Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2007
ENTRE :
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
et
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le défendeur, Esam Ayed Ahmad Wshah, est un citoyen de la Jordanie.
[2] Le 6 février 2003, il est devenu un résident permanent du Canada. Il s’est établi ici sans aucun membre de sa famille.
[3] Le 1er mai 2003, M. Wshah a quitté Calgary (Alberta) pour occuper un emploi en Allemagne.
[4] Pendant son absence à l’étranger, M. Wshah affirme qu’il a maintenu un compte bancaire au Canada et qu’il a acquitté ses factures d’assurance‑maladie et de téléphone. Il n’y a aucune preuve qu’il a payé de l’impôt sur le revenu au Canada pendant qu’il occupait son emploi en Allemagne.
[5] Le 25 juillet 2005, après avoir été absent pendant plus de deux ans, M. Wshah est revenu à Calgary avec sa conjointe, avec qui il s’est marié à l’étranger en 2004, et leur premier enfant. M. Wshah s’est trouvé un emploi, a demandé l’autorisation de parrainer son épouse et leur enfant, a acheté une maison, a mis sur pied une entreprise et a payé de l’impôt sur le revenu au Canada.
[6] Le 22 février 2006, le défendeur a demandé la citoyenneté canadienne. Les parties s’entendent sur le fait qu’au cours de la période de quatre ans qui a précédé sa demande, M. Wshah a été présent au Canada pendant 294 jours et en a été absent pendant 815 jours au total. En raison de cette absence, il lui manque 801 jours pour satisfaire à l’exigence de résidence de 1 095 jours prescrite à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C‑29.
[7] En dépit de cet écart, et après avoir examiné les facteurs énoncés dans la décision Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), un juge de la citoyenneté a approuvé la demande de citoyenneté de M. Wshah. La présente instance est l’appel de cette décision interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.
[8] Les parties s’entendent pour dire que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer est la norme de la décision raisonnable : Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 410 (QL) (1re inst.), aux paragraphes 31 et 33; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1693. Dans la présente instance, le juge de la citoyenneté était libre de suivre la décision Koo s’il donnait des motifs clairs démontrant sa compréhension des principes juridiques applicables.
[9] L’avocat du défendeur reconnaît à juste titre que les principes énoncés dans la décision Koo s’appliquent dans « … le cas de personnes ayant un lieu de résidence au Canada, qu'elles utilisent comme un lieu de domicile dans une mesure suffisamment fréquente pour prouver le caractère effectif de leur résidence dans ce lieu pendant la période pertinente … » : Re Papadogiorgakis, [1978] A.C.F. no 31 (QL) (1re inst.), au paragraphe 15.
[10] En d’autres termes, la personne qui demande la citoyenneté et qui s’est beaucoup absentée au cours de la période pertinente aux fins de l’exigence de résidence (la période pertinente) doit démontrer qu’elle a centralisé son mode de vie au Canada, le lieu où elle « vit régulièrement, normalement ou habituellement » : Koo (Re).
[11] Compte tenu du paragraphe 3 des motifs prononcés dans Re Papadogiorgakis, l’on peut dire que le particulier en cause dans cette affaire avait centralisé son mode de vie au Canada au cours des trois années qui ont précédé la période pertinente. Dans la présente instance, avant d’occuper un emploi en Allemagne pendant environ deux ans, le défendeur ne s’est pas véritablement établi au Canada ou il ne s’y est établi que dans une faible mesure.
[12] Il y a peu d’éléments de preuve démontrant que le défendeur s’est établi au Canada au cours des trois mois qui ont suivi son arrivée au Canada et avant qu’il n’accepte un emploi en Allemagne. Le défendeur n’avait aucune famille au Canada. Il n’y a aucune preuve qu’il a noué des amitiés ou établi une résidence ou encore qu’il a payé de l’impôt au Canada. Son « établissement » était, dans le scénario le plus optimiste, un établissement sur papier et, en fait, un établissement très symbolique.
[13] Dans la décision Lucki (Re), [1993] A.C.F. no 185 (1re inst.), un autre cas de citoyenneté où l’on a constaté une présence de courte durée avant une absence prolongée, le demandeur était arrivé au Canada avec son épouse et leur fille. Il a travaillé ici à titre d’architecte et sa fille a fréquenté l’école. L’affectation qui l’a amené à quitter le pays était à la fois inattendue et d’une durée déterminée. Pendant qu’il travaillait à Chypre pour les Nations Unies, le demandeur a payé de l’impôt au Canada. Les faits dans l’affaire Lucki (Re) et les autres affaires invoquées par le défendeur peuvent être distingués des faits en cause dans la présente instance.
[14] À mon avis, le juge de la citoyenneté a « clairement mal appliqué » la décision Koo. Son raisonnement sur les facteurs énoncés dans Koo ne peut résister à « un examen assez poussé ». Plus particulièrement, il n’y a aucune analyse solide de la question de savoir si le défendeur a centralisé son mode de vie au Canada et, le cas échéant, à quel moment.
[15] En conséquence, l’appel du ministre sera accueilli et la décision du juge de la citoyenneté sera infirmée. Évidemment, le défendeur pourra présenter une nouvelle demande de citoyenneté en invoquant son retour au Canada en juillet 2005 et tout autre facteur pertinent.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que l’appel soit accueilli et que la décision du juge de la citoyenneté datée du 12 mars 2007 soit infirmée.
Traduction certifiée conforme
Sandra de Azevedo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-807-07
INTITULÉ : MCI c. ESAM AYED AHMAD WSHAH
LIEU DE L’AUDIENCE : Calgary (Alberta)
DATE DE L’AUDIENCE : 30 octobre 2007
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE EN CHEF LUTFY
DATE DES MOTIFS : 12 décembre 2007
COMPARUTIONS
M. W. Brad Hardstaff
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M. Peter Wong
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DEMANDEUR |
Peter W. Wong, c.r. 2100, 2e Rue O., bureau 700 Calgary (Alberta)
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