Ottawa (Ontario), le 9 janvier 2008
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SIMPSON
ENTRE :
et
LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
INTRODUCTION
[1] Dana Sproule (la demanderesse) a souffert de lésions dues à des gestes répétitifs lorsqu’elle travaillait pour la Société canadienne des postes (SCP). Elle a par la suite été congédiée, puis elle a prétendu, dans une plainte qu’elle a déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), que la défenderesse n’avait prévu aucune mesure d’accommodement quant à ses déficiences. Le 4 décembre 2006, la Commission a rejeté sa plainte (la décision) en conformité avec l’alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi). Les présents motifs portent sur la demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse quant à cette décision.
L’HISTORIQUE
[2] Le 10 mai 2004, la demanderesse a commencé à travailler au centre de traitement du courrier de la SCP au 969, Eastern Avenue, à Toronto. Dans le cadre de ses tâches, elle devait lever des bacs remplis de lettres qui pesaient environ 25 livres.
[3] Six semaines plus tard, le 23 juin 2004, la demanderesse a commencé à avoir des problèmes avec ses avant‑bras et ses poignets. En conséquence, on lui a attribué une tâche dans le cadre de laquelle elle était davantage appelée à trier des lettres et moins appelée à lever des charges. Toutefois, en juillet, elle a commencé à ressentir des engourdissements et des picotements dans ses doigts.
[4] Le 18 août 2004, la demanderesse a cessé de travailler pour la SCP et, en conséquence des événements décrits ci‑dessous, elle a été licenciée le 8 février 2005 parce qu’elle n’a fourni aucun rapport médical expliquant son absence et parce qu’elle ne s’est pas présentée au travail malgré qu’on lui ait offert de l’accommoder.
[5] Comme le révèle l’examen qui suit, la SCP a remis à la demanderesse des formulaires de capacité fonctionnelle (FCF) qui ont été périodiquement remplis par des médecins après que ceux‑ci aient examiné la demanderesse. Les FCF étaient composés de quatre parties et comprenaient des directives à l’attention des médecins dans lesquelles on demandait d’expédier à la poste la copie blanche à la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail (CSPAAT). Il était également mentionné dans les FCF que la copie jaune devait être transmise à l’employeur mais il n’était pas mentionné par quel moyen elle devait l’être.
[6] Avant que la demanderesse quitte la SCP, le 18 août 2004, il semble que les FCF ont été envoyés par courrier à la SCP ou remis en main propre à la SCP par la demanderesse.
[7] Après que la demanderesse eut cessé de travailler, son employeur ne recevait plus ses FCF. La demanderesse a affirmé qu’elle avait signé une autorisation en vertu de laquelle les FCF seraient expédiés par courrier à la SCP et elle a présumé qu’ils avaient été reçus par la SCP pendant l’automne 2004 et au début de 2005. Toutefois, la SCP a prétendu que, au fur et à mesure que le temps s’écoulait et qu’elle continuait à se plaindre du manque de renseignements médicaux, la demanderesse aurait dû réaliser que sa présomption était erronée. De plus, la demanderesse n’a fait aucune mention de cette explication dans sa plainte à la Commission datée du 15 décembre 2005 (la plainte) ou dans son affidavit du 19 février 2007. Il n’y a donc eu aucun témoignage quant à la manière selon laquelle les FCF devaient être transmis à la SCP. Celle‑ci a prétendu qu’il revenait à la demanderesse de voir à qu’elle soit informée de ses troubles médicaux grâce aux FCF. La correspondance de la SCP demandant à la demanderesse de fournir des bilans médicaux étayant sa prétention.
LES FAITS
[8] Un FCF daté du 23 juin 2004 rempli par le Dr Sodhi, que la SCP a reçu, recommandait que la demanderesse ne plie pas ou ne tourne pas ses poignets de façon répétitive et ne lève aucune charge de plus de 2 kilos. Il lui était permis de faire du triage léger et lent. C’est ainsi que la demanderesse a été mutée au triage, une tâche qui comportait beaucoup moins de soulèvement de charges.
[9] Un FCF daté du 15 juillet 2004 et signé par le Dr Sodhi, que la SCP a également reçu, comprenait des limites semblables et mentionnait que les traitements de physiothérapie avaient commencé.
[10] Le 13 août 2004, le superviseur de la demanderesse lui a envoyé une lettre dans laquelle il lui offrait une tâche modifiée adaptée aux restrictions formulées dans son FCF d’alors. Cette lettre était ainsi libellée :
[Traduction]
Voici le résumé des discussions que nous avons eues le mercredi 11 août 2004 et le vendredi 13 août 2004.
Mme Sproule, vous prétendez avoir subi des « lésions dues à des gestes répétitifs » à vos deux poignets par suite de l’exécution de diverses tâches à la section des boîtes aux lettres publiques entre le 10 mai 2004 et le 23 juin 2004.
En raison des restrictions mentionnées par votre médecin dans des FCF datés du 23 juin 2004 et du 15 juillet 2004, c’est‑à‑dire « plier, tourner les poignets le moins possible et éviter les mouvements répétés avec les poignets » vous faites temporairement l’objet de mesures d’accommodement à Tri des rejets du courrier d'origine dans les conteneurs où vous devez trier des articles de courrier courts et longs.
Le mercredi 11 août 2004, vous m’avez mentionné que trier des articles de courrier courts et longs à Tri des rejets du courrier d'origine dans les conteneurs vous occasionne de la douleur et vous estimez que cela ne vous aide pas à guérir vos poignets parce que vous devez saisir le courrier avec les mains. Vous avez ensuite demandé que l’on prenne des mesures d’accommodement à votre égard au Centre de réparation du courrier mais lorsque je vous ai dit que les tâches exécutées au Centre de réparation du courrier exigent davantage que vous saisissiez les articles de courrier courts et longs plutôt que vous ne les trier, vous avez affirmé que vous étiez capable de taper sans douleur et que vous seriez capable de travailler à Système de vidéo‑codage. Je vous ai informé que Système de vidéo‑codage n’est pas disponible et que les restrictions mentionnées dans le plus récent FCF ne font pas mention de l’action de saisir. Je vous ai également mentionné que vos mesures d’accommodement sont fondées sur les documents émanant de votre médecin et que si votre état ne s’améliore pas ou change, vous devez le signaler à votre médecin et fournir un rapport médical à jour. Vous avez affirmé que vous étiez en congé le jeudi 12 août 2004 (jour de congé ordinaire) et que vous alliez voir votre médecin.
Le vendredi 13 août 2004, vous m’avez remis un FCF à jour. Cette fois‑là, les restrictions figurant sur le FCF ne faisaient mention que des restrictions quant à l’action de saisir par la main droite, mais la capacité s’est toutefois améliorée. Aucune restriction n’était mentionnée quant à la main gauche. Je vous ai souligné cela et vous avez déclaré que vous ne souscriviez pas à l’analyse de votre médecin et que vous vouliez que je communique avec lui. Je vous ai informé que ce n’est pas à moi qu’il revient de contester l’analyse de votre médecin et que si vous ne souscrivez pas à l’exactitude de ces renseignements, c’est à vous qu’il revient d’en discuter avec votre médecin.
Encore une fois, selon les renseignements fournis aujourd’hui, je vous ai offert un accommodement à Tri des rejets du courrier d'origine dans les conteneurs en la forme d’un appui bras ergonomique (la main gauche ne fait l’objet d’aucune restriction) ou travailler à la Section de tri préliminaire du courrier de boîtes aux lettres publiques uniquement. Vous avez refusé mes deux offres et vous avez insisté de nouveau sur le fait que vous seriez capable de travailler à Système de vidéo‑codage. Une fois de plus, je vous ai prévenu que vos mesures d’accommodement étaient temporaires, que vous ne possédiez pas la formation en matière de codage et qu’aucun poste n’était disponible à Système de vidéo‑codage à ce moment‑ci. Vous avez accepté de demeurer à Tri des rejets du courrier d'origine dans les conteneurs pour le restant de votre quart de travail et de consulter votre médecin. On vous a remis un autre FCF afin que vous le fassiez remplir par votre médecin.
La Société canadienne des Postes est obligée de fournir du travail en tenant compte des limites qui sont établies par les communautés médicales si vous estimez que vous n’êtes pas capable de travailler dans le cadre des restrictions ou des limites dont votre médecin a fait part à la Société, alors vous pouvez prendre vos congés de maladie jusqu’à ce que vous vous sentiez capable de retourner au travail et d’effectuer les tâches dans le cadre des limites qui ont été établies à votre égard.
Une copie de la présente lettre sera envoyée à CSPAAT.
[Non souligné dans l’original.]
[11] La SCP a par la suite reçu un FCF daté du 15 août 2004 signé par le Dr Sodhi. Celui‑ci comportait des restrictions quant à l’action de tourner, de plier ou d’effectuer des mouvements répétitifs avec les deux poignets et des interdictions quant à l’action de lever quelque charge que ce soit. Il y était également mentionné que les pouces et les index ne pouvaient pas se toucher afin de prendre quelque chose.
[12] Par la suite, un courriel de la SCP daté du 24 août 2004 montre que, le 24 août, la SCP a reçu un FCF daté du 18 août 2004. Il comportait les restrictions suivantes :
[Traduction]
Limitation quant à l’action de plier ou de tourner les poignets gauches et droits
Limitation quant aux mouvements répétitifs du pouce et de l’index de la main gauche et de la main droite
Limitation quant à l’exposition à la vibration : haute et basse fréquence
Le poignet gauche et le poignet droit ne peuvent pas effectuer des mouvements répétitifs avec l’index et le pouce, c’est‑à‑dire que le pouce ne peut pas être placé vis‑à‑vis l’index afin de prendre un objet
Lever un objet du plancher jusqu’à la taille : 0 kg
Lever un objet de la taille jusqu’aux épaules : 0 kg
[13] Le courriel mentionnait également que, à ce moment‑là, le superviseur de la demanderesse ne trouvait pas de poste pour la demanderesse dans sa section et qu’elle a donc demandé à d’autres superviseurs s’ils avaient du travail à offrir à la demanderesse ailleurs à la SCP.
[14] Le FCF du 18 août a été le dernier FCF que la SCP affirme avoir reçu.
[15] D’autres FCF ont toutefois été produits. Le dossier comprend un FCF émanant du Dr Sodhi, daté du 8 septembre 2004. Il y est fait mention de lésions dues à des gestes répétitifs aux deux poignets et d’une tendinite, il y est recommandé de ne lever aucune charge, de plier et de tourner les poignets le moins possible et de saisir le moins possible de façon répétitive des objets avec le pouce et l’index.
[16] Le 22 septembre 2004, le Dr Sodhi a rempli un autre FCF dans lequel il interdisait à la demanderesse de saisir des objets de façon répétitive avec le pouce et l’index de chaque main et de plier et de tourner les poignets. Il permettait toutefois à la demanderesse de lever des charges d’au plus 0,5 kg.
[17] La SCP a d’abord nié avoir reçu ce FCF mais son avocat a admis que, en fait, elle l’avait reçu parce que l’offre du 1er novembre 2004 décrite au paragraphe 23, ci‑dessous, fait expressément mention de l’action de lever des charges d’au plus 0,5 kg et c’est le seul FCF figurant au dossier dans lequel cela est permis.
[18] Dans une lettre datée du 23 septembre 2004 qu’elle a envoyée à la demanderesse, la SCP a affirmé qu’elle avait un poste à combler et que celui‑ci pouvait être modifié afin de pouvoir répondre aux limites d’alors de la demanderesse. La lettre était ainsi libellée :
[Traduction]
La présente fait suite à votre lettre concernant votre FCF en suspens. Le FCF qui vous a été remis comprenait des directives mentionnant que vous deviez le faire remplir par votre médecin de famille et le retourner dans les 48 heures. En date du 23 septembre 2004, la société n’a pas encore reçu le deuxième FCF.
Veuillez prendre les mesures nécessaires afin que le FCF soit rempli et qu’il nous soit retourné au plus tard le mercredi 29 septembre 2004 et nous prendrons les mesures d’accommodement qui conviennent à vos restrictions.
Comme vous le savez, la Société canadienne des postes a modifié la tâche disponible. Mme Sproule, vous devez vous présenter au travail le vendredi 1er octobre 2004 à 19 h 00.
Veillez trouver ci‑jointe une copie de votre plan de rotation.
(Groupe B/International)
Une rencontre sera fixée à ce moment‑là avec Tania Eaglesham, notre coordonatrice de réintégration des employés. Vous pouvez entrer en communication avec votre représentante syndicale, Donna Smith, au (416) 462-5009.
Au plaisir de vous accueillir parmi nous.
[19] La demanderesse ne s’est pas présentée au travail le 1er octobre 2004 et, par conséquent, le 7 octobre 2004 la SCP lui a envoyé une deuxième lettre dans laquelle elle l’a à nouveau informée qu’elle pourrait modifier ses tâches afin de répondre à ses restrictions d’ordre médicale. La SCP lui a demandé d’expliquer pourquoi elle était toujours absente ou, à défaut, de se présenter lors de son prochain jour de travail prévu à l’horaire et elle lui a dit que si elle ne se présentait pas au travail, des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement pourraient être prises contre elle. La demanderesse ne s’est toutefois pas présentée au travail et elle n’a envoyé aucun rapport médical à jour.
[20] Le 15 octobre, la SCP a envoyé une lettre similaire. Elle a demandé à la demanderesse de se présenter au travail le 21 octobre afin d’accomplir sa tâche modifiée, sinon elle devait expliquer la raison de son absence. La demanderesse n’a fait ni l’un ni l’autre.
[21] Le 1er novembre, la SCP a écrit à la demanderesse et elle a joint à sa lettre une copie d’un plan de travail et, pour la quatrième fois, elle a offert à la demanderesse un emploi modifié temporaire qui comportait des heures de travail réduites et du triage à l’aide d’une pince. Le pouce et l’index de la demanderesse ne devaient pas être utilisés et elle ne devait pas lever des charges de plus de 0,5 kg. Des limites quant à l’action de plier et quant aux mouvements répétitifs de ses deux poignets ont été incluses dans le plan de travail. Cette description de travail répondait aux exigences figurant dans le FCF du 22 septembre 2004. La SCP a demandé à la demanderesse de se présenter au travail le 8 novembre. Celle‑ci ne l’a pas fait et elle n’a produit aucun rapport médical à jour.
[22] Le 15 novembre, la SCP a demandé à la demanderesse, par lettre, de répondre au plus tard le 17 novembre, puis elle l’a à nouveau menacée d’un éventuel congédiement. La demanderesse ne s’est pas présentée au travail et n’a envoyé aucun rapport médical.
[23] La demanderesse a répondu le 17 novembre 2004. Elle a envoyé une note à la SCP dans laquelle elle a affirmé que ses blessures l’empêchaient d’accepter le poste modifié et qu’elle n’irait pas travailler. Elle a demandé à la SCP d’entrer en communication avec un nouveau médecin (le Dr Ballard) et elle a demandé à la SCP de lui envoyer un FCF. Elle n’a soumis aucun rapport du médecin afin d’étayer son opinion selon laquelle elle n’était pas capable de trier le courrier avec une pince et qu’elle n’était pas capable de lever des charges de 0,5 kg.
[24] Le dossier comprend un FCF, daté du 24 novembre 2004, émanant du Dr Sodhi, dans lequel l’autorisation de lever des charges pouvant aller jusqu’à 0,5 kg était retirée et dans lequel il était à nouveau recommandé que la demanderesse ne lève aucune charge. La SCP n’a toutefois pas reçu ce formulaire.
[25] De plus, le 24 novembre 2004, la SCP a envoyé à la demanderesse une lettre dans laquelle elle lui demandait de produire des rapports médicaux supplémentaires qui devaient lui être envoyés au plus tard le 8 décembre. La demanderesse affirme toutefois qu’elle n’a pas reçu cette lettre et que c’était peut-être parce que, contrairement aux autres lettres envoyées par la SCP, elle n’a pas été envoyée à son adresse domiciliaire.
[26] Une lettre, datée du 12 janvier 2005, envoyée par la SCP à la demanderesse révèle qu’elle devait se présenter au travail le 11 janvier et qu’elle ne s’est pas présentée, et ce, sans fournir aucune explication. La SCP a à nouveau menacée la demanderesse d’un éventuel congédiement et elle lui a demandé de se présenter au travail le 16 janvier 2005.
[27] Le 16 janvier, le demanderesse ne s’est pas présentée au travail et n’a produit aucun rapport du médecin expliquant son absence continue.
[28] Le 17 janvier 2005, la SCP a écrit ce qui suit à la demanderesse :
[Traduction]
La présente fait suite à la lettre qui vous a été envoyée le 12 janvier 2005 et dans laquelle nous vous avons demandé de vous présenter au travail lors de votre prochaine journée de travail prévu au calendrier ou de fournir une explication crédible et raisonnable quant à votre absence non autorisée. Nous vous avons également informé qu’à votre retour une tâche modifiée vous attendrait.
Nous vous avons également prévenue que si vous n’entriez pas en communication avec le soussigné comme on vous l’avait demandé, ou que si vous vous ne présentiez pas au travail comme prévu, la Société n’aurait pas d’autre choix que de conclure que vous n’avez aucunement l’intention de vous conformer et cela pourra entraîner la prise de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement de la Société canadienne des postes.
Comme, jusqu’à maintenant, vous n’avez pas répondu à notre demande, vos actions ont amené la Société à croire que vous n’avez pas l’intention de continuer à travailler à la Société canadienne des postes et votre absence continue est considérée comme étant une absence non autorisée sans solde.
Si vous ne vous présentez pas au travail au début de votre prochain quart de travail prévu pour le 22 janvier 2005 ou si vous ne fournissez aucune explication crédible et raisonnable quant à votre absence non autorisée, des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement de la Société canadienne des postes seront prises contre vous.
Une copie de la présente lettre sera déposée dans votre dossier personnel et nous communiquerons avec votre syndicat afin de discuter de votre emploi.
[29] Le 18 janvier 2005, la demanderesse a envoyé une télécopie à la SCP à propos du fait qu’elle n’était pas retournée au travail. Elle a affirmé ce qui suit dans cette télécopie :
[Traduction]
Ma blessure me nuit autant qu’auparavant. Je vous promets que je retournerai travailler dès que mon médecin me le permettra.
[30] Aucun rapport médical n’a été produit. De plus, le 18 janvier 2005, la CSPAAT a rejeté la demande de perte de revenus de la demanderesse parce qu’elle a conclu qu’elle n’était pas retournée au travail malgré qu’on lui ait fait de nombreuses offres de travail modifié.
[31] Le 20 janvier 2005, la SCP a écrit à la demanderesse pour lui dire qu’elle avait en main son billet du 18 janvier et qu’elle avait appris que le 18 janvier 2005 la CSPAAT avait rejeté sa demande (la première décision de la CSPAAT). La lettre de la SCP mentionnait également ce qui suit :
[Traduction]
[…]
Dans cette note, vous mentionnez que votre blessure vous nuit toujours et que vous retournerez travailler lorsque votre médecin vous le permettra. Je dois vous informer que cela ne satisfait pas à vos obligations prévues dans la convention collective et en vertu de laquelle vous devez produire un certificat médical lorsque vous vous absentez pour plus de 5 jours. Je remarque également que, jusqu’à maintenant, vous n’avez produit aucun document à l’appui de votre absence.
Vous êtes donc informée que vous devez vous présenter à votre quart de travail habituel, le samedi 22 janvier 2005 à 8 h 00, ou vous devez produire un certificat médical, accepté par la Société, à l’appui de votre absence jusqu’à maintenant.
Si vous ne vous conformez pas à ces directives, votre conduite sera considérée comme étant de l’insubordination et votre absence sera présumée être non autorisée. De plus, la Société peut prendre contre vous des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement, et ce, pour insubordination et absence non autorisée.
[32] La demanderesse n’a envoyé aucun rapport médical et ne s’est pas présentée au travail le 22 janvier 2005.
[33] Au lieu de cela, le 28 janvier 2005, la demanderesse a envoyé par télécopie une note à la SCP. Cette note était ainsi libellée :
[Traduction]
N’avez‑vous donc pas reçu les télécopies que je vous ai envoyées?!
Je vous ai dit que mon état n’avait pas changé! Le travail (modifié) que vos collègues m’ont demandé de faire ne convient pas à mes restrictions!
Je retournerai travailler lorsque mon médecin me dira que je peux retourner travailler!!
Vous n’avez pas à m’envoyer les mêmes lettres à chaque semaine!
Si j’étais capable de travailler présentement, j’irais travailler!!!
[34] La demanderesse ne s’est pas présentée au travail le 22 janvier et elle n’a envoyé aucun rapport du médecin. Dans une lettre datée du 25 janvier 2005, la SCP lui a ordonné de fournir des documents médicaux à l’appui de son absence ou de se présenter au travail le 29 janvier 2005. La SCP l’a informée qu’elle serait congédiée si elle n’obéissait pas aux directives. Elle n’a pas obéi.
[35] Le 8 février 2005, la demanderesse a été congédiée parce qu’elle ne s’est pas présentée au travail et parce qu’elle n’a fourni aucun document médical à l’appui de son absence du travail.
LA PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION
[36] Le 25 décembre 2005, la demanderesse a déposé sa plainte de discrimination parce que, selon elle, elle a été congédiée en raison de sa déficience.
[37] La SCP a déposé une réponse écrite à la plainte et a produit des copies de 12 lettres qu’elle a envoyées à la demanderesse pour lui demander de produire des rapports médicaux justifiant son absence du travail. La SCP a également remis à la Commission la première décision de la CSPAAT. La demanderesse a produit une réponse écrite, sept documents à l’appui ainsi qu’un affidavit signé par sa mère qui décrivaient son degré de déficience.
[38] En plus de recevoir ces documents écrits, la Commission a tenu deux téléconférences avec le représentant de la demanderesse et deux téléconférences avec le représentant de la SCP.
Le rapport préliminaire
[39] Le 8 août 2006, l’évaluateur de la Commission (l’évaluateur) a produit un rapport d’évaluation préliminaire (le rapport préliminaire). Les mentions suivantes décrivant le processus figuraient sur la première page.
[Traduction]
Le présent rapport vise à aider l’enquêteur à rédiger le rapport d’enquête pour les commissaires. Le rapport final d’enquête aidera les commissaires à décider si :
a) un conciliateur devrait être nommé afin de tenter de régler la plainte et/ou;
b) une autre enquête par un tribunal devrait être effectuée ou;
c) la plainte devrait être rejetée
[Non souligné dans l’original.]
[40] Ce rapport donnait clairement à entendre qu’un rapport final serait rédigé et qu’il serait le document qui serait remis à la Commission.
[41] Le rapport préliminaire concluait que la demanderesse n’avait produit aucun billet du médecin mentionnant que les tâches modifiées qu’on lui avait offertes ne lui convenaient pas et qu’elle avait été congédiée, non pas en raison de sa déficience mais pour un motif valable parce qu’elle avait abandonné ses tâches. Dans son analyse, l’évaluateur a souligné que, le 18 janvier 2005, la CSPAAT avait rejeté la demande de prestations d’invalidité déposée par la demanderesse au motif qu’une tâche modifiée adaptée à ses restrictions avait été créée.
Les réponses au rapport préliminaire
[42] Dans une lettre datée du 10 août 2006, la demanderesse a eu l’occasion de répondre au rapport préliminaire mais elle s’est fait dire, pour la première fois, que la Commission n’examinerait qu’une réponse comprennent au plus dix pages (la limite). La lettre mentionnait ce qui suit :
[Traduction]
[…]
Si vous désirez formuler des observations sur le rapport, vous pouvez le faire en m’écrivant à l’adresse mentionnée ci‑dessous […] Seules les 10 premières pages seront soumises à la Commission […]
[…]
[43] Malgré la limite imposée, la demanderesse a envoyé une lettre détaillée de cinq pages, datée du 24 août 2006 (la première lettre de réponse), et 58 pages de pièces jointes (les pièces jointes). La première lettre de réponse a été envoyée à la Commission mais les pièces jointes ont été retenues, et ce, en raison de la limite imposée.
[44] La première lettre de réponse comprenait un examen des faits et soulignait que la demanderesse avait étudié en Australie à titre d’étudiante ayant une déficience et s’était servie d’un ordinateur commandé par la voix et que, lors de son retour au Canada en juillet 2006, elle avait consulté le Dr Tick, qui était un spécialiste en lésions dues à des gestes répétitifs. Toutefois, le rapport du Dr Tick ne figurait pas dans les pièces jointes.
[45] La SCP a envoyé à la Commission une réponse d’une page, datée du 28 août 2006, dans laquelle elle a affirmé qu’elle souscrivait au rapport préliminaire.
[46] Dans une deuxième lettre de réponse, datée du 26 septembre 2006 (la deuxième lettre de réponse), la demanderesse a informé la Commission que la décision de la CSPAAT mentionnée dans le rapport préliminaire avait été renversée en appel. La lettre comprenait des passages importants de la décision rendue en appel. La Commission a notamment été informée que l’agent de règlement des appels de la CSPAAT avait conclu ce qui suit :
[Traduction]
L’emploi qui lui avait été ultérieurement offert comportait le geste répétitif qui consiste à saisir des objets par la main, et cela allait à l’encontre de ses restrictions.
[…]
Postes Canada lui a fait de nombreuses offres mais elles concernaient toutes le même emploi. Je ne suis pas convaincu par les prétentions de l’employeur selon lesquelles il a fait tout ce qu’il était possible pour l’accommoder.
[47] La deuxième lettre de réponse comprenait comme pièce jointe une lettre datée du 26 juillet 2006 émanant du Dr Tick. Cette lettre confirmait que, selon l’examen que le Dr Tick avait fait des FCF de la demanderesse datant de l’été et de l’automne 2004, la demanderesse n’aurait pas pu trier le courrier en utilisant une pince. La deuxième lettre de réponse et la lettre du Dr Tick ont été soumises à la Commission.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[48] La demanderesse affirme ce qui suit :
1. La limite imposée dans la lettre de la Commission du 10 août 2006 était illégale et son application dans les circonstances de l’espèce était injuste.
2. L’évaluateur qui a rédigé le rapport préliminaire était partial.
3. La Commission aurait dû être saisie de l’ensemble de la décision en appel de la CSPAAT et non pas seulement d’extraits fournis dans la deuxième lettre de réponse de la demanderesse.
4. L’évaluateur a été obligé de rédiger un rapport final dans lequel il était mentionné que la décision de la CSPAAT avait été renversée en appel et dans lequel les erreurs que la demanderesse avait relevées dans le rapport préliminaire ont été corrigées.
LA NORME DE CONTRÔLE
[49] Selon moi, ces points soulèvent tous des questions d’équité procédurale à l’égard desquelles il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence. Voir Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du travail), [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 100.
DISCUSSION et CONCLUSIONS
La question en litige no 1 La limite
[50] La Commission reconnaît que la limite imposée quant aux réponses figurant dans le rapport préliminaire n’est pas autorisée par la loi ou par un règlement, mais affirme qu’elle est le maître de sa propre procédure et qu’elle est donc autorisée à imposer cette limite. Elle reconnaît également que, en l’espèce, la limite a eu pour conséquence que les pièces jointes n’ont pas été soumises à la Commission.
[51] La première difficulté est que la première lettre de réponse, laquelle comprenait des pièces jointes, n’est pas comprise dans le dossier de la demande de la demanderesse. Certaines des pièces sont jointes à titre de pièce à l’appui de l’affidavit de la demanderesse. Toutefois, comme les descriptions des pièces jointes dans la lettre de la première réponse sont souvent générales et ne portent aucune date, il est difficile de savoir avec certitude si elles figurent au dossier.
[52] La lettre de la première réponse figure dans le dossier de la défenderesse mais elle ne comprend pas les pièces jointes.
[53] La deuxième difficulté est que la demanderesse n’a pas prétendu qu’elle a été lésée par le fait que la Commission n’a pas vu les pièces jointes. Selon moi, il incombait à la demanderesse de démontrer la pertinence des pièces jointes et le préjudice causé par le fait qu’elles n’ont pas été soumises à la Commission. On n’a formulé aucune observation selon laquelle les pièces jointes comprenaient des éléments de preuve importants.
[54] Par conséquent, selon le dossier dont je suis saisi, je ne peux pas conclure que l’imposition de la limite a privé la demanderesse de l’occasion de présenter une réponse complète au rapport préliminaire.
[55] En tirant cette conclusion, je tiens compte de la décision rendue par le juge Yves de Montigny dans Nikai c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1104, 297 F.T.R. 262. Dans cette affaire, le demandeur prétendait notamment qu’il avait été traité de façon inéquitable parce que sa réponse au rapport de l’enquêteur avait été limitée à dix pages. Le juge de Montigny a conclu que l’existence d’aucun préjudice n’avait été démontrée et que l’imposition de la limite n’équivalait pas à un manquement à l’équité procédurale.
La question en litige no 2 La partialité
[56] La question à trancher lorsqu’on examine une allégation de partialité est bien établie : « […] à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique […] ». Cette norme a été formulée par le juge de Grandpré à la page 394 de l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, et a été reprise avec approbation dans R. c. Valente, [1985] 2 R.C.S. 673.
[57] La demanderesse affirme que le rapport préliminaire était partial, et ce, pour les raisons suivantes :
· Au paragraphe 1, il décrivait l’état de la demanderesse comme étant une tendinite dans les deux avant‑bras sans mentionner les lésions dues à des gestes répétitifs. Selon la demanderesse, cela minimisait le tort qu’elle a subi;
· Au paragraphe 4, il mentionnait que la demanderesse étudiait en Australie à l’époque de l’enquête sans ajouter qu’elle bénéficiait de mesures d’accommodement à titre d’élève ayant une déficience et qu’elle n’avait quitté le Canada qu’après avoir été congédiée par la SCP;
· À la fin du paragraphe10, il mentionnait que la demanderesse refusait d’aller travailler, et ce, sans ajouter qu’elle craignait de se blesser davantage.
[58] En ce qui a trait à la première observation, la tendinite était une description exacte du mal dont souffrait la demanderesse. Il était fait mention de la tendinite dans le FCF du 8 septembre 2004 et dans la lettre du 26 juillet 2006 du Dr Tick. Le mot tendinite ayant été mentionné, il n’était pas nécessaire de décrire la cause du mal. Appliquant le critère décrit plus haut, selon moi, l’omission d’affirmer que des lésions dues à des gestes répétitifs ont causé la tendinite ne constitue pas un signe qu’il y a eu partialité et ne soulève pas une crainte raisonnable de partialité.
[59] En ce qui a trait à la deuxième observation, l’évaluateur a eu raison d’affirmer que la demanderesse étudiait en Australie. Selon moi, il était raisonnable de mentionner ce fait pour expliquer le fait qu’aucune entrevue personnelle n’ait eu lieu. Le fait que la demanderesse étudiait à titre d’étudiante ayant une déficience n’était pas pertinent au mandat de l’enquêteur qui consiste à établir si elle avait été congédiée en raison de sa déficience. Le fait que l’évaluateur a omis de mentionner un fait non pertinent ne signifie pas qu’il y a eu partialité.
[60] Enfin, la mention par l’évaluateur du refus de la demanderesse de se présenter au travail faisait partie de sa description du poste de la SCP et, à ce titre, elle était tout à fait exacte. Il avait déjà souligné au paragraphe 8 du rapport préliminaire qu’il s’agissait d’un fait contesté et que la demanderesse avait nié avoir abandonné son poste. Dans ce contexte, les remarques de l’évaluateur ne donnaient pas à penser qu’il y avait partialité de sa part. De plus, l’omission par l’évaluateur de mentionner que la demanderesse craignait de se blesser davantage si elle retournait travailler ne donnait pas à penser qu’il y avait partialité de sa part. Les opinions de la demanderesse n’étaient pas importantes, ce sont les opinions de son médecin qui auraient été pertinentes mais la SCP ne disposait pas de ces dernières avant son congédiement.
La question en litige no 3 La décision rendue en appel par la CSPAAT
[61] Au paragraphe 16 de son rapport préliminaire, l’évaluateur a souligné que la CSPAAT avait rejeté la demande de la demanderesse parce qu’elle avait la possibilité d’accepter, à la SCP, un poste modifié adapté à ses restrictions d’ordre médical.
[62] L’évaluateur a traité la décision initiale de la CSPAAT comme étant une partie importante de son analyse. Au paragraphe 9 de son rapport préliminaire, il a formulé des commentaires quant à l’obligation d’un employeur d’accommoder les employés. Il a affirmé ce qui suit :
[Traduction]
[…] Il est également reconnu qu’un employé est tenu, en contrepartie, de se monter coopératif quant à toutes les tentatives raisonnables d’accommodement. Compte tenu de l’évaluation de la CSPAAT de l’état de la plaignante et compte tenu du fait que la plaignante n’a pas collaboré avec l’employeur en vue de trouver un accommodement convenable (ou démontrer à l’employeur qu’elle était incapable d’accomplir aucune tâche modifiée) il n’est pas dans l’intérêt public d’enquêter plus à fond sur la plainte.
[63] Toutefois, dans sa deuxième lettre de réponse, la demanderesse a informé la Commission que la décision initiale de la CSPAAT avait été infirmée en appel et elle a mentionné des extraits de la décision révélant que la CSPAAT avait conclu que la SCP n’avait pris aucune mesure pour offrir à la demanderesse un poste adapté à ses restrictions. Selon moi, ces renseignements suffisaient à démontrer à la Commission qu’elle ne pouvait pas se fier aux commentaires formulés par l’évaluateur dans le rapport préliminaire à propos de la première décision de la CSPAAT.
La question en litige no 4 Absence de rapport final
[64] La demanderesse prétend que dans le rapport préliminaire on promettait la publication d’un rapport final d’enquête et que la Commission a agi de manière inéquitable parce que l’évaluateur n’a rédigé aucun rapport final qui englobe les renseignements compris dans la première et la deuxième lettre de réponse. Au lieu cela, l’évaluateur a tout simplement envoyé à la Commission le rapport préliminaire avec la première lettre de réponse (sans les pièces jointes) et la deuxième lettre de réponse avec les pièces jointes.
[65] Selon moi, on ne devrait pas mentionner dans un rapport préliminaire qu’un rapport final sera rédigé si ce n’est pas la pratique de la Commission. Toutefois, il faut mettre l’accent sur les renseignements soumis à la Commission et non pas sur la forme dans laquelle ils ont été soumis. Ce qui est important c’est que la Commission a reçu les commentaires et les corrections de la demanderesse portant sur le rapport préliminaire qui figuraient dans la première et la deuxième lettre de réponse. Dans ces circonstances, l’obligation d’équité a été respectée sans qu’un rapport final ne soit rédigé.
JUGEMENT
APRÈS avoir examiné les documents déposés et après avoir entendu les observations des avocats des deux parties à Toronto le mardi 11 septembre 2006.
LA COUR STATUE que, pour les motifs susmentionnés, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-37-07
INTITULÉ : DANA SPROULE
c.
LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 11 SEPTEMBRE 2007
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LA JUGE SIMPSON
DATE DES MOTIFS : LE 9 JANVIER 2008
COMPARUTIONS :
John R. Sproule
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Paul A. Young Natasha L. Savoline Christine Lee
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
John R. Sproule Oshawa (Ontario)
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Filion Wakely Thorup Angeletti, Avocats Toronto (Ontario) |