Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2007
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SIMPSON
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) a demandé, en vertu de l’article 397 des Règles des Cours fédérales, que j’examine de nouveau mon jugement et ma directive du 31 juillet 2007 (la requête), lesquels étaient libellés comme suit :
Après avoir souligné le fait qu’aucune question n’a été proposée aux fins de certification, en vertu de l’article 74 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et pour les motifs exposés ci-dessus;
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il statue à nouveau sur elle et qu’il l’accueille sur directive de la présente Cour.
[2] Le réexamen a pour objet de faire certifier la question suivante (la question proposée) par la Cour :
[traduction]
L’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales permet‑il à un juge d’ordonner à un agent d’accueillir une demande faite en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) afin que le ministre dispense un étranger, pour des motifs d’ordre humanitaire, de l’obligation de demander le statut de résident permanent de l’extérieur du Canada qui est prévue au paragraphe 11(1) de la LIPR?
[3] Le ministre s’appuie sur Huynh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] 2 C.F. 976 (C.A.), où la Cour d’appel fédérale a statué, au paragraphe 23, que l’article 1733 des anciennes Règles de la Cour fédérale pouvait être utilisé pour modifier un jugement ou une ordonnance afin d’y ajouter une nouvelle question certifiée de portée générale. La Cour d’appel fédérale a dit qu’une nouvelle question de ce genre pouvait être soulevée si un juge axait sa décision sur un point qui n’avait pas été invoqué ou fondait sa décision sur son interprétation d’une décision d’une instance supérieure qui n’avait pas été mentionnée dans les prétentions.
[4] L’article 1733 des anciennes Règles de la Cour fédérale prévoyait ce qui suit :
1733. Une partie qui a droit de demander en justice l’annulation ou la modification d’un jugement ou d’une ordonnance en s’appuyant sur des faits survenus postérieurement à ce jugement ou à cette ordonnance ou qui ont été découverts par la suite, ou qui a droit d’attaquer un jugement ou une ordonnance pour fraude, peut le faire, sans intenter d’action, par simple demande à cet effet dans l’action ou autre procédure dans laquelle a été rendu ce jugement ou cette ordonnance. |
1733. A party entitled to maintain an action for the reversal or variation of a judgment or order upon the ground of matter arising subsequent to the making thereof or subsequently discovered, or to impeach a judgment or order on the ground of fraud, may make an application in the action or other proceeding in which such judgment or order was delivered or made for the relief claimed. |
[5] Il ne fait aucun doute que l’article 1733 des anciennes Règles de la Cour fédérale permettait la modification d’un jugement si des faits nouveaux survenaient ou étaient découverts postérieurement au jugement, et la Cour d’appel fédérale a conclu que ces faits pouvaient inclure une question certifiée.
[6] Le problème réside dans le fait que, à mon avis, le paragraphe 397(1) des Règles des Cours fédérales, qui est la seule règle sur laquelle la demanderesse s’appuie, ne vise pas les faits nouveaux. Cette disposition est libellée comme suit :
397. (1) Dans les 10 jours après qu’une ordonnance a été rendue ou dans tout autre délai accordé par la Cour, une partie peut signifier et déposer un avis de requête demandant à la Cour qui a rendu l’ordonnance, telle qu’elle était constituée à ce moment, d’en examiner de nouveau les termes, mais seulement pour l’une ou l’autre des raisons suivantes : a) l’ordonnance ne concorde pas avec les motifs qui, le cas échéant, ont été donnés pour la justifier; b) une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement. |
397. (1) Within 10 days after the making of an order, or within such other time as the Court may allow, a party may serve and file a notice of motion to request that the Court, as constituted at the time the order was made, reconsider its terms on the ground that (a) the order does not accord with any reasons given for it; or (b) a matter that should have been dealt with has been overlooked or accidentally omitted. |
[7] Au lieu de traiter de faits nouveaux, cette règle permet l’examen des motifs et des ordonnances déjà rendus afin de vérifier qu’ils concordent. Elle vise aussi les questions qui auraient dû être traitées (vraisemblablement parce qu’elles ont été soumises à la Cour), mais qui ont été oubliées ou omises. Par conséquent, je suis incapable de conclure que l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans Huynh est pertinent en l’espèce.
[8] À mon avis, le paragraphe 397(1) des Règles des Cours fédérales ne permet pas au ministre de demander qu’une question qu’il voudrait faire certifier soit ajoutée à un jugement.
[9] Cette conclusion règle le cas de la requête, mais il pourrait être utile de déterminer également si la question proposée est une question de portée générale que j’aurais dû certifier.
[10] Pour démontrer qu’il s’agit effectivement d’une question de portée générale, le ministre a laissé entendre que le droit n’est pas clair sur la question de savoir si un juge peut décider de l’issue d’une affaire qu’il renvoie à la suite d’un contrôle judiciaire. Il se fonde à cet égard sur des remarques incidentes formulées par la Cour d’appel fédérale dans Lazareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 181. Dans cette affaire, le juge de première instance avait ordonné au ministre de permettre à la demanderesse de présenter une demande de résidence permanente de l’intérieur du Canada et avait refusé, dans le cadre d’une requête fondée sur l’article 397 des Règles des Cours fédérales, de certifier la question de savoir s’il était habilité à donner une telle instruction.
[11] La Cour d’appel fédérale a conclu qu’elle ne pouvait pas instruire l’appel du ministre en l’absence de question certifiée. Elle a aussi écrit au paragraphe 6 de sa décision :
Le ministre a peut-être bien raison lorsqu'il dit que le juge n'était pas habilité à accorder, comme il l'a fait, la réparation accessoire. Sans l'aliéna 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, il est plus que probable que le présent appel serait accueilli. Cependant, il serait malvenu de formuler une opinion définitive sur le bien-fondé des observations du ministre car, même si ces dernières sont légitimes, il n'y a pas de question certifiée.
[12] Il s’agit toutefois de remarques incidentes de la Cour d’appel fédérale et il ne semble pas qu’on les ait portées à son attention dans sa décision antérieure sur la question.
[13] La Cour d’appel fédérale a dit clairement que la Cour fédérale peut, en vertu de l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, donner des instructions qui sont de la nature d’un verdict imposé. À cet égard, voir l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans Turanskaya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 145 D.L.R. (4th) 259, et l’analyse de la question effectuée dans Marsh c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2006 CF 1466.
[14] À mon avis, la preuve non contestée est à ce point convaincante en l’espèce qu’il n’y a qu’une seule conclusion possible s’il faut donner un sens au terme « humanitaire ». Dans les circonstances de l’espèce, le droit est bien établi et je n’aurais pas certifié la question proposée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée.
Traduction certifiée conforme
David Aubry, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5343-06
INTITULÉ : THI THIET TRAN
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 4 AVRIL 2007
MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE SIMPSON
DATE DES MOTIFS : LE 28 NOVEMBRE 2007
COMPARUTIONS :
Nathaniel Russell
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POUR LA DEMANDERESSE |
Marjan Double
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nathaniel Russell
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POUR LA DEMANDERESSE |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR |