Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2008
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN
ENTRE :
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. INTRODUCTION
[1] Bien que M. Anaere demande « tout simplement justice », le fait qu’il ait quitté le pays pendant deux ans alors que sa demande de citoyenneté était en instance a été la cause de ses difficultés. Il a omis de prendre la mesure la plus fondamentale pour protéger ses droits; il n’a pas demandé l’avis d’un professionnel. Toutefois, pour les motifs figurant aux présentes, la décision du juge de la citoyenneté doit être annulée parce qu’elle est très viciée.
II. LES FAITS
[2] Le demandeur est entré au Canada à titre d’immigrant reçu le 12 juillet 1999. En 2002, il a présenté une demande de citoyenneté canadienne. Il a ensuite quitté le Canada pour enseigner au Vietnam à titre de bénévole pendant deux ans dans le cadre du projet Entraide universitaire mondiale du Canada (EUMC) financé par l’Agence canadienne de développement international.
[3] Le demandeur n’a pas passé le l’examen des connaissances, il n’a pris aucune disposition pour le passer à l’extérieur du pays ou pour obtenir un report officiel. Malgré sa propre incurie, les responsables de la Citoyenneté ont inscrit à l’horaire l’examen à trois reprises, puis ils ont fermé le dossier.
[4] En mars 2005, le demandeur est retourné au Canada et, en mai 2005, il a de nouveau présenté une demande de citoyenneté canadienne. Cette fois‑là, il a échoué l’examen des connaissances et le juge de la citoyenneté a rejeté sa demande. Cette décision a fait l’objet d’un appel (dossier de la Cour fédérale no T-611-06) qui fut ultérieurement retiré.
[5] Sur l’avis des fonctionnaires de Citoyenneté et avant que son premier contrôle judiciaire ne soit entendu, le demandeur a présenté, pour la troisième fois, une demande de citoyenneté le 10 mai 2006. La période de temps pertinente aux fins de la preuve de résidence était la période comprise entre le 10 mai 2002 et le 10 mai 2006.
[6] Cette troisième demande de citoyenneté a été présentée au même juge de la citoyenneté qui avait rejeté la deuxième demande. Cette fois‑là, le juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur n’avait pas été physiquement présent pendant les 1 095 jours exigés et qu’il ne vivait pas régulièrement, normalement ou habituellement au Canada, et ce, contrairement au critère formulé dans Koo (Re) (C.F. 1re inst.) (1992), 59 F.T.R. 27.
III. L’ANALYSE
[7] En ce qui a trait à la norme de contrôle, j’accepte la jurisprudence générale de la Cour selon laquelle c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique à la conclusion relative à la résidence au Canada.
[8] Je rejette toute prétention selon laquelle il y avait quelque chose d’irrégulier dans le fait que le juge de la citoyenneté entende la troisième demande de citoyenneté après avoir entendu la deuxième demande.
[9] Toutefois, selon la preuve, un certain nombre de conclusions sont déraisonnables à la fois au titre du critère formulé dans Koo et à la fois au titre de la conclusion générale tirée quant à la résidence. Quelques unes de ces conclusions suffisent à prouver ce point.
[10] La première conclusion a trait à la question formulée dans Koo :
La forme de présence physique de la personne au Canada dénote‑t‑elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?
[11] La conclusion selon laquelle le demandeur a vécu normalement et habituellement au Vietnam fait abstraction de la preuve selon laquelle le demandeur a conservé ses effets personnels et ses comptes de banque au Canada et que les trois quarts de ses frais de subsistance étaient déposés dans son compte canadien. De plus, la conclusion fait abstraction de la nature de sa présence au Vietnam, laquelle était d’une durée temporaire et avait un but bien défini.
[12] La deuxième erreur, laquelle était liée à la première erreur, a trait à la question suivante :
L'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire, par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger?
Le juge de la citoyenneté a conclu que l’absence physique n’a pas été occasionnée par une situation temporaire et que le demandeur a vécu normalement et habituellement au Vietnam au cours de la période pertinente de quatre ans.
[13] Cette conclusion fait abstraction du fait que le demandeur a travaillé temporairement comme bénévole sur un projet précis au Vietnam pendant une période déterminée. Si le travail de missionnaire dans un pays étranger ne diminue pas nécessairement les liens d’une personne avec le Canada, il est difficile de voir la différence qualitative entre le travail de bénévole du demandeur pour une ONG canadienne et le travail de missionnaire (à l’exception du fait que ce dernier travaille pour une autorité supérieure). De même, en vertu de Koo, le fait d’accepter un emploi temporaire à l’étranger ne joue pas nécessairement contre un demandeur et c’est exactement dans cette situation que se trouve le demandeur.
[14] La troisième erreur a trait à la question suivante : Quelle est l’étendue des absences physiques? Le juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur entretenait un lien étroit avec le Vietnam au point de vue de l’emploi et au point de vue économique et social. Le juge de la citoyenneté a également conclu que le demandeur n’avait fourni aucun document prouvant qu’il avait des liens avec le Canada.
[15] Cette conclusion fait abstraction de la preuve documentaire déposée, laquelle comprenait, notamment, des copies du permis de conduire, de la carde d’assurance-maladie de l’Ontario, du passeport, des déclarations d’impôt et des relevés bancaires du demandeur.
[16] La conclusion fait également abstraction du fait que le demandeur a travaillé comme bénévole pour une ONG canadienne dans le cadre d’un projet financé par un organisme du gouvernement canadien. Il était déraisonnable de conclure que le demandeur n’avait pas d’attache importante avec le Canada.
IV. CONCLUSION
[17] Pour les motifs susmentionnés le présent appel est accueilli. La décision du juge de la citoyenneté est infirmée et l’affaire est renvoyée à un autre juge pour nouvel examen.
JUGEMENT
LA COUR STATUE QUE le présent appel est accueilli, la décision du juge de la citoyenneté est infirmée et l’affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour nouvel examen.
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1403-07
INTITULÉ : CHARLES IKECKUKWU ANAERE
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
(par vidéoconférence)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 8 JANVIER 2008
DATE DES MOTIFS : LE 10 JANVIER 2008
COMPARUTIONS :
Charles Ikechukwu Anaere
|
|
Negar Hashemi
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Charles Ikechukwu Anaere
|
|
John H. Sims, c.r. Sous‑procureur général du Canada Toronto (Ontario) |