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Date : 20071224

Dossier : IMM-4355-06

Référence : 2007 CF 1360

Ottawa (Ontario), le 24 décembre 2007

EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF

 

 

ENTRE :

BERHANE TEWOLDE BERAKI

ROZENA KEFLE GHEBREMARIAM

MICHAEL BERHANE TEWOLDE

NATSINET BERHANE TEWOLDE

YIKEALO BERHANE TEWOLDE

DANIEL BERHANE TEWOLDE

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE JUGEMENT MODIFIÉS ET JUGEMENT

 

[1]        Les membres de la famille du demandeur sont des citoyens de l’Érythrée à qui la Section de la protection des réfugiés a reconnu le statut de réfugiés au sens de la Convention en 2004. Leur demande de résidence permanente au Canada en tant que personnes à protéger a été refusée. L’agente d’immigration a estimé que M. Beraki était interdit de territoire parce qu’il avait déjà été membre du Front de libération de l’Érythrée (FLE), une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre au terrorisme ou à la subversion au sens de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

[2]        Le défendeur reconnaît que l’agente d’immigration a commis une erreur de droit en concluant que les membres de la famille de M. Beraki étaient également interdits de territoire, pour la simple raison que ce dernier avait été déclaré interdit de territoire. En conséquence, il a été convenu que la Cour rendrait une ordonnance annulant la déclaration d’interdiction de territoire visant les membres de la famille de M. Beraki.

 

[3]        Voici ce que l’agente d’immigration a expliqué pour conclure que le FLE se livrait à du terrorisme :

            [traduction]

On ne trouve aucune définition du terrorisme en droit interne ou en droit international. Toutefois, une recherche sur le moteur de recherche Google sur Internet permet de constater qu’une organisation terroriste est « un mouvement politique qui recourt à la violence comme moyen d’atteindre ses objectifs » ou encore une « organisation qui se livre à des tactiques terroristes. On les appelle également (avec unE connotation plus neutre) des organisations militantes » (www.google.ca) (sic)

 

 

 

[4]        Dans ses motifs, l’agente d’immigration ne précise pas davantage comment elle a compris et appliqué la définition du terrorisme (Jalil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 246, aux paragraphes 31 et 32; Naeem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 123, au paragraphe 46; Mekonen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1133, aux paragraphes 28 et 29). On trouve par ailleurs certaines explications au sujet du sens du mot « terrorisme » dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, aux paragraphes 93 à 98.

 

[5]        En ne démontrant pas dans sa décision qu’elle saisissait bien le sens du mot « terrorisme », l’agente d’immigration a commis une erreur justifiant notre intervention; sa décision ne saurait résister à un « examen assez poussé ». La demande de contrôle judiciaire de M. Beraki sera accueillie. Il n’est pas nécessaire d’examiner les autres moyens qu’il a invoqués.

 

[6]        Ainsi que les deux avocats l’ont convenu, l’ordonnance faisant droit à la présente demande de contrôle judiciaire en ce qui concerne tous les demandeurs précisera que l’instance visant à octroyer la résidence permanente aux membres de la famille de M. Beraki sera instruite séparément, et que la demande de M. Beraki sera déférée à un autre agent d’immigration pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

Demande fondée sur l’article 87

 

[7]        L’article 87 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est la disposition législative qui permet au défendeur de demander à la Cour d’interdire, pendant toute la durée de l’instance en contrôle judiciaire, la divulgation de tout renseignement versé au dossier de la Commission. Il convient de formuler quelques observations incidentes au sujet de l’expérience récente de la Cour en la matière, en faisant remarquer que la Cour les exprime sans avoir eu l’avantage d’entendre les arguments des deux avocats.

 

[8]        Premièrement, le défendeur doit s’efforcer de faire davantage diligence pour réclamer la réparation prévue à l’article 87. Dans le cas de la présente instance et d’autres instances, la demande fondée sur l’article 87 a été présentée à ce point tardivement que la date d’audience sur le fond de la demande de contrôle judiciaire a dû être fixée de nouveau, ce qui va à l’encontre de la saine administration de la justice.

 

[9]        Deuxièmement, une partie du retard s’explique par les communications limitées, voire inexistantes, entre l’avocat qui représente le défendeur dans l’instance en contrôle judiciaire et l’avocat qui représente l’institution fédérale compétente, le plus souvent le Service canadien du renseignement de sécurité, qui réclame l’interdiction de divulguer certains renseignements. Une meilleure communication entre ces deux avocats du gouvernement ne peut que favoriser le bon déroulement de la procédure en ce qui concerne la demande fondée sur l’article 87.

 

[10]      Troisièmement, dans la présente instance du moins, d’importantes parties de l’affidavit secret de la déclarante auraient dû être versées au dossier public, comme la déclarante l’a elle-même reconnu lors de son interrogatoire à l’audience ex parte. À l’avenir, tous les intéressés voudront certainement que le principe de la publicité des débats soit mieux respecté dans le cadre des demandes présentées en vertu de l’article 87.

 

[11]      À la suite des audiences ex parte qui ont eu lieu dans le cadre de la présente instance, la Cour a prononcé une ordonnance dans laquelle elle précisait les éléments du dossier de la Commission qui ne porteraient pas atteinte à la sécurité nationale, malgré les affirmations contraires initiales de la déclarante. La déclarante est une agente du renseignement expérimentée du SCRS. En tant que membre du service de renseignements canadien, elle est en principe formée pour garder secrets les renseignements qu’elle possède. Il aurait été utile pour la déclarante et pour l’instance introduite en vertu de l’article 87 qu’elle bénéficie de l’aide d’un fonctionnaire ayant des antécédents professionnels différents des siens avant de décider quelles parties du dossier de la Commission il y a lieu de supprimer. La portée trop large de la déclaration de confidentialité, qui a été faite de bonne foi, aurait pu être évitée si une telle personne avait pu la conseiller. Il aurait pu s’agir par exemple d’un fonctionnaire qui préconise la publicité des débats, qui aborde la question d’un autre point de vue et qui aurait travaillé en collaboration avec la déclarante, ce qui aurait permis d’aboutir à une solution plus équilibrée.

 

[12]      En quatrième lieu, les responsables de l’élaboration des politiques souhaiteront peut-être tenir compte de l’apparente incapacité de la Cour, dans le régime législatif actuel, d’ordonner la divulgation de renseignements qui, selon ce qu’elle détermine, ne sont pas sensibles. Lorsque la Cour estime que la divulgation de renseignements ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale et qu’elle peut aider la partie autre que l’État dans sa demande de contrôle judiciaire, il semble que la Cour n’ait pas le pouvoir d’en ordonner la divulgation. Lorsque la partie autre que l’État a le fardeau de la preuve dans le cadre de l’instance en contrôle judiciaire, on a le sentiment que le défaut de poids juridique permettant de contraindre la partie adverse à divulguer pareils renseignements pourrait constituer une injustice.

 

[13]      Espérons que les présentes observations pourront être utiles aux hauts fonctionnaires du ministère de la Justice lorsqu’ils examineront des moyens d’améliorer la procédure prévue à l’article 87.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

2.      La décision en date du 24 juillet 2006 par laquelle l’agente d’immigration a rejeté, sur le fondement de ses motifs du 27 juin 2006, la demande de résidence permanente des demandeurs est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

3.      Le réexamen de la demande de résidence permanente des demandeurs Rozena Kefle Ghebremariam, Michael Berhane Tewolde, Natsinet Berhane Tewolde, Yikealo Berhane Tewolde et Daniel Berhane Tewolde s’effectuera indépendamment du réexamen de la demande de Berhane Tewolde Beraki.

 

 

« Allan Lutfy »

Juge en chef

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4355-06

 

INTITULÉ :                                       BERHANE TEWOLDE BERAKI et autres

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

LIEU DES AUDIENCES :                OTTAWA (ONTARIO) ET TORONTO (ONTARIO)

 

DATES DES AUDIENCES :                        AUDIENCES EX PARTE : 6 ET 22 NOVEMBRE 2007

                                                CONTRÔLE JUDICIAIRE : 27 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE EN CHEF LUTFY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 21 DÉCEMBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

POUR LES DEMANDEURS

Bernard Assan

 

Florence Clancy

POUR LE DÉFENDEUR, LE MCI

 

POUR LE DÉFENDEUR, LE SCRS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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