Ottawa (Ontario), le 5 novembre 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE
ENTRE :
ET DE L’IMMIGRATION
et
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
LE JUGE O’KEEFE
[1] La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 31 octobre 2006 par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a prorogé pour une période de deux ans le sursis du renvoi du défendeur.
[2] Le demandeur réclame l’annulation de cette décision et demande que l’affaire soit renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la SAI.
Contexte
[3] Le défendeur, Nahman Charles, est un citoyen du Pakistan. Il est arrivé au Canada à titre de visiteur en 1987, à l’âge de cinq ans, et est devenu un résident permanent le 6 mars 1993. Il a été reconnu coupable au Canada des infractions suivantes :
- Agression armée commise le 29 mai 2000, pour laquelle il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 15 jours;
- Proférer des menaces le 2 août 2000, acte pour lequel il a été condamné à une peine d’emprisonnement d’un jour;
- Méfait de plus de 5 000 $, acte commis le 23 mars 2001 pour lequel il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 30 jours;
- Vol qualifié perpétré le 23 mars 2001 pour lequel il a été condamné à une peine d’emprisonnement de trois mois et deux semaines, à 84 jours de détention préventive et à deux ans de probation;
- Possession de cannabis, acte commis le 12 mars 2002 pour lequel il a été condamné à neuf jours de détention préventive.
[4] Par suite de sa condamnation pour vol qualifié, une mesure d’expulsion a été prise contre le défendeur le 7 janvier 2002. Il a interjeté appel de la mesure d’expulsion devant la SAI. Dans cet appel, il ne contestait pas le bien-fondé de la mesure d’expulsion, mais soutenait plutôt, en vertu de l’alinéa 70(1)b) de la LIPR, que, vu les autres circonstances de l’affaire, il existait des motifs justifiant de ne pas le renvoyer du Canada.
[5] Le tribunal de la SAI a entendu les témoignages sur deux jours, le 27 novembre 2002 et le 17 février 2003. Une décision a été rendue le 12 mars 2003. La SAI a sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion du défendeur pour une période de trois ans. Le tribunal a conclu qu’en dépit de la gravité de ses condamnations criminelles, le défendeur avait pris des mesures concrètes pour se réadapter. Le sursis a été accordé sous réserve d’un certain nombre de conditions. Ainsi, le défendeur devait notamment :
- informer le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration et la Section d’appel de l’immigration par écrit et au préalable de tout changement d’adresse;
- ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite;
- faire des efforts raisonnables pour obtenir un emploi à temps plein et le conserver, et signaler sans délai tout changement d’emploi au ministère.
[6] Le 21 août 2006, la SAI a procédé à un réexamen oral de l’ordonnance de sursis d’exécution de la mesure de renvoi prise contre le défendeur. Le défendeur était accusé d’avoir violé les trois conditions susmentionnées de l’ordonnance. La SAI a, le 31 octobre 2006, rendu une décision écrite dans laquelle elle a prorogé le sursis du renvoi de deux autres années. Il s’agit du contrôle judiciaire de la décision de la SAI.
Motifs de la SAI
[7] La SAI a commencé par signaler les trois conditions précises de l’ordonnance auxquelles le défendeur était accusé de ne pas s’être conformé :
- d’informer le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration et la Section d’appel de l’immigration par écrit et au préalable de tout changement d’adresse;
- de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite;
- de faire des efforts raisonnables pour obtenir un emploi à temps plein et le conserver.
Changement d’adresse
[8] En ce qui concerne la condition relative au signalement de changement d’adresse, la SAI a reconnu que le défendeur n’avait pas respecté cette condition, mais a estimé qu’il ne s’agissait pas d’un manquement grave.
Ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite
[9] Sur la condition de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite, la SAI a commencé par signaler la gravité de tout manquement à cette condition. La SAI a fait observer qu’entre mai 2003 et octobre 2004, le défendeur avait été reconnu coupable de pas moins de onze infractions au Code de la route et à la Loi sur l’assurance-automobile obligatoire. Voici les conclusions que la SAI a tirées au sujet de ces déclarations de culpabilité :
- Ces actes ne sont pas ceux d’un individu qui fait des efforts scrupuleux pour respecter la loi de manière à ne pas compromettre sa situation déjà précaire au Canada.
- Les omissions du défendeur de s’arrêter à un feu rouge pour lesquelles il a été déclaré coupable constituent un danger potentiel pour le public.
- Le défendeur est un conducteur insouciant et dangereux qui n’est pas dissuadé par des condamnations répétées pour les mêmes infractions, qui conduit des véhicules non assurés et qui conduit alors que son permis a été suspendu.
- Le tribunal a pris acte de l’absence de récidive du défendeur depuis octobre 2004 et du fait qu’il avait payé toutes les amendes auxquelles il a été condamné, mais a estimé que ces faits ne permettaient pas de juger son comportement méritoire sans réserves.
Emploi à temps plein
[10] La SAI a commencé son examen de cette condition en signalant que la preuve dont elle disposait sur ce point était tout au plus non concluante. La SAI a qualifié de « verbeux et peu convaincant » le témoignage donné par le défendeur sur ce point. La SAI s’est dite peu convaincue par les arguments suivants du défendeur :
- Le défendeur prétendait qu’il [traduction] « contrôlait tout » dans son salon de barbier, mais il ne savait pas combien ses employés gagnaient parce que son frère [traduction] « s’occupe des travaux d’écriture ».
- Le défendeur a témoigné devant le tribunal de la SAI qu’il vendait des vêtements dans un marché aux puces de Downsview Park sous le nom de « Block Productions », mais pourtant il ignorait si cette entreprise était enregistrée.
- Le défendeur a informé la SAI qu’à une certaine époque, il était payé en argent comptant « au noir » au marché aux puces (Block Productions). Interrogé à savoir s’il était au courant que cette façon de procéder pouvait constituer une infraction à la Loi de l’impôt sur le revenu, le défendeur a expliqué qu’il ne [traduction] « comprenait pas le système » et ne [traduction] « comprenait pas la procédure ».
[11] La SAI a également signalé qu’à la lumière de son témoignage sur les questions liées à l’emploi, le tribunal avait examiné avec un intérêt accru ses renseignements en matière d’impôt sur le revenu. La SAI a fait ressortir un certain nombre de divergences et de singularités dans les déclarations de revenus de 2004 et de 2005 du défendeur. La SAI a estimé que la preuve du défendeur était problématique et soulevait plus de questions qu’elle ne pouvait en résoudre. Par ailleurs, la SAI a estimé qu’une grande partie de la preuve du défendeur n’était ni crédible ni fiable.
[12] Après avoir examiné à tour de rôle les manquements reprochés au défendeur, la SAI a formulé les observations suivantes avant de rendre sa décision :
Le tribunal est d’avis qu’au regard de la preuve, il s’en faudrait de peu pour que le sursis [du défendeur] soit révoqué et son appel, rejeté. Lors du présent réexamen, [le défendeur] n’a pas réussi à établir qu’il avait respecté plusieurs des conditions qu’on lui avait imposées en 2003, et son indifférence ainsi que son ignorance feinte n’ont pas laissé une impression favorable au tribunal. Après avoir réfléchi à ce cas limite, le tribunal a décidé de donner [au défendeur] une dernière chance de démontrer qu’il est désireux et capable de se conformer à toutes les lois canadiennes, fédérales, provinciales, municipales, criminelles et autres, y compris les lois fiscales.
[13] La SAI a prolongé pour une période de deux ans le sursis du renvoi du défendeur.
Questions en litige
[14] Le demandeur a soumis la question suivante à notre examen :
1. La SAI a-t-elle commis une erreur de droit en manquant à son obligation d’agir avec équité et à son obligation légale de motiver sa décision?
[15] Je reformulerais ainsi la question en litige :
1. La SAI a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale en ne motivant pas suffisamment sa décision?
Prétentions et moyens du demandeur
[16] Le demandeur affirme que la SAI a commis une erreur de droit en manquant à son obligation d’agir avec équité et à son obligation légale de motiver sa décision. Le demandeur soutient que le paragraphe 54(1) des Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002‑230 oblige la SAI à motiver ses décisions en matière de sursis à l’exécution des mesures de renvoi. Il fait valoir que l'obligation de motiver une décision n'est remplie que lorsque les motifs fournis sont suffisants (VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25, au paragraphe 21 (C.A.)). Pour ce qui est de savoir ce qui constitue des motifs suffisants, le demandeur explique que cette question doit être tranchée en fonction des circonstances de chaque espèce, mais qu’en règle générale des motifs sont suffisants lorsqu'ils remplissent les fonctions pour lesquelles l'obligation de motiver a été imposée (VIA Rail Canada Inc., précité).
[17] Le demandeur affirme qu’en matière d’immigration les motifs doivent être suffisamment clairs, précis et intelligibles pour permettre au Ministre ou à l'intéressé de comprendre les motifs sous-jacents à la décision, et pour permettre aux parties d’exercer leur droit de présenter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire et à la Cour de s’assurer que la SAI a exercé sa compétence en conformité avec la loi. Le demandeur rappelle que les motifs doivent être appropriés, adéquats et intelligibles et qu’ils doivent prendre en considération les points importants soulevés par les parties (Mehterian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 545 (C.A.)). Le demandeur ajoute que, lorsque des motifs écrits sont requis, il ne suffit pas d'affirmer que la décision positive est fondée sur la preuve sans autre précision (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Koriagin, 2003 CF 1210).
[18] Le demandeur fait observer que les conclusions et l’analyse de la SAI reposaient entièrement sur son défaut de respecter les conditions de son sursis. De plus, la SAI n’a formulé aucune conclusion ou analyse pour justifier sa décision. Le demandeur soutient qu’en raison du défaut de la SAI de proposer des conclusions ou une analyse pour justifier sa décision, il en est réduit à des spéculations quant au raisonnement suivi par la SAI pour proroger le sursis du défendeur. En outre, le demandeur fait valoir que la SAI ne peut se contenter d’affirmer une conclusion sans autre explication. Le demandeur affirme que, en agissant ainsi, la SAI manque à son obligation d’agir avec équité et au devoir que lui impose la loi de motiver ses décisions. Le demandeur affirme que la question de savoir si une décision est suffisamment motivée soulève une question d’équité procédurale qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539).
Prétentions et moyens du défendeur
[19] Le défendeur convient avec le demandeur que le critère en matière de suffisance des motifs est celui qu’a énoncé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt VIA Rail Canada Inc., précité. Le défendeur affirme toutefois que les motifs fournis par la SAI étaient suffisants, eu égard aux circonstances de l’espèce.
[20] Le défendeur explique que la SAI avait le droit de tenir compte de la situation initiale du demandeur et de sa situation depuis le prononcé du sursis et qu’elle devait le faire (Beaumont c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1718). Le défendeur ajoute que, pour comprendre la situation initiale du demandeur, il faut rapprocher les motifs de la décision rendue au sujet du réexamen d’août 2006 de la décision initiale de mars 2003. Le défendeur affirme qu’il résulte clairement du rapprochement de ces deux décisions que le défendeur a manqué à deux des conditions de son sursis et peut-être même à une troisième, mais qu’il a de toute évidence respecté les nombreuses autres conditions et modalités de son sursis. Le défendeur en conclut qu’il résulte du rapprochement de la décision de la SAI et de la décision initiale rendue au sujet du sursis que les motifs de la décision sont suffisants.
[21] Le défendeur fait observer que le demandeur ne reproche pas à la décision de ne pas être suffisamment motivée, mais qu’il s’en prend plutôt à l’importance que la SAI a accordée à la conclusion qu’il avait n’avait manqué qu’à deux des conditions de son ordonnance de sursis. Le défendeur ajoute que les questions de fait doivent être jugées selon la norme de la décision manifestement déraisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bryan, [2006] A.C.F. no 190). Se fondant sur la norme de la décision manifestement déraisonnable, le défendeur soutient que la décision de la SAI n’est pas déraisonnable au point de justifier l’intervention de la Cour.
Réponse du demandeur
[22] En réponse aux observations du défendeur, le demandeur réplique que, bien que le défendeur ait invoqué divers motifs pour expliquer la prorogation du sursis de l’ordonnance de sursis, ces motifs ne se retrouvent pas dans la décision de la SAI. Le demandeur affirme que, même si l’on tient compte des motifs et de la décision de mars 2003 (comme le défendeur affirme qu’on devrait le faire), ces motifs donnent peu d’éclaircissements sur les raisons pour lesquelles le sursis a été prorogé en l’espèce.
[23] S’agissant de l’argument du défendeur suivant lequel ce que le demandeur reproche en réalité à la SAI est la façon dont elle a apprécié la preuve de sorte que la norme appropriée est celle de la décision manifestement déraisonnable, le demandeur affirme qu’il n’en est rien. Le demandeur allègue que le défaut de la SAI de motiver suffisamment sa décision a eu pour effet d’empêcher le ministre d’exercer son droit de contester la décision pour le motif invoqué par le défendeur.
Analyse et décision
Norme de contrôle
[24] La question de savoir si la décision est suffisamment motivée soulève une question d’équité procédurale qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (S.C.F.P., précité).
[25] Première question
La SAI a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale en ne motivant pas suffisamment sa décision?
Le demandeur soutient que la SAI a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne motivant pas suffisamment sa décision de proroger l’ordonnance de sursis du défendeur. Le défendeur affirme que des motifs suffisants ont été communiqués et que, ce que le demandeur conteste en fait, c’est la façon dont la SAI a apprécié la preuve, et non la suffisance de ses motifs.
[26] Je suis d’avis que le demandeur remet en question la suffisance des motifs et non l’appréciation de la preuve à laquelle la SAI a procédé.
[27] Dans l’arrêt VIA Rail Canada Inc., précité, la Cour d’appel fédérale déclare, aux paragraphes 21 et 22 :
[21] L'obligation de motiver une décision n'est remplie que lorsque les motifs fournis sont suffisants. Ce qui constitue des motifs suffisants est une question qui doit être tranchée en fonction des circonstances de chaque espèce. Toutefois, en règle générale, des motifs sont suffisants lorsqu'ils remplissent les fonctions pour lesquelles l'obligation de motiver a été imposée. Pour reprendre les termes utilisés par mon collègue le juge d'appel Evans [traduction] : « [t]oute tentative pour formuler une norme permettant d'établir le caractère suffisant auquel doit satisfaire un tribunal afin de s'acquitter de son obligation de motiver sa décision doit en fin de compte traduire les fins visées par l'obligation de motiver la décision » (J.M. Evans et al., Administrative Law (4e éd.) (Toronto, Emond Montgomery, 1995), à la page 507).
[22] On ne s'acquitte pas de l'obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion (Northwestern Utilities Ltd. c. Edmonton (Ville), [1979] 1 R.C.S. 684, à la page 706, 89 D.L.R. (3d) 161). Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions (Desai c. Brantford General Hospital (1991), 87 D.L.R. (4th) 140 (Ont. Div. Ct.) à la page 148). Les motifs doivent traiter des principaux points en litige (Northwestern Utilities, précité, à la page 707). Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur et l'examen des facteurs pertinents (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 2 C.F. 592, aux pages 637, 687 et 688, 183 D.L.R. (4th) 629 (C.A.)).
[28] Dans sa décision, la SAI n’a pas simplement énoncé les observations et les éléments de preuve présentés par les parties pour ensuite formuler une conclusion. En fait, la SAI a tiré plusieurs conclusions à divers endroits de sa décision, et notamment les suivantes :
· La conclusion que l’omission de signaler le changement d’adresse ne constituait pas un manquement grave.
· La conclusion que le défendeur est un conducteur insouciant et dangereux qui n’est pas dissuadé par des condamnations répétées pour les mêmes infractions, qui conduit des véhicules non assurés et qui conduit alors que son permis a été suspendu.
· La conclusion que les observations et les arguments présentés par le défendeur au sujet de ses efforts pour obtenir un emploi à temps plein et le conserver étaient tout au plus non concluants.
[29] Voici le paragraphe final de la décision de la SAI :
Le tribunal est d’avis qu’au regard de la preuve, il s’en faudrait de peu pour que le sursis [du défendeur] soit révoqué et son appel, rejeté. Lors du présent réexamen, [le défendeur] n’a pas réussi à établir qu’il avait respecté plusieurs des conditions qu’on lui avait imposées en 2003, et son indifférence ainsi que son ignorance feinte n’ont pas laissé une impression favorable au tribunal. Après avoir réfléchi à ce cas limite, le tribunal a décidé de donner [au défendeur] une dernière chance de démontrer qu’il est désireux et capable de se conformer à toutes les lois canadiennes, fédérales, provinciales, municipales, criminelles et autres, y compris les lois fiscales. À cette fin, le sursis de renvoi de l’appelant sera prolongé pour une période de deux ans.
[30] Il ressort de l’examen de la décision de la SAI que les conclusions tirées par la SAI ne semblent pas appuyer la conclusion finale à laquelle la SAI en est arrivée. La décision rendue était favorable au défendeur, mais les conclusions tirées par la SAI n’allaient pas dans le même sens. Les motifs fournis ne permettent pas de comprendre comment la SAI a pu en arriver à cette décision à partir des conclusions qu’elle avait tirées. Les motifs ne précisent pas sur le fondement de quels éléments de preuve et de quelles conclusions la décision finale a été prise. La SAI avait peut-être de bonnes raisons de proroger l’ordonnance de sursis du défendeur, mais elle ne les a pas citées expressément dans sa décision. La SAI n’a pas expliqué son raisonnement.
[31] Le défendeur soutient que, pour saisir pleinement les motifs de la décision de la SAI, il faut rapprocher la décision de mars 2003 de celle d’octobre 2006. Bien que je sois d’accord pour dire que l’on peut effectivement tenir compte des arguments, de la preuve et des motifs de la décision de mars 2003 pour mieux comprendre comment la SAI en est arrivée à sa décision, il n’appartient pas à notre Cour de spéculer sur le raisonnement qu’a pu suivre la SAI pour rendre sa décision. C’est en prenant connaissance d’une décision suffisamment motivée que l’on peut suivre le fil du raisonnement de la SAI.
[32] En remplissant l’obligation qui lui est faite de motiver ses décisions, l’office concerné contribue de façon remarquable à réaliser son mandat. Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a expliqué dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, (1999), 174 D.L.R. (4th) 193, les motifs sont utiles à plusieurs titres :
· ils favorisent la bonne formulation des questions et du raisonnement;
· ils permettent aussi aux parties de voir que les considérations applicables ont été soigneusement étudiées;
- ils sont de valeur inestimable si la décision est portée en appel, contestée ou soumise au contrôle judiciaire.
[33] Suivant l’arrêt VIA Rail Canada Inc., précité, au paragraphe 21, l'obligation de motiver une décision n'est remplie que lorsque les motifs fournis sont suffisants et « des motifs sont suffisants lorsqu'ils remplissent les fonctions pour lesquelles l'obligation de motiver a été imposée ».
[34] Dans le cas qui nous occupe, je suis d’avis que les motifs qui ont été communiqués ne permettent pas de remplir les fonctions en question. En effet, les motifs exposés par la SAI n’ont pas favorisé une bonne formulation du raisonnement sur lequel reposait la décision. Qui plus est, l’insuffisance des motifs fournis prive le demandeur de la possibilité d’évaluer pleinement ses chances d’interjeter appel ou de présenter une demande de contrôle judiciaire. Ce facteur est d’autant plus important que la décision de la SAI est assujettie à une norme de contrôle qui commande un degré élevé de retenue judiciaire. La SAI n’a pas motivé suffisamment sa conclusion.
[35] Pour ces motifs, j’estime que la SAI a manqué à son obligation procédurale en ne motivant pas suffisamment sa décision. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre tribunal de la SAI pour qu’il rende une nouvelle décision.
[36] Aucune des parties n’a exprimé le désir de soumettre une question grave de portée générale à certifier.
JUGEMENT
[37] IL EST ORDONNÉ que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre tribunal de la SAI pour qu’il rende une nouvelle décision.
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
ANNEXE
Dispositions législatives applicables
Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites dans la présente section.
Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/12002-230 :
54.(1) La Section transmet aux parties, avec l'avis de décision, les motifs écrits de la décision portant sur un appel interjeté par un répondant ou prononçant le sursis d'une mesure de renvoi. |
54.(1) The Division must provide to the parties, together with the notice of decision, written reasons for a decision on an appeal by a sponsor or for a decision that stays a removal order. |
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6137-06
INTITULÉ : LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
et
NAHMAN CHARLES
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 23 octobre 2007
DATE DES MOTIFS : LE 5 novembre 2007
COMPARUTIONS :
Me John Provart
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|
Me David Orman
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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Me David Orman Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR |