Date : 20071126
Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS
ENTRE :
AARON AGUSTIN VEGA ZEBALLOS
MARIANO GABRIEL VEGA ZEBALLOS
GASTON ZEBALLOS
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Les demandeurs sollicitent, en application de l’article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration (l’agent), en date du 3 novembre 2006, qui a rejeté leur demande d’ERAR.
LES FAITS
[2] Mme Zeballos et trois de ses quatre enfants sont Argentins, tandis que le quatrième est Canadien. La qualité de personnes à protéger leur a été refusée en 2001, et à nouveau en 2004, et l’autorisation de solliciter le contrôle judiciaire de la deuxième décision leur a été refusée en 2004. Ils ont présenté une demande d’ERAR, qui a été rejetée.
[3] Mme Zeballos a présenté sa première demande d’asile en 2001, en même temps que son ex‑conjoint de fait, M. Vega. Elle a témoigné lors de cette audience qu’elle avait été violée par des agents de police en 2000, en raison des activités politiques de son conjoint. Elle dit aujourd’hui que, si elle a produit ce témoignage, c’est parce que son conjoint l’y avait poussée, ajoutant qu’elle y fut contrainte à cause de la domination de longue date qu’il avait exercée sur elle durant toute leur relation. Cette demande d’asile a été rejetée, et Mme Zeballos a sollicité un ERAR.
[4] Avant que ne soit entrepris l’ERAR, Mme Zeballos et M. Vega s’étaient séparés, et Mme Zeballos a appris qu’elle pouvait demander l’autorisation de présenter à nouveau, sans M. Vega, sa demande d’asile et celles de ses enfants. Elle s’est donc désistée de sa demande d’ERAR. Elle a présenté à nouveau les demandes d’asile en 2004, et encore une fois elles ont été rejetées. L’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire n’a pas été accordée. La demande d’ERAR a été reçue le 18 mai 2005, et son rejet fut signifié à Mme Zeballos le 30 novembre 2006. Elle a sollicité le contrôle judiciaire de ce rejet le 11 décembre 2006. Le juge John A. O’Keefe a accordé le 18 décembre 2006 un sursis d’exécution de la mesure d’expulsion.
La décision
· L’agent a estimé que la demanderesse principale n’avait pas rattaché au risque qu’elle courait personnellement les conditions qui avaient cours en Argentine;
· L’agent a aussi accordé peu de poids aux lettres de Mme Lala et du Dr Kirstine, une thérapeute et un psychiatre qui ont tous deux traité Mme Zeballos, et cela parce qu’ils avaient fondé leur connaissance des agressions subies par Mme Zeballos sur l’information que leur avait donnée celle-ci, une information non confirmée par des sources indépendantes. L’agent a aussi jugé discutables les avis médicaux selon lesquels Mme Zeballos subirait un préjudice psychologique en cas de retour en Argentine, et cela parce que les avis en question ne précisaient pas quels endroits en Argentine seraient sûrs ou non;
· L’agent a accordé peu de poids aux lettres de Susana Chiarotti et de Sandra de Castro parce qu’elles n’étaient pas directement liées au cas de Mme Zeballos, et parce qu’elles avaient été produites comme preuve devant la Section de la protection des réfugiés;
· L’agent a estimé que Mme Zeballos n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État, parce que les agressions de M. Albanes étaient localisées et qu’il était raisonnable de penser que Mme Zeballos pouvait trouver ailleurs en Argentine un emploi pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. L’agent a relevé que Mme Zeballos avait cherché et obtenu une aide au Canada contre les mauvais traitements de son ex-conjoint alors qu’elle n’avait aucun soutien de sa famille et qu’elle ne parlait pas la langue. L’agent a aussi relevé que l’Argentine apporte une aide aux femmes victimes de violence conjugale.
· Le Dr Kirstine pensait que Mme Zeballos pourrait devenir suicidaire en cas de renvoi en Argentine, mais l’agent a relevé qu’il existe en Argentine des services médicaux adéquats et que Mme Zeballos a dans ce pays des proches qui pourraient s’occuper des enfants au besoin.
LES POINTS LITIGIEUX
1. L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en rejetant la preuve relative au cas de personnes se trouvant dans la même situation?
2. L’agent d'ERAR a-t-il commis une erreur dans sa manière d’apprécier la preuve se rapportant à la protection de l’État?
3. L’agent d'ERAR a-t-il commis une erreur en estimant que la demanderesse disposait en Argentine d’une possibilité acceptable de refuge intérieur?
4. L’agent d'ERAR a-t-il commis une erreur en tirant des conclusions arbitraires et manifestement déraisonnables?
LA norme de contrôle
[5] À mon avis, la majorité des points soulevés dans cette demande portent sur la validité des conclusions de fait tirées par l’agent d'ERAR. La norme de contrôle est donc celle de la décision manifestement déraisonnable : Tekie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 27, [2005] A.C.F. n° 39.
ANALYSE
[6] À mon avis, l’existence d’un risque commun à toute la population n’équivaudra pas à une crainte fondée de persécution. La preuve qui montre que la situation des femmes en Argentine est déplorable n’a pas pour effet de faire entrer les demandeurs dans les paramètres de l’article 96 de la LIPR en tant que personnes craignant une persécution dont ils seraient victimes personnellement ou en tant que membres d’un groupe particulier : Darwich c. Canada (Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration), [1979] 1 C.F. 365 (C.A.F.).
[7] Certes, Mme Chiarotti et Mme de Castro disent que la police argentine ne montre guère d’empressement à s’occuper des cas de sévices sexuels, en particulier au sein des familles, mais cela n’autorise pas pour autant les demandeurs à invoquer la notion de « personnes se trouvant dans la même situation ».
[8] Par ailleurs, l’agent n’a pas rejeté la preuve contrairement à ce que prétendent les demandeurs. Il a évalué les lettres, relevé qu’elles n’intéressaient pas le risque personnellement couru par les demandeurs et relevé aussi qu’elles avaient été soumises à la SPR et qu’elles n’étaient donc pas des preuves « nouvelles ». Il a donc accordé aux lettres une faible valeur probante. Ce n’était pas là une décision déraisonnable de la part de l’agent d'ERAR, et cette décision devrait être maintenue. Une demande de contrôle judiciaire n’est pas un appel et elle ne requiert pas une nouvelle appréciation de la preuve existante.
[9] Ainsi que le faisait observer le juge Michael Shore dans la décision E.J. c. Canada (Solliciteur général), 2006 CF 165, au paragraphe 20 :
Le fait que la violence à l’encontre des femmes soit universelle n’est pas pertinent pour déterminer si des crimes liés au sexe constituent des formes de persécution. Les véritables questions qu’il faut se poser sont de savoir si la violence constitue une grave violation d’un droit fondamental de la personne pour un motif de la Convention, et dans quelles circonstances on peut dire que le danger de cette violence résulte de l’absence de protection par l’État. Les femmes bénéficient du droit international de protection contre la violence familiale et le fait de ne pas assurer cette protection constitue une forme de discrimination fondée sur le sexe.
[10] La question à laquelle l’agent d'ERAR devait trouver une réponse raisonnable est la suivante : le risque pour Mme Zeballos de subir des violences sexistes résulte-t-il d’une absence de protection de l’État? L’agent a pris note du point de départ d’une telle analyse, c’est-à-dire que, en l’absence d’une preuve claire et convaincante, un État est présumé en mesure de protéger ses citoyens. Il a alors précisé que Mme Zeballos n’avait pas cherché à obtenir la protection de l’État et, selon lui, après examen de la preuve, Mme Zeballos serait protégée par l’État si elle décidait de rechercher son aide. La réponse de l’agent à la question posée ci-dessus était clairement « non », et cette réponse ne m’apparaît pas manifestement déraisonnable.
[11] Dans la décision Omekam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 331, le juge O’Keefe, se fondant sur la jurisprudence invoquée par le demandeur Omekam, a renvoyé l’affaire pour nouvelle décision, parce que l’agent avait accordé peu de poids au témoignage du demandeur qui disait avoir une mauvaise santé mentale, et à la mauvaise qualité des soins médicaux qu’il pourrait obtenir chez lui, en l’occurrence à Benin City.
[12] En l’espèce, l’agent a clairement reconnu les difficultés de la demanderesse sur le plan de la santé mentale, mais il a estimé que le soutien médical qu’elle pouvait obtenir en Argentine était suffisant. Ce n’était pas là une conclusion manifestement déraisonnable.
[13] La demanderesse semble vouloir se servir de la présente procédure de contrôle judiciaire comme s’il s’agissait d’un appel. L’agent a pris en compte les rapports psychologiques, il a trouvé qu’il ne s’agissait pas de preuves nouvelles et il leur a attribué une faible valeur probante. Il était à même d’agir ainsi, et je suis d’avis que son raisonnement n’est ni manifestement déraisonnable, ni arbitraire.
[14] Je suis d’avis de rejeter la demande.
[15] Les parties n’ont pas proposé de question à certifier, et aucune ne sera certifiée.
JUGEMENT
1. La demande est rejetée.
2. Aucune question n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
David Aubry, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6513-06
INTITULÉ : AMELIA ZEBALLOS,
AARON AGUSTIN VEGA ZEBALLOS,
MARIANO GABRIEL VEGA ZEBALLOS et GASTON ZEBALLOS
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE
L'IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 14 NOVEMBRE 2007
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE BLAIS
DATE DES MOTIFS : LE 26 NOVEMBRE 2007
COMPARUTIONS :
Toni Schweitzer POUR LES DEMANDEURS
Margherita Braccio POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Services juridiques communautaires POUR LES DEMANDEURS
de Kensington Bellwoods
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada