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Date : 20080116

Dossier : IMM-860-07

Référence : 2008 CF 53

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

CHARLES BRIGHTON CHAVI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 7 février 2007, dans laquelle la Commission a conclu que le demandeur, un citoyen du Zimbabwe, n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

FAITS

[2]               Le demandeur, un citoyen du Zimbabwe âgé de 51 ans, demande l’asile au motif qu’il craint d’être persécuté pour s’être opposé au gouvernement de Robert Mugabe.

[3]               Le demandeur, membre du parti de l’opposition nommé Mouvement pour le changement démocratique (le MCD), allègue avoir été harcelé par la milice de la Zimbabwe African National Union – Patriotic Front (la ZANU-PF), notamment :

1.             le 29 novembre 2004, lorsque la milice de la ZANU-PF a accusé le demandeur d’être membre du MCD et a commencé à le pousser et à lui donner des coups de poing;

2.             le 5 mars 2005, lorsqu’un jeune membre de la ZANU-PF a griffonné des graffitis sur les murs extérieurs de la résidence du demandeur, ce qui a par la suite mené à des appels téléphoniques fréquents exigeant que le demandeur [traduction] « quitte le MCD »;

3.             le 9 février 2006, lorsque le demandeur a été arrêté par la Central Intelligence Organization (la CIO) du gouvernement et détenu pendant cinq semaines à la base aérienne Manyame, soit jusqu’au 16 mars 2006. Durant cette période, le demandeur aurait été interrogé et torturé afin qu’il admette ce qu’il savait concernant la vente d’armes illégales. Dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP), le demandeur a déclaré que les méthodes de torture avaient inclus :

[traduction] […] m’être fait enfermer dans un cercueil; m’être fait placer un sac sur la tête qu’on plongeait ensuite dans l’eau; m’être fait battre la plante des pieds à l’aide d’une matraque en caoutchouc; et m’être fait pointer une petite arme sur la tête alors qu’on appuyait sur la détente (roulette russe).

 

 

[4]               Le demandeur a déclaré qu’il avait seulement été mis en liberté par la CIO grâce à l’intervention d’un ami d’enfance qui était un agent militaire. Lors de sa mise en liberté le 16 mars 2006 (après cinq semaines), le demandeur a appris que la CIO entretenait des soupçons à son égard en raison de nombreuses rencontres qu’il avait eues avec le président local du MCD, M. Roland Nindi. M. Nindi était lui-même lié à un certain M. Peter Hitschmann, une personne qui avait été accusée de possession d’armes illégales et qui avait par après été arrêtée en mars 2006 pour des infractions relatives aux armes illégales. Le demandeur a déclaré qu’après sa mise en liberté, la CIO le suivait et surveillait ses activités.

 

[5]               Après avoir été mis en liberté, avoir appris pourquoi il avait été détenu et avoir été suivi et surveillé par deux ou trois personnes chaque fois qu’il quittait sa résidence, le demandeur a décidé de quitter le Zimbabwe le 5 avril 2006. Il s’est enfuit aux États-Unis (il avait obtenu un visa quelque temps avant son départ et il avait un contact aux États-Unis). Une organisation l’a aidé à entrer au Canada afin qu’il puisse présenter une demande d’asile.

 

[6]               Lorsqu’on lui a demandé comment il avait été en mesure de quitter le Zimbabwe si la CIO s’intéressait à lui, le demandeur a répondu que son frère avait pris les arrangements nécessaires pour qu’il puisse quitter le pays, soit en soudoyant les bonnes personnes. Le pot-de-vin en question était de 15 millions de dollars zimbabwéens, l’équivalent de 30 $CAN, ce qui constitue une somme importante d’argent au Zimbabwe.

 

[7]               Le 22 mai 2006, le demandeur est entré au Canada et a présenté sa demande d’asile en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[8]               Le demandeur a soulevé les questions suivantes à l’audience :

1.                  L’importante conclusion de fait tirée par la Commission selon laquelle le demandeur n’aurait pas été en mesure de soudoyer quelqu’un pour quitter le Zimbabwe n’était pas motivée et constitue un manquement à la justice naturelle;

2.                  L’importante conclusion de fait tirée par la Commission selon laquelle la présumée appartenance du demandeur au MCD n’était pas, en soi, suffisante pour qu’il soit exposé à un risque de préjudice grave était contraire à la preuve documentaire objective du Département d’État des États-Unis. Par conséquent, la Commission a commis une erreur de droit en omettant d’expliquer pourquoi cette preuve importante, pertinente et contradictoire avait été rejetée.

 

NORME DE CONTRÔLE

[9]               L’omission de fournir des motifs constitue un manquement à la justice naturelle contrôlable selon la norme de la décision correcte. La deuxième question soulève le fait que la Commission a omis d’expliquer son rejet d’éléments de preuve importants, pertinents et contradictoires, ce qui constitue une erreur de droit également contrôlable selon la norme de la décision correcte.

 

 

ANALYSE

Question no 1 :   L’importante conclusion de fait tirée par la Commission, en ce qui a trait à la question de savoir si le demandeur était en mesure de soudoyer quelqu’un pour quitter le Zimbabwe, n’était pas motivée

 

 

[10]           La Commission a conclu comme suit aux pages 3 et 4 de sa décision :

[…] Pourtant, le demandeur d’asile soutient qu’il a réussi à soudoyer quelqu’un pour quitter le pays. Je ne crois pas son allégation, mais avant de tirer une conclusion définitive sur cette question essentielle, je tiens à analyser d’autres éléments de preuve.

 

Cependant, en réalité, la Commission n’a pas examiné d’autres éléments de preuve pertinents quant à la question de savoir si le demandeur était en mesure de soudoyer quelqu’un pour quitter le pays.

 

[11]           Le demandeur soutient que la Commission a l’obligation de fournir des motifs clairs, précis et intelligibles afin de permettre au ministre ou au demandeur de comprendre les motifs sur lesquels se fonde la décision et afin de permettre à la cour chargée du contrôle de comprendre le fondement de la décision ou de la conclusion importante. Ceci est bien établi en droit. Voir les paragraphes 14 et 15 de la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Shwaba, 2007 CF 80, [2007] A.C.F. no 119 (QL), rendue par le juge de Montigny. En l’espèce, la Commission a omis de fournir des motifs, et encore moins des motifs suffisants, pour appuyer sa conclusion selon laquelle le demandeur n’aurait pas été en mesure de soudoyer quelqu’un pour quitter le Zimbabwe.

 

[12]           Le défendeur soutient que la décision de la Commission était raisonnable compte tenu du fait que le Zimbabwe exerçait des contrôles aux sorties qui auraient empêché le demandeur de quitter le pays s’il avait représenté un intérêt pour la CIO. Cependant, aucune question ne se pose quant aux contrôles des sorties. Le demandeur a témoigné qu’il avait versé un pot-de-vin de 15 millions de dollars zimbabwéens à des représentants de l’État afin de pouvoir quitter le pays et, de toute évidence, éviter les contrôles des sorties. Le commissaire a interrogé le demandeur au sujet du pot-de-vin. Je suis convaincu que le demandeur a démontré clairement qu’il avait versé ce pot‑de-vin et que ce dernier constituait une somme importante d’argent au Zimbabwe. Par conséquent, l’argument du défendeur selon lequel le demandeur n’aurait pas été en mesure de quitter le Zimbabwe en raison des contrôles des sorties ne l’emporte pas sur la preuve documentaire non contredite selon laquelle la corruption est répandue chez les représentants du gouvernement au Zimbabwe. Il est donc assez probable qu’un représentant de l’État ait été soudoyé afin de permettre au demandeur de quitter le Zimbabwe, peu importe s’il y avait ou non des contrôles des sorties en place. Pour ces motifs, je souscris à l’argument du demandeur selon lequel la Commission a omis de fournir des motifs à l’égard de cette conclusion de fait importante, ce qui constitue un manquement à la justice naturelle et une erreur de droit.

 

Question no 2 :   L’importante conclusion de fait tirée par la Commission selon laquelle la présumée appartenance du demandeur au MCD n’était pas suffisante pour qu’il soit exposé à un risque de préjudice grave était contraire à la preuve documentaire objective du Département d’État des États-Unis, et la Commission a commis une erreur en omettant d’expliquer pourquoi cette preuve importante, pertinente et contradictoire avait été rejetée

 

 

[13]           La Commission, aux pages 5 et 6 de sa décision, a conclu que « [l]a seule adhésion […] [du demandeur] au [MCD] ne suffit pas pour dire qu’il est exposé à une menace sérieuse ». La preuve documentaire objective du Département d’État des États-Unis au sujet du Zimbabwe en 2004 fait mention de violations sérieuses des droits de la personne par le président Mugabe et son parti en vue de maintenir sa puissance politique. À la page 131 du dossier du demandeur, on cite le rapport du Département d’État des États-Unis, notamment :

[traduction] […] une campagne de violence systématique et approuvée par le gouvernement ayant pour cibles les partisans et les présumés partisans de l’opposition s’est poursuivie durant l’année […] Les forces de sécurité, les milices de jeunes approuvées par le gouvernement et les partisans du parti au pouvoir ont torturé, violé et autrement maltraité les personnes perçues comme liées à l’opposition […]

 

                        […]

 

[…] tous ceux qui ont été tués lors de violence politique étaient des activistes ou des partisans du MCD […]

 

[…]

 

[…] les forces de sécurité ont pris part aux incidents de violence politique […] particulièrement dans les régions où on soupçonnait un appui marqué pour l’opposition.

 

En l’espèce, la CIO aurait soupçonné le demandeur d’être lié à un groupe de membres du MCD qui avaient obtenu des armes illégales et planifiait un coup d’État. Bien qu’il ait nié avoir de tels liens, le demandeur entretenait effectivement des liens avec des membres du MCD soupçonnés d’être associés aux armes illégales. Il s’agit d’un motif plausible justifiant son arrestation et le fait qu’il ait été suivi et surveillé après sa mise en liberté.

 

[14]           Le rapport du Département d’État des États-Unis constitue une preuve objective selon laquelle l’appartenance au MCD est suffisante pour qu’une personne soit exposée à un risque de préjudice. Le demandeur était un partisan du MCD et était perçu comme un allié de membres individuels du MCD associés aux armes illégales. Les forces de sécurité au Zimbabwe n’informent pas au départ une personne de ses droits avant de la maltraiter si elle est perçue comme liée à l’opposition. L’omission de la Commission d’examiner cette preuve objective importante tend à indiquer qu’elle n’a pas tenu compte de la preuve en concluant que la simple appartenance au MCD était insuffisante pour exposer le demandeur à un grave risque de préjudice. Comme l’a dit le juge Evans dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, la Commission a l’obligation d’expliquer pourquoi elle n’a pas tenu compte de la preuve du Département d’État des États-Unis lorsque celle-ci semble carrément contredire sa conclusion de fait. La Commission n’a rien dit sur la preuve du Département d’État des États-Unis qui tendait à établir le contraire, soit que l’appartenance au MCD pouvait être perçue par les forces de sécurité comme justifiant des mauvais traitement et de la violence. Le Département d’État des États-Unis fait état de violence généralisée sous l’égide de l’État et de répression du parti de l’opposition par le gouvernement de Robert Mugabe. La Cour est d’avis que l’omission par la Commission d’expliquer la mise de côté de cette preuve objective importante et pertinente, qui contredit sa conclusion, constitue une erreur de droit.

 

[15]           Le défendeur a soutenu que la conclusion de la Commission que la présumée arrestation du demandeur n’avait jamais eu lieu et que le demandeur n’intéressait pas la CIO s’appuyait sur les motifs suivants de la décision :

1.                       le passeport du demandeur n’a jamais été confisqué;

2.                       les articles de journaux ne faisaient pas mention du nom du demandeur et l’auraient fait s’il avait été un membre bien connu du MCD lié à l’incident pour lequel il avait, selon le défendeur, été arrêté;

3.                       la mise en liberté du demandeur par le ministère des Enquêtes criminelles du Zimbabwe n’a pas été révoquée après son arrestation;

4.                       il était déraisonnable de croire que les représentants de la CIO qui auraient suivi et surveillé le demandeur après sa libération ne l’auraient pas arrêté de nouveau;

5.                       si la CIO surveillait le demandeur, il est déraisonnable de croire qu’il aurait été en mesure de soudoyer quelqu’un pour quitter le Zimbabwe;

6.                       le demandeur n’a obtenu aucune preuve corroborante du MCD établissant qu’il représentait un intérêt pour la CIO.

 

[16]           J’ai examiné la preuve à l’égard de chacun de ces points et j’en suis arrivé à la conclusion qu’aucun d’eux n’a de poids suffisant pour l’emporter sur les erreurs mentionnées ci-dessus. La pratique qu’a le gouvernement de confisquer le passeport d’un membre important de l’opposition ne signifie pas que chaque membre moins connu du MCD qui est surveillé par la CIO se verra confisquer son passeport.

 

[17]           L’article de journal faisait mention de membres biens connus du MCD qui avaient été arrêtés du fait qu’ils avaient des armes illégales dans leurs maisons et planifiaient un coup d’État. Ces arrestations avaient eu lieu après que le demandeur eut été en détention le 16 février 2006. Par conséquent, le demandeur n’était pas directement partie à ces activités et, même s’il l’était, il n’était pas un membre bien connu du MCD opposé au gouvernement. Il est donc logique que le demandeur n’ait pas été mentionné dans l’article de journal.

 

[18]           La mise en liberté du demandeur par la police d’État du Zimbabwe n’a pas non plus été révoquée puisqu’il n’était pas une personne bien connue. Le fait que les représentants de la CIO suivaient et surveillaient le demandeur ne signifie pas qu’ils allaient l’arrêter de nouveau. Ils l’auraient seulement arrêté de nouveau s’ils avaient jugé qu’il faisait quelque chose confirmant leurs soupçons.

 

[19]           Il n’y avait aucune preuve corroborante du MCD, car quiconque écrirait une telle lettre au Zimbabwe au nom du MCD serait détenu, soumis à de mauvais traitements et peut-être même torturé ou tué. Le demandeur a bel et bien présenté des éléments de preuve corroborants, soit des preuves médicales confirmant que les blessures subies lorsqu’il avait été torturé étaient compatibles avec la torture lui ayant été infligée pendant ses cinq semaines de détention. Le demandeur a aussi présenté sa carte de membre du MCD, dont personne n’a contesté l’authenticité. En fait, le commissaire a fait référence à la preuve médicale et à la carte du MCD, mais a rejeté cette preuve corroborante, puisqu’il a jugé que le demandeur n’était pas crédible sur d’autres points, par exemple en concluant qu’il n’aurait pas été en mesure de soudoyer des représentants de l’État pour quitter le Zimbabwe si la CIO s’intéressait à lui.

 

[20]           Pour tous ces motifs, la Cour accueillera la présente demande de contrôle judiciaire. Les deux parties ont avisé la Cour que la présente demande ne soulève aucune question grave de portée générale à certifier en vue d’un appel. La Cour souscrit à cette opinion, de sorte qu’aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission datée du 7 février 2007 est annulée et la demande d’asile du demandeur est renvoyée à un autre tribunal de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-860-07

 

INTITULÉ :                                                               CHARLES BRIGHTON CHAVI

                                                                                    c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

                                                           

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 10 JANVIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 16 JANVIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jack Davis

 

    POUR LE DEMANDEUR

Janet Chisholm

 

  POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jack Davis

Davis & Grice

 

   POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 POUR LE DÉFENDEUR

 

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