Date : 20080205
Ottawa (Ontario), le 5 février 2008
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
INTRODUCTION
[1] La Section d’appel de l’immigration (la SAI) a conclu que le fils de la demanderesse ne pouvait pas être considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial, en application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), et qu’elle ne pouvait pas examiner les motifs d’ordre humanitaire, en application de l’article 65 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).
[2] La demanderessse explique que sa demande était une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (CH), et non une demande de parrainage. Cependant, la catégorie du regroupement familial CH mentionnée par la demanderesse n’existe pas.
[3] À vrai dire, une demande invoquant des motifs d’ordre humanitaire doit être accompagnée d’une demande de résidence permanente conformément à l’article 66 du Règlement.
LA PROCÉDURE JUDICIARE
[4] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la SAI de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR. La décision rendue le 20 février 2007 rejetait l’appel de la demanderesse parce que la SAI n’avait pas compétence pour connaître de celui-ci.
LES FAITS
[5] Mme Lilia Bistayan, la demanderesse, est une citoyenne canadienne.
[6] Le 18 novembre 1987, Mme Bistayan a eu un fils avec son conjoint de fait.
[7] Trois ans plus tard, Mme Bistayan a quitté les Philippines et c’est la grand-mère de son fils qui s’occupe de celui-ci depuis.
[8] En 1994, Mme Bistayan est venue travailler au Canada.
[9] Mme Bistayan admet qu’elle n’a pas mentionné qu’elle avait un fils dans sa demande d’établissement et dans sa demande de citoyenneté.
LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE
[10] Mme Bistayan, une citoyenne canadienne, voulait parrainer son fils qui habitait aux Philippines. Sa demande a été rejetée parce qu’elle n’avait fait aucune mention de son fils dans sa demande d’établissement au Canada. La SAI a rejeté l’appel parce qu’elle n’avait pas la compétence pour connaître de celui-ci. Mme Bistayan sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.
LA QUESTION EN LITIGE
[11] Est-ce que la SAI a fait défaut d’exercer sa compétence?
ANALYSE
[12] La SAI a conclu que le fils de Mme Bistayan ne pouvait pas être considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial, en application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement, et qu’elle ne pouvait pas considérer les motifs d’ordre humanitaire, en application de l’article 65 de la LIPR.
[13] Mme Bistayan explique qu’elle a déposé sa demande en tant que demande CH, et non en tant que demande de parrainage. Cependant, la catégorie du regroupement familial CH mentionnée par la demanderesse n’existe pas.
[14] À vrai dire, une demande invoquant des motifs d’ordre humanitaire doit être accompagnée d’une demande de résidence permanente conformément à l’article 66 du Règlement :
66. La demande faite par un étranger en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi doit être faite par écrit et accompagnée d’une demande de séjour à titre de résident permanent ou, dans le cas de l’étranger qui se trouve hors du Canada, d’une demande de visa de résident permanent. |
66. A request made by a foreign national under subsection 25(1) of the Act must be made as an application in writing accompanied by an application to remain in Canada as a permanent resident or, in the case of a foreign national outside Canada, an application for a permanent resident visa. |
[15] Le guide OP4 – Traitement des demandes présentées en vertu de l’article 25 de la LIPR réitère comment présenter une demande CH :
3.1. Formulaires requis
Pour présenter leur première demande, les demandeurs doivent utiliser les formulaires de demande du Ministère pour l’une des trois catégories d’immigration (regroupement familial, immigration économique ou réfugiés). Ils doivent présenter une demande dans l’une de ces trois catégories pour que les motifs d’ordre humanitaire soient pris en considération. Ils peuvent aussi, s’ils le veulent ou si un agent le leur demande, fournir par écrit des renseignements supplémentaires pour appuyer leur demande de considération en vertu du paragraphe 25(1).
[...]
5.3. Motifs d’ordre humanitaire
Une demande présentée pour des motifs d’ordre humanitaire doit être faite par écrit et doit accompagner une demande de résidence permanente présentée dans l’une des trois catégories d’immigration. Il faut tout d’abord que l’on ait déterminé que le demandeur ne fait partie d’aucune des trois catégories d’immigration avant qu’une demande pour motifs d’ordre humanitaire soit examinée ou prise en considération. |
3.1. Forms required
To make their initial submission, applicants must use existing departmental forms for the three classes of immigration applications (family, economic, or refugee). To receive H&C consideration, they must apply in one of these three classes. They can also provide additional written information in support of their request for consideration under section A25(1), should they so choose, or should an officer request it.
…
5.3. Consideration on humanitarian and compassionate grounds
A request for consideration on humanitarian and compassionate grounds must be made in writing and must accompany an application for permanent residence made under one of the existing three classes. A determination must first be made that the applicant does not comply with one of these three classes before such a request is reviewed or considered. |
[16] La SAI a conclu que le fils de Mme Bistayan n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial.
[17] Cette conclusion n’est pas contestée par Mme Bistayan.
[18] La SAI a conclu de plus qu’elle n’avait pas la compétence pour examiner les motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse, en l’espèce.
[19] La conclusion de la SAI est justifiée.
[20] Le droit de Mme Bistayan d’interjeter appel devant la SAI était régi par le paragraphe 63(1) de la LIPR, qui prévoit :
63. (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent. |
63. (1) A person who has filed in the prescribed manner an application to sponsor a foreign national as a member of the family class may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision not to issue the foreign national a permanent resident visa. |
[21] La portée de l’appel est limitée par l’article 65 de la LIPR, qui prévoit que la SAI ne peut prendre en considération des motifs d’ordre humanitaire que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie du regroupement familial :
65. Dans le cas de l’appel visé aux paragraphes 63(1) ou (2) d’une décision portant sur une demande au titre du regroupement familial, les motifs d’ordre humanitaire ne peuvent être pris en considération que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de cette catégorie et que le répondant a bien la qualité réglementaire. |
65. In an appeal under subsection 63(1) or (2) respecting an application based on membership in the family class, the Immigration Appeal Division may not consider humanitarian and compassionate considerations unless it has decided that the foreign national is a member of the family class and that their sponsor is a sponsor within the meaning of the regulations. |
[22] L’article 117 du Règlement prescrit les personnes qui appartiennent à la catégorie du regroupement familial et celles qui n’y appartiennent pas. En l’espèce, la disposition pertinente est l’alinéa 117(9)d) du Règlement, qui prévoit :
117. (9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :
[…]
d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle. |
117. (9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if
…
(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined. |
[23] Puisque le fils de Mme Bistayan est visé par l’article 117(9)d) du Règlement, la SAI a conclu qu’il n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial.
[24] Il est bien reconnu en droit que dans une telle situation, la SAI n’a pas compétence pour entendre l’appel :
[6] […] Dans la décision Phan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [[2005] A.C.F. no 239] 2005 CF 184, il a été clairement établi qu’une personne non déclarée, telle que Victor, n’est pas susceptible d’être considérée comme appartenant à la catégorie du regroupement familial. Madame la juge Mactavish dans la décision Phan a convenu que la SAI ne peut prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de cette catégorie et que le répondant a bien la qualité réglementaire aux termes de l’article 65 de la Loi […]
[7] L’article 65 de la Loi établit clairement que les motifs d’ordre humanitaire « ne peuvent être pris en considération » par la SAI que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de cette catégorie, et Victor n’appartient pas à cette dernière […]
[…]
[9] Comme dans le cas de la première question, la SAI n’a pas la compétence pour juger d’un appel fondé sur des motifs d’ordre humanitaire interjeté en application des paragraphes 63(1) et 65(1). Voir Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1302.
(Tse c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 393, [2007] A.C.F. no 537 (QL); il est également fait référence aux décisions suivantes : Yen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1307, [2005] A.C.F. no 1583 (QL); Xu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1575, [2005] A.C.F. no 1938 (QL); Akhter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 481, [2006] A.C.F. no 606 (QL); Flores c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 854, [2005] A.C.F. no 1073 (QL); Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1109, [2006] A.C.F. no 1409 (QL).)
[25] Mme Bistayan se plaint de ce que la SAI s’est prononcée sur sa demande CH alors qu’elle n’avait pas la compétence de le faire. Cependant, la SAI ne s’est pas prononcée sur la demande CH.
[26] À vrai dire, la SAI devait déterminer si Mme Bistayan était une personne décrite à l’alinéa 117(9)d) du Règlement avant de décider si elle avait la compétence pour statuer ou non.
[27] En fait, la SAI a d’abord établi si l’alinéa 117(9)d) s’appliquait au fils de la demanderesse pour en arriver à la conclusion qu’elle n’avait pas la compétence pour examiner les motifs CH.
[28] Ce faisant, la SAI a clairement énoncé la question dont elle était saisie.
[29] Mme Bistayan affirme qu’elle avait droit à une audience. Cependant, la Cour a déjà rejeté cet argument dans Flores, susmentionnée :
[48] La demanderesse a fait valoir que la décision de la SAI l'a privée du droit de présenter sa cause et d'être entendue, ce qui constitue un manquement aux principes de justice fondamentale. Je ne suis pas d'accord. La demanderesse a eu l'occasion de présenter des observations avant que la SAI ne rende sa décision. Elle l'a fait par l'entremise de son avocat, par une lettre datée du 30 juin 2004. Il n'y a donc pas eu de manquement aux principes de justice fondamentale en ce qui concerne l'argument de la demanderesse selon lequel elle a été privée du droit de présenter sa cause.
[30] Mme Bistayan affirme qu’on aurait dû l’aviser que la SAI rejetterait son appel parce qu’elle n’avait pas de droit d’appel, et que la SAI aurait dû considérer son motif d’appel fondé sur l’alinéa 67(1)b), c’est-à-dire que l’agent des visas n’avait pas examiné les motifs d’ordre humanitaire.
[31] La SAI n’a pas rejeté l’appel de Mme Bistayan pour défaut de compétence.
[32] En fait, la SAI n’a conclu nulle part dans sa décision qu’elle n’avait pas la compétence nécessaire pour entendre l’appel de Mme Bistayan.
[33] Au contraire, la SAI a examiné l’appel et a conclu que le fils de Mme Bistayan était visé par l’alinéa 117(9)d), et qu’elle n’avait pas la compétence pour examiner les motifs d’ordre humanitaire, conformément à l’article 65 de la LIPR.
[34] La SAI a aussi examiné le motif d’appel de Mme Bistayan selon lequel l’agent des visas avait omis d’examiner les motifs d’ordre humanitaire :
[37] Avant de mettre fin à l’audience, le tribunal estime que les notes versées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration établissent incontestablement que l’agent des visas a examiné les motifs d’ordre humanitaire
en l’espèce.
(Motifs de la SAI, à la page 7, paragraphe 37)
CONCLUSION
[35] La SAI a examiné l’argumentation de Mme Bistayan.
[36] La SAI n’a pas contrevenu à la justice naturelle.
[37] Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
JUGEMENT
1. la demande de contrôle judiciaire est rejetée;
2. aucune question grave de portée générale n'est certifiée.
Opinion incidente
La présente affaire peut être analysée d’une manière différente, dans le cadre d’une demande présentée autrement, de sorte que la condition humaine si vulnérable puisse pourtant être examinée en vertu de dispositions législatives qui permettent, au moins, la possibilité d’obtenir une réponse différente des autorités canadiennes.
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1076-07
INTITULÉ : LILIA BISTAYAN
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 24 JANVIER 2008
ET JUGEMENT : LE JUGE SHORE
DATE DES MOTIFS : LE 5 FÉVRIER 2008
COMPARUTIONS :
Jean-François Bertrand
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Sylvianne Roy
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bertrand, Deslauriers Montréal (Québec)
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John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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