Ottawa (Ontario), le 8 janvier 2008
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN
ENTRE :
ARUMUGAM KANESA BALAKUMAR
BALAKUMAR ABINAYA
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. CONTEXTE
[1] La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a jugé que la demanderesse principale n’était pas crédible et a conclu que bien qu’elle, son mari et sa fille soient des Tamouls du Sri Lanka, ils avaient une possibilité de refuge intérieur (la PRI) à Colombo. Aucune analyse distincte de la demande relative à l’article 97 n’a été faite.
II. FAITS
[2] Les demandeurs ont allégué que les TLET avaient extorqué de l’argent à leur famille respective depuis 1984 environ. M. Balakumar travaillait au Moyen-Orient alors que Mme Balakumar travaillait à Batticaloa, au Sri Lanka. Ils se visitaient chacun leur tour.
[3] Mme Balakumar et sa fille, qui est sourde et muette, ont participé pendant un an et demi à un programme spécial en Inde visant la déficience de l’enfant. Par la suite, elles ont rejoint M. Balakumar au Qatar, où ils ont obtenu des visas américains pour que leur fille puisse participer à un autre programme. Avant de se rendre aux États-Unis, Mme Balakumar et sa fille sont retournées à Batticaloa en avril 2004.
[4] Les demandeurs ont allégué qu’en mai 2004, des représentants de la faction Karuna des TLET auraient tenté de leur extorquer de l’argent. Mme Balakumar a avisé son mari, qui était toujours à l’étranger, et il lui a dit de se rendre à Colombo où il leur avait trouvé un endroit où rester. Il les y a par après rejoint et la famille a quitté le pays pour se rendre aux États-Unis au début de juin 2004. Ce n’est pas avant la mi-août que la famille est entrée au Canada.
[5] La Commission a jugé que Mme Balakumar n’était pas crédible sur un aspect important : le nombre de fois qu’elle aurait reçu la visite des TLET.
[6] La Commission a conclu que M. Balakumar n’avait pas établi qu’il craignait avec raison d’être persécuté, puisqu’il ne résidait pas au Sri Lanka depuis un certain nombre d’années, il n’avait eu aucun problème à voyager pour aller visiter sa famille et il n’était recherché ni par le gouvernement ni par les TLET.
[7] Pour ce qui est des demandes de Mme Balakumar et de sa fille, il y avait deux éléments clés. Premièrement, il n’était pas crédible ou vraisemblable que Mme Balakumar ait été prise pour cible par les TLET ou ait autrement eu des problèmes avec ce groupe en mai 2004. Deuxièmement, la famille n’aurait pas eu à s’établir de nouveau à Batticaloa où Mme Balakumar avait travaillé, puisqu’ils auraient pu demeurer à Colombo.
III. ANALYSE
[8] Les demandeurs contestent les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la Commission, sa conclusion quant à la PRI et l’absence d’une analyse distincte de l’article 97.
[9] En ce qui a trait à la norme de contrôle, je souscris aux constatations de la décision Sarker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 353, selon lesquelles les conclusions relatives à la crédibilité et à l’existence d’une PRI sont assujetties à la norme de la décision manifestement déraisonnable. Cependant, la question de savoir si la Commission a appliqué le critère approprié en concluant à l’existence d’une PRI est une question de droit à laquelle il faut appliquer la norme de la décision correcte (voir Ezemba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1023). De même, la question de savoir s’il doit y avoir, en droit, une analyse distincte de l’article 97 est également une question de droit à laquelle il faut appliquer la même norme de la décision correcte.
[10] Compte tenu de ma conclusion en l’espèce, je ne ferai aucun commentaire quant aux conclusions relatives à la crédibilité. Toutefois, des erreurs sur d’autres points justifient que l’affaire soit renvoyée à la Commission.
A. L’analyse distincte de l’article 97 et la PRI
[11] La question portant sur l’analyse distincte de l’article 97 découle de la conclusion de la Commission selon laquelle l’exigence d’une crainte subjective n’avait pas été satisfaite puisque la crainte n’était pas crédible. Les demandeurs soutiennent que la Commission doit néanmoins tenir compte du fardeau de preuve objectif et plus strict lié à une analyse de l’article 97.
[12] Dans la décision Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1211, le juge Blanchard a souligné la nécessité d’un examen distinct des articles 96 et 97, même dans les cas où le fondement probatoire est le même. Même si l’élément subjectif de l’article 96 n’est pas crédible, la Commission est tenue de prendre en compte la preuve objective et le critère différent qui doit être appliqué à l’article 97, à savoir si selon la prépondérance des probabilités, le demandeur serait exposé aux risques ou aux menaces prévus à l’article 97.
[13] Il n’est pas nécessaire qu’il y ait une séparation stricte entre l’examen des articles 96 et 97. Une conclusion selon laquelle l’élément objectif de l’article 96 n’a pas été satisfait pourrait, selon la situation, également régler la question de l’article 97. Cependant, une conclusion d’absence de l’élément subjectif requis à l’article 96 ne permet pas à la Commission d’omettre de tenir compte de l’élément objectif de crainte, particulièrement à l’égard de l’article 97. La façon dont l’examen est effectué ne devrait pas être établie par la Cour. Il importe seulement que l’examen soit effectué et qu’il paraisse l’avoir été.
[14] La conclusion d’une PRI valable est en général suffisante pour trancher une demande présentée en vertu de l’article 97. Toutefois, comme je l’ai dit dans la décision Gnanasekaram c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 297, la Commission commet une erreur lorsqu’elle ne procède à aucune analyse du risque (dans cette affaire, comme en l’espèce, le risque à Colombo) dans une situation où la preuve du risque est présentée.
[15] En l’espèce, la Commission a simplement déclaré que la famille n’était pas nécessairement obligée de retourner à Batticaloa, mais pouvait se rendre à Colombo et y demeurer. La Commission a conclu : « Dans les circonstances actuelles, le tribunal estime que Colombo représenterait une option valable pour les demandeurs d’asile. »
[16] La Commission n’aborde pas la preuve des demandeurs et l’allégation de menace de la part des TLET envers les Tamouls qui vivent à Colombo. La Commission n’a pas tenu compte du fait que le groupe de TLET qui aurait abordé Mme Balakumar était lié au gouvernement.
[17] En l’espèce, la Commission a commis une erreur en omettant de tenir compte de la preuve qui portait atteinte à la conclusion relative à l’existence d’une PRI. Il semblerait que la Commission, ayant conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles, aurait omis de procéder à une analyse appropriée de l’article 97. Il s’agirait d’une erreur de droit. Dans la mesure où la conclusion relative à l’existence d’une PRI est considérée comme ayant réglé les questions portant sur l’article 97, cela est manifestement déraisonnable et constitue une erreur de droit, puisque la preuve de risque à Colombo n’a pas été prise en compte.
IV. CONCLUSION
[18] En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la Commission sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué.
[19] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification. Je suis d’accord.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué.
Traduction certifiée conforme
Isabelle D’Souza, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4558-06
INTITULÉ : SUTHA BALAKUMAR,
ARUMUGAM KANESA
BALAKUMAR et
BALAKUMAR ABINAYA
c.
LE MINISTRE DE LA
CITOYENNETÉ ET DE
L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 13 NOVEMBRE 2007
ET JUGEMENT : LE JUGE PHELAN
DATE DES MOTIFS : LE 8 JANVIER 2008
COMPARUTIONS :
Micheal Crane
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Gordon Lee
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Micheal Crane Avocat Toronto (Ontario)
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John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |