Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20071213

Dossier : IMM-4292-06

Référence : 2007 CF 1312

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE FRENETTE

 

 

ENTRE :

MUHAMMAD AFZAL UL HAQUE, ZARRIN AFZAL, KIRIN AFZAL, MUHAMMAD SALMAN AFZAL, MOHAMMAD NOMAN AFZAL, MOHAMMAD RAHEEL AFZAL, MUHAMMAD ADEEL AFZAL

 et MOHAMMAD ANEEL AFZAL

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) qui vise une décision rendue le 27 juin 2006 et reçue le 27 juillet 2006 par laquelle une agente d’examen des risques avant renvoi (l’agente d’ERAR) a rejeté la demande relative à l’ERAR des demandeurs fondée sur l'article 97 de la LIPR. L’agente a conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés au risque d’être soumis à la torture, à une menace à leur vie ou au risque de traitements cruels et inusités s’ils retournaient au Pakistan.

 

REQUÊTE PRÉLIMINAIRE

[2]               Dès le début de la présente audience, l’avocat de l’intimé a soulevé une question de droit en soulignant que, depuis la décision de l’agente d’ERAR qui avait été rendue le 27 juin 2006, une autre décision relative à l’ERAR a été rendue le 20 septembre 2006, laquelle présentait la même conclusion, ce qui a eu pour effet de rendre le contrôle judiciaire de la première décision théorique. L’avocat du demandeur a répliqué que, du consentement mutuel des parties, il a été établi que les deux décisions d’ERAR ont été rendues par la même agente qui s’est fondée sur les mêmes faits, puisque aucune nouvelle preuve n’a été produite, et qui en est arrivée à la même conclusion. Les demandeurs allèguent que l’agente a commis les mêmes erreurs. La présente audience est donc nécessaire pour régler les questions contestées.

 

[3]               À mon avis, la demande de contrôle judiciaire de la première décision ne revêt pas un caractère théorique étant donné que les questions soulevées n’ont pas encore été tranchées. Même si cette demande de contrôle judiciaire pouvait être considérée comme théorique, j’accepterais d’entendre la présente affaire en exerçant ainsi le pouvoir discrétionnaire avalisé dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] A.C.S. no 14, [1989] 1 R.C.S. 342. Par conséquent, la requête fondée sur le caractère théorique est rejetée.

 

EXPOSÉ DES FAITS

[4]               Les faits de la présente affaire sont exposés dans la décision de l’agente d’ERAR. Les demandeurs sont des citoyens du Pakistan. Le demandeur principal, Afzal, est le père de la famille et il est âgé de 49 ans. Les autres demandeurs sont la mère Zarrin, âgée de 45 ans, et leurs six enfants; Raheel, 26 ans, Aneel, 24 ans, Adeel, 23 ans, Salman, 19 ans, Kiran, 18 ans, et Norman, 13 ans. Le père, la mère et leurs trois enfants les plus âgés sont nés au Pakistan. En 1985, la famille a déménagé pour le travail aux Émirats arabes unis (les EAU), où les trois enfants les plus jeunes sont nés. En tant que membres de la famille de travailleurs étrangers, les enfants n’étaient pas admissibles à la citoyenneté dans ce pays. En 1999, le fils aîné, Raheel, a atteint l’âge de 18 ans, perdant ainsi le droit, en vertu des lois des EAU, d’obtenir un visa sur le fondement de l’emploi de son père. Raheel et sa mère sont allés au Pakistan où ils allèguent que des membres du Mouvement Mohajir Qaumi (le MQM) ont abordé Raheel et tenté de le recruter. Raheel et sa mère sont retournés aux EAU et, étant dans l’impossibilité d’y demeurer pour une période de plus de deux mois, Raheel s’est rendu aux États‑Unis en 2000 muni d’un visa. La même année, Aneel, alors âgé de 18 ans, et Adeel, âgé de 17 ans, sont allés le rejoindre.

 

[5]               Peu après leur arrivée aux États-Unis, Adeel a été déclaré schizophrène. Afzal, le père, a présenté une demande de visas pour que la famille puisse aller rejoindre Adeel aux États‑Unis vers le milieu de l’année 2001. Les demandeurs allèguent que les visas avaient été délivrés mais qu’en raison des attentats du 9 septembre il était dangereux pour des ressortissants pakistanais de se rendre aux États-Unis.

 

[6]               En août 2003, Aneel est arrivé au Canada où il a présenté une demande d’asile. Cette dernière a été rejetée, et la Cour a rejeté la demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision. De plus, en août 2003, le père, la mère et les trois enfants les plus jeunes sont allés au Pakistan rendre visite à un parent malade. Les demandeurs allèguent que, pendant leur séjour, Salman a été enlevé par le MQM et qu’une rançon a été réclamée. Ils n’ont pas signalé l’incident à la police, mais plutôt fait appel à un membre de la famille qui a négocié avec les ravisseurs pour obtenir la libération de Salman. La famille est ensuite retournée aux EAU avant d’aller rejoindre Raheel et Adeel qui résidaient toujours aux États-Unis. En mars 2004, la famille est venue au Canada où elle a demandé l’asile en faisant valoir qu’elle craignait d’être persécutée par le MQM. La demande d’asile des demandeurs a été rejetée, et ils se sont vu refuser l’autorisation de demande de contrôle judiciaire de cette décision.

 

[7]               En mai 2006, les demandeurs (sauf Aneel) ont présenté une requête en réouverture de leur demande d’asile en invoquant la décision rendue dans l’affaire Thamotharem c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 16. La Section de la protection des réfugiés ne statuera pas sur cette requête jusqu’à ce que la Cour d’appel fédérale ait tranché l’appel de la décision rendue dans l’affaire Thamotharem.

 

[8]               En mars 2006, les demandeurs ont présenté des demandes d’ERAR et sollicité que les demandes des huit membres de la famille soient examinées conjointement. Ces demandes d’ERAR étaient fondées sur les motifs suivants : i) la crainte de recrutement par le MQM, ii) les problèmes de santé de Raheel et d’Aneel et la disponibilité de traitements au Pakistan, ainsi que iii) les difficultés vécues par la famille. Dans une décision rendue le 27 juin 2006 et transmise aux demandeurs le 27 juillet 2006, l’agente a rejeté les demandes. Le présent contrôle judiciaire porte sur cette décision de l’agente.

 

[9]        La Cour a déjà rejeté la requête présentée par les demandeurs en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi dont ils faisaient l’objet. En fait, les demandeurs, sauf Afzal and Aneel, ont quitté le Canada pour le Pakistan le 12 septembre 2006. Avant leur départ, ils ont présenté une deuxième demande d’ERAR qui a été rejetée le 20 septembre 2006. Les renvois d’Afzal et Aneel ont été fixés à une date ultérieure étant donné qu’Aneel doit demeurer au Canada en raison des accusations d’agression sexuelle et de harcèlement dont il fait l’objet.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DE CONTRÔLE

[10]      L’agente a commencé son analyse en soulignant que la question de la protection de l’État était déterminante dans l’évaluation des risques. Elle a lu attentivement la preuve documentaire et soigneusement examiné les systèmes politique, judiciaire et juridique mis en place au Pakistan. Elle a également examiné la preuve documentaire concernant le MQM et les activités qu’il exerce au Pakistan. Elle a accordé peu d’importance aux éléments documentaires fournis par les demandeurs, tels que des lettres rédigées par des parents, étant donné que ces éléments émanaient d’une partie qui n’était pas désintéressée. En outre, l’agente a ajouté que la situation régnant au Pakistan, telle que décrite dans la preuve documentaire présentée par les demandeurs, n’était pas étayée par l’information objective obtenue à la suite des recherches. Enfin, elle a accordé davantage d’importance aux renseignements figurant dans les rapports objectifs relatifs à la situation du pays. Elle a conclu que la preuve documentaire objective n’appuyait pas la prétendue crainte des demandeurs d’être persécutés par le MQM. De plus, l’agente a conclu qu’il existait une protection adéquate de l'État étant donné que les demandeurs pouvaient bénéficier de voies de droit régulières.

 

[11]      Quant à la question de la capacité de l’État de fournir des soins médicaux adéquats pour les deux fils, Aneel chez qui on a diagnostiqué le trouble bipolaire et Adeel chez qui on a diagnostiqué une schizophrénie paranoïde, l’agente a examiné les lettres des médecins et les articles fournis par les demandeurs au sujet du traitement des troubles psychologiques au Pakistan. Elle a relevé que certains de ces articles traitaient de l’établissement de diagnostics et de traitement de patients dans des régions éloignées du pays, tandis que les demandeurs vivaient dans une grande ville, Karachi. Elle a indiqué que, lue dans son intégralité, la preuve documentaire révélait que le Pakistan comptait d’importants établissements de soins de santé tant publics que privés. Elle a également précisé que, quoi qu’il en soit,  selon le sous-alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR, il faut que  « la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats ».

 

[12]      Enfin, l’agente a conclu qu’il n’existait pas plus qu'une simple possibilité que les demandeurs soient persécutés s’ils devaient retourner au Pakistan.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[13]      a)         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            b)         L’agente a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte de l'intérêt supérieur des enfants?

c)         L’agente a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il existait une protection adéquate de l’État au Pakistan?

            d)         L’agente a-t-elle commis une erreur dans son analyse des éléments de preuve fournis à l’appui de la demande relative à l’ERAR d’Aneel?

 

ANALYSE

a)         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

[14]      Dans la décision Kim c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 437, aux paragraphes 8 à 22, le juge Mosley a appliqué de manière exhaustive la méthode pragmatique et fonctionnelle aux décisions des agents d’ERAR. Au paragraphe 19, le juge Mosley a tiré la conclusion suivante :

Ayant rassemblé et soupesé tous ces facteurs, je conclus que, dans le cadre du contrôle judiciaire des décisions relatives à l'ERAR, la norme de contrôle applicable aux questions de fait devrait être, de manière générale, celle de la décision manifestement déraisonnable; la norme applicable aux questions mixtes de fait et de droit, celle de la décision raisonnable simpliciter; et la norme applicable aux questions de droit, celle de la décision correcte.

                                                            

Ainsi, la décision de l’agente dans son ensemble, qui est fondée sur une question mixte de fait et de droit, est assujettie à la norme de la décision raisonnable simpliciter. La conclusion de l’agente d’ERAR quant à la protection de l’État repose sur des faits et doit être examinée en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

            b)         L’agente a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants?

[15]      Les demandeurs ont plaidé que l’agente a commis une erreur susceptible de révision en omettant de tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants touchés. Pour formuler leur argument, ils se sont fondés sur les décisions Seguel c. Canada (Solliciteur général), [2004] A.C.F. no 1182, Gonzalez c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. no 671 et Wu c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. no 721 pour étayer la proposition selon laquelle, dans le cadre d’une décision relative à l’ERAR, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être évalué.

 

[16]      Pour sa part, le défendeur a soutenu qu’il est bien établi que les agents de renvoi ne sont pas tenus de tenir compte des considérations humanitaires (CH), comme l’intérêt supérieur de l’enfant, car cette responsabilité appartient aux agents CH. Il s’est appuyé sur quelques jugements, notamment l’arrêt Varga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 394, [2006] A.C.F. no 1828, la décision Sherzady c. Canada (M.C.I.), [2005] A.C.F. n638, la décision Alabadley c. MCI, 2006 CF 716, l’arrêt El Ouardi c. Canada (M.C.I.), 2005 CAF 42, et la décision Kim c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 437. Dans la décision Sherzady, le juge Shore a écrit que « [r]ien dans le libellé clair de la Loi ne permet de penser que l'agent d'examen est censé, lorsqu'il reçoit une demande, assumer aussi le rôle d'un agent CH ».

 

[17]      Après avoir examiné les observations des parties et la jurisprudence pertinente, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, dans la présente affaire, l’agente n’était pas tenue de prendre en considération l’intérêt supérieur des enfants du demandeur en tant que facteur déterminant dans l’issue de la présente affaire.

 

[18]      Dans la décision Sherzady c. Canada (M.C.I.), précitée, le juge Shore s’est penché sur la même question. Aux paragraphes 14 à 16, la Cour a conclu ce qui suit :

[Le demandeur] soutient que l'agent d'examen n'a pas tenu compte des considérations d'ordre humanitaire et qu'il n'a pas non plus tenu compte de l'intérêt de son fils qui a la nationalité canadienne. La Cour convient avec le défendeur que l'agent d'examen n'était pas obligé de tenir compte des considérations d'ordre humanitaire soulevées par [le demandeur].

 

[Le demandeur] a fait une demande d'ERAR. Le cadre d'évaluation d'une demande d'ERAR en vertu de la LIPR et du Règlement est clair. L'ERAR a pour but d'évaluer le risque, en l'espèce en fonction des facteurs énoncés à l'article 97 de la LIPR (alinéa 113d)). Rien dans le libellé clair de la Loi ne permet de penser que l'agent d'examen est censé, lorsqu'il reçoit une demande, assumer aussi le rôle d'un agent CH.

 

Il existe un processus de demande distinct pour des motifs d'ordre humanitaire et [le demandeur] était libre d'y recourir. Ce processus est prévu au paragraphe 25(1) de la LIPR : […].

 

Dans l’arrêt Varga, précité, rendu par la Cour d’appel fédérale, qui portait sur une demande de contrôle judiciaire d’une décision relative à l’ERAR, la Cour d’appel a conclu que la décision défavorable relative à l’ERAR devait être maintenue même si l’agent avait omis de tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants.

 

[19]      À mon avis, le principe énoncé dans la décision Sherzady, précitée, s’applique en l’espèce. Les précédents invoqués par le demandeur peuvent être distingués de la décision Sherzady, précitée, dans la mesure où ils ne constituent pas des contrôles judiciaires de décisions d’ERAR mais plutôt des demandes et des requêtes visant l’obtention d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi. Ainsi, même si on trouve des commentaires sur la question qui nous occupe dans la jurisprudence citée, la question fondamentale soulevée dans cette dernière n’était pas de savoir si un agent d’ERAR était tenu de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant mais si un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi était justifié.

 

[20]      En l’espèce, les demandeurs n’ont pas présenté de demande CH fondée sur le paragraphe 25(1) de la LIPR. Rien au dossier n’indique pourquoi ils ne l’ont pas fait. Le dépôt d’une demande CH et l’examen de celle-ci par un agent CH constitue la démarche appropriée en ce qui concerne le processus d’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants touchés.

 

[21]      Compte tenu des conclusions que j’ai tirées précédemment, je conclus qu’il n’y a pas d’erreur susceptible de contrôle pour ce motif.

 

c)         L’agente a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il existait une protection adéquate de l’État au Pakistan?

[22]      Les demandeurs ont soutenu que la conclusion de l’agente selon laquelle il existe une protection adéquate de l’État au Pakistan était manifestement déraisonnable. Plus précisément, ils ont plaidé que le rapport de 2005 du Département d'État des États-Unis, sur lequel l’agente s’est fondée, n’étaye pas la conclusion selon laquelle la protection de l’État est adéquate.

 

[23]      Le défendeur a soutenu que la décision rendue par l’agente relativement à l’existence d’une protection de l’État doit faire l’objet d’une grande retenue et que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée en l’espèce.

 

[24]      L’examen de l’agente portant sur la protection de l’État occupe une grande partie de la décision. L’agente a commencé en faisant mention du lourd fardeau qui est imposé à la personne qui souhaite réfuter la présomption de l’existence d’une protection de l’État :  [traduction] « il existe une présomption selon laquelle l'État est en mesure de protéger ses citoyens. Cette protection de l’État est présumée exister en l’absence d'une preuve claire et convaincante du contraire. » Après avoir soigneusement analysé la situation politique au Pakistan, l’agente a examiné le système judiciaire. Elle a constaté que, bien que la Constitution garantisse la liberté de religion, dans la pratique, il existe des restrictions. Elle a aussi fait remarquer que le droit du citoyen d’avoir recours aux tribunaux diffère selon la confession. Elle a ensuite examiné le MQM et souligné que la demande de renseignements présentée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié auprès de la Commission des droits de la personne du Pakistan indiquait que les Mohajirs pouvaient vivre dans la plupart des villes et qu’ils n’étaient victimes de discrimination sociale qu’à l’occasion. Elle a poursuivi en examinant les observations des demandeurs selon lesquelles la police ne procédait pas à l’arrestation de membres du MQM en raison de leur pouvoir, et elle a conclu que cette prétention n’était pas étayée par la documentation. L’agente a terminé en affirmant que : [traduction] « La preuve documentaire révèle qu’il existe des cas où la police a agi de manière indépendante, mais ces incidents ont fait l’objet d’enquêtes et des poursuites sont intentées. Le demandeur peut recourir à un service de police qui n’est pas parfait mais qui est adéquat. » Le Pakistan est considéré comme une démocratie qui fonctionne. On pourrait soutenir que l’efficacité du système n’est pas parfaite et qu’elle peut prêter à la critique. Les mesures prises par la police sont parfois excessives mais la protection de l’État existe même si elle n’est pas parfaite ou adéquate.

 

[25]      À mon avis, il n’y a rien de manifestement déraisonnable dans la décision de l’agente relativement à la protection de l’État. L’agente a à maintes reprises mentionné certains problèmes que présente le système, mais elle a finalement conclu que l’ensemble de la preuve documentaire appuyait la conclusion selon laquelle il existait une protection de l’État adéquate. Comme cela est mentionné dans la décision Ahmed, précitée, au paragraphe 5 :

Les décisions rendues par les agents d'ERAR doivent faire l'objet de beaucoup de retenue judiciaire. Lorsqu'il n'y a rien de déraisonnable dans la décision d'un agent d'ERAR, il n'y aura pas de question sérieuse. En l'espèce, l'agent d'ERAR a clairement pris en considération les observations des demandeurs et la preuve documentaire récente soumise relativement aux violations des droits de la personne au Pakistan. Ce que les demandeurs demandent à la Cour, c'est de réévaluer la preuve présentée à l'agent d'ERAR. Les demandeurs peuvent se montrer en désaccord avec l'agent, mais ils n'ont pas démontré que sa décision avait été rendue de façon apparemment abusive ou de façon manifestement déraisonnable.

 

            d)         L’agente a-t-elle commis une erreur dans son analyse des éléments de preuve fournis à l’appui de la demande relative à l’ERAR d’Aneel?

[26]      Les demandeurs ont allégué que l’agente avait omis de tenir compte de tous les éléments de preuve se rapportant à la demande relative à l’ERAR d’Aneel. Plus particulièrement, ils contestent la conclusion tirée par l’agente à la suite de son examen des observations et des éléments de preuve qu’ils ont présentés au sujet du traitement des personnes atteintes de troubles psychiatriques au Pakistan.

 

[27]      Le défendeur a allégué que les observations au soutien de la demande relative à l’ERAR visant Aneel, qui ont été formulées par son père, ne sont essentiellement qu’une répétition des observations présentées à l’appui de la demande d’ERAR des autres membres de la famille. Étant donné qu’elle a examiné les trois questions soulevées par la famille dans la demande relative à l’ERAR de cette dernière, l’agente n’a commis aucune erreur susceptible de révision.

 

[28]      Tout d’abord, je tiens à souligner que les faits invoqués à l’appui de la demande relative à l’ERAR d’Aneel étaient essentiellement les mêmes que ceux invoqués par les autres membres de sa famille. En fait, la partie contenant les observations écrites relatives à la demande d’ERAR d’Aneel a été rédigée par le père de celui-ci. Aneel a écrit au début des observations relatives à sa demande d’ERAR :

[traduction]

Je suis venu au Canada sans ma famille mais la demande d’asile que j’ai présentée est inextricablement liée à celle de mon père. Nos dossiers ont été regroupés par l’agente d’ERAR qui avait déjà traité la demande de mon père. L’épreuve que nous subissons vise tous les membres de notre famille. Nous jouirons tous du même sort ou subirons celui-ci. J’autorise donc mon père à présenter des observations en mon nom.

 

[29]      Dans la décision, le passage dans lequel l’agente traite des documents fournis par les demandeurs au sujet du traitement qu’Aneel (et son frère Adeel) devraient recevoir est ainsi rédigé :

 

[traduction

Le demandeur a soutenu que les garçons ne seraient pas en mesure de recevoir des soins médicaux au Pakistan. J’ai lu les articles fournis par le demandeur au sujet du traitement des troubles psychologiques au Pakistan. Je relève que certains de ces articles traitent de l’établissement de diagnostics et de traitement de patients dans des régions éloignées du pays. Lue dans son intégralité, la preuve documentaire révèle qu’en réalité le Pakistan compte d’importants établissements de soins de santé. Wikipédia dresse une liste des principaux hôpitaux situés dans les provinces du Punjab, du Sindh, du Baloutchistan et dans la Province du Nord-Ouest, ainsi que dans la région de la capitale Islamabad, pour un total supérieur à une centaine d’établissements. Karachi (lieu de naissance du demandeur) compte plus d’une vingtaine d’établissements de soins de santé, tant publics que privés. Lue dans son intégralité, la preuve documentaire ne soutient pas l’argument du demandeur principal selon lequel les soins de santé requis ne seraient pas disponibles.

 

[30]      À mon avis, l’agente n’a pas commis d’erreur donnant lieu à révision dans son analyse de ces éléments de preuve. L’extrait de la décision figurant ci-dessus montre de toute évidence que l’agente a examiné tous les éléments de preuve dont elle disposait. La décision de l’agente de mentionner certains faits tirés de la preuve documentaire plutôt que d’autres ne constitue pas en l’espèce une erreur susceptible de révision. La conclusion générale de l’agente, selon laquelle la preuve documentaire dans son intégralité n’appuyait pas la prétention des demandeurs voulant que le Pakistan n’offre pas les soins de santé requis, était raisonnable. L’agente d’ERAR avait amplement d’éléments de preuve pour étayer les conclusions auxquelles elle en était arrivée.

 

[31]      Les demandeurs résident à Karachi, une ville qui compte plus d’une vingtaine d’hôpitaux publics, y compris des établissements de soins de santé mentale. On y trouve également des établissements de soins de santé privés. L’argument selon lequel la qualité des soins de santé mentale dans les hôpitaux psychiatriques au Pakistan ne peut se comparer à celle des soins offerts au Canada ne constitue pas un motif valable en soi pour justifier une demande dans le cadre d’une décision relative à l’ERAR.

 

[32]      Tous les faits liés aux problèmes médicaux ont été examinés en profondeur par l’agente d’ERAR. En outre, au stade de l’ERAR, on doit appliquer le sous-alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR qui prévoit que « la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats ».

 

[33]      Après avoir examiné toutes les questions soulevées, j’estime que les demandeurs souhaitent que la Cour évalue à nouveau la preuve dont disposait l’agente, ce qui dépasse le rôle de la Cour.

 

[34]      Par conséquent, je conclus que la décision relative à l'ERAR ne renferme aucune erreur susceptible de révision qui justifierait un contrôle judiciaire.

 

CONCLUSION

[35]      Pour tous les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée et l’intitulé de la cause est modifié de façon à ce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration remplace le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.

 

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., trad.


 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-4292-06

 

INTITULÉ :                                                               MUHAMMAD AFZAL UL HAQUE ET AUTRES

                                                                                    c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 29 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE FRENETTE, JUGE SUPPLÉANT

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 13 DÉCEMBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Brouwer

 

          POUR LES DEMANDEURS

Gordon Lee

 

    POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Andrew J. Brouwer

Jackman & associates

Avocats

596, St. Clair Avenue West, suite 3

Toronto (Ontario)  M6C 1A6

 

         POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

 

   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.