Ottawa (Ontario), le 11 janvier 2008
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN
ENTRE :
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
et
GREGORY CLYDE HUMPHREYS FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM DE WAYFARER TECHNOLOGIES
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s’agit des motifs du jugement oral rendu à l’audience le 9 janvier 2008, dans lequel j’ai conclu que M. Humphreys était coupable d’outrage au tribunal pour avoir désobéi à l’ordonnance du juge Gibson datée du 10 mai 2007 et à mon ordonnance datée du 6 novembre 2007.
[2] La présente instance fait suite à la procédure pour outrage entendue le 5 novembre 2007 lors d’une audience de justification portant sur l’outrage relatif à l’ordonnance du juge Gibson.
[3] Le 10 mai 2007, le juge Gibson a rendu une ordonnance exigeant du défendeur qu’il se conforme à la demande péremptoire concernant la communication de renseignements et de documents signifiée le 15 juillet 2005 relativement à une vérification au titre de la TPS. La condition pertinente de l’ordonnance prévoit :
LA COUR ORDONNE en vertu de l’article 231.7 de la LIR et de l’article 289.1 de la LTA que le défendeur se conforme à la demande péremptoire présentée par le ministre et qu’il fournisse sans délai et, quoi qu’il en soit, au plus tard 30 jours après avoir reçu signification de la présente ordonnance, les renseignements et les documents à un fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada exerçant les pouvoirs lui étant conférés par la LIR et la LTA ou à une autre personne désignée par le Commissaire des douanes et du revenu.
[4] Le demandeur a allégué que le défendeur avait omis de fournir les renseignements et les documents exigés, malgré le fait qu’il avait été présent durant l’audience d’exécution, qu’il avait consenti à l’ordonnance d’exécution et qu’il avait reçu signification de l’ordonnance en question.
[5] Le 5 novembre 2007, on a tenu une audience de justification à laquelle le défendeur a assisté et a témoigné. L’audience a été ajournée pour être remise à une date fixée par l’une ou l’autre des parties, et M. Humphreys s’est vu accorder une dernière occasion de fournir les renseignements et les documents conformément aux conditions auxquelles il avait consenti. Les conditions précises étaient énoncées comme suit :
Gregory Clyde Humphreys doit, vers 9 h, le vendredi 16 novembre 2007, à sa résidence située au 328 Weddenburn Road S.E., à Calgary, remettre aux représentants du ministre les dossiers dont la production a été ordonnée par le juge Gibson dans son ordonnance du 10 mai 2007.
[6] Dans son témoignage du 5 novembre 2007, M. Humphreys a déclaré qu’il avait envoyé les documents exigés à l’immeuble Hays à Calgary (l’immeuble fédéral dans lequel se trouvaient les hauts fonctionnaires responsables), le 20 juin 2007. M. Humphreys affirme que l’immeuble a fait l’objet d’une inondation, affirmation qui est appuyée par la preuve. Il a fourni des photos du contenant dans lequel se trouvaient apparemment les documents pertinents et qui aurait été endommagé pendant l’inondation. Le contenant a été retourné le 28 août 2007. M. Humphreys n’a pris aucune autre mesure en vue de transmettre les renseignements et les documents.
[7] À l’audience du 9 janvier 2008, les témoins du demandeur ont affirmé qu’ils s’étaient rendus à la résidence de M. Humphreys conformément à l’ordonnance du 6 novembre 2007. Avant de s’y rendre, Jason Sheppard, le fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) chargé du dossier, a écouté un message vocal que lui avait laissé M. Humphreys pour l’informer qu’il revenait de la Colombie-Britannique et qu’il prévoyait être présent pour la rencontre prévue à 9 h.
[8] Lorsque M. Sheppard et son associé, M. Wong, se sont présentés à la résidence de M. Humphreys, ils ont trouvé une note indiquant que la sonnette de porte ne fonctionnait pas et que les visiteurs devaient frapper à la porte ou téléphoner à M. Humphreys sur son cellulaire. M. Sheppard a suivi les directives de la note, mais n’a reçu aucune réponse, et a attendu pendant une demi-heure. M. Sheppard et M. Wong sont partis brièvement, mais sont retournés à la résidence de M. Humphreys vers environ 10 h et ont répété le processus sans succès. Malgré les efforts qu’ils ont faits pour vérifier s’il était présent, les témoins n’ont rien vu ni entendu (pas même la sonnerie du cellulaire) pouvant tendre à indiquer que M. Humphreys était chez lui.
[9] Exception faite de cette audience d’exécution, ni l’un ni l’autre des fonctionnaires n’a entendu parler de M. Humphreys depuis le 16 novembre 2007 relativement à la production des renseignements et des documents.
[10] Selon la preuve présentée par M. Humphreys, après être arrivé chez lui à 8 h le 16 novembre 2007 afin de rencontrer les fonctionnaires de l’ARC, il aurait subi une sorte de crise et serait tombé sur le plancher où il serait resté immobile de vendredi à dimanche. M. Humphreys affirme aussi avoir entendu M. Sheppard et avoir appelé à l’aide, et il accuse M. Sheppard d’avoir délibérément ignoré ses appels à l’aide.
[11] De plus, M. Humphreys allègue que suivant le 16 novembre 2007, il aurait téléphoné à M. Sheppard à deux reprises et lui aurait laissé des messages vocaux; ce dernier ne l’aurait toutefois pas rappelé. M. Sheppard nie avoir reçu ces appels.
[12] En plus d’avoir eu l’occasion de témoigner, M. Humphreys a eu droit à une certaine latitude par rapport aux règles habituelles, ce qui lui a permis de déposer un affidavit auquel il a joint ce qui, selon lui, constituait les éléments de preuve à l’appui de ses troubles médicaux. Les éléments de preuve en question sont : une ordonnance datée du 30 avril 2007 pour des comprimés Tylenol 3, une note d’un médecin datée du 3 décembre 2007 indiquant que M. Humphreys est malade et incapable de travailler (malgré le fait qu’il ne travaillait pas depuis un certain temps déjà avant la rédaction de la note), une demande d’analyse sanguine, une demande de tomodensitogramme et des articles du Brain Injury Resource Center.
I. PRINCIPES JURIDIQUES
[13] L’alinéa 466b) des Règles des Cours fédérales prévoit qu’est coupable d’outrage au tribunal quiconque désobéit à une ordonnance de la Cour.
[14] Les principes applicables pour déterminer si une personne est coupable d’outrage au tribunal sont les suivants :
1. Il incombe à la partie qui allègue l’outrage de le prouver, et l’auteur prétendu de l’outrage n’a pas à présenter des éléments de preuve à la Cour.
2. Les éléments constitutifs de l’outrage doivent être établis hors de tout doute raisonnable.
3. En cas de désobéissance à une ordonnance de la Cour, il faut établir les éléments suivants : l’existence de l’ordonnance de la Cour, le fait que l’auteur prétendu de l’outrage connaissait l’existence de l’ordonnance et la désobéissance délibérée à l’ordonnance.
4. Sauf directives contraires de la Cour, les témoignages en vue d’établir l’outrage sont donnés oralement.
[15] Le pouvoir de sanction pour outrage au tribunal que possède la Cour a pour objet fondamental d’assurer le respect du processus judiciaire et, de ce fait, le bon fonctionnement du système judiciaire. En résumé, la règle de droit exige que les ordonnances rendues par les tribunaux soient respectées.
II. CONSTATATIONS
[16] La présente affaire porte sur la crédibilité du récit de M. Humphreys, récit qui est en grande partie non corroboré et qui contredit directement de nombreux points importants du récit des fonctionnaires de l’ARC. En cas de contradiction directe, comme pour ce qui est de la question de savoir si des appels téléphoniques ont été faits ou si des appels à l’aide ont été ignorés, j’accepte la preuve présentée par les fonctionnaires de l’ARC puisqu’elle est claire, constante et objective.
[17] En ce qui concerne le reste du témoignage de M. Humphreys, je juge que M. Humphreys n’est pas crédible. J’ai observé sa façon de présenter son dossier et de répondre aux questions, le fait qu’il abandonnait ses déclarations catégoriques lorsqu’on le confrontait, ses tentatives manifestes de susciter de la compassion, comme en laissant sa bouteille de pilules à la vue de tous sur la table réservée aux avocats, et les contradictions dans son témoignage (par exemple, le fait qu’il était capable de se rendre fréquemment en Colombie-Britannique en voiture pour aller voir sa mère et son allégation selon laquelle sa vue était tellement mauvaise qu’il ne pouvait pas réunir les documents exigés). Cette contradiction est aggravée par le fait que M. Humphreys a été en mesure de préparer un affidavit détaillé lorsque ses intérêts étaient en jeu.
[18] À la lumière de la preuve, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable que :
1. M. Humphreys connaissait l’existence des deux ordonnances de la Cour.
2. Bien que j’aie des doutes quant au témoignage de M. Humphreys selon lequel il a fourni des documents à l’ARC en juin 2007, M. Humphreys a même admis être au courant depuis le début du mois de septembre que l’ARC n’avait pas les renseignements requis. Il n’a pris aucune mesure en vue de se conformer à l’ordonnance du juge Gibson.
3. Sa description des événements du 16 novembre 2007, événements qui l’auraient empêché de remettre les documents, n’est pas crédible.
4. Il ne s’était pas conformé à l’ordonnance de la Cour du 16 novembre 2007 à l’époque et ne s’y est toujours pas conformé.
5. M. Humphreys a agi en toute connaissance de cause de façon à faire obstacle à la demande de production de renseignements et de documents ordonnée par la Cour (et il a réussi en grande partie).
[19] L’outrage de M. Humphreys est continu et ne constitue pas un incident isolé. Il est possible de soutenir que chaque jour où le défendeur a sciemment refusé de se conformer à l’ordonnance constituait un outrage. M. Humphreys a admis avoir les renseignements et les documents chez lui, mais il n’a fait aucun effort pour les fournir, même dans le cadre de la présente instance qui fait suite à la procédure pour outrage.
III. CONCLUSION
[20] Par conséquent, je conclus que M. Humphreys est coupable d’outrage au tribunal pour avoir désobéi en toute connaissance de cause aux ordonnances de la Cour du 10 mai et du 6 novembre 2007.
[21] Dans l’arrêt Warman c. Winnicki, 2007 CAF 52, la Cour d’appel a énoncé clairement que les procédures pour outrage comportent au moins deux étapes distinctes. Tout d’abord, il faut que la personne soit déclarée coupable d’outrage au tribunal et, ensuite, il faut qu’il y ait une audience de détermination de la peine.
[22] Une audience de détermination de la peine sera mise au rôle dès que possible, et sera tenue par vidéoconférence s’il le faut. Le défendeur devra être prêt à traiter des questions d’incarcération, de peine et de condamnation aux dépens.
[23] Le défendeur est toujours visé par l’ordonnance de la Cour lui enjoignant de produire les renseignements et les documents, et ce, sans délai.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. Gregory Clyde Humphreys est coupable d’outrage au tribunal pour avoir désobéi aux ordonnances de la Cour du 10 mai 2007 et du 6 novembre 2007.
2. Une audience de détermination de la peine doit être mise au rôle dès que possible. Le demandeur doit obtenir une ordonnance fixant la date de l’audience de détermination de la peine.
3. Le demandeur doit signifier les présents motifs de l’ordonnance et l’ordonnance, ainsi que toute ordonnance de mise au rôle, à M. Humphreys en personne ou en laissant une copie de ces documents à la résidence de M. Humphreys située au 328 Weddenburn Road S.E., à Calgary, en Alberta.
Traduction certifiée conforme
Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-508-07
INTITULÉ : LE MINISTRE DU REVENU
NATIONAL
c.
GREGORY CLYDE HUMPHREYS
FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM
DE WAYFARER TECHNOLOGIES
LIEU DE L’AUDIENCE : CALGARY (ALBERTA)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 9 JANVIER 2008
ET ORDONNANCE : LE JUGE PHELAN
DATE DES MOTIFS
ET DE L’ORDONNANCE : LE 11 JANVIER 2008
COMPARUTIONS :
Margaret McCabe
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Gregory Humphreys
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Edmonton (Alberta)
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Aucun |