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Date : 20071211

Dossier : IMM-309-07

Référence : 2007 CF 1299

Ottawa (Ontario), le 11 décembre  2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’REILLY

 

 

ENTRE :

ROBERT TABANIAG BARO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que M. Robert Tabaniag Baro, qui est citoyen des Philippines, était interdit de territoire au Canada pour avoir fait une présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait, lorsque son épouse, une résidente canadienne, a parrainé sa demande de résidence permanente. En particulier, la Commission a conclu que M. Baro avait omis de révéler ses véritables antécédents matrimoniaux.

 

[2]               M. Baro reconnaît avoir déjà été marié. Il dit qu’après s’être séparé de son épouse et avoir ensuite perdu tout contact avec elle, il a obtenu une déclaration de décès présumé d’un tribunal philippin. Il n’a pas mentionné ces faits aux agents d’immigration canadiens. Cependant, sa seconde épouse, après avoir appris lors d’une visite aux Philippines que la première épouse de M. Baro était réapparue, en a avisé les autorités.

 

[3]               M. Baro a porté en appel la conclusion de la Commission devant la Section d’appel de l’immigration (la SAI), mais celle-ci a confirmé la décision initiale. M. Baro soutient que la décision de la SAI n’était pas étayée par les éléments de preuve soumis. Il me demande d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant un tribunal différent.

 

I.        Questions en litige

 

1.                  La décision de la SAI était-elle étayée par la preuve?

2.                  La décision de la SAI de ne pas accorder à M. Baro un redressement pour raisons d’ordre humanitaire était-elle déraisonnable?


 

II.     Analyse

 

  1.  La décision de la SAI était-elle étayée par la preuve?

a)      Le contexte factuel

 

[4]               En 1992, M. Baro a épousé Elizabeth Gandeza, à Lagagilang (Philippines). Après le mariage, Mme Gandeza a repris l’emploi de domestique qu’elle exerçait à Hong Kong, tandis que M. Baro est resté aux Philippines. Ce dernier soutient qu’il n’avait pas les coordonnées de Mme Gandeza à Hong Kong et que, de ce fait, il a perdu contact avec elle au cours des années qui ont suivi.

 

[5]               Durant l’absence de Mme Gandeza, M. Baro a entretenu des liens d’amitié avec Mme Letitia Tuzon. En 1997, ils ont projeté de se marier. En mars 1998, M. Baro a obtenu une ordonnance judiciaire reconnaissant que Mme Gandeza était présumée décédée. Le mois suivant, M. Baro et Mme Tuzon se sont mariés. Mme Tuzon a quitté les Philippines et est devenue résidente permanente du Canada.

 

[6]               En 1999, M. Baro a présenté une demande de résidence permanente au Canada, parrainé par Mme Tuzon. À Manille, les autorités canadiennes lui ont demandé une [traduction] « attestation de mariage ». En particulier, ils lui ont demandé de produire un certificat du Bureau national de la statistique aux Philippines, qui tient un registre des mariages. M. Baro a obtenu le certificat, mais celui-ci ne faisait aucune mention de son précédent mariage avec Mme Gandeza. M. Baro n’a pas dit aux agents canadiens qu’il avait déjà été marié ou qu’il avait obtenu une ordonnance de décès présumé concernant sa première épouse.

 

[7]               En 2000, M. Baro a rejoint Mme Tuzon au Canada. Cependant, lorsque cette dernière a fait un voyage aux Philippines en 2002, elle a appris l’existence du premier mariage de M. Baro et a découvert que Mme Gandeza était bel et bien vivante. Mme Tuzon a prévenu les autorités de l’immigration canadienne que M. Baro n’avait pas tout dit dans sa demande de résidence permanente, ce qui a déclenché les procédures engagées devant la Commission et la SAI. Dans les deux cas, le ministre a allégué que M. Baro avait fait une présentation erronée sur un fait important, ou omis de révéler un tel fait, c’est-à-dire ses antécédents matrimoniaux.

 

b)      Les décisions de la Commission et de la SAI

 

[8]               La Commission a conclu que l’allégation du ministre était fondée et que, de ce fait, M. Baro était interdit de territoire au Canada. Elle a conclu que les agents canadiens avaient demandé une [traduction]  « attestation de mariage », sous la forme d’un certificat du Bureau national de la statistique. En produisant un certificat indiquant qu’aucun mariage n’était enregistré en son nom, M. Baro avait fait une présentation erronée sur les faits. En outre, en omettant de mentionner l’existence d’une ordonnance attestant que sa première épouse était présumée décédée, M. Baro avait omis de révéler un fait important. Les agents d’immigration auraient voulu, à tout le moins, en savoir davantage sur les circonstances de son premier mariage, mais M. Baro était parvenu à éluder cette question. Ce faisant, il avait peut-être entraîné une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), en violation de l’alinéa 40(1)a) (voir l’annexe).

 

[9]               M. Baro a interjeté appel auprès de la SAI, qui a confirmé la décision de la Commission. Selon la SAI, M. Baro savait que le certificat, qui ne disait rien sur son premier mariage, était inexact. Elle a conclu que l’on avait demandé à M. Baro de confirmer son état matrimonial et qu’en produisant un document qu’il savait inexact, il avait fait une présentation erronée sur un fait important. La SAI s’est reportée au témoignage de M. Baro devant la Commission et a rejeté l’argument selon lequel M. Baro n’avait pris connaissance du contenu du certificat qu’après son arrivée au Canada. De ce fait, contrairement à la Commission, la SAI a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de M. Baro parce que ses éléments de preuve étaient incohérents sur ce point. En outre, la SAI a conclu qu’en ne faisant pas état de son premier mariage et de l’ordonnance de décès présumé, M. Baro avait omis de révéler des faits importants.

 

c)      La SAI a-t-elle commis une erreur?

 

[10]           Je ne puis annuler la décision de la SAI que si je conclus qu’elle est déraisonnable.

 

[11]           M. Baro dit que la SAI a commis manifestement une erreur en concluant que son témoignage n’était pas digne de foi. Devant la SAI, M. Baro a prétendu qu’il avait amené le certificat, dans une enveloppe scellée, à l’ambassade du Canada et que ce n’est que beaucoup plus tard qu’il avait appris ce que le certificat disait. Il soutient donc que la SAI a commis une erreur en concluant qu’il avait produit le certificat en le sachant inexact. Même s’il a dit devant la Commission avoir été surpris que le certificat ne mentionnait pas son premier mariage, il n’a jamais dit qu’il était au courant du contenu du certificat avant de le produire.

 

[12]           J’ai passé en revue le témoignage de M. Baro et je ne puis y trouver aucune contradiction. Je ne puis donc voir aucun fondement à la conclusion de la SAI selon laquelle M. Baro a fourni sciemment des renseignements inexacts, ou à l’évaluation défavorable correspondante de la crédibilité.

 

[13]           Cependant, comme je l’ai mentionné, la Commission a conclu aussi que M. Baro avait omis de révéler des renseignements importants en ne mentionnant pas ses antécédents matrimoniaux. Cette conclusion n’est pas touchée par la conclusion erronée de la Commission selon laquelle M. Baro avait sciemment induit en erreur les autorités canadiennes. Sur ce point, M. Baro soutient que sa conduite ne devrait pas donner lieu à une conclusion d’interdiction de territoire car jamais on ne lui a posé des questions précises sur ses antécédents matrimoniaux. Il n’était donc pas tenu d’informer les autorités canadiennes de son mariage antérieur ou des circonstances entourant sa dissolution. Par ailleurs, M. Baro soutient que son mariage antérieur n’était pas pertinent pour sa demande de résidence permanente et que le fait de ne l’avoir pas révélé n’aurait pas pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi car son second mariage était manifestement valide.

 

[14]           Le ministre soutient que le formulaire de demande que M. Baro a produit à Manille demande expressément aux requérants de faire état de leurs antécédents matrimoniaux. Cependant, ce formulaire ne m’a pas été soumis en preuve; le dossier de M. Baro a été détruit. La question consiste donc à savoir si M. Baro était tenu de révéler ses antécédents matrimoniaux dans les circonstances, même en l’absence d’une demande précise des autorités canadiennes.

 

[15]           Aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, une personne est interdite de territoire au Canada si elle fait une réticence sur un fait important quant à un objet pertinent, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application  de la Loi. De façon générale, un demandeur de la résidence permanente est soumis à une « obligation de franchise » qui l’oblige à révéler les faits importants. Ce devoir s’étend aux variations possibles de la situation personnelle du demandeur, y compris un changement d’état matrimonial : Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 3 C.F. 299 (C.F. 1re inst.) (QL). Même une omission innocente de fournir des renseignements importants peut mener à une conclusion d’interdiction de territoire; par exemple, la demanderesse qui omet d’inclure la totalité de ses enfants dans sa demande peut être interdite de territoire : Bickin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1495 (C.F. 1re inst.) (QL). Il y a toutefois une exception si les demandeurs peuvent montrer qu’ils croyaient honnêtement et raisonnablement ne pas dissimuler des renseignements importants : Medel c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 345, [1990] A.C.F. no 318 (C.A.F.) (QL).

 

[16]           Les antécédents matrimoniaux du demandeur sont manifestement pertinents dans le cas d’une demande de résidence permanente fondée sur un parrainage conjugal. Les agents canadiens voudront s’assurer que l’union est authentique, et les antécédents matrimoniaux du demandeur sont un facteur valable à prendre en considération : Quizon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1076 (C.F. 1re inst.) (QL).

 

[17]           Bien sûr, on ne peut pas s’attendre à ce que les demandeurs anticipent les genres de renseignements que les agents d’immigration souhaitent peut-être obtenir. Comme l’a noté la SAI en l’espèce, « il n’incombe pas à une personne de divulguer la totalité des renseignements qui pourraient être éventuellement pertinents ». Il faut examiner le contexte afin de décider si le demandeur ne s’est pas conformé à l’alinéa 40(1)a).

 

[18]           En l’espèce, les agents canadiens chargés du traitement de la demande de résidence permanente de M. Baro, laquelle était fondée sur un parrainage conjugal, lui ont demandé un [traduction]  « attestation de mariage ». Cette demande a manifestement éveillé l’attention de M. Baro sur le fait que ces agents voulaient savoir s’il s’était déjà marié. À mon avis, dans ces circonstances, M. Baro était obligé de révéler ses antécédents matrimoniaux. Certes, il s’est conformé à la demande de production d’un certificat officiel d’enregistrement de mariage. Cependant, le fait de se conformer à cette demande ne le dégageait pas de l’obligation de révéler son mariage antérieur et les mesures qu’il avait prises pour faire en sorte que sa première épouse soit présumée décédée. M. Baro n’aurait pas pu croire raisonnablement qu’il ne dissimulait pas des renseignements importants.

 

[19]           À mon avis, au vu des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la SAI n’a pas commis d’erreur en concluant que M. Baro ne s’était pas conformé à l’alinéa 40(1)a).

 

  1. La décision de la SAI de ne pas accorder à M. Baro un redressement pour raisons d’ordre humanitaire était-elle déraisonnable?

 

[20]           Selon M. Baro, la SAI a commis une erreur en ne faisant pas droit à son appel pour des raisons d’ordre humanitaire. Il a concédé qu’il ne faisait pas valoir ce point énergiquement.

 

[21]           La SAI a passé en revue de nombreux facteurs concernant la situation de M. Baro et celle des membres de sa famille. M. Baro soutient toutefois que la SAI a omis de prendre convenablement en compte l’effet qu’aurait sur ses parents le fait qu’il soit renvoyé aux Philippines (où vivent ses parents) et qu’il ne puisse plus leur verser une partie de ses gains canadiens. Tout salaire qu’il gagnerait aux Philippines serait inférieur à la rémunération qu’il touche au Canada.

 

[22]           La SAI a bel et bien pris en considération la situation des parents de M. Baro. Elle a conclu que ce dernier pourrait trouver du travail aux Philippines et continuer d’aider ses parents. En l’absence d’une preuve quelconque quant aux besoins pécuniaires réels des parents, la SAI n’a pu évaluer la mesure dans laquelle les parents dépendent de leur fils.

 

[23]           Je ne vois rien de déraisonnable au sujet de la conclusion de la SAI.

 

III. Décision

 

[24]           Au vu de ce qui précède, je me dois de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Ni l’une ni l’autre des parties ne m’a proposé une question de portée générale à certifier, et aucune question n’est énoncée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


Annexe

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

Fausses déclarations

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants  :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

 

Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27 

 

Misrepresentation

40. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-309-07

 

INTITULÉ :                                                   ROBERT TABANIAG BARO

                                                                        c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 18 JUILLET 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 11 DÉCEMBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

Catherine Sas

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Banafsheh Sokhansanj

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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