et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE PHELAN
I. INTRODUCTION
[1] Le rejet par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) de la demande d’asile du demandeur soulève la question de savoir si la Commission aurait dû tenir compte des risques objectifs auxquels pourrait être exposé le demandeur, en tant que jeune homme tamoul originaire de Jaffna, au Sri Lanka, malgré ses conclusions défavorables relatives à la crédibilité.
II. CONTEXTE
[2] Le demandeur, âgé de 27 ans au moment de sa demande, est un homme tamoul de la région de Jaffna située dans la partie nord du Sri Lanka. Il a allégué que ses frères et lui avaient été soumis à diverses reprises à des travaux forcés et qu’ils avaient été détenus, interrogés et battus par les TLET et l’armée. De plus, on avait obligé son père à faire des [traduction] « paiements de protection » afin d’assurer la sécurité de sa famille.
[3] Le demandeur a également allégué qu’il avait quitté le Sri Lanka en vue d’éviter les conséquences de son refus de se joindre aux TLET. Il a dit avoir quitté le Sri Lanka le 17 juin 2005 et être entré au Canada via Paris le lendemain.
[4] La Commission n’a pas cru le récit du demandeur quant à son itinéraire de voyage, au motif que le temps nécessaire pour effectuer le voyage aurait dû être plus long que la période alléguée. La Commission n’a pas accepté la proposition selon laquelle le demandeur avait habité au Sri Lanka jusqu’en juin 2005, puisqu’il a allégué avoir été assujetti à des restrictions de déplacements à une époque où il n’en existait aucune.
[5] La Commission a rejeté le récit non corroboré du demandeur quant à son itinéraire et son témoignage quant à ses allées et venues avant d’entrer au Canada. Par conséquent, la Commission a conclu que le demandeur n’avait ni établi une crainte subjective de persécution requise à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), ni présenté une preuve crédible selon laquelle il avait qualité de personne à protéger suivant l’article 97 de la même loi. Cependant, la Commission a accepté son identité en tant que jeune homme tamoul de la région de Jaffna.
[6] La principale question débattue par les parties est de savoir si la Commission a commis une erreur en omettant d’examiner le risque auquel pourrait être exposé le demandeur, indépendamment de toute question de crédibilité, lorsque son identité en tant que Tamoul a été acceptée.
III. ANALYSE
[7] Telle qu’elle est formulée au paragraphe 6, la question est une question de droit à laquelle s’applique la norme de contrôle de la décision correcte. La Commission n’a pas procédé à une analyse de l’article 97 après avoir conclu que le récit du demandeur quant à ses allées et venues avant son entrée au Canada n’était pas crédible.
[8] Dans la décision Balakumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 20, j’ai affirmé que la Commission devait procéder à une analyse distincte de l’article 97, même lorsque l’élément subjectif requis à l’article 96 est absent. Notamment, j’ai conclu comme suit au paragraphe 13 de cette décision :
Il n’est pas nécessaire qu’il y ait une séparation stricte entre l’examen des articles 96 et 97. Une conclusion selon laquelle l’élément objectif de l’article 96 n’a pas été satisfait pourrait, selon la situation, également régler la question de l’article 97. Cependant, une conclusion d’absence de l’élément subjectif requis à l’article 96 ne permet pas à la Commission d’omettre de tenir compte de l’élément objectif de crainte, particulièrement à l’égard de l’article 97. La façon dont l’examen est effectué ne devrait pas être établie par la Cour. Il importe seulement que l’examen soit effectué et qu’il paraisse l’avoir été.
[9] En l’espèce, même si le demandeur n’avait pas habité dans la région de Jaffna immédiatement avant son entrée au Canada, rien n’indique qu’il pouvait, suivant le rejet de sa demande, se rendre dans tout autre pays que le Sri Lanka ou dans tout autre région du Sri Lanka que la région de Jaffna.
[10] La Commission, ayant accepté l’identité du demandeur, n’a pas tenu compte de la preuve objective dont elle disposait quant à la situation au Sri Lanka ni de la nature et de l’ampleur du risque auquel serait exposé le demandeur dès son retour dans son pays d’origine.
[11] La question du risque objectif a été soulevée par le demandeur et la Commission disposait de documents sur lesquels elle pouvait se fonder. Il ne s’agit pas d’une situation où il y avait absence d’une demande ou de preuve relative à l’article 97 et où on s’est simplement fondé sur un droit autonome à l’analyse de l’article 97, indépendamment du fardeau qui repose sur le demandeur de plaider sa cause ou indépendamment du dossier de la preuve dans l’affaire. Le demandeur ne soutient pas non plus que tous les jeunes hommes tamouls ont le droit d’être protégés en raison de leur identité en soi.
[12] Compte tenu du dossier dont disposait la Commission, elle était tenue d’examiner la question du risque à l’article 97, malgré une conclusion relative à la crédibilité qui ne réglait pas cette question.
[13] Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci.
[14] Pour ce qui est de la certification d’une question, les parties auront le droit de présenter des observations avant la délivrance du jugement formel.
Ottawa (Ontario)
Le 14 janvier 2008
Traduction certifiée conforme
Isabelle D’Souza, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6516-06
INTITULÉ : THAYASEELAN SELLAN
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 28 NOVEMBRE 2007
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE PHELAN
DATE DES MOTIFS : LE 14 JANVIER 2008
COMPARUTIONS :
Micheal Crane
|
|
Kevin Lunney
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Micheal Crane Avocat Toronto (Ontario)
|
|
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |