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Date : 20080114

Dossier : T-1236-07

Référence : 2008 CF 45

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 14 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

LOUIS VUITTON MALLETIER S.A.

ET LOUIS VUITTON CANADA INC.

 

demanderesses

 

et

 

 

LIN PI-CHU YANG

(alias PI-CHU LIN, WAI YING, MARTINA et COCO)

et TIM YANG WEI-KAI (alias WEI-KAI YANG),

les deux faisant affaires sous le nom de K2 FASHIONS

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le 14 novembre 2007, la Cour a accueilli la requête en jugement par défaut déposée par les demanderesses contre les défendeurs; voir Louis Vuitton Malletier S.A. c. Lin, 2007 CF 1179 (Louis Vuitton Malletier). La Cour a conclu que les défendeurs, par l’intermédiaire d’une entreprise connue sous le nom de K2 Fashions, vendaient de la marchandise Louis Vuitton contrefaite et avaient ainsi contrevenu aux dispositions de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, et de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42. Les demanderesses ont obtenu une injonction permanente, des dommages‑intérêts au montant de 227 000 $ et une somme globale de 36 699, 14 $ à titre de dépens sur la base avocat‑client (le jugement par défaut).

 

[2]               La défenderesse, Lin Pi-Chu Yang (alias Pi-Chu Lin, Wai Ying, Martina et Coco), dépose maintenant la présente requête en annulation du jugement par défaut. En résumé, Mme Lin soutient que la déclaration ne lui a jamais été signifiée et qu’elle n’a aucun intérêt dans l’entreprise K2 Fashions; elle n’est que la bailleresse des locaux du magasin.

 

I.   Les questions en litige

 

[3]               La principale question en litige est de décider s’il y a lieu d’annuler le jugement par défaut rendu à l’encontre de Mme Lin. Si je conclus qu’il y a lieu de l’annuler, la question subsidiaire est de savoir si un jugement inscrit contre la propriété de Mme Lin doit être mis à néant. Enfin, la question des dépens de la présente requête doit être abordée.

 

II.   Analyse

 

[4]               Le critère en vertu duquel un jugement par défaut peut être annulé est bien établi et n’est pas contesté; voir SEI Industries Ltd. c. Terratank Environmental Group, 2006 CF 218, au paragraphe 4; Brilliant Trading Inc. c. Wong, 2005 CF 571, au paragraphe 8; Taylor Made Golf Co. c. 1110314 Ontario Inc. (Selection Sales), [1998] A.C.F. 681 (1re inst.) (QL); Contour Optik Inc. c. E'lite Optik, Inc., 2001 CFPI 1431, au paragraphe 4. Comme il ressort de la jurisprudence susmentionnée, les deux parties sont d’avis que Mme Lin doit convaincre la Cour qu’elle :

1. a une explication raisonnable pour justifier son défaut de présenter une défense;

2. a une défense prima facie sur le fond à opposer à la demande des demanderesses;

3. a agi promptement en vue de faire annuler le jugement par défaut.

 

 

[5]               Les demanderesses reconnaissent que Mme Lin a présenté promptement sa requête en annulation du jugement par défaut. Il n’y a donc pas lieu d’examiner le troisième élément du critère; voir SEI Industries, précité, au paragraphe 5.

 

[6]               Je me penche sur les deux autres éléments.

 

A. L’explication justifiant le défaut de présenter une défense

 

[7]               La seule explication que Mme Lin a fournie pour justifier son défaut de présenter une défense, c’est qu’aucun document ne lui avait été signifié et qu’elle ne savait pas que les demanderesses avaient déposé une requête en jugement par défaut contre elle. Comme je l’ai dit dans Louis Vuitton Malletier, précité, au paragraphe 5, la Cour était convaincue, au vu des preuves dont elle était saisie, que pour Mme Lin, la signification avait été faite à personne. Sauf sa dénégation pure et simple de la signification, Mme Lin n’a présenté aucune preuve ou observation donnant à penser que cette conclusion était erronée.

 

[8]               La « dénégation pure et simple » de Mme Lin doit également être placée dans le contexte du contre‑interrogatoire sur son affidavit. La transcription du contre‑interrogatoire a révélé au moins 20 contradictions ou incohérences dans ses réponse à l’interrogatoire. De plus, Mme Lin est restée évasive ou vague à plusieurs reprises. Ces problèmes quant à son témoignage font naître des doutes à l’égard de sa crédibilité. Vu que Mme Lin n’a pas dit la vérité, s’est contredite, est restée évasive ou a été incohérente pendant l’interrogatoire, je doute sérieusement de la véracité de son allégation selon laquelle la déclaration ne lui a pas été signifiée à personne.

 

[9]               Par comparaison avec les assertions de Mme Lin, la Cour possède la preuve par affidavit détaillée de M. Gagnon, un enquêteur privé agréé et une personne désintéressée en ce qui concerne la décision à rendre à la fin de la présente instance. Dans ses affidavits déposés à l’appui de la requête en jugement par défaut, M. Gagnon a déclaré avoir présenté personnellement à Mme Lin la déclaration et avoir laissé la copie sur le comptoir du magasin K2 Fashions. De plus, la Cour possède un autre affidavit dans lequel M. Gagnon déclare ce qui suit :

 

[traduction] Le 7 janvier 2008, j’ai assisté au contre‑interrogatoire de Pi-Chu Lin. Ce jour-là, la personne qui s’est présentée comme étant Pi-Chu Lin est la même personne dont je parle dans mes affidavits (déposés dans le cadre de la requête antérieure en jugement par défaut) et qui se trouve sur les photos ci‑jointes (annexe C), me basant sur son apparence physique et sur sa voix.

 

[10]           M. Gagnon n’a pas été contre‑interrogé sur l’affidavit qu’il a déposé dans le cadre de la présente requête. L’avocat de Mme Lin affirme qu’il n’a pas jugé utile d’interroger M. Gagnon sur son affidavit. Je ne suis pas d’accord. Il aurait pu interroger M. Gagnon dans le but de faire naître un doute quant à savoir si M. Gagnon avait bien identifié Mme Lin.

 

[11]           À mon avis, la preuve par affidavit de M. Gagnon doit prévaloir contre le bref affidavit de Mme Lin; elle démontre en soi, par prépondérance des probabilités, que pour Mme Lin, la signification avait été faite à personne; voir Grinnell Supply Sales Co., a Division of Tyco International of Canada Ltd./Tyco International du Canada Ltée c. Heger Contracting Ltd., 2001 BCSC 1105, au paragraphe 12.

 

[12]           En résumé, Mme Lin ne m’a pas convaincue qu’elle a une explication raisonnable justifiant son défaut de présenter une défense.

 

B. La défense prima facie

 

[13]           Quant au deuxième élément, la Cour doit décider si Mme Lin a fourni des preuves dans son dossier de requête qui puissent me convaincre qu’elle a une défense prima facie sur le fond à opposer à la demande des demanderesses. Le critère préliminaire permettant de conclure que cet élément a été respecté n’est pas très exigeant. La défense de Mme Lin est-elle si dénuée de fondement qu’elle [traduction] « ne mérite pas d’être examinée »?; voir British Columbia c. Ismail, 2007 BCCA 55, au paragraphe 2.

 

[14]           Comme je l’ai dit dans Louis Vuitton Malletier, précité, au paragraphe 3, la Cour était convaincue que Mme Lin avait des liens d’affaires avec K2 Fashions vu qu’elle est la propriétaire en fief simple du bien immeuble occupé par K2 Fashions (les locaux) depuis le 4 juin 2001. Mme Lin ne conteste pas cette conclusion, mais soutient que puisqu’elle est uniquement la propriétaire‑bailleuse du bien immeuble, elle n’a aucun intérêt dans le magasin K2 Fashions. À l’appui de son argument, Mme Lin a présenté un affidavit, une copie de la recherche de titre sur les locaux, une copie de deux contrats de location des locaux signés par elle‑même et M. Yang (l’autre défendeur) et une copie de ses déclarations de revenus pour les années 2002, 2004, 2005 et 2006.

 

[15]           Vu qu’elle n’est que la propriétaire‑bailleuse à l’égard de M. Yang et non la propriétaire de K2 Fashions, Mme Lin soutient qu’elle ne devrait pas être tenue responsable de la marchandise contrefaite, dont elle n’avait pas connaissance ou dans laquelle elle n’avait aucun intérêt.

 

[16]           Je reconnais qu’il est possible qu’un propriétaire‑bailleur ne soit pas toujours au courant des activités commerciales qui ont lieu dans les locaux loués. Il s’agit d’une question qui, pour le moins, [traduction] « mériterait d’être examinée ». Le problème que pose la défense avancée par Mme Lin en l’espèce, c’est qu’elle ne résiste pas à quelque examen que ce soit.

 

[17]           Même si Mme Lin nie être au courant des activités commerciales de K2 Fashions ou avoir un intérêt dans celles‑ci, la preuve au dossier révèle le contraire. Plus d’une fois, M. Gagnon a vu Mme Lin dans le magasin se comporter comme une personne ayant un intérêt dans l’entreprise. En réalité, M. Gagnon l’a décrite comme [traduction] « la personne responsable des affaires ». À deux occasions distinctes, M. Gagnon a remarqué que Mme Lin [traduction] « était la seule employée dans le magasin et je l’ai vue passer des articles à la caisse enregistreuse derrière le comptoir ».

 

[18]           D’autres éléments de preuve, notamment des cartes professionnelles et de la correspondance avec Parker Place Management, démontrent qu’une femme nommée « Martina » est la propriétaire de K2 Fashions. Bien que Mme Lin nie être connue sous le nom de « Martina », la recherche de titre sur les propriétés de Mme Lin a permis de faire un lien entre elle et le nom Martina.

 

[19]           Enfin, je réitère les doutes sérieux que j’ai quant à la crédibilité de la preuve présentée par Mme Lin dans le cadre de la présente requête.

 

[20]           Vu que Mme Lin n’est pas crédible et eu égard aux preuves contradictoires dont je suis saisie, j’accorde peu de poids à sa déclaration selon laquelle elle est uniquement la propritétaire‑bailleuse des locaux. Je ne suis pas convaincue qu’elle a une défense prima facie sur le fond à opposer à la demande des demanderesses. En d’autres mots, la défense de Mme Lin est si dénuée de fondement qu’elle [traduction] « ne mérite pas d’être examinée ».

 

III.   Conclusion

 

[21]           En conclusion, je ne suis pas convaincue que Mme Lin a une explication justifiant son défaut de présenter une défense ou qu’elle a une défense prima facie à opposer à la demande des demanderesses. Le jugement par défaut ne sera pas annulé. Il s’ensuit que la Cour n’accordera pas à Mme Lin l’autorisation de présenter une défense et qu’il n’y aura pas de sursis à l’exécution du jugement rendu contre elle.

 

[22]           La seule question qui reste à trancher concerne les dépens de la présente requête. Les demanderesses, ayant obtenu gain de cause, ont droit à des dépens. Elles réclament des dépens sur la base avocat‑client.

 

[23]           Le paragraphe 400(1) des Règles confère à la Cour fédérale le pouvoir discrétionnaire d’adjuger des dépens sur la base avocat-client. Cependant, des dépens avocat‑client ne doivent être adjugés que lorsqu’une partie a fait preuve d’une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante; voir Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, au paragraphe 134; Mackin c. Nouveau‑Brunswick (Ministre des Finances); Rice c. Nouveau‑Brunswick, [2002] 1 R.C.S. 405, au paragraphe 86; Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (2000), 9 C.P.R. (4th) 289 (C.A.F.), au paragraphe 7. Des raisons d’intérêt public peuvent également fonder l’adjudication de dépens avocat‑client; voir Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 80.

 

[24]           Dans la présente affaire, la Cour a déjà adjugé des dépens avocat‑client contre les défendeurs, y compris Mme Lin. Ce faisant, la Cour a tenu compte de « l’attitude méprisante des défendeurs à l’égard de la présente instance et des jugements précédents de la Cour » et de « la violation flagrante qu’ils ont commise […] à l’égard des droits de propriété intellectuelle des demanderesses »; voir Louis Vuitton Malletier, précité, au paragraphe 59. Étant donné que le comportement adopté par Mme Lin jusqu’au moment où la Cour a rendu son jugement dans Louis Vuitton Malletier a déjà été sanctionné, il ne serait pas juste de le lui reprocher une autre fois dans la décision d’adjuger ou non contre elle des dépens avocat‑client dans le cadre de la présente requête. À vrai dire, agir ainsi pourrait décourager une partie précédemment sanctionnée d’intenter une procédure judiciaire et détourner injustement l’attention du comportement adopté par les parties dans le cadre de la procédure devant la Cour.

 

[25]           Après avoir décidé que la période pendant laquelle il y a lieu ou non en l’espèce d’adjuger des dépens avocat-client est la période qui a suivi le jugement par défaut, je suis d’avis que le comportement adopté par Mme Lin pendant cette période n’est pas répréhensible au point de mériter une réprimande. Je remarque tout d’abord qu’aucune preuve ne démontre que Mme Lin ou K2 Fashions a continué d’usurper les marques de commerce des demanderesses ou de violer leur droit d’auteur après que le jugement par défaut a été rendu. De plus, comme les demanderesses l’ont admis, Mme Lin a déposé la présente requête en temps utile. Quant à l’argument selon lequel la requête de Mme Lin a prolongé inutilement la durée de l’instance, je souligne que cela est vrai dans tous les cas où une requête en annulation d’un jugement par défaut est rejetée. Le rejet d’une requête en annulation d’un jugement par défaut, en soi, ne justifie pas l’adjudication de dépens sur la base avocat‑client – d’autres éléments sont nécessaires; voir, par exemple, Brilliant Trading, précité, au paragraphe 24. Enfin, la Cour a déclaré à plusieurs reprises que la faiblesse d’une requête ne justifie pas l’adjudication de dépens avocat‑client; voir, par exemple, Roberts c. Canada, [1999] A.C.F. no 1529 (C.A.) (QL), au paragraphe 142, [2002] 4 R.C.S. 245; Sedpex, Inc. c. Canada (Un arbitre nommé sous le régime du Code canadien du travail), [1989] 2 C.F. 289, à la page 302.

 

[26]           Réclamant des dépens avocat‑client, les demanderesses se fondent sur la décision Fibremann Inc. c. Rocky Mountain Spring (Icewater 02) Inc., 2005 CF 1377, où la Cour a accordé une somme globale de 15 000 $ dans le cadre du rejet d’une requête en annulation d’un jugement par défaut. La Cour déclare ce qui suit au paragraphe 14 : « Vu les circonstances exceptionnelles de la présente affaire, il convient d’adjuger des dépens sur la base avocat‑client. » À mon avis, les faits dans Fibremann sont bien différents des faits en l’espèce. De plus, je fais remarquer que même si la demanderesse dans Fibremann réclamait des frais juridiques de plus de 40 000 $, une somme globale de 15 000 $, plus les débours et la TPS, a été accordée. Par conséquent, il est difficile d’accepter que la décision Fibremann oblige à l’adjudication de dépens avocat‑client en l’espèce.

 

[27]           En résumé, je conclus qu’il n’y a pas lieu d’adjuger des dépens avocat‑client dans la présente affaire. Des dépens seront adjugés et seront taxés conformément à la colonne III du Tarif B.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.         La requête en annulation du jugement par défaut est rejetée.

2.         Des dépens sont adjugés aux demanderesses et seront taxés conformément à la colonne III du Tarif B.

 

 

« Judith A. Snider»

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Annie Beaulieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1236-07

 

INTITULÉ :                                       LOUIS VUITTON MALLETIER S.A. et al.

                                                            c. LIN PI-CHU YANG et al.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 janvier 2008

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE    La juge Snider

ET ORDONNANCE :

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 14 janvier 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Manson

Karen MacDonald

 

POUR LES DEMANDERESSES

Stanley Foo

 

POUR LES DÉFENDEURS

(représentant Lin Pi-Chu Yang)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Foo & Company

Burnaby (C.-B.)

 

POUR LES DÉFENDEURS

(représentant Lin Pi-Chu Yang)

 

 

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