Date : 20071211
Ottawa (Ontario), le 11 décembre 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
LE JUGE O’KEEFE
[1] Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 5 octobre 2006, qui lui a refusé la qualité de réfugié au sens de la Convention et la qualité de personne à protéger.
[2] Le demandeur demande que la décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée pour nouvelle décision à une autre formation de la Commission.
Les faits
[3] Le demandeur est Guyanien. Il a sollicité l’asile en se fondant sur sa race et son origine ethnique, une origine indo-guyanienne. Il dit aussi être une personne à protéger. Les circonstances qui l’ont conduit à solliciter l’asile ont été exposées dans la portion descriptive de la décision de la Commission.
[4] Le demandeur a dit que lui et ses collègues ont été agressés par un groupe d’hommes afro‑guyaniens en 2001 et 2002. Ils ont proféré contre eux des injures raciales et les ont délestés de leur argent et de leurs bijoux. Le demandeur a alors fui aux États-Unis, où il a présenté une demande d’asile. Sa demande a été rejetée et il a fait appel du rejet, mais il a quitté volontairement les États-Unis pour retourner en Guyana, avant que l’appel ne soit instruit. Le demandeur a dit que, une fois de retour en Guyana, lui et un collègue de travail ont été agressés à nouveau en 2005 par des Afro-Guyaniens. Il a dit aussi que ses amis et les membres de sa famille de la même race et de la même origine ethnique que lui ont eux aussi subi la même persécution. Le véhicule de son ami a été détourné, et son oncle a été volé. Le demandeur a attribué toutes les agressions commises par les Afro-Guyaniens à sa race et à son origine ethnique, à savoir l’origine indo-guyanienne. Craignant pour sa vie, le demandeur a fui au Canada en mars 2006 et, dès son arrivée, a présenté sa demande d’asile.
La décision de la Commission
[5] Dans sa décision, la Commission a estimé que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger, au motif que sa demande d’asile n’avait aucun fondement subjectif ou objectif.
[6] S’agissant des motifs prévus par la Convention qui sont allégués par le demandeur, à savoir la race et l’origine ethnique, la Commission a estimé, selon la prépondérance de la preuve, que le demandeur avait été la victime d’agressions commises au hasard par des malfaiteurs et des « bandits », qui en voulaient à son argent et à ses bijoux. Les agressions étaient sans rapport avec sa race ou son origine ethnique. Pour arriver à cette conclusion, la Commission a tenu compte de la déclaration faite par le demandeur au point d’entrée. Plus exactement, elle a relevé que ladite déclaration ne mentionnait nulle part que les agents de persécution étaient des Afro-Guyaniens. Elle a également relevé que le demandeur avait eu plus d’une occasion, au cours de l’entrevue au point d’entrée, de désigner les agents de persécution. La Commission a écrit que « la première version d’un récit est plus convaincante que les versions ultérieures ». Selon elle, la preuve documentaire faisait état de tensions et d’une polarisation entre les Afro-Guyaniens et les Indo-Guyaniens. Elle a pris en compte l’engagement politique du parti au pouvoir et du parti d’opposition d’assurer la démocratie, la paix et le développement. Vu sa conclusion selon laquelle la crainte du demandeur ne se rapportait qu’à des violences aléatoires, et vu l’engagement de la classe politique de faire évoluer le pays, la Commission a estimé qu’il n’y avait pas plus qu’une simple possibilité que le demandeur soit persécuté en raison de sa race s’il retournait en Guyana.
[7] S’agissant du risque sérieux de préjudice au titre de l’article 97 de la LIPR, la Commission écrivait que la protection prévue par cet article se limitait à ceux qui sont exposés à un risque précis auquel ne sont pas généralement exposés les autres habitants du pays; le risque ne doit pas être indifférencié ou aléatoire. La Commission a pris en compte le taux élevé de criminalité au Guyana et les moyens pris par le gouvernement de ce pays pour enrayer ce phénomène. La Commission a jugé que n’importe qui en Guyana pouvait être la victime d’un crime de droit commun, ce qui ne constituait pas un risque sérieux de préjudice au sens de l’article 97 de la LIPR.
[8] S’agissant du fondement subjectif de la demande d’asile, la Commission a estimé que, puisque le demandeur s’était réclamé à nouveau de la protection de son pays et que plusieurs années s’étaient écoulées avant qu’il ne revienne présenter une demande d’asile, sa crainte subjective était inexistante et il n’avait ni crainte fondée de persécution, ni besoin de protection. Pour arriver à cette conclusion, la Commission a pris en compte le fait que, alors que le demandeur avait fait appel du rejet de sa demande d’asile aux États-Unis, il avait volontairement quitté ce pays et était retourné en Guyana.
[9] La Commission est arrivée à la conclusion qu’il n’était pas établi, au moyen d’une preuve crédible et digne de foi, que le demandeur avait une crainte fondée de persécution pour l’un quelconque des motifs prévus dans la Convention. Elle a également conclu que le demandeur n’était pas une personne à protéger aux termes de l’article 97 de la LIPR.
Les points litigieux
[10] Le demandeur a soulevé les points suivants :
1. La Commission n’a pas évalué la crédibilité de la crainte subjective du demandeur.
2. Erreur de droit : la Commission n’a pas tenu compte de l’absence de protection de l’État.
3. Erreur de droit : la Commission n’a pas tenu compte de facteurs pertinents.
[11] Je reformulerai comme il suit les points litigieux :
1. Quelle est la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer?
2. La Commission a-t-elle commis une erreur en disant que le demandeur n’avait pas de crainte subjective?
3. La Commission a-t-elle commis une erreur en négligeant de se demander si la protection offerte par l’État au Guyana était suffisante?
4. La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de toute la preuve qu’elle avait devant elle et selon laquelle les agents de persécution étaient des Afro-Guyaniens?
Les conclusions du demandeur
[12] Le demandeur a invoqué trois moyens pour justifier le contrôle : 1) la conclusion de la Commission selon laquelle il n’avait pas de crainte subjective, 2) le fait que la Commission ne s’est pas demandé si la protection offerte par l’État était suffisante; et 3) le fait que la Commission n’a pas tenu compte de la preuve qu’elle avait devant elle et selon laquelle les agents de persécution étaient des Afro-Guyaniens.
[13] S’agissant du premier moyen invoqué, le demandeur a dit qu’il avait donné à la Commission les raisons pour lesquelles il était retourné en Guyana après le rejet de sa demande d’asile aux États‑Unis. Selon lui, les raisons données alors précisaient clairement qu’il ne s’était pas réclamé à nouveau de la protection de son pays et que sa crainte subjective ne s’était pas dissipée. Le demandeur a dit qu’il avait informé la Commission au cours de l’audience qu’il était retourné en Guyana parce que son avocat américain l’avait informé que, quoi qu’il fît ou si réelles que fussent ses craintes subjective et objective, le gouvernement des États-Unis dirait que les Guyaniens étaient à même d’obtenir de leur pays une protection. Le demandeur a dit qu’un témoignage produit sous serment est présumé véridique à moins qu’il n’existe des raisons valables de douter de sa véracité. Puisque la Commission n’a pas expressément rejeté son témoignage, la seule conclusion logique est qu’il a été admis.
[14] S’agissant du deuxième moyen invoqué, le demandeur a dit que la Commission n’avait pas tenu compte de l’absence de protection de l’État. D’après lui, la Commission n’a pas non plus étayé sa conclusion selon laquelle, à son retour en Guyana, il ne serait pas en butte à des violences physiques. Le demandeur s’est référé au paragraphe 65 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, où l’on peut lire que des actes discriminatoires graves ou autres actes choquants commis par la population locale peuvent équivaloir à persécution s’ils sont sciemment tolérés par la police. Selon le demandeur, la Commission devait évaluer la réelle capacité de l’État à le protéger (Mitchell c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 133, Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 1438 (1re inst.)). Il a ajouté que, lorsque la preuve, y compris la preuve documentaire, situe l’expérience d’un demandeur dans le cadre général de l’incapacité ou du refus de l’État d’accorder sa protection, alors l’absence de protection de l’État est établie.
[15] Finalement, selon le demandeur, la Commission a négligé la preuve relative à l’identité des agents de persécution, plus précisément le témoignage du demandeur produit durant l’audience et son FRP. Le demandeur a dit que, même si, durant son entrevue au point d’entrée, il avait employé le mot « bandits », il a témoigné, durant l’audience tenue devant la Commission, qu’il voulait parler des « Afro-Guyaniens ». Selon lui, la Commission doit prendre en considération l’ensemble de la preuve qu’elle a devant elle et, dans certains cas, elle doit s’y référer (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n° 1425 (C.F. 1re inst.), paragraphes 15 à 17).
Les conclusions du défendeur
[16] Selon le défendeur, le demandeur n’a relevé aucune erreur dans la décision de la Commission, mais a simplement exprimé son désaccord avec la décision. S’agissant de l’identité des agents de persécution, le défendeur a dit que le demandeur n’a pas apporté la preuve que le mot employé en Guyana pour désigner un important groupe ethnique de ce pays, à savoir les Afro‑Guyaniens, est « bandits ». Selon le défendeur, la Commission a jugé, à juste titre, que le demandeur n’avait pas désigné les Afro-Guyaniens, dans sa déclaration au point d’entrée, pour justifier sa crainte. Le défendeur a dit que la Commission est fondée à prendre en compte, dans l’évaluation de la crédibilité, les contradictions et incohérences de la preuve, y compris les divergences entre les déclarations faites au point d’entrée et le témoignage ultérieur (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Dan-Ash (1988), 93 N.R. 33 (C.A.F.), He c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. n° 1107 (C.A.), Rajaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 135 N.R. 300 (C.A.F.), Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 803 (1re inst.), Zaloshnja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 206).
[17] Le défendeur a dit que, contrairement à ce qu’affirmait le demandeur, la Commission avait bien pris en compte l’explication qu’il avait donnée des raisons pour lesquelles il était volontairement retourné en Guyana. Selon le défendeur, la Commission a relevé qu’il était en détention aux États-Unis et qu’il ne souhaitait plus demeurer en détention. Le fait de se réclamer à nouveau de la protection de son pays est une considération valide dans l’évaluation de la crainte subjective (Tejani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n° 528 (1re inst.), Zergani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. n° 493 (1re inst.), Galdamez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. n° 1983 (1re inst.), Hoballah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. n° 37 (1re inst.)). Le défendeur a dit aussi que la présomption, invoquée par le demandeur, selon laquelle un témoignage produit sous serment est toujours véridique, est une présomption réfutable et n’aura de valeur que si la Commission est persuadée de la crédibilité générale du demandeur et de la vraisemblance de ses déclarations (Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, et Gomez-Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. n° 1396).
[18] S’agissant de l’absence de prise en compte, par la Commission, de la protection offerte par l’État, le défendeur a d’abord dit que la Commission avait bien pris en compte la protection de l’État et, ensuite, que la conclusion d’absence de fondement subjectif ou objectif d’une demande d’asile suffisait à justifier le rejet d’une demande d’asile. Selon le défendeur, le demandeur n’avait pas de toute façon réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État.
[19] Et finalement, selon le défendeur, le renvoi de la présente affaire pour nouvelle décision produirait un résultat incontournable puisque le demandeur n’a établi aucun lien entre les faits allégués et un motif prévu par la Convention. Les victimes d’actes criminels ne constituent pas un groupe social et, par conséquent, la crainte d’une personne d’être la victime de criminels ne saurait constituer le fondement d’une demande d’asile (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, Suarez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. n° 1036 (1re inst.), Valderrama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 153 F.T.R. 135).
Analyse et décision
[20] Point n° 1
Quelle est la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer?
La norme de contrôle qui s’applique à la conclusion de la Commission portant sur l’existence ou non d’une crainte subjective est la décision manifestement déraisonnable (Abawaji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 1065). La conclusion générale de la Commission portant sur le caractère suffisant ou non de la protection offerte par l’État est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable (M.P.C.R. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 772).
[21] Je me propose d’étudier d’abord le point n° 4.
La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve qu’elle avait devant elle et selon laquelle les agents de persécution étaient des Afro-Guyaniens?
Selon le demandeur, la Commission a laissé de côté son témoignage oral et son FRP, selon lesquels les agents de persécution étaient des Afro-Guyaniens. Selon le défendeur, la Commission est présumée avoir pris en compte l’ensemble de la preuve.
[22] Je reconnais avec le défendeur qu’il est bien établi en droit que la Commission est présumée avoir pris en compte l’ensemble de la preuve qu’elle avait devant elle lorsqu’elle a rendu sa décision (arrêt Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n° 598 (C.A.F.)). Cependant, dans la décision Cepeda-Gutierrez, précitée, le juge Evans écrivait ce qui suit, au paragraphe 17 :
[…] plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.
[23] La portion de la décision de la Commission qui traite de l’identité des agents de persécution est ainsi rédigée :
Motifs prévus dans la Convention
Race et origine ethnique par rapport au crime – Lorsque le demandeur d’asile est arrivé au Canada et qu’il a demandé l’asile, il a été interrogé par un agent d’immigration (AI) (Pièce M‑1, Dossier de l'interrogatoire) qui lui a posé les questions suivantes.
Q. De quoi auriez‑vous peur en cas de renvoi dans votre pays et pourquoi?
R. J’ai peur d’être assassiné.
Q. De qui auriez‑vous peur si vous étiez renvoyé dans votre pays et pourquoi?
R. Il y a beaucoup de criminalité en Guyana.
Le demandeur d’asile s’est fait demander pourquoi il n’avait pas mentionné la possibilité d’être tué par des Afro‑Guyaniens parce qu’il est Indo‑Guyanien. Il a répondu qu’il était arrivé la nuit, qu’il était confus et effrayé et qu’on lui avait donné du papier pour écrire. Dans une déclaration, il a affirmé solennellement, en écrivant à la main : crainte pour ma vie – j’ai été battu –, d’être tué par un bandit, d’être pris en otage, d’être volé. On lui a fait remarquer que, encore une fois, il n’avait pas indiqué que les agents de persécution étaient Afro‑Guyaniens. Il a dit, sans vraiment répondre, qu’il ne l’avait pas mentionné.
Pour le demandeur d’asile, il s’agissait de la deuxième tentative d’obtenir la protection d’un pays étranger : la première fois, il s’était adressé aux États‑Unis, en prétextant qu’il était victime de persécution du fait de son origine ethnique, et, cette fois, il avait l’occasion de raconter son récit en toute franchise à un agent canadien. La première version d’un récit est plus convaincante que les versions ultérieures. Le tribunal conclut que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur d’asile a été victime d’actes de violence gratuite de la part de criminels et de « bandits », qui voulaient s’emparer de son argent et des ses bijoux, et que ces attaques ne sont pas liées à sa race ni à son origine ethnique.
[24] La Commission s’est clairement fondée sur la déclaration faite au point d’entrée quand elle est arrivée à la conclusion que le demandeur avait été victime de violences communes sans rapport avec sa race ou son origine ethnique. Il semble par ailleurs que la Commission a accordé beaucoup de poids au fait que le demandeur n’avait pu expliquer, durant l’audience, la raison pour laquelle il n’avait pas, dans sa déclaration faite au point d’entrée, désigné les Afro-Guyaniens comme agents de persécution.
[25] Vu le raisonnement exposé dans le jugement Cepeda-Gutierrez, précité, la Commission aurait dû à tout le moins aborder la preuve donnée dans le FRP du demandeur et le témoignage qu’il a livré de vive voix, au cours de l’audience, sur l’identité des agents de persécution.
[26] Le FRP du demandeur précise clairement qu’il craint la persécution des hommes afro‑guyaniens. En fait, toute la première page de son FRP décrit la culture politique et sociale du Guyana qui a conduit aux tensions actuelles entre Afro-Guyaniens et Indo-Guyaniens. Par ailleurs, dans son FRP, le demandeur écrit que, lors des agressions qu’il a subies en novembre 2001, en mars 2002 et en juin 2005, les agents de persécution étaient des Afro-Guyaniens.
[27] Outre son FRP, le demandeur avait dit aussi, lors de l’audience en matière d’immigration, que ses agresseurs étaient des Afro-Guyaniens :
[traduction]
L’AVOCAT: Lorsque vous écriviez, dans votre déclaration solennelle, le mot « bandit », qui était le bandit?
LE DEMANDEUR D’ASILE: Les Afro-Guyaniens.
L’AVOCAT: Quand vous disiez « pour être détourné », de qui craigniez-vous d’être victime d’un détournement ou d’un vol?
LE DEMANDEUR D’ASILE: Les hommes afro-guyaniens.
[28] Ces deux preuves, à savoir le FRP du demandeur et son témoignage oral clarifiant la déclaration faite au point d’entrée, intéressaient directement un point important de la décision de la Commission. Par ailleurs, ces preuves contredisent la conclusion de la Commission selon laquelle il n’existait aucun lien entre les faits de violence et le motif prévu par la Convention, à savoir la race et l’origine ethnique.
[29] Il m’est impossible de dire ce qu’aurait été la décision de la Commission si elle avait pris en compte ces preuves. La Commission n’a pas explicitement traité ces preuves, et cela constitue une erreur susceptible de contrôle.
[30] Vu ma conclusion sur ces points, il ne m’est pas nécessaire d’examiner les autres points.
[31] La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie, la décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision à une autre formation de la Commission.
[32] Aucune des parties n’a souhaité proposer que soit certifiée une question grave de portée générale.
JUGEMENT
[33] La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision à une autre formation de la Commission.
Traduction certifiée conforme
David Aubry, LL.B.
ANNEXE
Dispositions légales applicables
Les dispositions légales applicables sont reproduites dans cette section.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) :
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :
a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.
97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée:
a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;
b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :
(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,
(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,
(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.
(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.
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96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,
(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or
(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.
97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally
(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or
(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if
(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,
(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,
(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and
(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care. (2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6214-06
INTITULÉ : MOHAN SINGH
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 22 NOVEMBRE 2007
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE O’KEEFE
DATE DES MOTIFS : LE 11 DÉCEMBRE 2007
COMPARUTIONS :
Max Chaudhary POUR LE DEMANDEUR
David Tyndale POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Chaudhary Law Office POUR LE DEMANDEUR
North York (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada