Ottawa (Ontario), le 6 février 2008
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ORVILLE FRENETTE
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, déposée aux termes de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) du 28 mars 2007, par laquelle la commissaire a refusé l'asile à la demanderesse, Gertrude Ngwenya.
[2] La demanderesse est citoyenne du Zimbabwe, où le parti politique au pouvoir est le Zimbabwe African National Union – Patriotic Front (Zanu-PF). Elle a quitté le Zimbabwe en juin 2000 pour se rendre aux États-Unis (É.-U.), via l’Afrique du Sud. Selon son témoignage à l’audience devant la commissaire, elle n’éprouvait aucune crainte d’être persécutée à l’époque, mais elle avait quitté le Zimbabwe pour pouvoir subvenir aux besoins de ses enfants car elle les élevait seule.
[3] Pendant environ 11 mois, la demanderesse est restée aux É.-U., à l’exception d’un bref voyage en Angleterre en décembre 2000. Au cours de cette période, elle apprit que sa fille avait fui le Zimbabwe et se trouvait, semble-t-il, au Canada. Le 21 juin 2001, la demanderesse est entrée au Canada pour y rechercher sa fille. La recherche s’étant avérée infructueuse et la demanderesse ne pouvant de retourner aux É.-U. faute d’un statut d’immigrant, elle a été autorisée par les autorités canadiennes de l’immigration à partir de son propre gré pour le Zimbabwe au début de juillet 2001.
[4] La demanderesse a déclaré à l’audience devant la SPR avoir été interrogée, à son arrivée à l’aéroport au Zimbabwe, par des fonctionnaires sur ses activités à l’étranger et avoir été accusée d’être une « espionne pour l’Ouest ». Elle est restée au Zimbabwe environ trois semaines, puis elle en est repartie de nouveau après avoir été harcelée chez elle par des membres du Zanu-PF. La demanderesse est allée passer plusieurs mois en Afrique du Sud, puis en octobre 2001, elle est partie pour l’Angleterre où elle a demandé un visa d’étudiant mais n’a pas demandé l’asile. Vers la même époque, sa fille aînée a obtenu l'asile au Canada.
[5] La demanderesse a quitté l’Angleterre avec l’aide d’une agence et elle est revenue aux É. U. en octobre 2002. Elle a fait une demande pour étudier aux É.-U., laquelle lui a été refusée mais, là non plus, elle n’a pas cherché à obtenir un avis juridique ni l'asile. En décembre 2002, la seconde fille de la demanderesse a fait une demande d’asile en Irlande. Le 16 novembre 2005, la demanderesse est entrée au Canada et elle a demandé l'asile à titre de réfugié au sens de la Convention parce qu'elle craignait d’être persécutée pour ses opinions politiques et celles des membres de sa famille immédiate.
I. La décision
[6] Par suite de conclusions négatives tirées à l’égard de la crédibilité de la demanderesse en raison des incohérences que comportait son témoignage, et de la conclusion que celle-ci n’avait pas fait la preuve des éléments tant subjectifs qu’objectifs de sa demande, la commissaire a décidé que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention du fait de ses opinions politiques réelles ou perçues ou du fait de celles de sa famille. Elle a également conclu que la demanderesse n’était pas une « personne à protéger » au sens des alinéas 97(1)a) et b) de la LIPR.
II. Les questions en litige
[7] a. Les conclusions négatives tirées par la commissaire quant à la crédibilité étaient‑elles manifestement déraisonnables?
b. La conclusion de la commissaire selon laquelle la demanderesse n’avait pas fait la preuve de l'élément de la crainte subjective était-elle manifestement déraisonnable?
c. Était-il raisonnable que la commissaire conclue que la crainte de persécution de la demanderesse n’avait aucun fondement objectif alors que ses filles ont réussi à obtenir l'asile?
III. La norme de contrôle
[8] L’expertise de la SPR en matière d’évaluation de la crédibilité est au cœur de sa compétence et ses évaluations ne devraient pas être remises en cause à moins d’être reconnues manifestement déraisonnables (Xu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1701; Griffiths c. Canada (Procureur général), 2006 CF 127 au paragraphe 16; Harusha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 2004).
IV. Les conclusions quant à la crédibilité
[9] La crédibilité et l’évaluation de la preuve par la Commission de l’immigration doivent être respectées à moins d’être manifestement déraisonnables, c’est-à-dire fondées sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la Commission disposait (Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 296 (QL), au paragraphe 14; Kanyai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 C.F.P.I. 850, au paragraphe 9).
[10] La Commission peut conclure qu’un demandeur d’asile n’est pas crédible par suite des invraisemblances et des incohérences figurant dans son témoignage (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 160 N.R. 315, [1993] A.C.F. no 732 (QL) (Aguebor). La Commission peut tirer des conclusions fondées sur des invraisemblances, le bon sens et la rationalité (Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.F.), au paragraphe 2).
[11] Cette norme s’applique également aux conclusions de la commissaire quant à l’absence de crainte subjective chez la demanderesse (Abawaji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1065, au paragraphe 10). La question de savoir si le harcèlement ou les sanctions que craint un demandeur d’asile sont suffisamment graves pour constituer de la persécution est une question mixte de fait et de droit, qui, par conséquent, est soumise à la norme de la décision raisonnable simpliciter (Sagharichi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 182 N.R. 398).
V. L'analyse
A. Les conclusions négatives quant à la crédibilité de la demanderesse
[12] Plusieurs incohérences relevées entre le témoignage oral et la documentation écrite ont amené la commissaire à tirer des conclusions négatives quant à la crédibilité de la demanderesse. L’avocat de cette dernière fait valoir que la commissaire a examiné beaucoup trop « à la loupe » le témoignage de la demanderesse et a à tort conclu qu’elle avait contredit son témoignage oral. Il est vrai que la Cour d’appel fédérale, dans Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 99 N.R. 168 (Attakora), a fait remarquer à la Commission de l’Immigration qu’elle « ne devrait pas manifester une vigilance excessive en examinant à la loupe les éléments de preuve »; or, après un examen minutieux du dossier du tribunal et de la décision de la commissaire, je ne vois pas comment on peut parler d’un tel examen en l’espèce.
[13] Comme elle y était tenue (voir Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 N.R. 236), la commissaire a cité des exemples clairs de ce qu’elle percevait comme étant des incohérences et a expliqué comment cela avait influencé les décisions qu’elle avait prises quant à la crédibilité. Plus précisément, la commissaire a souligné le fait que dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), la demanderesse a mentionné ce qui suit : [traduction] « Les membres de ma famille et moi-même avons été pris pour cibles par le parti au pouvoir depuis 2000 ». Elle mentionne cependant dans son témoignage oral que ses confrontations avec le Zanu-PF n’ont commencé qu’en 2001. Elle a admis à l’audience que seule sa fille avait été la cible de ce parti en 2000. Son FRP mentionne en outre qu’elle a été [traduction] « attaquée chez elle par des membres du Zanu-PF » pour l’obliger à dire où était sa fille et pour l'obliger à assister à des réunions. La demanderesse a affirmé dans son témoignage avoir eu la visite, à plusieurs reprises – parfois tard dans la nuit – de membres du Zanu-PF, pour l’obliger à dire où était sa fille et pour l'obliger à assister à des réunions. Cependant, elle n’a pas mentionné dans sa témoignage qu’elle avait été attaquée, même après que de nombreuses questions lui eurent été posées relativement à ces incidents afin d’obtenir plus de détails. La commissaire écrit ce qui suit à la page 3 de ses motifs :
Questionnée une seconde fois à ce sujet, la demandeure d’asile a déclaré que des membres du Zanu-PF étaient venus au domicile familial dans le but de convaincre sa famille d’assister aux réunions et de joindre les rangs du parti. Elle a expliqué qu’ils avaient l’habitude de frapper à la porte et que, à une occasion, ils avaient donné des coups de pied dans la porte. Cependant, appelée à préciser s’ils avaient fait autre chose, elle a répondu par la négative.
La commissaire a conclu que la demanderesse avait volontairement fourni une preuve inexacte dans son FRP afin de renforcer les craintes qu’elle invoquait et le risque qu’elle prétendait courir à son retour au Zimbabwe.
[14] La commissaire a également souligné des incohérences quant à l’appartenance présumée de la demanderesse au Mouvement pour le changement démocratique (MDC). Celle-ci a répondu par la négative quand on lui a demandé, durant son entrevue avec l’agent d’immigration, si elle s’était associée à un groupe, une association ou un organisme quelconque, alors qu’elle avait mentionné avoir été « sympathisante » du « ZAPU-PF/MDC » de 1963 à 2005 dans son FRP (annexe 1). En raison de cette contradiction, la commissaire a conclu que la demanderesse n’était pas membre de longue date du MDC. Selon la demanderesse, la commissaire a rejeté la preuve de l’appartenance au MDC [traduction] « sans aucun fondement raisonnable », mais je ne suis pas de cet avis. Dans aucun de ses formulaires, la demanderesse n’a fait part de son appartenance et elle n’a fourni qu'un reçu daté de septembre 2006 quant à l'achat récent d’une carte du MDC. Par conséquent, la preuve d’une appartenance « de longue date » était insuffisante. La commissaire a également fondé en partie ses conclusions sur le fait que la demanderesse n’a pas essayé de devenir membre du MDC lors du séjour relativement long qu’elle a effectué au Royaume-Uni et aux États-Unis, pays dans lesquels se trouvent des chapitres actifs de ce parti.
[15] Les raisons contradictoires que la demanderesse a fournies pour expliquer son retour au Zimbabwe en 2001 sont une autre incohérence relevée par la commissaire. La demanderesse a déclaré tout d’abord qu’elle y était retournée pour y rechercher sa fille et [traduction] « pour se rendre compte de la situation et recueillir des renseignements ». La demanderesse a ensuite mentionné dans son témoignage qu’elle avait l’intention de rester au Zimbabwe. Quand on lui a demandé quelle raison était la bonne, la demanderesse a répondu que son retour était motivé par ces deux raisons. Ce que je trouve le plus troublant, ce ne sont pas nécessairement les incohérences figurant dans les motifs du retour au Zimbabwe, mais c’est le simple fait que la demanderesse y soit retournée. La demanderesse a affirmé dans son témoignage qu’à l’époque elle craignait de retourner au Zimbabwe car elle avait entendu dire que le Zanu-PF y exerçait des pressions sur les gens pour que ceux‑ci rejoignent ses rangs et, pourtant, elle n’a présenté aucune demande d'asile quand elle était au Canada. Dans les observations qu'elle a faites dans le cadre de sa demande, la demanderesse précise qu’elle n’a fait aucune demande d’asile à cette époque car [traduction] « elle n’avait pas l’intention d’aller au Canada, si ce n’était pour y retrouver sa fille ». Or, si elle voulait réellement retrouver sa fille pourquoi a-t-elle d’abord essayé d’entrer de nouveau aux États-Unis (paragraphe 3 précité)?
[16] Ces exemples d’incohérence ont amené la commissaire à tirer des conclusions négatives quant à la crédibilité du témoignage de la demanderesse et à conclure qu’elle a maquillé les allégations figurant dans son FRP. L’analyse menée par la commissaire se distingue des affaires Attakora et de M.M. c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991) A.C.F. no 1110 (M.M.), où la Cour a contesté la démarche adoptée par la Commission, c'est‑à‑dire l’examen à la loupe des incohérences figurant dans la preuve. Dans Attakora, le demandeur d’asile (qui témoignait par l’intermédiaire d’un interprète) avait affirmé s’être échappé par un trou qui avait à peu près la dimension d’un ballon de soccer environ. La Commission s’était alors lancée dans une analyse quant à savoir comment le demandeur d’asile, compte tenu de sa taille, avait pu passer par un trou pareil. En contrôle judiciaire, la Cour a déclaré ce qui suit : « C’est là une comparaison toute simple [celle du trou avec le ballon de soccer] qui se prête difficilement à un examen à la loupe ». Les incohérences soulignées par la Commission dans M.M. avaient trait à la fréquence selon laquelle la demandeure d’asile était tenue de se présenter au camp des IPKF, la date exacte de son arrestation et la distance précise séparant le camp de sa maison. La Cour a conclu ce qui suit quant à ces incohérences : « bien qu'elles ne soient pas sans importance, [elles] ne constituent pas l'élément central de [la] demande [de l'appelante] ». Inversement, les incohérences soulignées par la commissaire en l’espèce concernent le cœur même de la demande : à savoir, l’existence d’une appartenance à un parti politique, et le degré et la véracité du harcèlement ou de la persécution. Par ailleurs, les commissions, tant dans Attakora que dans M.M., ont conclu que les demandeurs d’asile avaient des craintes subjectives, ce qui distingue encore ces décisions de la présente demande.
B. L'absence de preuve de crainte subjective
[17] Comme nous l’avons précédemment mentionné, la commissaire a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle éprouvait une crainte subjective d'être persécutée à son retour au Zimbabwe. Cette conclusion se fonde en partie sur les conclusions négatives quant à la crédibilité de la demanderesse dont nous avons déjà discutées et également sur le comportement de la demanderesse depuis son départ du Zimbabwe.
[18] Il a fallu à la demanderesse plus de quatre ans, après avoir quitté le Zimbabwe pour la seconde fois fin juillet 2001, pour présenter une demande d’asile au Canada en novembre 2005. Durant cette période, la demanderesse a passé beaucoup de temps au Royaume-Uni et aux États‑Unis et n’a présenté aucune demande d’asile dans aucun de ces pays. Les éléments de preuve indiquent que la demanderesse a beaucoup tardé avant de présenter sa demande d’asile au Canada, et (de façon connexe) qu’elle n’a fait aucune demande dans aucun autre pays avant d’arriver au Canada.
[19] Les réfugiés ne sont pas obligés de demander l’asile dans le premier pays où ils arrivent; toutefois, le fait de ne présenter aucune demande à la première occasion qui s’avère sécuritaire peut entacher leur crédibilité et contribuer à une conclusion d'absence de crainte subjective, Gavryushenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1209 (QL), Bobic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2004 CF 1488 (Bobic). Ceci est particulièrement vrai dans le cas du demandeur d’asile qui se serait trouvé dans des pays qui lui auraient accordé l’asile, si sa demande avait été fondée, et qui ne peut raisonnablement pas expliquer pourquoi il ne l’a pas demandée.
[20] Quand on lui a demandé pourquoi elle n’avait pas cherché à obtenir une aide juridique ou à demander l’asile au Royaume‑Uni., la demanderesse a déclaré avoir fait une demande pour obtenir un visa d’étudiant. La demanderesse a par la suite mentionné avoir entendu dire que l’Angleterre renvoyait des gens en Afrique, et qu’elle craignait de faire une demande d’asile de peur d’être expulsée. Quand sa demande de statut d’étudiant a été rejetée au Royaume‑Uni, elle a fait appel à une agence pour se rendre aux États-Unis. Quand la commissaire lui a demandé pourquoi elle n’avait pas tenté d'obtenir un avis juridique aux États-Unis, elle a d’abord répondu qu’elle n’avait pas les fonds nécessaires et, ensuite, que c’était parce qu’elle n’avait aucun statut juridique. Quand on lui a demandé « ce qu’elle comptait faire » à son arrivée aux États-Unis, elle a déclaré ce qui suit à la page 19 du dossier d’audience :
[traduction] « […]-- J’étais déjà allée aux États-Unis et j’avais vu ce qui s’y passait, la police n’était pas à vos trousses à moins que vous n’ayez commis un crime ou fait quelque chose de mal. Dans ces cas là, alors peut-être qu’on décide de vous renvoyer dans votre pays.
C’est pourquoi j’ai décidé – pensé qu’aux États-Unis, peut-être, je pourrais m’en sortir, en travaillant pour survivre ».
[21] En l’espèce, la commissaire a donné à la demanderesse des occasions d’expliquer pourquoi elle avait décidé de ne pas demander l'asile aux États-Unis ou au Royaume-Uni. La commissaire n’a toutefois pas jugé que les explications que lui a fournies la demanderesse quant à ses réserves concernant le système d’immigration des autres pays étaient valables. En rejetant les explications, la commissaire a souligné que la demanderesse avait passé dix mois à Londres parce qu'elle attendait une réponse à sa demande de statut d’étudiant. Pareille demande aurait permis aux autorités de connaître ses déplacements, ce qui n’est pas un comportement cohérent pour une personne craignant d’être expulsée. La crainte de la demanderesse de demander un avis sans avoir de « statut » semble fondée sur le fait que, d’après elle, elle ne pouvait pas communiquer avec les autorités de l’immigration ou les autorités juridiques en l’absence d’un statut quelconque qu'elle aurait pu invoquer au cas où sa demande d’asile aurait été rejetée. Or, la commissaire a souligné que la demanderesse avait fait une demande d’asile au Canada en l’absence de statut qu'elle aurait pu invoquer.
[22] Compte tenu de ces motifs, la commissaire n’a pas trouvé convaincantes les explications de la demanderesse, particulièrement compte tenu des longs séjours que celle-ci a effectués dans les autres pays. En fait, on peut affirmer que le temps que la demanderesse a passé dans ces autres pays fut très long. Ainsi, dans Bobic, au paragraphe 6, la Cour a trouvé étrange que le demandeur d’asile traverse 5 pays avant d’arriver au Canada sans faire de demande d’asile dans aucun d’entre eux « […] malgré le fait qu’il [soit] resté un mois en Angleterre et trois jours en France ». La Cour a ensuite déclaré que si le demandeur d’asile avait vraiment craint pour sa vie, il aurait profité de la première occasion pour demander l'asile et que ses actions n’étaient pas compatibles avec une crainte subjective d’être persécuté.
[23] Les longs séjours qu’a faits la demanderesse dans d’autres pays ont fortement retardé la présentation de sa demande d’asile aux autorités canadiennes. Tout comme le fait de ne pas avoir demandé l'asile dans d’autres pays, la question des retards peut être cruciale pour l’existence même d’une crainte subjective d’être persécuté (Huerta c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 157 N.R. 225 (Huerta)). Dans certaines situations exceptionnelles, le retard du demandeur d’asile est à ce point important qu’il détermine presque l’issue de la demande (voir Cruz c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1994) A.C.F. no 1247 (QL)). Dans la plupart des cas, cependant, le retard est un élément pertinent que le tribunal peut prendre en considération lorsqu’il évalue l’ensemble des déclarations, des actions et des actes d’un demandeur d’asile. Dans Huerta, la demandeure d’asile était arrivée au Canada à titre de touriste le 25 décembre 1988 et n’avait pas demandé l'asile avant le 26 avril 1989. La Commission a jugé difficile de considérer que la conduite de celle‑ci était celle d’une personne déclarant craindre pour sa vie. En l’espèce, la commissaire a tiré la même conclusion (voir également Ilie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1758 (QL), Lopez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1318, Riadinskaia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 30 (QL)). Si l’on considère l’ensemble des éléments de preuve, on ne peut pas affirmer que la conclusion de la commissaire quant à l’absence de crainte subjective de la part de la demanderesse était manifestement déraisonnable.
C. Les craintes de persécution exprimées par la demanderesse manquent de fondement objectif
[24] Dans ses motifs, la commissaire a également traité de l’absence de preuves objectives et bien fondées de persécution relativement à la demande d'asile présentée par la demanderesse. Plusieurs éléments de la preuve de la demanderesse sont pertinents à cet effet. Le premier élément est une preuve quelconque de persécution antérieure qui comprendrait les questions et les accusations dont la demanderesse a affirmé avoir fait l’objet à l’aéroport de la part de fonctionnaires, et les visites qu’elle a reçues chez elle de la part de membres du Zanu-PF. Il peut être difficile de déterminer quand des actes de harcèlement constituent de la persécution (au sens de la LIPR). Il s’agit d’une décision mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable simpliciter. En d’autres termes, le critère n'est pas de savoir si la Cour en arriverait à la même conclusion, mais s’il était raisonnable que la SPR conclue comme elle l’a fait. Et, à mon avis, tel a été le cas en l’espèce.
[25] En ce qui concerne l’incident qui s'est produit à l’aéroport, la commissaire a accepté que la demanderesse « ait pu être harcelée », mais n’a pas été convaincue que l’interrogatoire dont elle a fait l’objet équivalait à de la persécution; elle ajoute que rien ne donnait à penser que la demanderesse avait été menacée ou qu’elle risquait de subir un préjudice physique. La preuve de préjudice physique n’est certes pas nécessaire pour prouver la persécution (Amayo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1982] 1 C.F. 520), mais le dommage potentiel doit être suffisamment grave pour justifier la protection internationale. La commissaire a estimé que les éléments de preuve concernant les visites au domicile de la demanderesse n'étaient pas crédibles et (ou) a estimé que l’histoire de la demanderesse avait été en partie embellie. Compte tenu de la nature des incidents exposés en preuve, combinée avec les conclusions négatives qu’a tirées la commissaire quant à la crédibilité, on ne peut pas affirmer que sa décision était déraisonnable.
[26] L’appartenance prétendue de la demanderesse au MDC est le second point pertinent pour décider si sa crainte d’être persécutée était objectivement raisonnable. Lorsque la Commission analyse le lien entre une crainte bien fondée de persécution, du fait de ses opinions politiques, elle doit tenir compte de l’ensemble de la preuve sur les activités du demandeur d’asile et doit examiner comment ces activités seront perçues par les autorités de son pays. Je suis convaincu que, en l’espèce, la commissaire a tenu compte de la récente carte de membre du parti et des récentes cotisations versées au MDC à Toronto, et n’a pas ignoré ces éléments de preuve comme l’a affirmé la demanderesse. La demanderesse a affirmé dans son témoignage qu’elle était membre du MDC depuis 1999. Non seulement la demanderesse n’a présenté aucune preuve documentaire pour corroborer son témoignage, mais elle n’a fourni aucun autre renseignement sur sa participation au MDC si ce n’est le fait d’avoir « assisté à des réunions au Zimbabwe », lesquelles, d’après son témoignage, n’ont eu pour elle aucune répercussion fâcheuse. Se fondant sur ces éléments de preuve, la commissaire a conclu que la demanderesse n’était pas membre du MDC et qu’elle n’était pas une cible du Zanu-PF par suite d’opinions politiques quelconques, réelles ou présumées.
[27] Enfin, le fait que les deux filles de la demanderesse aient réussi à obtenir l'asile au Canada et en Irlande, respectivement, est pertinent lorsqu'il s'agit de déterminer s’il existe un fondement objectif aux craintes de persécution de la demanderesse, mais en aucune façon lorsqu'il s'agit de déterminer le bien-fondé des craintes de la demanderesse en l’espèce. Chaque affaire doit être examinée en fonction de ses propres faits et les événements qu’ont vécus les membres de la famille du demandeur d’asile ne peuvent pas être considérés comme une persécution indirecte de ce dernier (voir Pour-Shariati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1ère inst.), (1994), [1995] 1 C.F. 767 (Pour-Shariati). L’allégation de la demanderesse selon laquelle la commissaire n’a pas tenu compte du fait que ses filles avaient obtenu la protection n’est pas convaincante. La commissaire a clairement admis ces faits au début de sa décision.
[28] Pour déterminer s’il existe un fondement objectif à la crainte présumée d’un demandeur d’asile, il faut se demander s'il existe une possibilité raisonnable que le requérant soit persécuté s'il retourne dans son pays d’origine (Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1989] 2 C.F. 680 (C.A.)). Des décisions antérieures de la Commission ont été renversées parce que la Cour a conclu que la Commission voulait être convaincue de l'existence d’une persécution plutôt que de tenter d'établir s'il existait un risque raisonnable de persécution. En l’espèce, la commissaire a mentionné ce qui suit : « Le tribunal ne peut conclure que la demandeure d’asile a été persécutée ou qu’elle pouvait raisonnablement craindre pour sa vie ». À mon avis, cela prouve qu’elle a utilisé le bon critère. La commissaire en a décidé ainsi par suite de preuves insuffisantes et conflictuelles sur des points essentiels comme les visites de membres du parti Zanu-PF au domicile de la demanderesse et l’affiliation de celle-ci au MDC. La commissaire ne mentionne aucune donnée sur la situation actuelle au Zimbabwe, mais cela est inutile en l'espèce compte tenu du fait qu’elle a conclu que la demande d’asile de la demanderesse n’avait aucun fondement. J’estime qu’il n’était pas déraisonnable, de la part de la commissaire, après avoir entendu la preuve et avoir ensuite tiré des conclusions négatives quant à la crédibilité, de conclure que la crainte présumée de persécution de la demanderesse n’était pas raisonnablement fondée.
[29] La persécution indirecte ne peut servir de fondement pour demander l'asile (Pour-Shariati; Rafizade c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] C.A.F. no 359 (QL)). En l’espèce, même si les filles de la demanderesse avaient fait l’objet, ou auraient pu faire l’objet, d’une persécution directe au Zimbabwe, cela ne voulait pas nécessairement dire que c'était le cas de de la demanderesse.
VI. Personne à protéger
[30] Ni la commissaire dans le cadre de sa décision, ni les parties dans les observations qu'elles ont formulées dans le cadre de la présente demande, n’ont vraiment fait cas de la question de savoir si la demanderesse était une « personne à protéger ». D’après les conclusions de la commissaire, confirmées dans la présente décision, relativement à l’absence de crainte objective de persécution, on ne peut affirmer que la demanderesse serait exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle retournait dans son pays d’origine. Je ne suis pas convaincu que les situations prévues aux alinéas 97(1)a) et b) de la LIPR prévalent en l’espèce.
VII. Zimbabwe
[31] L’image négative du Zimbabwe que présentent la presse et les médias, en ce qui concerne le régime politique et les atteintes aux droits de la personne, ne doit pas inciter un tribunal qui juge des demandes d'asile à préjuger d’une demande avant d’avoir entendu les faits propres à celle‑ci.
[32] La demanderesse s’est appuyée fortement sur deux décisions récentes de la Cour concernant le Zimbabwe et autorisant le contrôle judiciaire de décisions négatives rendues par la Commission de l’immigration. Il s'agit de Musiyiwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 181 et de Malunga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1259.
[33] Dans les deux affaires susmentionnées, il a été établi que les demandeurs d’asile soit appartenaient au MDC, soit avaient participé à des manifestations anti-gouvernementales et avaient été identifiés comme étant des partisans du MDC par un organisateur local du Zanu-PF.
[34] En l’espèce, pareille preuve n’a pas été faite devant la Commission.
[35] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la commissaire ne s’est pas trompée dans sa décision et je rejette la demande. Les parties ont sept jours pour soumettre des questions pour certification.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Les parties ont sept jours à compter de la date du présent jugement pour soumettre des questions pour certification.
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1585-07
INTITULÉ : GERTRUDE NGWENYA
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 30 JANVIER 2008
ET JUGEMENT : LE JUGE SUPPLÉANT FRENETTE
COMPARUTIONS
Kingsley Jesuorobo
|
|
Jamie Todd
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Kingsley Jesuorobo Avocat 1280, avenue Finch Ouest, Bureau 318 North York (Ontario) M3J 3K6
|
|
John H. Sims Sous-procureur général du Canada
|