Date : 20071207
Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2007
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON
ENTRE :
JIA QI JIANG
demanderesses
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] En Hua Jiang (Mme Jiang) prétend être une citoyenne de la République populaire de Chine (Chine) ayant besoin de protection à cause de sa violation des politiques de contrôle des naissances chinoises. Jia Qi Jiang est sa fille, âgée de cinq ans. Leur demande d’asile a été rejetée, parce que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu’elles n’avaient pas réussi à établir leur identité ni leur pays de référence.
[2] La présente demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre de cette décision sera accueillie, parce que la Commission a commis une erreur de droit en ne fondant pas sa conclusion quant à leur identité sur la totalité de la preuve dont elle disposait. La Commission a aussi commis une erreur en n’accordant pas, pour les motifs qu’elle a exposés, de valeur probante à la carte d’identité de résident originale (la CIR) présentée par Mme Jiang.
[3] En ce qui concerne l’erreur de droit de la Commission, les parties acceptent que, en droit, pour déterminer l’identité, on doive prendre en considération l’ensemble de la preuve. Voir, par exemple, Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F no 104.
[4] En l’espèce, la Commission a fondé sa décision relative à l’identité sur les éléments suivants :
· Il était peu plausible que le passeur, qui a voyagé avec Mme Jiang et sa fille, ait dit à Mme Jiang qu’il répondrait à toutes les questions qui allaient lui être posées et que, pour cette raison, Mme Jiang n’ait pas reçu d’instructions au sujet de la fausse identité sous laquelle elle voyageait.
· Si c’était vrai, Mme Jiang aurait dû témoigner qu’elle ne connaissait pas le faux nom sous lequel elle voyageait au lieu de déclarer qu’elle ne s’en souvenait pas.
· Mme Jiang n’avait pas de documents de voyage (la Commission n’a pas tenu compte de son explication selon laquelle le passeur avait gardé toute la documentation avec lui).
· Mme Jiang aurait du être en mesure de fournir une copie conforme du hukou. La Commission a rejetté aussi l’authenticité de la copie du hukou fournie par Mme Jiang, parce qu’elle décrivait le type de ménage comme étant [traduction] « famille » ou [traduction] « hukou de résident » et qu’elle ne mentionnait pas son numéro d’identification de citoyenneté.
· Aucune considération ne devrait être donnée à la CIR originale que Mme Jiang a produite, parce qu’elle a été émise en fonction du hukou.
· Aucune considération ne devrait être donnée à l’avis exigeant que Mme Jiang se présente au bureau de la planification des naissances, parce que l’avis ne contient pas de section pour insérer son adresse ou son numéro de CIR.
[5] On peut constater que, dans les motifs de la Commission, on n’accorde pas une grande importance à la preuve fournie par Mme Jiang lors de l’audience relativement à l’élément principal de sa demande. Cette preuve incluait de l’information sur ses antécédents, sur sa vie en Chine et sur les autorités responsables du contrôle des naissances. Cela comprenait aussi une photographie que Mme Jiang a affirmé être une photo du père de ses enfants. La photo aurait été prise dans la ville de Guangzhou, près de l’hôtel White Swan. Les affiches qui apparaissent sur la photographie ont été traduites à la demande de la Commission. Sur une affiche on pouvait lire : [traduction] « Compagnie de navigation de Guangzhou » et l'agent de protection des réfugiés (l'APR) a fourni de l’information au sujet de l’hôtel White Swan situé à Guangzhou.
[6] À mon avis, la Commission était obligée de prendre au moins en considération ces éléments de preuve pour déterminer si Mme Jiang avait établi son identité. La Commission a omis de ce faire. Sur ce point, on peut distinguer la présente affaire de ma décision antérieure dans Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1030, parce que dans cette affaire, la Commission avait conclu que des parties du témoignage de M. Li n’étaient pas crédibles. De plus, M. Li n’avait pu présenter à la Commission aucun élément de preuve particulièrement révélateur se rapportant à ses expériences en Chine, duquel la Cour aurait pu inférer que la Commission avait omis de considérer toute la preuve.
[7] Indubitablement, dans la présente affaire, la Commission était à juste titre préoccupée par la preuve qui lui avait été présentée quant à la disponibilité, en Chine, de documents d’identité faux ou obtenus frauduleusement. Cependant, il me semble que, dans la mesure où les documents peuvent être suspects, il est d’autant plus important de considérer l’ensemble de la preuve d’un demandeur concernant son identité. Cette erreur, en soi, justifie une ordonnance annulant la décision de la Commission.
[8] En ce qui à trait à la CIR originale et compte tenu de la preuve dont elle disposait, il était manifestement déraisonnable pour la Commission de ne pas accorder de poids à ce document simplement parce que les CIR sont généralement émises sur la base du hukou. En tirant sa conclusion sur ce point, la Commission n’a pas tenu compte de la preuve dont elle disposait, selon laquelle il y a actuellement des occasions importantes en Chine pour ceux qui possèdent un hukou urbain, l’utilisation de hukous frauduleux reste fréquente en Chine et ceux qui acquièrent de faux hukous sont habituellement des migrants ruraux qui essaient d’améliorer leur accès aux prestations sociales en obtenant des hukous qui ne sont pas qualifiés d’agricoles ou de ruraux. Cette preuve fournit une explication plausible sur comment un citoyen peut posséder un hukou frauduleux et une CIR authentique en même temps.
[9] De plus, dans Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 15, la Cour a conclu qu’il était illogique et erroné de la part de la Commission de mettre en doute la légitimité d’une CIR du seul fait que le hukou d’un demandeur s’avérait non authentique.
[10] En conclusion, dans le contexte de l’authenticité de la CIR de Mme Jiang, on a renvoyé la Commission à une note d’un APR au sujet d’une vérification qui avait été effectuée concernant la CIR, dans le but de déterminer si elle contenait les éléments de sécurité habituels. On pouvait lire sur la note : [TRADUCTION] « Carte de résident chinois no 440111810131542 reçue et vérifiée. La carte originale peut maintenant être retournée à la demanderesse puisqu’elle était en sa possession ». Pour quelqu’un à qui cette pratique habituelle devant la Commission est familière, en ce qui a trait à l’authentification des CIR provenant de Chine, la note de l’APR pouvait appuyer l’inférence selon laquelle la CIR contenait les caractéristiques de sécurité normales. Sinon, la carte aurait été acheminée à la GRC pour une analyse d’expert. La Commission a plutôt conclu que la note ne constituait « aucun élément de preuve ».
[11] En toute déférence, je trouve l’approche de la Commission surprenante. Si la note était trop sybilline pour la Commission, il aurait été facile de demander à l’APR une clarification ou d’envoyer la carte à un autre APR pour qu’il l’examine. Ne pas tenir compte d’une information pertinente pour cause d’ambiguïté, alors que cette ambiguïté peut facilement être dissipée, est non conforme, selon moi, à la raison ou ne permet pas de décider de manière juste et équitable sur les demandes d’asile.
[12] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Aucune partie n'a demandé que soit certifiée une question et je conviens que la présente affaire n'en soulève aucune.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la Section de la protection des réfugiés, datée du 17 novembre 2006, est par les présentes annulée.
2. L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.
Juge
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6447-06
INTITULÉ : EN HUA JIANG, JIA QI JIANG,
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 27 NOVEMBRE 2007
ET JUGEMENT : LA JUGE DAWSON
DATE DES MOTIFS : LE 7 DÉCEMBRE 2007
COMPARUTIONS :
Shelley Levine POUR LES DEMANDERESSES
Ned Djordjevic POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Levine & Associates POUR LES DEMANDERESSES
Avocats
Toronto (Ontario)
John H. Sims c.r POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada