Ottawa (Ontario), le 13 février 2008
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY
ENTRE :
MORDECHAI BETESH; LIAT BETESH;
IDAN SHMUEL BETESH et YUVAL MARY BETESH
représentés par leur tuteur à l’instance MORDECHAI BETESH
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] M. Mordechai Betesh, ainsi que son épouse, Liat, et leurs jumeaux, Yuval et Idan, sont arrivés au Canada depuis Israël en 2003 en tant que visiteurs. Après l’expiration de leurs visas de six mois, ils ont demandé sans succès l’asile. Ils ont également demandé à faire l’objet d’un examen des risques avant renvoi, lequel a révélé qu’ils ne seraient pas exposés à un risque de préjudice grave s’ils retournaient en Israël. Enfin, ils ont demandé l’autorisation de présenter au Canada une demande de résidence permanente pour des considérations humanitaires. L’agent qui a évalué leur demande a conclu qu’il n’existait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives à l’appui de celle-ci et l’a rejetée.
[2]
Les demandeurs soutiennent que l’agent qui a
évalué leur demande fondée sur des considérations humanitaires (la
demande CH) n’a pas suffisamment tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants
ou expliqué sa conclusion. De plus, ils soutiennent que la consultante qui les
représentait à l’époque était incompétente, étant donné qu’elle a omis de
fournir à l’agent des éléments de preuve importants au soutien de leur demande.
Ils me demandent d’ordonner le renvoi de leur demande CH devant un autre agent
pour réexamen.
[3]
Je ne vois aucune raison d’annuler la décision
de l’agent. Je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.
I.
Questions
en litige
1. L’agent a-t-il omis de prendre dûment en considération l’intérêt
supérieur des enfants?
2.
Les motifs exposés par l’agent étaient-ils
suffisants?
3. Les demandeurs ont-ils établi qu’il y a eu manquement à la justice naturelle en raison de l’incompétence de leur conseil?
II. Analyse
A. L’agent a-t-il
omis de prendre dûment en considération l’intérêt supérieur des enfants?
[4] L’agent a examiné les circonstances suivantes entourant les enfants (âgés de presque quatre ans à l’époque) :
• ils sont inscrits dans une garderie et ont des amis;
• ils parlent anglais et leur développement se fait normalement;
• s’ils devaient quitter le Canada, ils se feraient probablement de nouveaux amis en Israël;
• ils bénéficieraient du réconfort et du soutien de leurs parents en tout temps;
• ils sont au Canada depuis assez peu de temps;
• même si Mme Betesh est enceinte
d’un autre enfant, aucune preuve médicale indique que la perspective d’un
retour en Israël lui causerait de graves difficultés.
[5]
Compte tenu de ces circonstances, l’agent a conclu
que les demandeurs n’avaient pas réussi à établir que leur départ du Canada porterait
gravement atteinte à l’intérêt supérieur des enfants.
[6]
Les demandeurs plaident que la conclusion de
l’agent était déraisonnable parce qu’il n’a pas expliqué pourquoi il serait
dans l’intérêt supérieur des enfants de quitter le Canada. Tout particulièrement, ils soutiennent que l’agent n’a pas tenu suffisamment
compte du fait que les enfants seront déracinés de leur environnement stable au
Canada et qu’ils auront à apprendre une nouvelle langue en Israël. Ainsi, les
demandeurs font valoir que l’agent a omis de soupeser les bénéfices que les
enfants retireraient s’ils demeuraient au Canada au regard des difficultés
qu’entraînera leur départ.
[7] À mon avis, l’analyse de l’agent était adéquate. Il a bel et bien soupesé les difficultés et les bénéfices relatifs visant les enfants. Il était « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants et a évalué les avantages et les inconvénients de demeurer au Canada par rapport à ceux d’un retour en Israël. L’agent est chargé de décider du degré vraisemblable de difficultés auquel sera exposé l’enfant et de le pondérer par rapport aux autres facteurs (Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 6). C’est ce que l’agent a fait dans la présente affaire.
B. Les motifs
exposés par l’agent étaient-ils suffisants?
[8]
L’agent a évalué le degré d’établissement des
demandeurs au Canada. Les demandeurs avaient mis sur pied une entreprise
rentable de fournitures dentaires, fait l’achat d’une maison et la location
d’une voiture, ouvert des comptes bancaires, fait du bénévolat et des dons de
bienfaisance. Ils ont reçu de nombreuses lettres d’appui de la part de collègues
d’affaires et d’amis. Cependant, l’agent a aussi constaté que les demandeurs
avaient établi leur entreprise et fait l’achat de leur maison au moment où leur
statut d’immigrant était incertain. Les demandeurs devaient être conscients du
risque de devoir fermer leur entreprise et de vendre leur maison s’ils ne
pouvaient pas demeurer au Canada. Une telle conséquence ne devrait donc pas être
considérée comme une difficulté excessive.
[9] L’agent a également tenu compte du fait que les demandeurs avaient quitté Israël il n’y a pas si longtemps (trois ans). Là-bas, les demandeurs avaient exploité une entreprise avec succès avant leur départ et pourraient vraisemblablement trouver une bonne source de revenu s’ils y retournaient. Ils avaient des contacts d’affaires et des amis en Israël, et ils parlaient la langue du pays.
[10] Les demandeurs soutiennent que l’agent a omis d’expliquer pourquoi leur départ du Canada ne constituerait pas une difficulté excessive. En fait, l’agent n’a pas tenu compte des efforts qu’ils ont déployés pour s’établir au Canada. Les demandeurs font valoir que les demandes CH ne seront jamais accueillies si on ne tient pas compte des liens qu’ils établissent avec le Canada pendant la période où leur statut d’immigrant est incertain.
[11] Selon moi, les motifs exposés par l’agent étaient suffisants. Ils servent les fins pour lesquelles les motifs du décideur sont requis. Ils informent les demandeurs des raisons pour lesquelles leur demande a été rejetée et constituent un fondement suffisant pour justifier leur demande de contrôle judiciaire : R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869; 2002 CSC 26; Via Rail c. Lemonde, [2000] A.C.F. no 1685 (C.A.F.) (QL).
[12] En ce qui concerne la manière dont l’agent a traité les questions relatives à l’établissement d’une entreprise et à l’achat d’une maison par les demandeurs, j’estime que la conclusion de l’agent était raisonnable dans les circonstances. Les demandeurs n’étaient pas au Canada depuis longtemps. Ils ont décidé d’établir leur entreprise alors qu’ils étaient frappés par une mesure d'interdiction de séjour. Ils ont acheté leur maison après que l’ordonnance fut devenue exécutoire. Dans ces circonstances, la conclusion de l’agent, selon laquelle les demandeurs ne subiraient pas de difficultés excessives, n’était pas déraisonnable et a été suffisamment expliquée.
C. Les demandeurs ont-ils établi qu’il y a eu manquement à la justice naturelle en raison de l’incompétence de leur conseil?
[13]
Les
demandeurs allèguent que leur consultante a omis de
fournir des documents importants au soutien de leur demande à l’agent qui était
chargé de l’examiner. Ils avaient notamment réuni des renseignements financiers
à jour sur leur entreprise qui indiquaient la réalisation de profits accrus,
une augmentation de leur clientèle, l’embauche de trois nouveaux employés et un
contrat de location de nouveaux locaux. De plus, ils avaient remis à leur
consultante des rapports de police qui montraient qu’ils avaient reçu des
menaces au Canada de la part de certaines personnes en Israël à qui ils devaient
de l’argent à la suite de la faillite de leur entreprise précédente. Le père de
M. Betesh,
qui se trouvait en Israël, avait également fait l’objet de menaces. Plus tard,
les demandeurs ont signalé à la police que leurs pneus avaient été crevés. La police a fait
une enquête complète sur ces incidents. M. Betesh a affirmé
que les mesures prises par la police avaient à peu près mis un terme aux
menaces.
[14] Les documents financiers et les rapports de police avaient été fournis à la consultante des demandeurs en mai 2006. Cette dernière a informé les demandeurs qu’elle soumettrait les documents en question à l’agent CH lorsqu’il demanderait des renseignements supplémentaires et qu’il les convoquerait à une entrevue. Comme il n’a jamais demandé d’autres renseignements ou convoqué d’entrevue, l’agent n’a jamais reçu ou examiné les nouveaux renseignements. Les demandeurs prétendent que l’incompétence de leur consultante a entraîné un manquement à la justice naturelle.
[15] Les demandeurs admettent qu’ils doivent répondre à un critère très rigoureux pour qu’une nouvelle audience leur soit accordée sur le fondement de l’incompétence de leur consultante. Le juge Marshall Rothstein a affirmé qu’une nouvelle audience ne devrait être accordée que dans les cas très exceptionnels : Huynh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 642 (1re inst.) (QL). En outre, les demandeurs doivent démontrer qu’il est raisonnablement probable que l’issue de l’instance aurait été différente : Shirvan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1509. De manière générale, ils doivent également démontrer que la consultante a été informée des allégations d’incompétence et qu’elle a eu la possibilité d’y répondre : Shirvan, précitée; Nunez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 555.
[16] En l’espèce, les demandeurs soutiennent que le principe général qui se dégage des décisions susmentionnées est que l’incompétence doit être établie très clairement avant que la Cour ordonne une nouvelle audience. Ils affirment qu’ils ont effectivement une preuve convaincante de la négligence dont a fait preuve la consultante dans un courriel où elle a clairement indiqué qu’elle avait l’intention de fournir à l’agent les documents supplémentaires. L’omission de fournir ces documents montre en réalité qu’elle [TRADUCTION] « dormait » sur le dossier. Les demandeurs renvoient aux faits dans l’affaire Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.), où l’avocat s’est endormi au moins trois fois pendant une audience, parce que ces faits seraient analogues. Cependant, je constate que, même dans cette affaire, la Cour n’a pas jugé que l’incompétence avait été établie de manière suffisante pour justifier qu’elle ordonne une nouvelle audience.
[17] Je ne suis pas convaincu que les demandeurs ont présenté une preuve suffisante pour justifier la tenue d’une nouvelle audience. Premièrement, ils n’ont pas démontré que l’issue de l’instance aurait été différente si l’agent avait examiné les documents supplémentaires. L’agent était déjà au courant de l’existence de l’entreprise prospère des demandeurs, et les rapports de police indiquaient que les demandeurs eux-mêmes ne pensaient pas recevoir d’autres menaces. Deuxièmement, les demandeurs n’ont pas établi que leur consultante avait été informée des allégations qu’ils avaient soulevées ou que des plaintes avaient été déposées auprès de la Société canadienne de consultants en immigration.
[18] Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Les parties ont demandé à avoir la possibilité de faire des observations relatives à la certification d’une question. J'étudierai les observations déposées dans les dix jours suivant le présent jugement.
JUGEMENT
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Les parties disposent d’un délai de dix jours suivant la date du présent jugement pour déposer leurs observations relatives à la certification d’une question.
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif, LL.B., B.A.Trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5405-06
INTITULÉ : BETESH ET AL.
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 29 OCTOBRE 2007
ET JUGEMENT : LE JUGE O’REILLY
DATE DES MOTIFS : LE 13 FÉVRIER 2008
COMPARUTIONS :
Ronald Poulton
|
|
John Provart |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mamann & Associates Toronto |
POUR LES DEMANDEURS
|
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR |