIC et de l’ASFC possèdent le pouvoir discrétionnaire de décider si le non-respect des conditions est suffisamment grave pour justifier la confiscation du dépôt de garantie ou la réalisation de la garantie d’exécution. Toutefois, les gestionnaires et agents de CIC et de l’ASFC ne possèdent pas le pouvoir discrétionnaire de réduire ou de modifier autrement le montant du dépôt de garantie ou de la garantie d’exécution.
[12] Ainsi, bien qu’il semble que chaque situation doit encore être considérée comme un cas d’espèce, la politique qui autorisait l’acceptation d’un paiement moindre a été remplacée par une politique selon laquelle le montant de la garantie ne peut pas être réduit, sous réserve qu’il faut se demander si le non-respect des conditions a été « suffisamment grave ».
[13] Le représentant du ministre n’a répondu que le 7 mars 2007, c’est-à-dire après le changement de la politique, à la lettre des avocats du demandeur datée du 29 janvier 2007. Le représentant écrivait ce qui suit :
[traduction]
Merci d’avoir pris le temps de nous écrire à propos de l’affaire qui intéresse votre client, Mohamed Hussain, la caution de M. Somu. J’ai passé en revue tous les jugements récents de la Cour fédérale du Canada que vous avez cités, où il est question de la confiscation de garanties en espèces et de garanties de bonne exécution.
Je comprends que M. Hussain prenait au sérieux ses obligations lorsqu’il a signé ces garanties, mais il reconnaît dans votre correspondance que M. Manoharan Somu a transgressé les conditions de sa mise en liberté quand il a déménagé sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Je crois comprendre aussi que vous voudriez que cette affaire soit résolue par confiscation de la garantie en espèces et restitution à votre client de la garantie de bonne exécution.
Malheureusement, je dois m’en tenir au chapitre ENF 8 Garanties qui est modifié, depuis le 11 février 2007, à la section 7.8 et dont un paragraphe a été supprimé. En outre, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile s’appelle maintenant ministre de la Sécurité publique.
Les récentes modifications apportées au guide donnent clairement instruction aux gestionnaires de ne pas accepter une exécution partielle des garanties. Je joins à la présente le chapitre 8, pour référence, y compris le paragraphe 7.8, mis en relief, intitulé « Garantie fournie par un tiers ».
Je sais que ce n’est pas ce que vous espériez, mais malheureusement ces garanties sont déjà confisquées au bénéfice de la Couronne et je n’ai aucun pouvoir discrétionnaire en la matière. J’ose espérer que cela clôt le dossier.
[14] Cette lettre est erronée sous au moins deux aspects. D’abord, la politique postérieure au 11 février 2007 confère bel et bien un pouvoir discrétionnaire; elle requiert de se demander si le non-respect des conditions a été « suffisamment grave ». Deuxièmement, le représentant du ministre n’a pas vu que, puisque le différend avait surgi à l’époque où les anciennes directives s’appliquaient, il lui revenait d’appliquer les anciennes directives au cas dont il était saisi. Ainsi que l’écrivait le juge Mosley dans la décision Kang, précitée, au paragraphe 37, les lignes directrices n’ont pas force de loi et, comme il le disait aux paragraphes 27 à 31, il est raisonnable pour le ministre, dans ces conditions, de continuer d’appliquer les anciennes lignes directrices :
27 Comme il a été mentionné plus haut, la gestionnaire Gilker déclare dans son affidavit qu’elle a [traduction] « […] déterminé que Mme Lee avait contrevenu à une condition de sa mise en liberté, ce qui a provoqué la confiscation du cautionnement de la demanderesse ». Cela laisse entendre que la gestionnaire a considéré qu’elle ne pouvait plus exercer un pouvoir discrétionnaire quelconque après avoir déterminé, en se fondant sur les faits, qu’il y avait eu contravention.
28 Dans des décisions rendues en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration, la Cour a statué que, bien que le défaut de se conformer à une condition de la mise en liberté soit une condition préalable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, l’agent doit quand même se consacrer à l’exercice de ce pouvoir au moment de décider s’il faut déclarer la confiscation d’un cautionnement : Gayle, précitée, et Bcherraway c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 255 F.T.R. 161, 2003 CFPI 1427 (C.F. 1re inst.).
29 Ce courant jurisprudentiel a été suivi dans des décisions relatives à une confiscation effectuée en vertu de la loi actuellement en vigueur et, plus particulièrement, dans Uanseru. Dans cette affaire, il était question à la fois d’une garantie d’exécution de 5 000 $ et d’un cautionnement en espèces de 5 000 $. L’agente en cause a décidé de ne pas exercer la garantie d’exécution, mais a ordonné la confiscation du cautionnement en espèces. La juge Mactavish a conclu qu’il était impossible d’isoler dans les motifs de l’agente les raisons pour lesquelles elle avait fait une distinction entre les deux. Il n’y avait donc aucune façon de savoir si l’agente s’était fondée sur des considérations irrégulières ou étrangères à l’objet de la loi, l’un des principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans Maple Lodge Farms c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, 137 D.L.R. (3d) 558, pour déterminer si un pouvoir discrétionnaire a été correctement exercé.
30 Dans Uanseru, le ministre défendeur a admis que, malgré les modifications apportées à la législation, l’agente conservait le pouvoir discrétionnaire de ne pas déclarer la confiscation d’une garantie d’exécution en cas d’inobservation des conditions de mise en liberté.
31 Une concession similaire a été faite dans Khalife. De plus, dans Khalife, l’agente avait exercé son pouvoir discrétionnaire pour ordonner la confiscation d’un montant moins élevé. Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si l’agente était tenue de considérer le degré de la faute du sujet ou du garant et d’appliquer des principes de proportionnalité similaires à ceux qui ont été établis dans les cours criminelles pour la confiscation des cautionnements.
[15] Les avocats du demandeur n’ont pas accepté la lettre du 7 mars 2007 et ont écrit le 8 mars à un autre haut fonctionnaire. Celui-ci a répondu par lettre du 22 mars 2007, laquelle représente la décision que le demandeur voudrait faire annuler. La portion essentielle de ladite lettre, aux fins qui nous concernent, est ainsi formulée :
[traduction]
J’ai consulté le contentieux de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et je puis vous communiquer les observations suivantes. La position de l’ASFC est que, dès qu’une personne mise en liberté à la faveur d’une garantie en espèces ou d’une garantie de bonne exécution contrevient aux conditions de sa mise en liberté, l’agent chargé du dossier n’a pas le pouvoir, selon la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), de renoncer à une portion de la garantie; par conséquent, la caution demeure tenue de payer le montant intégral précisé dans la garantie de bonne exécution.
[16] Cette décision est erronée, pour la même raison qu’était erronée la lettre du 7 mars. D’abord, les nouvelles lignes directrices confèrent un pouvoir discrétionnaire qui doit être exercé équitablement, et les lignes directrices doivent être communiquées au demandeur, en ce sens que l’agent doit se demander si le non-respect des conditions a été « suffisamment grave ». Deuxièmement, il s’agit de politiques, non d’une loi, et l’agent concerné conserve le pouvoir discrétionnaire d’appliquer les anciennes lignes directrices à une question litigieuse qui manifestement a surgi à l’époque des anciennes lignes directrices.
[17] Il ressort clairement aussi du dossier et de la correspondance des représentants du ministre que ceux‑ci n’ont pas agi raisonnablement, en ce sens qu’ils n’ont pas cherché outre mesure à savoir ce que signifiait le mot « résidence ». C’est un mot que le ministre a décidé d’utiliser, c’est lui qui a inséré ce mot dans le formulaire imprimé énumérant les conditions de la mise en liberté. Si ce mot est de quelque façon ambigu, c’est au ministre qu’il revient d’assumer le risque d’une telle ambiguïté.
[18] En droit, le mot « résident » ou « résidence » doit être considéré avec précaution, compte tenu de toutes les circonstances. Aucune signification précise ou unique ne lui est attribuée. La résidence ne doit pas être confondue avec un déménagement ou séjour temporaire. L’arrêt de principe souvent cité dans ce cas est l’arrêt Thompson c. Canada (Ministre du Revenu national), [1946] R.C.S. 209, un précédent qui, même s’il s’agissait de fiscalité, est souvent mentionné dans de nombreuses affaires sans rapport avec l’impôt. Dans l’arrêt Thompson, le juge Rand écrivait, à la page 224 :
[traduction]
L’échelonnement des degrés de temps, d’objet, d’intention, de continuité et autres circonstances pertinentes montre, je crois, que, dans le langage courant, la « résidence » n’est pas un ensemble d’éléments invariables, dont tous doivent être présents dans un cas donné. Il est parfaitement impossible de donner à ce mot une définition précise et complète. C’est une notion extrêmement souple, et ses nombreuses nuances varient non seulement d’une affaire à une autre, mais également dans les divers aspects d’une même affaire. Dans un cas, il y a résidence si certains éléments sont présents, et dans un autre si d’autres éléments sont présents, certains fréquents, d’autres nouveaux.
et le juge Kerwin écrivait, aux pages 211 et 212 :
[traduction]
La Loi ne contient aucune définition du mot « résident » ou de l’expression « ordinairement résident », mais on devrait leur attribuer la signification qui leur est conférée par l’usage. Lorsqu’on a affaire à une loi de nature fiscale, il est vrai d’affirmer, je crois, comme on peut le voir dans le Standard Dictionary, que les mots « résider » et « résidence » ont quelque chose d’imposant et ne doivent pas être utilisés indistinctement pour les mots « vivre ». « maison » ou « habitation ». Le Shorter Oxford Dictionary définit ainsi le mot « résider » (« reside ») : « Habiter d’une manière permanente ou pour une période considérable dans un lieu, avoir son domicile établi ou habituel, pour vivre, dans ou à un certain endroit. » Dans le même dictionnaire, le mot « ordinairement » (« ordinarily ») signifie : « 1. En conformité avec une règle; de façon régulière. 2. Dans la plupart des cas, habituellement, généralement. 3. Communément. 4. Couramment. » Par ailleurs, le mot « séjourner » (« sojourn ») est défini ainsi : « Rester temporairement dans un lieu; demeurer ou résider pendant un certain temps. »
[19] La notion de résidence a été examinée en détail par la juge Dawson, de la Cour fédérale, dans un jugement très récent du 18 février 2008, Harkat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 198. Le mot « résider » requiert la prise en compte de nombreux aspects, à savoir : une personne dort-elle « habituellement » chaque soir au même endroit? Ses absences étaient-elles temporaires? Quelle était l’intention de cette personne? Avait-elle l’intention de revenir? Ce sont là des points à examiner. Je cite les paragraphes 44, 45, 48 et 54 de ce jugement :
[44] Dans ce contexte, « résider » avec une personne signifie « vivre » avec elle. Selon les termes de l’ordonnance de mise en liberté à la suite des plus récentes modifications, M. Harkat devait vivre avec Mme Harkat, Mme Brunette et M. Weidemann.
[45] Je tiens compte des décisions invoquées par M. Harkat. Chacune des cautions de surveillance n’était pas obligée de passer chaque nuit à la résidence pour que M. Harkat réside avec elles, mais la résidence de ce dernier devait être l’endroit où elles avaient l’habitude de revenir et de passer la nuit. Une telle interprétation de « résider » est conforme à celle retenue par la High Court of Justice dans Abu Rideh c. Secretary of State for the Home Department, [2007] EWHC 2237 (Admin), aux paragraphes 11 et 33. Tant que les absences des cautions de surveillances de la résidence avaient chaque fois un but temporaire et que les cautions avaient l’intention de revenir à la résidence, les cautions résidaient avec M. Harkat et réciproquement.
[…]
[48] Pour l’application de l’ordonnance de mise en liberté, j’en arrive à la conclusion de fait que Mme Brunette avait quitté la résidence avec l’intention de ne plus y vivre. Je conclus aussi que les Harkat n’avaient pas l’intention d’emménager avec elle plus tard. L’inférence la plus raisonnable que l’on puisse tirer du témoignage évasif de Mme Brunette, du témoignage clair de Mme Harkat et de son courrier électronique du 9 décembre 2007, est que Mme Brunette et les Harkat allaient partir chacun de leur côté. Il n’était pas prévu que les Harkat rejoindraient Mme Brunette à sa nouvelle adresse.
[…]
[54] Pour ce qui est de l’argument selon lequel Mme Brunette continue de résider dans la maison en raison de son « contact étroit et régulier » avec la résidence, « résider » est l’endroit où l’on dort selon le sens habituel de ce terme, comme l’a fait remarquer le juge Tarnopolsky dans Gravino. Mme Brunette ne dort plus régulièrement à la résidence. Le paragraphe 6 de l’ordonnance de mise en liberté visait à assurer une surveillance efficace de M. Harkat. Une surveillance efficace suppose la présence effective du surveillant – non la présence de ses effets personnels. Je répète qu’il n’y avait rien de temporaire dans la décision de Mme Brunette de ne plus dormir à la résidence.
[20] L’examen du dossier du tribunal dans la présente affaire montre clairement que, dès janvier 2006, les représentants du ministre avaient décidé, se fondant sur le seul témoignage de M. Somu, qu’il avait cessé de « résider » chez le demandeur. Ils sont arrivés à cette conclusion en partie parce que M. Somu avait été évasif et que, semble-t-il, il s’était une fois caché dans un placard. Si cette dernière raison a pu être déterminante, elle n’a jamais été communiquée au demandeur et elle aurait dû l’être, pour des raisons d’équité.
[21] Les diverses lettres des avocats du demandeur où ils exposaient sa version de la « résidence » de M. Somu semblent s’être heurtées à un mur. Le dossier du tribunal n’atteste aucune véritable prise en compte de ces observations. Le ministre a choisi de ne produire aucune preuve. Il n’a donc pas contribué à éclaircir les véritables délibérations tenues par ses représentants, ni les facteurs considérés.
[22] Si l’on prend dans son sens le plus étendu la position du ministre au regard de la « résidence », il subsiste une controverse manifeste et très actuelle quant à savoir si cette position est applicable aux circonstances de la présente affaire. Le ministre n’a pas reconnu cette controverse ou, s’il l’a reconnue, il n’a pas reconnu que l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire s’imposait pour savoir s’il convenait de restituer une partie ou la totalité des garanties (anciennes lignes directrices) ou si un non-respect « suffisamment grave » des conditions était survenu au point qu’il faille se demander si le montant intégral des garanties devait ou non être restitué (nouvelles lignes directrices).
[23] Il ne s’agit pas simplement de savoir qui avait tort et qui avait raison en ce qui concerne la « résidence ». La difficulté est plutôt le fait que les représentants du ministre n’ont pas reconnu l’existence d’un différend légitime et, donc, n’ont pas exercé leur pouvoir discrétionnaire.
[24] Il ressort clairement du dossier que les représentants du ministre ne se sont pas demandé outre mesure ce que signifiait le mot « résidence » ou ne lui ont pas attribué le sens qui se prêtait aux circonstances de la présente affaire. S’ils l’avaient fait, ils auraient reconnu qu’il existait un authentique différend au sujet des circonstances de la présente affaire et, se fondant sur la nouvelle politique, auraient restitué au demandeur sa garantie en espèces et sa garantie de bonne exécution, étant donné qu’il serait difficile d’affirmer qu’il y a eu non-respect pouvant de quelque façon être qualifié de « suffisamment grave », ou, se fondant sur l’ancienne politique, auraient restitué au demandeur l’intégralité des deux garanties.
[25] La demande sera accueillie avec dépens. Je suis informé que le ministre continue de pratiquer une saisie-arrêt sur la rémunération du demandeur pour donner effet à la garantie de bonne exécution. Il doit être mis fin à cette saisie-arrêt jusqu’à la décision finale du ministre, après réexamen de la présente affaire. Aucune question n’est certifiée.
JUGEMENT
Pour les motifs susmentionnés,
LA COUR STATUE que :
1. La demande est accueillie;
2. L’affaire est renvoyée au ministre, pour nouvelle décision conforme aux présents motifs;
3. Il est enjoint au ministre de mettre fin à la saisie-arrêt pratiquée sur la rémunération du demandeur, jusqu’à la décision finale du ministre après réexamen de l’affaire;
4. Aucune question n’est certifiée;
5. Il n’est pas adjugé de dépens.
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1445-07
INTITULÉ : MOHAMED HUSSAIN
c.
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 19 FÉVRIER 2008
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : LE 21 FÉVRIER 2008
COMPARUTIONS :
Ellen M. Snow POUR LE DEMANDEUR
Angela Marinos POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Stikeman Elliott LLP POUR LE DEMANDEUR
Avocats
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada