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Date : 20080219

Dossier : T-1279-07

Référence : 2008 CF 216

Montréal (Québec), le 19 février 2008

En présence de monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

MICHEL AUBERT

demandeur

et

 

TRANSPORTS CANADA

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur conteste la légalité d’une décision rendue le 15 juin 2007 (la décision contestée) par Linda Brouillette, directrice générale de la Direction générale des ressources humaines (le décideur administratif) à Transports Canada (le ministère), aux termes de laquelle le grief du demandeur est rejeté au motif qu’il est hors délai, et qu’il est, à tout évènement, sans mérite.

 

[2]               Dans l’affaire IBM Canada Ltée c. Hewlett-Packard (Canada) Ltée, [2002] A.C.F. no 1008 (QL), 2002 CAF 284, la Cour d’appel fédérale rappelle qu’il faut résister à la tentation de qualifier certaines questions de « juridictionnelles » dans le simple but d’appliquer une norme faisant appel à un degré moindre de retenue judiciaire. Ici, le décideur administratif a compétence pour décider si une plainte est prescrite et est mieux placé que la Cour pour se prononcer sur « la date à laquelle [le demandeur] est informé oralement ou par écrit de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief ou à la date à laquelle il en prend connaissance pour la première fois », selon l’article 35.09 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Association des pilotes fédéraux du Canada (la convention collective) qui prévoit un délai de 25 jours pour la présentation du grief au premier palier.

 

[3]               Ayant considéré la présence d’une clause privative, l’expertise relative du décideur administratif, l’objet de la loi en cause et la nature du problème, je conclus tout d’abord que la norme de contrôle applicable à une décision rejetant un grief d’un fonctionnaire présenté en vertu de l’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la Loi) pour cause de tardivité est celle de la décision manifestement déraisonnable (Trépanier c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 1601 (QL), 2004 CF 1326; Desloges c. Canada (Procureur général), [2007] A.C.F. no 85 (QL), 2007 CF 60). D’un autre côté, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique à l’interprétation ou la portée particulière qui peut être faite par le décideur administratif du Code de valeurs et d’éthique  de la fonction publique (le Code) (Canada (Procureur général) c. Assh, [2006] A.C.F. no 1656 (QL), 2006 CAF 358). Enfin, la question de savoir s’il existe, dans les faits, un conflit d’intérêts (réel ou apparent), semble commander une plus grande déférence, de sorte que ce dernier aspect doit être examiné en fonction de la norme de la décision raisonnable simpliciter.

[4]               Les motifs et les circonstances entourant la présentation du grief du demandeur sont bien exposés dans les affidavits soumis par le défendeur. La preuve prépondérante au dossier démontre que le demandeur a produit son grief plus de deux ans après avoir été informé de la position du ministère eu égard à sa demande de cumul d’emplois. La conclusion de tardivité du décideur administratif s’appuie sur la preuve au dossier. Celle-ci ne m’apparaît pas manifestement déraisonnable dans les circonstances.

 

[5]               En effet, dès 2004, le ministère a avisé par écrit le demandeur qu’il n’était pas autorisé à exercer des activités de pilotage en dehors de ses heures régulières de travail pour le compte de compagnies étrangères puisque ce type d’activités peut entraîner une perception de conflits d’intérêts, ce que conteste aujourd’hui le demandeur. Par la suite, dans sa lettre du 20 février 2006, Mme Nicole Pageot, Directrice générale, région du Québec, viendra préciser ce qui suit : « Les seules occasions où il est permis pour un inspecteur de l’aviation civile de piloter un aéronef pendant ses jours de congé ou à l’extérieur des heures de travail sont lorsque l’inspecteur pilote pour le plaisir un avion privé, ou en louant un aéronef pour des fins personnelles ou encore, lorsque les vols sont prévus à l’intérieur d’un programme de formation alternatif approuvé, ce qui ne peut être le cas ici. » Or, le demandeur voudrait soumettre aujourd’hui que cette dernière décision est déraisonnable vu le caractère trop limitatif des exceptions en question.

 

 

[6]               Par lettre en date du 22 août 2006 adressée par le procureur du demandeur, Marc Grégoire, Nicole Pageot, Merlin Preuss et Yves Gosselin du ministère sont collectivement invités à « vouloir réviser votre décision dans les meilleurs délais ». En l’absence de faits nouveaux et de la production d’un nouveau rapport confidentiel en vertu du Code, le présent décideur administratif, Mme Brouillette, n’a pas agi d’une manière arbitraire ou capricieuse, en traitant la requête du procureur du demandeur comme une demande de révision tardive. En effet, le point de départ du délai de prescription n’est pas reporté du seul fait que le décideur administratif accepte de répondre à nouveau à l’égard d’une demande à l’égard de laquelle il a déjà pris position finale, ce qui est le cas en l’espèce. La position du ministère n’a pas changé et a toujours été la même. Il appartenait au demandeur de présenter dans le délai de 25 jours prévu à la convention collective un grief formel s’il désirait contester le bien-fondé de cette position.

 

[7]               Le procureur du demandeur plaide aujourd’hui devant cette Cour que le grief du demandeur n’est pas prescrit parce qu’il s’agit dans les faits d’un « grief continu ». Or, la position contraire soutenue ici par le procureur du défendeur ne m’apparaît pas déraisonnable car elle peut s’appuyer sur la jurisprudence et la doctrine. En effet, il ne s’agit pas d’un cas où l’« on réclame les bénéfices de la convention collective dans un contexte où la prestation de travail qui sous-tend cette réclamation en est une à exécution successive et où la violation de la convention collective est récurrente ou répétitive » (Rodrigue Blouin et Fernand Morin, Droit de l’arbitrage de grief, 5e édition (Les Éditions Yvon Blais inc., 2000), au paragraphe V.55, aux pp. 311-12). Le savant procureur du demandeur fait un parallèle avec le refus d’un employeur de permettre à un employé d’effectuer des heures supplémentaires ou celui de reconnaître à un employé l’expérience de travail acquise chez d’autres employeurs. Toutefois, ces derniers exemples m’apparaissent comme des situations de fait très différentes du cas sous étude. Faut-il le rappeler,  l’objet premier du grief du demandeur concerne la légalité d’une décision ferme et bien arrêtée dans le temps de ne pas lui permettre de travailler les fins de semaine pour des compagnies étrangères, et ce, à la suite du dépôt d’un rapport confidentiel du demandeur en 2004.

 

[8]               Compte tenu de la conclusion à laquelle j’arrive quant à la question de prescription, il n’est pas nécessaire d’examiner la légalité de la conclusion alternative du décideur administratif à l’effet qu’à tout évènement, le grief du demandeur est sans mérite. Néanmoins, puisque les parties ont longuement élaboré à l’audition sur la question de conflit d’intérêts, je préciserais ici que le demandeur ne m’a pas convaincu qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question de conflit d’intérêts en profondeur, de façon réaliste et pratique, parviendrait à une conclusion différente du décideur administratif (Threader c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 1 C.F. 41). Ayant considéré la preuve au dossier, incluant la description des tâches du demandeur, ainsi que les valeurs liées à l’éthique contenues au Code, je suis d’accord avec la conclusion générale du décideur administratif. Celle-ci m’apparaît raisonnable dans les circonstances.

 

[9]               Je ne crois pas que la légalité de la décision contestée repose sur une interprétation erronée des dispositions du Code. Quoi qu’il en soit, le Code a une portée juridique relative et ne confère aucun droit au demandeur. En l’espèce, les dispositions relatives aux conflits d’intérêts que l’on retrouve dans le Code ne font pas partie de la convention collective. Je ne crois pas non plus qu’il y ait lieu de faire une distinction entre conflit d’intérêts réel et conflit d’intérêts apparent. À mon point de vue, les deux types de conflit sont clairement envisagés par le Code. Le refus de permettre au demandeur de cumuler deux emplois relève du pouvoir du ministère. Il s’agit ici d’un cas où l’intérêt public doit primer sur l’intérêt personnel du demandeur et où la conduite du demandeur doit pouvoir résister à l’examen public le plus minutieux.

 

[10]           En conclusion, le demandeur doit organiser ses affaires personnelles de façon à éviter toute forme de conflit d’intérêts, réel, apparent ou potentiel. Il est donc raisonnable de conclure, comme l’a fait d’ailleurs le décideur administratif, que « le fait [d’] autoriser [le demandeur] à piloter des aéronefs au nom de compagnies étrangères pendant [ses] périodes de congé pourrait entraîner une perception de conflit d’intérêts » et que « [p]lus précisément, cette situation de double emploi, pourrait, entre autres, soulever des questions de loyauté envers Transports Canada, de dualité d’engagement, et d’intérêt du public ».

 

[11]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Vu le résultat, le défendeur aura droit aux dépens.


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens en faveur du défendeur.

 

 

 

 

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1279-07

 

INTITULÉ :                                       MICHEL AUBERT c. TRANSPORTS CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 février 2008

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE:   LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 février 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Me Raymond Doray

Me Loïc Berdnikoff

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Vincent Veilleux

Me Neil McGraw

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lavery, de Billy

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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