Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY
ENTRE :
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision rendue le 3 janvier 2007 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission y avait conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.
LA QUESTION EN LITIGE
[2] La présente demande ne soulève que la question de savoir si la Commission a décidé à tort que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur.
[3] Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
LES FAITS
[4] Le demandeur est un citoyen de l’Inde, né le 29 mars 1962, qui a beaucoup travaillé dans les domaines de l’hébergement et de la restauration avant son arrivée au Canada. En 1987, le demandeur a été embauché à l’hôtel Mauraya Sheraton de Delhi, où il a travaillé pendant 13 ans. En août 2000, il a obtenu un poste de gérant dans un restaurant de cette ville. Il a également exercé, entre août 2000 et avril 2006, les fonctions de gérant dans deux autres restaurants réputés de Delhi. Le demandeur a voyagé à l’étranger à cette époque pour en apprendre davantage dans les domaines de l’hébergement et de la restauration à l’échelle internationale.
[5] Le demandeur était un membre actif de son syndicat lorsqu’il travaillait à l’hôtel Sheraton. En septembre 2003, le demandeur a créé une organisation non gouvernementale du nom de Shubh Pahal qui avait notamment pour mandat de lutter contre la corruption policière. Le demandeur en était le président.
[6] En mars 2006, le demandeur a écrit au quartier général de la police pour se plaindre des tentatives d’extorsion dont avait été victime le propriétaire d’un restaurant local de la part de policiers de la Direction des crimes spéciaux. Le sous-inspecteur du poste de police de Dabri a appelé le demandeur le 10 avril 2006 pour lui demander de venir au poste. Lorsque le demandeur s’y est présenté, le sous-inspecteur l’a interrogé abondamment à propos de son organisation. Il n’a pas été question de la plainte portée au quartier général de la police.
[7] Le 15 avril 2006, le demandeur a reçu un appel téléphonique de la part d’un inconnu qui l’a menacé de lui faire du mal s’il ne retirait pas sa plainte. Le demandeur s’est rendu au poste de police pour signaler cet appel, mais l’agent qui a reçu son rapport l’a avisé que la police ne pouvait rien faire dans le cas d’un appel anonyme.
[8] Le 24 avril 2006, ce fut au tour de l’inspecteur du poste de police de Dabri d’appeler le demandeur. Ce dernier l’a rencontré et a subi un interrogatoire approfondi au sujet de son organisation et de la plainte qu’il avait portée en mars.
[9] Le 29 avril 2006, trois policiers de la Direction des crimes spéciaux habillés en civil ont arrêté le demandeur alors qu’il se trouvait à un arrêt d’autobus. Ils l’ont obligé à monter à bord d’une fourgonnette et l’ont emmené au poste de police Raja Garden. Le demandeur y a été détenu, battu et interrogé en compagnie du vice-président de Shubh Pahal. On lui a recouvert la tête d’un sac de plastique pour le faire taire et on l’a accusé d’avoir des liens avec des criminels. Le demandeur et le vice-président se sont échappés du poste de police en versant un pot-de-vin à l’agent de police qui assurait le quart de nuit.
[10] Peu après son arrivée au Canada, le demandeur a appris de son épouse que le vice-président était mort dans des circonstances nébuleuses.
LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE
[11] La Commission a établi que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention parce qu’il ne craint pas avec raison d’être persécuté en Inde et qu’il n’est pas non plus une personne à protéger, car son renvoi en Inde ne l’exposerait pas personnellement à une menace à sa vie ni à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à un risque d’être soumis à la torture.
[12] La Commission est arrivée à la conclusion que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur à Goa ou à Calcutta pour les raisons suivantes :
a) Selon la prépondérance des probabilités, la police ne recherchait pas le demandeur pour des actes criminels ou pour un autre motif à l’échelle nationale, et aucun mandat d’arrêt n’a été lancé contre lui.
b) Le demandeur n’aurait aucune difficulté à se trouver du travail à Calcutta, vu qu’il était un restaurateur prospère ayant de bons antécédents professionnels.
c) Rien n’empêche le demandeur de se rendre à Calcutta. L’Inde est un vaste pays, qui ne possède aucun registre central. Selon la preuve relative aux conditions dans le pays, rien n’indique que la police porterait attention au retour du demandeur en Inde. En outre, les policiers qui le recherchaient à Delhi ne se rendraient pas compte de son retour. La preuve relative aux conditions dans le pays ne contient aucune information révélant que la police contrôle l’entrée en Inde des personnes qui n’ont aucun dossier criminel et qui ne font l’objet d’aucun mandat d’arrestation. La Commission a préféré cette preuve à la prétention du demandeur selon laquelle les personnes qui le recherchent peuvent le retrouver n’importe où en Inde.
d) La Commission estime que les personnes qui ont facilité le départ du demandeur ne signaleraient pas son retour aux gens susceptibles de lui vouloir du mal.
[13] Finalement, la Commission n’a pas accepté l’observation de l’avocat du demandeur voulant que celui-ci continuerait vraisemblablement de défendre les syndiqués à son retour en Inde, étant donné qu’il n’a pas dit lui-même qu’il en avait l’intention. La Commission a conclu, selon la prépondérance de la preuve, que, peu importe son intention, le demandeur ne ferait face à aucun problème s’il mettait sur pied une autre organisation, compte tenu du fait qu’il avait défendu les syndiqués sans problèmes pendant des années avant l’incident qui l’a amené à quitter rapidement l’Inde.
ANALYSE
La norme de contrôle
[14] La norme de contrôle applicable à la conclusion de la Commission selon laquelle un demandeur a une possibilité de refuge intérieur est la décision manifestement déraisonnable (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1283 (C.F.P.I.); Rodriguez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 223 (QL), 2005 CF 153).
La possibilité de refuge intérieur
[15] Dans l’arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a statué que le demandeur capable de trouver refuge dans son pays d’origine n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Le demandeur a peut-être une crainte subjective fondée de persécution, mais l’existence d’une possibilité de refuge intérieur justifie le rejet par la Commission de la demande d’asile.
[16] Je suis en désaccord avec le demandeur lorsqu’il soutient que la Commission était tenue de considérer, dans le cadre de l’examen de la possibilité de refuge intérieur, que la mort du vice‑président de Shubh Pahal était imputable à son engagement dans cette organisation. La Commission n’avait pas à examiner la crédibilité du récit du demandeur; comme la Cour d’appel fédérale l’a statué dans Thirunavukkarasu, précité, la conclusion qu’un demandeur dispose d’une possibilité de refuge intérieur justifie le rejet d’une demande d’asile. De plus, la mort d’une personne se trouvant dans la même situation que le demandeur n’est pas pertinente à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur; par conséquent, il n’est pas nécessaire de tenir compte de ce fait dans l’analyse de la possibilité de refuge intérieur. En dernier lieu, je conviens avec le défendeur que l’observation voulant que la mort du vice-président soit imputable à l’engagement de celui-ci dans Shubh Pahal est purement hypothétique, et la Commission pouvait tout à fait rejeter cette version des événements.
[17] Le demandeur fait aussi valoir que la Commission a commis une erreur susceptible de révision en n’acceptant pas le fait qu’il continuerait à défendre les syndiqués s’il retournait en Inde. Selon lui, ses longs antécédents d’activisme politique permettent raisonnablement de conclure qu’il poursuivrait dans cette voie à son retour en Inde.
[18] Un examen du dossier confirme que le demandeur n’a jamais manifesté le désir de continuer à défendre les syndiqués. L’avocat du demandeur a prétendu qu’il le ferait vraisemblablement compte tenu de son profil. La Commission a dit que, même si le demandeur mettait sur pied une autre organisation à Calcutta, elle devait être convaincue, selon la prépondérance de la preuve, que le demandeur serait confronté à des problèmes, et non pas seulement qu’il aurait peut-être des problèmes. D’après la Commission, la preuve ne justifiait pas une conclusion de ce genre.
[19] Le défendeur soutient que l’observation de l’avocat du demandeur n’est pas une preuve suffisante que la situation du demandeur répondrait au critère des épreuves indues s’il reprenait ses activités à Calcutta. À l’appui de cette observation, le défendeur cite l’arrêt Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 2118 (QL), où la Cour d’appel fédérale a interprété Thirunavukkarasu comme plaçant :
[…] la barre très haute lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable. Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions. L’absence de parents à l’endroit sûr, prise en soi ou conjointement avec d’autres facteurs, ne peut correspondre à une telle condition que si cette absence a pour conséquence que la vie ou la sécurité du revendicateur est mise en cause. Cela est bien différent des épreuves indues que sont la perte d’un emploi ou d’une situation, la diminution de la qualité de vie, le renoncement à des aspirations, la perte d’une personne chère et la frustration des attentes et des espoirs d’une personne.
[20] J’estime que la Commission n’a pas commis d’erreur à cet égard. Il était loisible à la Commission de tirer la conclusion de fait que le demandeur ne serait pas en danger s’il reprenait son activisme dans une ville comme Calcutta. La preuve appuie cette conclusion. Je ne vois aucune raison de modifier l’examen du critère à deux volets, établi dans Thirunavukkarasu, auquel a procédé la Commission.
[21] Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et aucune ne se pose en l’espèce.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
David Aubry, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-456-07
INTITULÉ : KESHOW PRASADNARAYAN SINGH
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 5 DÉCEMBRE 2007
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE BEAUDRY
DATE DES MOTIFS : LE 7 DÉCEMBRE 2007
COMPARUTIONS :
Ronald Shacter POUR LE DEMANDEUR
Catherine Vasilaros POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Maureen Silcoff POUR LE DEMANDEUR
Toronto (Ontario)
John Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)