Date : 20080204
Dossier : IMM-561-07
Référence : 2008 CF 147
Toronto (Ontario), le 4 février 2008
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL
ENTRE :
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le demandeur, un citoyen du Nigeria, fait une demande d’asile en invoquant que sa vie est actuellement menacée au Nigeria. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile du demandeur, parce qu’elle a tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité, du fait principalement que d’importantes parties de son témoignage étaient invraisemblables.
[2] La SPR décrit de façon concise le récit du demandeur comme suit :
La demande d’asile est fondée sur la crainte qu’a le demandeur d’asile d’être persécuté aux motifs que ce dernier a mis enceinte une jeune femme [Doris] qui devait épouser un homme riche [Musa] et que l’homme riche en question et la famille de la jeune femme recherchent maintenant le demandeur d’asile pour le tuer. […]
(Décision de la SPR, à la page 1)
[3] Dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, la SPR a qualifié le demandeur de « père aimant et [de] prétendant » et, par la suite, la SPR a émis des conclusions défavorables quant à la vraisemblance, parce que les actions du demandeur étaient, selon la SPR, incompatibles avec ce qu’on pouvait s’attendre de lui.
[4] Les éléments importants que le demandeur invoque dans son témoignage pour demander l’asile sont les suivants : Doris était enceinte seulement un mois après avoir fait la connaissance du demandeur; après l’avoir appris, le demandeur a exprimé le désir de profiter de la situation pour former une famille; Doris a hésité et a omis de divulguer le rôle de Musa au demandeur; elle était réticente à ce que le demandeur fasse la connaissance de ses parents; Doris a été sommée de subir un avortement, elle a décidé de s’enfuir pour avoir l’enfant et elle a refusé que le demandeur la suive; au cours des recherches pour retrouver Doris, ses parents se sont rendus chez le demandeur et ont proféré des menaces de mort à son endroit; après avoir été avisé des menaces de mort, le demandeur a voulu parler aux parents de Doris, mais sa mère le lui a déconseillé; ils ont signalé l’incident à la police; subséquemment, les parents et Musa, agissant de concert, se sont rendus chez lui et l’ont battu; après s’être caché, le demandeur a appris que ses parents avaient été battus et qu’ils avaient dû être hospitalisés, parce qu’ils étaient gravement blessés. Le demandeur s’est enfui au Canada parce qu’il craignait pour sa vie et il continue d’être victime de menaces de mort.
[5] Relativement à la preuve du demandeur, il est important de noter que, à la suite de la première menace des parents de Doris, bien que le demandeur ait eu des rapports surperficiels avec Doris, cela n’avait rien de romantique. En réalité, il n’est pas clairement établi qu’il y ait eu un contact quelconque avec l’enfant.
[6] La SPR a conclu que le comportement du demandeur, relativement au fait qu’il n’avait pas fait la connaissance des parents de Doris, était invraisemblable :
[…] Il aurait été logique que Doris aille voir ses parents pour demander leur assentiment moral, mais, pour des raisons inexplicables, cela n’a jamais eu lieu. J’estime qu’il n’est pas vraisemblable que le demandeur d’asile n’ait pris aucune mesure pour officialiser leur relation. De plus, j’estime qu’il est incohérent que Doris, qui est censément capable d’agir de manière autonome, ait choisi de quitter sa maison pour éviter d’être obligée de se faire avorter, mais qu’elle ait hésité à présenter le demandeur d’asile à ses parents.
(Décision de la SPR, à la page 5)
La SPR a aussi conclu que la manière selon laquelle le demandeur s’était conduit, relativement au fait qu’il n’entretenait aucun lien avec Doris et son enfant, n’était pas vraisemblable :
[…] Il n’est pas allé rendre visite à sa fille qui venait de naître ou à Doris. Il ignorait la date d’accouchement prévue. Il ignore où se trouvent la mère et la fille à l’heure actuelle. Même s’il appelle Doris sa fiancée, il n’a aucune photographie d’elle ni de sa fille. Ses explications quant à son défaut de s’occuper de Doris et de sa fille n’ont pas été satisfaisantes. Il a déclaré qu’il ne s’était pas rendu à Kano [où Doris s’était enfuie] parce qu’il n’avait jamais été là-bas et qu’il ignorait comment s’y rendre. J’estime qu’il est invraisemblable qu’un chauffeur professionnel qui a plusieurs années d’expérience de la conduite au Nigeria soit incapable de se rendre de Benin City à Kano pour fournir un soutien à sa jeune amie de cœur, qui se trouve là-bas pour éviter de subir un avortement de force. Il a déclaré qu’il n’était pas allé rencontrer les parents de Doris après la naissance de sa fille en janvier 2006 parce qu’il avait peur. Une fois de plus, j’estime qu’il n’est pas vraisemblable que le demandeur d’asile éprouve des craintes, étant donné qu’on ne lui a jamais fait de mal personnellement avant que Doris ne décide de fuir à nouveau. Il n’a allégué aucune autre rencontre ni aucune autre menace de la part de la famille de Doris après l’incident en août 2005, lorsque sa propre mère avait été maltraitée. Enfin, il n’a mentionné la première et seule rencontre avec sa fille qui venait de naître lors de son témoignage de vive voix au cours d’une longue audience que lorsqu’on l’a interrogé précisément à ce sujet. Compte tenu des éléments de preuve, j’estime que ses actions sont incompatibles avec ses prétentions d’être un père aimant et un prétendant. Pour ces motifs, je ne suis pas convaincu que ses allégations selon lesquelles il est le père d’un enfant soient crédibles.
[Non souligné dans l’original.]
[Renvoi omis.]
(Décision de la SPR, aux pages 6 et 7)
[7] Pour tirer une conclusion d’invraisemblance conformément au droit, il est nécessaire que la SPR indique à quel type de comportement on doit s’attendre de la part du demandeur, étant donné la situation particulière du demandeur et, par la suite, qu’elle énonce clairement les raisons pour lesquelles le comportement du demandeur ne cadre pas avec ce qu’on peut raisonnablement s’attendre dans une telle situation (Hilo c. Canada (M.E.I.) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.); Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 1131.
[8] À mon avis, le fait que la SPR a qualifié le demandeur de « père aimant et [de] prétendant » est une mauvaise interprétation de la preuve. L’élément essentiel de la situation, que la SPR a omis de prendre en considération en tirant des conclusions quant à l’invraisemblance, est que le demandeur était victime de menaces de mort. Compte tenu de ce fait, il n’est pas difficile de concevoir pourquoi il n’a pas visité les parents de Doris et pourquoi il n’a pas réagi à la naissance de son enfant de la manière à laquelle la SPR s’attendait à ce qu’il réagisse.
[9] Par conséquent, je conclus que les conclusions quant à l’invraisemblance sont manifestement déraisonnables et que, par conséquent, la décision de la SPR comporte une erreur susceptible de contrôle.
ORDONNANCE
Par conséquent, j’annule la décision de la SPR et je renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.
Juge
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-561-07
INTITULÉ : NELSON IDAHOSA
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 24 JANVIER 2008
ET ORDONNANCE : LE JUGE CAMPBELL
DATE DES MOTIFS : LE 4 FÉVRIER 2008
COMPARUTIONS :
Boniface Ahunwan POUR LE DEMANDEUR
Sally Thomas POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Boniface Ahunwan
Avocat
Toronto (Ontario) POUR LE DEMANDEUR
John H. Sims, c.r.
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario) POUR LE DÉFENDEUR