Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2008
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN
ENTRE :
et
et de l’immigration
motifs du jugement et jugement
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rendue le 23 mars 2007, dans laquelle elle a conclu que Mme Veronica Castillo Gonzalez, la demanderesse, n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger contre des violences familiales au Mexique.
LES FAITS
[2] La demanderesse, âgée de 41 ans et de nationalité mexicaine, prétend craindre d'être victime de violence conjugale de la part de son ancien concubin, officier de carrière dans l’armée mexicaine et prétend également craindre les voleurs armés qui sévissent au Mexique.
[3] La demanderesse fait état, dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), d'épisodes de violence et de mauvais traitements qui se seraient produits au cours de sa relation avec son ancien conjoint de fait; cette relation a duré de juin 1998 à décembre 2004. Elle prétend que la violence a commencé environ un an après le début de la vie commune en mars 1999. Elle affirme en outre que cette violence a d’abord été verbale, puis physique, sexuelle et a comporté des menaces de mort et autres blessures corporelles. Selon son FRP, la demanderesse a été enlevée à Mexico par des voleurs armés et craignait que si elle y restait, elle serait assassinée par son ancien conjoint ou par ces voleurs armés. La demanderesse n’a plus fait état de cette revendication à l’audience.
[4] Du fait de ces violences, la demanderesse a quitté son conjoint en décembre 2004 et a emménagé chez sa mère, assez loin, à Tlalnepantla (Mexique). Elle a témoigné que la journée même où elle est partie, son conjoint a commencé à lui téléphoner et l’a suivie jusqu’à la maison de sa mère pour la convaincre de revenir avec lui à leur domicile d'Hermosillo. Elle a également affirmé dans son témoignage que son conjoint n’est parti du domicile de sa mère qu’après que sa sœur eut commencé à appeler la police, même si aucun appel n’a véritablement été fait.
[5] La demanderesse prétend que pendant qu’elle vivait chez sa mère, son conjoint a continué de la harceler et de la menacer par téléphone, et deux fois en personne. Elle affirme que, en raison de ce harcèlement constant, elle a quitté le Mexique pour le Canada le 5 juin 2005, c’est-à-dire quatre jours après avoir été enlevée à Mexico et y avoir fait l’objet d’un vol.
[6] Le 10 août 2005, la demanderesse a déposé une demande d’asile, laquelle a été entendue par la Commission le 6 mars 2007.
La demanderesse a été enlevée à Mexico par deux voleurs armés
[7] La décision de la Commission et le mémoire de la demanderesse ne font pas état du récit que celle-ci a fait de son enlèvement et du vol à main armée au paragraphe 15 de son FRP :
[traduction] Le 30 mai 2005, alors que je prenais un taxi à Mexico, j’ai été enlevée par deux voleurs armés. Nous avons circulé dans le taxi pendant une demi-journée et ils m’ont obligée à retirer de petits montants d’argent dans des guichets automatiques bancaires. Ils ont pris mes cartes d’identité et mes chaussures et m’ont jetée du taxi quelque part en dehors de la ville. J'ai signalé l'incident à la police. Cet incident m’a fait réaliser que si je restais à Mexico, soit Alvaro, soit des voleurs allaient me tuer.
[8] La demanderesse a quitté le Mexique cinq jours plus tard et est arrivée au Canada. Elle affirme dans son FRP que le fait d’avoir été enlevée lui a fait réaliser que si elle restait au Mexique, soit son ancien conjoint, soit les voleurs allaient la tuer.
La décision faisant l’objet du présent contrôle
[9] La Commission a accepté la preuve de la demanderesse selon laquelle elle a été victime de violence conjugale. Elle a toutefois estimé que celle-ci n’était pas crédible quant au fondement de sa peur perpétuelle et quant à son motif de demander l'asile au Canada. La Commission a donné six exemples quant au manque de crédibilité de la preuve présentée par la demanderesse; voici ces six exemples :
i) Le FRP et la déposition de la demanderesse comportent des contradictions. La demanderesse a affirmé dans son témoignage que sa sœur n’avait que commencé à appeler la police mais n’avait pas terminé son appel. Dans son FRP, la demanderesse affirme que [traduction] « la police n’est jamais venue ». La Commission lui a demandé d'expliquer cette contradiction et la demanderesse a répondu que le FRP comportait une erreur. Une importance modification a été apportée au FRP avant l’audience, mais cette partie du FRP n’a pas été modifiée;
ii) Le déroulement des événements n’est pas du tout plausible compte tenu du délai allégué de cinq heures pendant lequel, le 8 décembre 2004, le conjoint aurait découvert que sa conjointe, la demanderesse, était partie, aurait fait plusieurs appels téléphoniques pour tenter de la trouver, aurait acheté un billet d’avion, se serait rendu à l’aéroport et aurait pris l’avion pour se rendre au domicile de la mère de la demanderesse;
iii) Le FRP et la déposition comportent une autre contradiction. La demanderesse affirme, dans son FRP, ne pas avoir communiqué avec la police entre 1999 et 2004, mais elle a déclaré dans sa déposition qu’elle s'est adressée à la police, qui lui avait conseillé de dénoncer son conjoint aux autorités militaires. Il s’agit là d’une modification de la preuve qu’elle a présentée et qu'elle justifie en expliquant qu’elle était « dans un état de confusion »;
iv) Le témoignage oral et le FRP comportent une autre contradiction. La demanderesse a déclaré dans son FRP qu’elle s'est adressée à la police après être arrivée chez sa mère vers le 8 décembre 2004. Elle n’a fait aucune allusion dans son témoignage oral au fait qu’elle se soit adressée à la police à ce moment-là. Quand on lui a signalé cette incohérence, elle a répondu qu’elle n’avait pas mentionné qu’elle s'était adressée à la police parce que celle-ci « n’avait rien fait »;
v) Après être arrivée chez sa mère, la demanderesse a intenté une action contre son ancien conjoint afin de recouvrer ses biens personnels, c'est‑à‑dire son ordinateur, son véhicule automobile et des biens personnels. La Commission a décidé ce qui suit :
Si la demandeure d'asile craignait réellement pour sa vie et souhaitait que son ex-conjoint la laisse tranquille, je suis convaincu qu’aucun avocat ne se serait contenté d’intenter une poursuite au civil afin de recouvrer des biens perdus.
Selon moi, le fait qu’une poursuite ait été intentée pour recouvrer des biens perdus ne permet pas de prouver que la demandeure d’asile a subi des préjudices de la part de son ex-conjoint par le passé et qu’elle craint, du fait qu’elle l’a quitté, qu’il s’en prenne à elle à l’avenir.
vi) Le FRP et la déposition comportent une autre contradiction. La demanderesse déclare dans son FRP que son ancien conjoint la regardait pendant qu’elle était à travailler à l’extérieur de la maison de sa mère. Elle n’a pas fait état de cela dans sa déposition et « a répondu qu’elle l’avait oublié parce qu’elle était nerveuse ». La Commission mentionne ce qui suit à la page 5 de sa décision :
Je n’accepte pas cette réponse. J’ai demandé à deux reprises s’il y avait eu d’autres contacts, et la demandeure d’asile a répondu par la négative, même à la seconde question. Je suis convaincu que, si un tel incident s’est produit à l’extérieur de la maison, la demandeure d’asile a eu amplement l’occasion de s’en rappeler.
[10] Le 23 mars 2007, la Commission a conclu que la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger. La Commission a conclu que la demanderesse manquait de crédibilité et que son témoignage n’avait pas établi qu’elle avait « fait état de problèmes qu’elle avait personnellement vécus ».
[11] Pour arriver à une conclusion, la Commission a examiné un rapport psychologique et deux lettres écrites par la mère de la demanderesse à l’appui de la demande de celle-ci. La Commission a conclu que la preuve ne pouvait pas invalider sa conclusion que la demanderesse manquait de crédibilité et elle a donc rejeté sa demande.
LA Question en litige
[12] Il s’agit en l’espèce de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que la preuve présentée par la demanderesse manquait de crédibilité et a commis une erreur dans sa manière d'appliquer le rapport psychologique et les Directives.
LA Norme de contrôle
[13] Aucune analyse pratique et fonctionnelle n’est requise à propos de la norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission quant à la crédibilité, la norme de la décision manifestement déraisonnable étant bien établie dans la jurisprudence. Dans Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1194, [2002] A.C.F. no 1611 (QL), j’ai déclaré ce qui suit :
¶4 […] Avant qu'une conclusion de la Commission en matière de crédibilité ne soit annulée […] l'un des critères suivants doit être rempli […] :
1. la Commission n'a pas validement motivé sa conclusion selon laquelle un requérant n'était pas crédible;
2. les conclusions tirées par la Commission sont fondées sur des constats d'invraisemblance qui, de l'avis de la Cour, ne sont tout simplement pas justifiés;
3. la décision était fondée sur des conclusions qui n'étaient pas autorisées par la preuve; ou
4. la décision touchant la crédibilité reposait sur une conclusion de fait qui était arbitraire ou abusive ou qui ne tenait aucun compte de la preuve.
Voir l'affaire Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1144, au paragraphe 11 (Madame le juge Reed).
¶5 Les décisions de la Commission en matière de crédibilité appellent le plus haut niveau de retenue de la part des tribunaux, et la Cour n'annulera une décision de ce genre […] qu'en accord avec le critère susmentionné. La Cour ne doit pas substituer son opinion à celle de la Commission en ce qui a trait à la crédibilité ou à la vraisemblance, sauf dans les cas les plus manifestes. C'est pourquoi les demandeurs qui veulent faire annuler des conclusions touchant leur crédibilité doivent s'acquitter d'une très lourde charge [...]
L'ANALYSE
Question : La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la preuve présentée par la demanderesse manquait de crédibilité et a‑t‑elle commis une erreur dans sa manière d'appliquer le rapport psychologique et les Directives?
Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité
[14] La demanderesse allègue que la décision de la Commission est manifestement déraisonnable, mais pour les raisons suivantes, elle n’a pas réussi à le démontrer.
Premier fondement de la conclusion quant à la crédibilité
[15] La Commission s’est d’abord appuyée sur les incohérences et les contradictions figurant dans l’exposé circonstancié du FRP (l’exposé) de la demanderesse et dans son témoignage oral à l’audience. La demanderesse affirme dans son FRP que, juste après qu'elle se soit réfugiée chez sa mère, son ancien concubin s'est rendue chez celle‑ci le 8 décembre 2004. Elle déclare également dans son FRP qu’il a tenté de l'obliger à venir avec lui mais que ses sœurs sont venues à son secours. L’une de ses sœurs a appelé la police et quand son ancien concubin s’en est rendu compte, il est parti après avoir menacé de revenir quand la demanderesse serait seule. Le FRP conclut le sujet en ces termes : [traduction] « la police n’est jamais venue ». L’exposé circonstancié du FRP mentionne ce qui suit :
[traduction] […] Rosaro (une sœur) a appelé la police et quand Alvaro s’est rendu compte qu’elle appelait la police, il est parti, […] la police n’est jamais venue ».
La demanderesse a témoigné à l’audience que personne n’a jamais appelé la police. L’un des commissaires lui a demandé comment la police pouvait donner suite à un appel qui n’a jamais été fait. La demanderesse a répondu que son FRP avait été mal interprété et a également répondu ce qui suit :
[traduction] « J’ai mis ça parce que je fais une déclaration de ce qui s’est passé à ce moment-là. On m’a demandé, “la police est-elle venue?” Et j’ai dit “Non, elle n’est pas venue” parce que personne n’a jamais appelé ».
Le commissaire a déclaré que s'il s'agissait vraiment d'une erreur d’interprétation, alors l’exposé circonstancié du FRP aurait dû être modifié avant l’audience.
[16] La demanderesse affirme avoir ignoré qu'il existait des contradictions entre sa déposition orale et son témoignage écrit jusqu’à ce qu’on les lui expose à l’audience. Elle affirme en outre que, étant donné qu'on avait rédigé son témoignage en espagnol et qu'on le lui avait lu en espagnol et qu'il avait été signé environ 17 mois avant l’audience, on ne pouvait raisonnablement s'attendre à ce qu'elle modifie l’exposé au début de l’audience. La demanderesse allègue donc que le rejet de sa crédibilité par la Commission au motif qu’elle n’a pas modifié l’exposé circonstancié de son FRP au début de l’audience est manifestement déraisonnable.
[17] Cette réponse de la demanderesse va à l’encontre du fait qu’elle a modifié l’exposé circonstancié de son FRP au début de l’audience pour y inclure une allégation selon laquelle, en décembre 2004, elle aurait demandé de l'aide à un refuge pour femmes, mais était incapable de payer les frais de séjour. Si elle a pu se souvenir que son premier exposé ne comprenait pas ce détail, le commissaire a pu raisonnablement conclure qu’elle aurait pu penser à modifier son exposé quant aux détails de l’appel de sa sœur à la police. La Commission pouvait donc raisonnablement conclure que la demanderesse avait présenté une preuve contradictoire quant à savoir si on avait vraiment appelé la police le 8 décembre 2004 et que ces contradictions ont eu une influence négative sur la crédibilité de la demanderesse.
Deuxième fondement de la conclusion quant à la crédibilité
[18] La décision de la Commission selon laquelle la demanderesse n’était pas crédible était en outre fondée sur plusieurs autres conclusions. Elle a notamment conclu à l’invraisemblance du témoignage de la demanderesse selon lequel son ancien concubin aurait pu la poursuivre depuis son domicile à Hermosillo jusque chez sa mère à Thalnepantla, le jour où elle s’est enfuie, et arriver chez sa mère à 17 h. La Commission affirme ce qui suit à la page 3 de sa décision :
De plus, la demandeure d’asile n’a pas décrit de façon vraisemblable l’emploi du temps de son conjoint le 8 décembre 2004. Elle a témoigné que son conjoint avait commencé à lui téléphoner à différentes heures, dès son arrivée chez sa mère. Dans son témoignage oral, elle a précisé qu’elle était arrivée chez sa mère vers midi. Cependant, elle a par la suite témoigné que son conjoint était arrivé chez sa mère vers 17 h, après avoir effectué un vol d’une heure et demie.
Je suis convaincu que l’ex-conjoint n’a pas eu suffisamment de temps pour faire plusieurs appels téléphoniques à la demandeure d’asile, prendre des dispositions pour acheter un billet d’avion, se rendre à l’aéroport, effectuer un vol d’une heure et demie et se rendre de l’aéroport à la maison de la mère de la demandeure d’asile, tout cela dans un délai d’environ cinq heures. Certes, je ne remettrais pas en question cet incident du seul fait de cette invraisemblance. Toutefois, compte tenu à la fois de cette incohérence et du fait que le témoignage concernant l’appel fait à la police a selon moi été modifié, je suis convaincu que cet incident a été inventé pour faire valoir la demande d’asile.
[19] La demanderesse prétend que la Commission ne disposait pas suffisamment d'éléments de preuve établissant que ce son conjoint avait fait entre 12 h et 17 h était invraisemblable. Elle prétend en outre que lors de sa déposition, on ne lui a pas fait part des réserves de la Commission quant à la vraisemblance et qu'on ne lui a pas donné l’occasion d’y répondre. La demanderesse prétend donc que la conclusion tirée par la Commission est manifestement déraisonnable et elle s’appuie, à cette fin, sur le jugement de la juge Mactavish dans Pulido c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 209, [2007] A.C.F. no 281 (QL) au paragraphe 37 :
¶ 37 […] il est bien établi que lorsque la Commission tire des conclusions relatives à la vraisemblance, elle doit agir avec prudence, et que de telles conclusions ne devraient être tirées que dans les cas les plus évidents, par exemple lorsque les faits sortent tellement de l'ordinaire que le juge des faits peut raisonnablement conclure qu'il est impossible que l'événement en question se soit produit, ou lorsque la preuve documentaire dont dispose le tribunal démontre que les événements n'ont pas pu se produire de la façon dont l'affirme le demandeur […]
[20] Le défendeur répond que les délais mentionnés par la demanderesse ont créé de « légitimes réserves quant à la crédibilité » de son voyage et de ses allégations selon lesquelles son conjoint l’avait poursuivie. Le défendeur allègue que la Commission a fondé sa conclusion d’invraisemblance sur l’idée que les délais mentionnés ne correspondent pas à la prépondérance des probabilités qu'une personne informée et dotée de sens pratique reconnaîtrait volontiers comme raisonnables, rationnelles et logiques. Je suis d’accord avec le défendeur que, d'après les délais mentionnés par la demanderesse, la Commission pouvait raisonnablement tirer une conclusion négative quant à la vraisemblance et que sa conclusion selon laquelle l’incident sous-jacent a été « inventé pour faire valoir la demande d’asile » était raisonnable. La conclusion quant à la vraisemblance a été fondée sur ce qui, selon la Commission, constituait un exemple incontestable de faits se situant au-delà de ce à quoi on peut raisonnablement s’attendre.
Troisième fondement de la conclusion quant à la crédibilité
[21] La demanderesse prétend également que la conclusion de la Commission selon laquelle des contradictions figuraient dans son témoignage écrit ainsi que dans sa déposition quant à la question de savoir si elle avait prévenu les autorités qu’elle avait été maltraitée entre mars 1999 et décembre 2004 était manifestement déraisonnable. Elle énumère dans son exposé plusieurs raisons pour lesquelles, pendant cette période, elle s’est sentie incapable d’informer la police quant au caractère violent de son conjoint et y affirme qu’elle n’a communiqué avec la police que lors de son arrivée à Tlalnepantla. Cependant, lors de l’audience devant la Commission, la demanderesse a déclaré avoir communiqué avec les autorités avant de quitter Hermosillo le 8 décembre 2004. Quand on lui a demandé pourquoi elle n’avait pas mentionné ce détail dans son exposé, elle a répondu que cela y figurait et elle a attiré l'attention sur un compte rendu détaillé du rapport de police qu’elle a déposé contre son conjoint le 10 décembre 2004, après son arrivée à Tlalnepantla. Quand on lui a demandé à nouveau si elle avait communiqué avec les autorités quand elle vivait à Hermosillo, elle s’est rétractée et a déclaré qu’elle ne l’avait jamais fait car elle craignait que son conjoint ne l’apprenne en raison des liens qui existent entre la police et les militaires.
[22] Après avoir examiné le dossier, je conclus que, en dépit de la confusion de la demanderesse quant aux moments précis où elle a peut-être communiqué avec la police, les questions du commissaire et de l’avocat de la demanderesse ont été claires quant à la question de savoir si la demanderesse a communiqué avec les autorités avant de quitter Hermosillo. Par exemple, dans un échange entre la demanderesse et son avocat, celui-ci lui a demandé ce qui suit :
[traduction]
Q. Vous êtes allée voir la police à Hermosillo? Est-ce que vous déclarez, que vous êtes allée voir la police à Hermosillo, oui ou non?
R. Oui, et les policiers m’ont dit – ils m’ont dit qu’il était militaire et que je devais aller voir les autorités militaires.
Q. Et c’était à quel moment? Quand êtes-vous allée voir la police à Hermosillo?
R. C’était à peu près en 2004. C’était avant de retourner chez ma mère.
[Non souligné dans l’original.]
En me fondant sur la nature précise des questions posées, j’estime que, en raison du témoignage incohérent et contradictoire de la demanderesse à cet égard, il était raisonnable que la Commission tire une conclusion négative quant à la crédibilité du témoignage de la demanderesse.
Quatrième, cinquième et sixième fondements de la conclusion quant à la crédibilité
[23] La demanderesse relève plusieurs autres conclusions de la Commission qui, selon elle, sont manifestement déraisonnables, entre autres les conclusions suivantes :
[traduction]
1. La Commission a conclu par erreur que la demanderesse avait oublié de mentionner dans sa déposition qu’elle s'était adressée à la police deux jours après la confrontation avec son conjoint;
2. La Commission a conclu par erreur que, si la demanderesse avait réellement craint pour sa vie, l’avocat aurait entrepris une action autre que civile pour recouvrer des biens volés´. La Commission a conclu ce qui suit à la page 4 de sa décision :
Selon moi, le fait qu’une poursuite ait été intentée pour recouvrer des biens perdus ne permet pas de prouver que la demandeure d’asile a subi des préjudices de la part de son ex-conjoint par le passé et qu’elle craint, du fait qu’elle l’a quitté, qu’il s’en prenne à elle à l’avenir.
3. La Commission a mal interprété les deux lettres de la mère de la demanderesse et a commis une erreur en ne prenant pas en compte la plainte déposée à la police par le père de la demanderesse le 18 octobre 2006. La Commission a conclu ce qui suit à la page 7 de sa décision :
La mère de la demandeure d’asile a écrit deux lettres, dans lesquelles elle explique que l’ex-conjoint de sa fille tente de retrouver cette dernière pour qu’elle lui cède la voiture par écrit. Cette question s’inscrit dans le cadre de l’affaire civile. En outre, rien n’indique que l’ex-conjoint a communiqué avec la famille de la demandeure d’asile entre janvier 2005 et juillet 2006.
[24] Après avoir examiné le dossier, je conclus que, compte tenu de la preuve qui lui a été soumise, la Commission pouvait raisonnablement conclure comme elle l'a fait et la Cour ne modifiera pas les conclusions de la Commission par un contrôle judiciaire. La Cour conclut donc que la Commission n’a pas agi de façon manifestement déraisonnable en mettant en doute la crédibilité de la demanderesse dans les conclusions susmentionnées.
L’interprétation et l’application du rapport psychologique et des Directives par la Commission
[25] Malgré la conclusion selon laquelle les conclusions de la Commission quant à la crédibilité sont celles qu’il lui était loisible de tirer, compte tenu de la preuve, deux autres questions doivent être examinées avant que l'on puisse tirer une conclusion finale. La demanderesse prétend tout d’abord que la Commission a commis une erreur en n’appréciant pas sa crédibilité en fonction du rapport du psychologue déposé à l’appui de sa demande. Selon ce rapport, daté du 18 août 2006 et rédigé par le Dr. J.E. Pilowsky, les mauvais traitements subis par la demanderesse l’ont rendue [traduction] « très déprimée » et [traduction] « incapable de s'adonner aux activités qu’elle aimait auparavant ». Le rapport précise que la demanderesse [traduction] « pense beaucoup aux violences qu’elle a subies » et qu’elle a des cauchemars et des crises d’angoisse. La demanderesse admet certes que la Commission a examiné le rapport psychologique, mais elle allègue qu’elle n’a pas tenu compte des preuves psychologiques qu’il comportait quand elle a évalué sa crédibilité ainsi que l’a exigé la Cour dans Pulido, précité, au paragraphe 35.
[26] La Cour n’est pas de cet avis. L’état mental de dépression et d’anxiété de la demanderesse ne peut expliquer ni excuser les incohérences, les contradictions et les improbabilités sur lesquelles s’est appuyée la Commission pour conclure que la demanderesse n’était pas crédible.
[27] Deuxièmement, la demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur quand elle a pris en compte les Directives données par la présidente en 1996 à l’égard des revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe (les Directives) selon lesquelles celles-ci sont confrontées à des problèmes particuliers lorsqu'elles tentent de démontrer la crédibilité et la fiabilité de leur revendication. Les Directives mentionnent, par exemple, ce qui suit, à la section D 3 :
Les revendicatrices du statut de réfugié victimes de violence sexuelle peuvent présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome consécutif au traumatisme provoqué par le viol et peuvent avoir besoin qu'on leur témoigne une attitude extrêmement compréhensive. De façon analogue, les femmes qui ont fait l'objet de violence familiale peuvent de leur côté présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome de la femme battue et peuvent hésiter à témoigner […]
[28] La demanderesse prétend que la Commission n'a pas tenu compte du fait que les symptômes de ses prétendus mauvais traitements pouvaient avoir une incidence sur son témoignage, ainsi qu’en fait état le rapport psychologique et les Directives. Il est toutefois indéniable qu’en arrivant à sa conclusion, la Commission était au courant des Directives et qu'elle a estimé que le compte rendu fait par la demanderesse quant aux mauvais traitement qu'elle aurait subis entre mars 1999 et décembre 2004 était véridique. La Commission affirme en outre ce qui suit à la page 8 de sa décision :
Le tribunal a passé en revue les points au sujet desquels la demandeure d’asile a livré un témoignage contradictoire afin de lui permettre de corriger spontanément ses erreurs avant de lui faire remarquer les incohérences ou les omissions relevées. Une fois de plus, ce n’est qu’après avoir constaté que la demandeure d’asile n’avait pas répondu spontanément aux questions que j’ai pris en considération les incohérences ou les omissions dans mon analyse.
La Commission a donc dûment examiné les Directives et la Cour n’interviendra pas à cet égard. Ainsi que le juge Martineau l’a déclaré au paragraphe 4 de Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1168, [2005] A.C.F. no 1408 (QL), les symptômes dont font état les Directives « n'excusent pas les contradictions ni les omissions relatives à des incidents graves dans les déclarations antérieures d'une revendicatrice ».
CONCLUSION
[29] Pour ces motifs, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée parce que la Commission n’a commis aucune erreur qui soit susceptible de contrôle. Celle-ci, en l’espèce, a accepté que la demanderesse a été victime de violences conjugales, mais elle a rejeté comme n’étant pas crédibles les éléments matériels de son témoignage qu'elle a invoqués à l'appui de sa prétention selon laquelle elle craignait toujours son ancien conjoint et que c'était pour cette raison qu'elle avait demandé l'asile au Canada.
CERTIFICATION DE QUESTION
[30] Les deux parties ont informé la Cour que la présente demande ne soulève aucune question grave de portée générale à certifier en vue d’un appel. La Cour convient qu’il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
Cour fédérale
Avocats inscrits au dossier
DOSSIER : IMM-1739-07
INTITULÉ : VERONICA CASTILLO GONZALEZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : KINGSTON (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 29 JANVIER 2008
DATE DES MOTIFS : LE 31 JANVIER 2008
COMPARUTIONS
Me Neil Cohen
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POUR LA DEMANDERESSE |
Me Jamie Todd
|
POUR LE DÉFENDEUR |
Avocats inscrits au dossier
Neil Cohen Avocat Toronto (Ontario)
|
POUR LA DEMANDERESSE |
John H. Sims, c.r. Sous‑procureur général du Canada
|
POUR LE DÉFENDEUR |