Ottawa (Ontario) le 3 décembre 2007
En présence de Monsieur le juge Blais
ENTRE :
JESUS MEJIA LAZCANO
demandeur
et
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 2 mai 2007 par laquelle la Commission a conclu que le demandeur n’était pas une personne à protéger au sens de l’alinéa 97(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C., c. 27 (la Loi).
FAITS PERTINENTS
[2] Jesus Mejia Lazcano (le demandeur) est un citoyen du Mexique.
[3] Il prétend avoir été victime de persécution sous forme de menaces et de voies de fait, de la part de son chef immédiat, Raoul Garcia Trejo.
[4] Le 6 mars 2006, il a reçu des appels téléphoniques menaçants lui conseillant de retourner au travail. Il aurait alors envoyé une lettre de démission le jour même.
[5] Le 15 mars 2006, il a porté plainte auprès du procureur général du district fédéral dans laquelle il déclare avoir été tabassé pour avoir envoyé la lettre susmentionnée.
[6] Le 28 avril 2006, il a envoyé une lettre à la Commission des droits humains mentionnant sa plainte auprès du Ministère public et réclamant l’aide de la Commission afin de protéger son intégrité ainsi que celle de sa famille.
[7] Le demandeur est arrivé au Canada le 1er mai 2006, il a alors demandé l’asile.
DÉCISION CONTESTÉE
[8] Le 2 mai 2007, la Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur en concluant qu’il n’avait pas la qualité de « personne à protéger » puisqu’il avait failli à son obligation de chercher à obtenir la protection de l’État. Selon la Commission, il n’avait pas démontré par une preuve claire et convaincante que l’État du Mexique ne pouvait ou ne voulait le protéger.
QUESTION EN LITIGE
[9] La Commission a-t-elle erré en déterminant que le demandeur ne s’était pas déchargé de son fardeau de démontrer que l’État mexicain ne pouvait le protéger adéquatement?
EXTRAITS LÉGISLATIFS PERTINENTS
[10] L’alinéa 97(1)b) de la Loi se lit comme suit :
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée : […] b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant : (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas, (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles, (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats
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97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally […] (b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country, (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country, (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.
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NORME DE CONTRÔLE
[11] La norme de contrôle applicable en ce qui a trait à la capacité de l’État de protéger un demandeur a récemment été déterminée par mon collègue, le juge Michel M.J. Shore, dans la décision Prieto Velasco c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 133, au paragraphe 17. Après avoir signalé l’existence de deux courants jurisprudentiels sur la question, l’un tendant vers la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable et l’autre vers la décision raisonnable, il a plutôt choisi de suivre celui de la norme de la décision raisonnable tel que commandée par une analyse pragmatique et fonctionnelle. S’agissant d’une question mixte de fait et de droit, la norme applicable est celle de la décision raisonnable.
ANALYSE
[12] Avant de procéder à l’analyse détaillée du présent dossier, il m’apparaît important de mentionner qu’au moment de l’audience, le commissaire a lu de plusieurs extraits de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward , [1993] 2 R.C.S. 689 expliquant de manière détaillée la présomption voulant que les États sont capables de protéger leurs citoyens et que pour réfuter cette présomption, le demandeur devait présenter une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État d’assurer sa protection. Le commissaire a également cité un extrait de l’arrêt Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (QL) autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [1993] 2 S.C.R. x.i., ainsi que deux extraits de la décision Kadenko c. Canada (Solliciteur général), [1995] A.C.F. no 889 (QL).
[13] Il appert de la transcription des notes sténographiques que le commissaire a ensuite très clairement précisé que le demandeur avait déposé une plainte formelle mais qu’il n’avait apporté aucun suivi et qu’il s’attendait à recevoir des explications pouvant justifier l’affirmation concernant l’incapacité de l’État de le protéger.
[14] Dans l’arrêt Ward, ci-dessus, le juge Gérard V. La Forest précise aux pages 724 et 725 :
Comme Hathaway, je préfère formuler cet aspect du critère de crainte de persécution comme suit: l'omission du demandeur de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l'État [TRADUCTION] "aurait pu raisonnablement être assurée". En d'autres termes, le demandeur ne sera pas visé par la définition de l'expression "réfugié au sens de la Convention" s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine; autrement, le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État.
Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.
Voir également la décision Torres Lopez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 198, au paragraphe 19 :
19 Compte tenu de la preuve qui était devant elle, j'estime que la SPR pouvait raisonnablement conclure que les demandeurs ne s'étaient pas déchargés de leur fardeau d'établir que les autorités péruviennes n'étaient pas en mesure de les protéger. Il est vrai que le tribunal a pu donner l'impression que la barre était très (trop) haute en disant qu' "[(...)] aucune preuve n'a été apportée permettant de conclure que l'ensemble des forces de l'ordre était complice dudit politicien" et que le Pérou n'était pas dans une situation de chaos et d'effondrement complet. Il n'en demeure pas moins que M. Lopez et son épouse n'ont jamais même donné la chance aux autorités de leur pays de les protéger.
[15] Dans le cas en l’espèce, le témoignage du demandeur a été jugé crédible dans son ensemble. C’est la question de la protection de l’État qui a entraîné le rejet de la demande par le commissaire.
[16] Les événements qui ont précédé le départ du demandeur du Mexique se sont échelonnés sur une période relativement courte. Suite à des menaces qui lui ont été adressées, il a décidé de démissionner et il a ensuite été victime d’agression sur la rue. Le 15 mars, il s’est adressé immédiatement au procureur général du district fédéral afin de porter une plainte en identifiant de façon précise les motifs des gens qui s’en prenaient à lui.
[17] Il a ensuite quitté la ville de Mexico pour se rendre dans l’État de Guanajuato, où il est resté avec sa famille pendant un mois, jusqu’au 19 avril, avant d’être menacé de nouveau. Il a alors décidé de quitter définitivement son pays et le 28 avril, soit deux jours avant son départ, il a envoyé une lettre à la Commission des droits humains mentionnant sa plainte auprès du procureur général et réclamant l’aide de la Commission afin de le protéger.
[18] Le demandeur ne s’est pas assuré du suivi de la plainte qu’il avait formulée suite à ses craintes et il a acheminé une nouvelle lettre à la Commission des droits humains deux jours avant de quitter son pays.
[19] Le moins qu’on puisse dire, c’est que le demandeur n’a pas pris le temps d’examiner si ses recours, tant auprès du bureau du procureur général qu’auprès de la Commission des droits humains pouvaient se révéler utiles.
[20] Le demandeur fait grand état de la preuve documentaire concernant le Mexique. Selon lui, elle démontre que les autorités policières sont corrompues et usaient fréquemment de violence et de mauvais traitements.
[21] Il appert clairement du dossier du demandeur qu’après avoir tenté d’obtenir la protection de l’État en déposant une plainte formelle, il n’aurait même pas attendu de savoir quelle serait l’issue de ses démarches. La plainte a été traitée et la police n’a pas refusé d’intervenir. Au contraire, elle a pris en note tous les détails des circonstances. Cependant, le demandeur n’a pas pris la peine de vérifier si des gestes concrets avaient été posés suite à sa plainte.
[22] On peut comprendre que le demandeur quitte la ville de Mexico pour se rendre dans un autre endroit avec sa famille, mais de l’avis de la Commission, ces démarches ne suffisaient pas à démontrer que le demandeur avait cherché à obtenir la protection de l’État mexicain.
[23] Il est clair que le demandeur a amorcé le processus afin d’obtenir l’aide de l’État, mais il n’a pas poursuivi ses démarches. Le dossier du Tribunal contient l’index de tous les documents contenus dans le cartable national de documentation relatif au Mexique.
[24] Le demandeur prétend que la Commission n’a pas fait de référence à la preuve documentaire versée au dossier et particulièrement au cartable régional du Mexique. Le demandeur cite plusieurs extraits de la preuve documentaire concernant la corruption au sein des corps policiers.
[25] Il est à remarquer que parmi les documents déposés, le demandeur réfère tout particulièrement aux difficultés qu’il a rencontrées avec son employeur, le parti républicain institutionnel (PRI) ainsi qu’avec ses représentants. Dans son cas, il appert de la preuve que sa plainte a été prise en compte et qu’il n’a jamais vérifié auprès des autorités si des démarches avaient été effectuées par ces dernières afin de donner suite à son dossier.
[26] Le demandeur cite également le rapport « Mexique – Protection offerte par l’État (décembre 2003 à mars 2005) » selon lequel le système de justice pénal était souvent inefficace et inéquitable et que, par conséquent, l’État du Mexique ne peut le protéger adéquatement.
[27] Bien que ce document soulève de nombreuses inquiétudes quant à la capacité du gouvernement mexicain de régler l’ensemble de la criminalité sur son territoire, ce même document révèle que le gouvernement a apporté des améliorations au système de protection. En effet, on peut y lire :
En 2003, à mi-mandat du président Vicente Fox, plusieurs observateurs doutaient que celui-ci arrive à mener à bien les réformes en matière de protection offerte par l’État et à remplir ainsi l’engagement qu’il avait pris au début de sa présidente (Los Angeles Times 6 déc. 2004; The Economist 23 nov. 2004; ibid. 14 août 2003; Freedom House 23 août 2004). Néanmoins, le président Fox n’aurait pas cessé, tout au long des années 2003 et 2004, de s’attaquer à des problèmes comme le crime, la corruption et les violations des droits de la personne, même si de nouveaux incidents ont continué de se produire (AI 2004; Country Reports 2004 18 févr. 2005; International Narcotics Strategy Report 2005 1er mars 2005; HRW 8 janv. 2005).
[28] Dans l’affaire Yanez Alfaro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 460 aux paragraphes 16 et 17, la Cour s’est exprimé de la façon suivante :
[16] Les demandeurs font savoir que les conclusions du tribunal en ce qui a trait à la possibilité dont auraient disposé les demandeurs de bénéficier de la protection de l’État mexicain vont à l’encontre de la preuve documentaire dont il disposait. Les demandeurs soutiennent que le tribunal n’a pas tenu compte d’un rapport de la CISR sur la protection de l’État au Mexique (pièce C de l’affidavit du demandeur principal) établissant que les tribunaux mexicains n’offraient aucune protection aux citoyens.
[17] Le passage de ce rapport cité par les demandeurs à l’appui de cet argument porte sur la corruption au niveau de l’appareil judiciaire. Mais, il faut noter dans le même document la mention au sujet de la détermination du président Vicente Fox de mener à bien les réformes entreprises au début de sa présidence. On ne peut donc pas conclure à l’anéantissement de l’appareil étatique en matière de protection des citoyens.
[29] J’ai pris connaissance du dossier et particulièrement de la transcription des notes sténographiques de l’audition.
[30] Bien que la Commission n’ait pas fait de référence précise à la jurisprudence ou encore à la preuve documentaire sur le Mexique dans sa décision, les questions posées au demandeur et l’analyse de la preuve au dossier lui permettaient raisonnablement de conclure comme il l’a fait.
[31] Il est possible que si j’avais à rendre une décision en première instance à la lumière de la même preuve, je puisse parvenir à une conclusion différente. Cependant, ce n’est pas la façon de procéder en matière de révision judiciaire devant la Cour fédérale. Il s’agit d’examiner s’il était raisonnable pour le décideur, à la lumière de la preuve qui était devant lui, de conclure que le demandeur n’avait pas la qualité de personne à protéger en raison du fait qu’il n’avait pas démontré d’une manière claire et convaincante que le Mexique était incapable de le protéger.
[32] À mon avis, bien que la décision ne soit pas très élaborée, je ne peux arriver à la conclusion que l’intervention de la Cour soit justifiée dans les circonstances. En effet, il ne s’agit pas d’un cas où « aucun mode d’analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait » (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 55).
[33] J’en conclus donc que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.
[34] Les parties n’ont soumis aucune question pour certification et aucune question ne sera certifiée.
JUGEMENT
- La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
- Aucune question ne sera certifiée.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1948-07
INTITULÉ : JESUS MEJIA LAZCANO c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : 22 novembre 2007
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT: LE JUGE BLAIS
DATE DES MOTIFS : 3 décembre 2007
COMPARUTIONS :
Me Manuel Centurion
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POUR LE DEMANDEUR
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Me Steve Bell
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Manuel Centurion Montréal (Québec)
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POUR LE DEMANDEUR |
John H. Sims, c.r. Sous procureur général du Canada Montréal (Québec)
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POUR LE DÉFENDEUR |