Date : 20071123
ENTRE :
et
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
[1] Les présents motifs font suite à l’audition, le 30 octobre 2007, d’une demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), qui avait rejeté la plainte déposée par le demandeur contre la Banque HSBC du Canada (la défenderesse). Comme c’est l’usage pour les décisions telles que celle dont est saisie ici la Cour, la décision est très brève. Elle renferme essentiellement ce qui suit :
[traduction]
Avant de rendre leur décision, les membres de la Commission ont étudié le rapport qui vous a été communiqué antérieurement, ainsi que les observations déposées en réponse au rapport. Après examen de ces documents, la Commission a décidé, conformément à l’alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter la plainte, parce que :
• la preuve ne confirme pas les dires du plaignant selon lesquels la défenderesse a commis un acte discriminatoire contre lui; et
• la preuve n’établit pas un lien entre les présumés incidents et un motif quelconque de distinction illicite.
La décision contestée porte la date du 30 novembre 2006.
LE CONTEXTE
[2] Le demandeur dit qu’il est citoyen canadien d’origine antillaise, et qu’il a des raisons de croire que, le 16 septembre 2005, une représentante du service à la clientèle, à la succursale de Mississauga de la défenderesse, lui a manifesté hostilité et parti pris, l’a catalogué comme un [traduction] « vulgaire criminel » et lui a appliqué une différence de traitement, à cause de sa race, de sa couleur, de son lieu d’origine et de son origine ethnique. Il dit aussi qu’il a ouvert, à la même succursale, en juin 2004, un compte en livres sterling et que, depuis lors, il s’est rendu à la même succursale [traduction] « à de nombreuses reprises », quinze (15) fois semble‑t‑il, ou en moyenne une fois tous les deux mois, pour y effectuer des opérations, et que, ce faisant, il n’avait jamais eu d’ennuis jusqu’à cette date du 16 septembre 2005.
[3] Le demandeur décrit sa mésaventure assez longuement et l’expose en détail dans son mémoire. Je résume les faits :
- Le 16 septembre 2005, le demandeur s’est présenté à la succursale de la banque défenderesse, où il détenait un compte en devises étrangères. Il y avait d’autres clients à la succursale, et le demandeur s’est mis dans la file. Quand ce fut son tour, il a remis son livret de banque à la représentante du service à la clientèle et lui a demandé de lui remettre, après conversion, la somme de 2 500 $ CAN prélevée sur le compte en livres sterling qu’il avait en dépôt à la succursale;
- Il semble que le système informatique général de la défenderesse était en panne, mais le demandeur n’en a pas été informé immédiatement. Il avait su en fait que telle était la situation la veille. Le demandeur fut prié par une représentante du service à la clientèle, qu’il n’a pas reconnue et qui semble‑t‑il ne l’a pas reconnu, de produire deux pièces d’identité avec photos. Il a remarqué qu’aucun autre client ne semblait être traité de la même manière et qu’il était le seul client de race noire qui se trouvait alors dans la succursale. Cette différence de traitement pouvait s’expliquer par le fait qu’il n’avait à la succursale qu’un compte en devises étrangères et qu’il ne pouvait donc présenter une carte bancaire adéquate.
- Le demandeur a produit les pièces d’identité demandées. Elles ont été examinées par la représentante du service à la clientèle, qui a alors quitté son guichet pour aller consulter un autre employé de la banque.
- La représentante est revenue à son guichet et a prié le demandeur de signer le bordereau de retrait qu’elle avait rempli. Elle lui a dit que la signature qu’il venait d’apposer sur le bordereau différait de celle qui se trouvait sur l’une des pièces d’identité qu’il avait produites. Le demandeur a dit à la représentante que cela n’était pas surprenant puisque la pièce d’identité remontait à 1970. Le demandeur a été prié de signer le bordereau encore une fois. Il s’est de nouveau exécuté. Au total, il fut [traduction] « contraint » de signer trois (3) fois.
- Le demandeur a affirmé sous serment : [traduction] « J’étais alors devenu le point de mire de tous les autres clients. Je me suis senti humilié et gêné, j’avais l’impression d’être un vulgaire criminel, quelqu’un qui s’apprêtait à commettre un faux. »
- Le demandeur fut prié de signer une quatrième fois. Il a refusé.
Le retrait d’espèces finit semble‑t‑il par être exécuté conformément aux vœux du demandeur.
LA PLAINTE
[4] À la suite de cette mésaventure, le demandeur a fermé son compte le jour ouvrable suivant, pour exprimer son mécontentement envers la manière dont il avait été traité. Il a déposé une plainte auprès de la Commission le 27 septembre 2005. Dans le texte de la plainte, sous la rubrique [traduction] « ALLÉGATION », le demandeur écrivait ce qui suit :
[traduction] […] J’ai toutes les raisons de croire que j’ai été ciblé, victime d’un parti pris, classé comme un vulgaire criminel et traité différemment des autres, à cause de ma race, de ma couleur, de mon lieu d’origine et de mon origine ethnique, lorsque j’ai eu affaire le 16 septembre 2005 à [la représentante du service à la clientèle], caissière à la succursale de la HSBC. J’ai aussi des raisons de croire que la différence de traitement à laquelle j’ai été soumis est contraire à l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
LA PROCÉDURE QUI A SUIVI LE DÉPÔT DE LA PLAINTE DU DEMANDEUR
[5] Le demandeur et la défenderesse ont refusé de se soumettre à une médiation.
[6] La Commission a nommé une enquêteuse pour qu’elle examine les circonstances à l’origine de la plainte du demandeur. Probablement à la demande de l’enquêteuse, la défenderesse a remis à la Commission une réponse à la plainte qui était assez volumineuse, et qui était accompagnée de plusieurs annexes. La réponse à la plainte, moins quelques‑unes des annexes, a été communiquée au demandeur, pour examen et observations. Encore une fois, le demandeur a dit qu’il était fondé à croire que, le jour où il s’était présenté à une succursale de la défenderesse, le personnel à qui il avait eu affaire lui avait manifesté de l’hostilité et du parti pris, lui avait appliqué une différence de traitement et l’avait classé comme un vulgaire criminel, à cause de sa race, de sa couleur, de son lieu d’origine et de son origine ethnique.
[7] Dans ses observations générales, le demandeur écrit ce qui suit :
[traduction]
[…] il était évident que les choses se déroulaient autrement lorsque le client de la banque qui était servi était de race blanche, ou n’était pas de race noire. C’était donc là un cas manifeste et évident de différence de traitement. L’un des besoins les plus fondamentaux de tout être humain est la dignité. La dignité signifie le fait d’être traité avec respect, d’éprouver un sentiment d’amour‑propre et d’avoir conscience de sa valeur. Rien sans doute ne cause à une personne un préjudice psychologique et affectif plus grand que l’atteinte qui est portée à sa dignité.
Le profilage racial, ou ciblage racial, est défini comme étant une mesure qui est appliquée pour des raisons de sécurité, ou de protection du public, et qui a pour effet de soumettre une personne à un examen plus approfondi, ou à une différence de traitement, en raison des stéréotypes qui s’attachent à sa race, à sa couleur, à son ethnicité, à son ascendance ou à son lieu d’origine. Diverses études montrent que les perspectives de ceux qui connaissent le racisme au quotidien sont très différentes de celles des Blancs, qui n’ont pas eux‑mêmes connu ces humiliations quotidiennes.
Le profilage racial porte atteinte à la dignité humaine en faisant savoir à la victime qu’elle est moins digne de considération et de respect en tant qu’être humain. C’est l’expérience que j’ai vécue à la Banque HSBC, et c’est la raison pour laquelle j’ai fermé mon compte, et tous les membres de ma famille en Angleterre, ainsi que leurs amis, feront la même chose dès que je leur révélerai le manque de sensibilité des explications que la Banque a données pour justifier la différence de traitement qu’elle m’a appliquée.
[Souligné dans l’original.]
Le demandeur donnait ensuite une réponse détaillée, paragraphe par paragraphe, aux observations de la défenderesse. C’était semble‑t‑il la première fois qu’il employait l’expression « profilage racial » dans sa réclamation, laquelle, autant que je sache, avait auparavant été formulée par référence aux notions de [traduction] « hostilité » et [traduction] « parti pris », des notions plus générales et de charge négative moindre.
[8] Selon le rapport de l’enquêteuse, celle‑ci a eu un entretien avec quatre (4) personnes seulement, qui toutes étaient des représentants de la défenderesse.
[9] L’enquêteuse a rédigé un rapport qui porte la date du 14 août 2006. Elle est arrivée à la conclusion que la preuve qu’elle avait devant elle ne permettait pas d’affirmer que le demandeur avait subi une différence de traitement lorsqu’il s’était présenté chez la défenderesse pour obtenir des services bancaires. Par ailleurs, selon elle, la preuve n’établissait pas un lien entre les allégations du demandeur et les motifs de distinction illicite mentionnés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne[1] (la Loi). Finalement, l’enquêteuse a estimé que la preuve ne permettait pas de conclure que la manière dont le demandeur avait prétendument été traité ce jour‑là lui avait causé un préjudice.
[10] Le rapport d’enquête se termine par la recommandation suivante :
[traduction]
Il est recommandé, conformément à l’alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la Commission rejette la plainte parce que :
→ la preuve ne confirme pas les dires du plaignant [le demandeur] selon lesquels la défenderesse a commis un acte discriminatoire contre lui;
→ la preuve n’établit pas un lien entre les présumés incidents et un motif quelconque de distinction illicite.
[11] Le demandeur a été invité à réagir au rapport d’enquête. Il a profité de l’occasion qui lui était donnée et, par lettre datée du 5 septembre 2006, il y a répondu assez longuement. Sous la rubrique [traduction] « Analyse de l’enquête », il écrivait ce qui suit :
[traduction]
J’affirme que la Commission a manqué aux règles de l’équité procédurale dans l’enquête qu’elle a faite sur ma plainte. J’ai exprimé l’avis qu’un enquêteur en matière de droits de la personne devait mener une enquête équitable, objective et impartiale. Selon moi, l’enquête tout entière montre que l’enquêteuse a simplement repris mes allégations et accepté l’intégralité des arguments de la défenderesse. Elle a qualifié de rationnelles les politiques opérationnelles de la défenderesse, sans en faire l’analyse, et a considéré comme étant des preuves, sans autre examen, les nombreuses contradictions apparaissant dans les positions antérieures de la défenderesse, y compris ses arguments fallacieux.
Contrairement aux conclusions de l’enquêteuse, pour qui la preuve n’autorise pas mes allégations, je maintiens que, le 16 septembre 2005, le personnel de la Banque HSBC m’a montré son hostilité et son parti pris, m’a appliqué une différence de traitement et m’a fait passer pour un vulgaire criminel aux yeux des clients d’autres races de la banque, et cela à cause de ma race, de ma couleur et de mon origine nationale ou ethnique, contrairement à la Loi canadienne sur les droits de la personne.
[12] Puis la Commission a rendu la décision qui est aujourd’hui contestée.
LES DISPOSITIONS LÉGALES
[13] Le paragraphe 3(1) de la Loi dispose que, pour l’application de la Loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés notamment sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, l’âge et le sexe.
[14] Selon l’article 5 de la Loi, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur notamment de services destinés au public, d’en priver un individu.
[15] L’article 26 établit la Commission canadienne des droits de la personne. Les dispositions de la partie III portent sur le dépôt de plaintes pour actes discriminatoires et sur les enquêtes qui s’y rapportent. Elles prévoient aussi la préparation de rapports à la suite des enquêtes, comme le rapport dont il s’agit ici.
[16] Le paragraphe 44(3) prévoit ce que la Commission doit faire une fois qu’un rapport lui est présenté. Ce paragraphe est ainsi rédigé :
44.(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission : |
44.(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission |
a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l’article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue : |
(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied |
(i) d’une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci est justifié,
|
(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and
|
(ii) d’autre part, qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);
|
(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or
|
b) rejette la plainte, si elle est convaincue : |
b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied |
(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci n’est pas justifié,
|
(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or
|
(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).
|
(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).
|
C’est sur le sous‑alinéa 44(3)b)(i) que la Commission semble s’être fondée principalement lorsqu’elle est arrivée à la décision ici contestée.
LES POINTS LITIGIEUX
[17] Le demandeur, qui s’est représenté lui‑même dans cette demande de contrôle judiciaire, n’a donné, dans les pièces qu’il a déposées, aucune définition succincte des points en litige. Cela dit, il ressort clairement des pièces en question, et il est ressorti clairement de l’exposé qu’il a fait à l’audience, que, selon lui, la Commission a manqué à son obligation d’équité envers lui lorsqu’elle a statué sur sa plainte. Il a mis en doute à la fois l’exhaustivité et la neutralité de l’enquête. Il a aussi fait valoir, encore qu’indirectement, que la Commission avait commis une erreur pour avoir appliqué le mauvais critère de « discrimination », soit de manière générale, soit dans le « contexte du profilage racial », et il a finalement soutenu que la Commission avait erré dans ses conclusions de fait, bien que la ligne de démarcation entre cette question et la question de l’exhaustivité de l’enquête fût quelque peu imprécise.
[18] L’avocat de la défenderesse a exposé ainsi les points litigieux :
[traduction]
Le demandeur a‑t‑il présenté des pièces dont la Cour ne peut être validement en possession dans une demande de contrôle judiciaire?
Quelle norme de contrôle s’applique à la décision de la Commission canadienne des droits de la personne?
La décision de la Commission canadienne des droits de la personne selon laquelle la plainte du demandeur devrait être rejetée résiste‑t‑elle ou non à l’application de la décision raisonnable comme norme de contrôle?
La Commission canadienne des droits de la personne a‑t‑elle négligé d’observer les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale lorsqu’elle a enquêté sur la plainte du demandeur?
L’argument selon lequel la Cour n’était pas validement en possession de certaines pièces produites par le demandeur ne fut nullement déterminant dans la procédure de contrôle judiciaire.
ANALYSE
[19] La veille de l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, c’est‑à‑dire le 29 octobre 2007, j’ai instruit une demande très semblable de contrôle judiciaire portant sur une autre décision de la Commission. La décision concernait des incidents, au nombre de deux (2), survenus dans une autre banque, où la personne concernée présentait un profil assez semblable à celui du demandeur ici, à l’exception de l’âge et de la stature. Dans cette affaire‑là[2], le demandeur était un peu plus jeune et, sans vouloir le moins du monde offenser le demandeur dans la présente affaire, il en imposait nettement plus que lui. J’ai été en mesure de déceler ces différences parce que le demandeur dans l’autre affaire, John Henry Powell III, s’est présenté comme observateur dans la salle d’audience durant l’audition de sa demande, et que le demandeur dont il s’agit ici a comparu dans la salle d’audience le lendemain pour se représenter lui‑même.
[20] Les points soulevés dans les deux demandes étaient sensiblement les mêmes, même si les faits étaient différents.
[21] J’ai fait droit à la demande de John Henry Powell III. L’analyse qui a conduit à ma décision dans cette affaire‑là figure aux paragraphes [20] à [51] des motifs de ladite décision. Les paragraphes en question sont joints comme annexe aux présents motifs.
[22] J’arrive à une conclusion autre dans la présente affaire, parce que les deux affaires présentent les différences factuelles suivantes :
1. La plainte déposée auprès de la Commission dans la présente affaire est fondée sur un unique incident, non sur deux incidents survenus dans un court laps de temps comme c’était le cas pour la plainte déposée dans l’affaire Powell.
2. L’incident dont il s’agit ici s’expliquait largement, j’en suis persuadé, par une défaillance informatique qui avait touché le réseau bancaire mondial de la défenderesse, ce qui, selon moi, justifiait tout à fait, compte tenu des circonstances, un niveau accru de surveillance afin de garantir l’observation de la politique de la défenderesse appelée « Connaissez votre client ». Aucun incident semblable, assez exceptionnel j’imagine, n’était en cause dans le dossier Powell.
3. Dans la présente affaire, le demandeur traitait avec sa « propre » succursale, où l’on pourrait présumer qu’il était assez connu, alors que, dans l’affaire Powell, le demandeur avait affaire à des succursales où l’on pouvait présumer qu’il était inconnu. Cette différence est atténuée par le fait que, ici, même si le demandeur détenait depuis environ 28 mois un compte à la succursale de la défenderesse où l’incident est survenu, il a reconnu qu’il n’avait fait qu’une quinzaine d’opérations à la succursale, ce qui revenait à environ une opération en moyenne tous les deux mois, à une succursale qui avait de nombreux clients. Il n’était donc pas déraisonnable de présumer qu’il n’était pas très connu à cette succursale.
4. Dans la présente affaire, le demandeur avait un compte en livres sterling, un genre de compte qui n’était probablement pas très répandu. Dans l’affaire Powell, en revanche, le demandeur avait un ou plusieurs comptes, et il y a lieu de croire qu’il s’agissait uniquement de comptes en dollars canadiens.
5. Finalement, dans les deux affaires, les recommandations faites à la Commission dans les rapports d’enquête reposaient sur la conclusion selon laquelle l’enquêteur n’avait trouvé aucun élément propre à confirmer une différence de traitement fondée sur des motifs de distinction illicite, mais la recommandation faite dans la présente affaire va plus loin, en précisant que la preuve n’avait établi aucun lien entre l’incident allégué et tel ou tel motif de distinction illicite.
[23] Si étrange que puisse sembler le fait que la défenderesse s’est trouvée passablement entravée dans ses opérations à la suite d’une défaillance informatique, je suis d’avis qu’il était loisible à l’enquêteuse, au vu de l’ensemble des informations qu’elle avait devant elle, d’arriver à une telle conclusion. Le demandeur détenait à la succursale un genre inhabituel de compte. Pour cette raison, il n’avait pas de carte bancaire. Il n’était pas, selon moi, un client régulier de la succursale de la défenderesse où il avait ce compte. Il n’aurait donc pas dû être surpris qu’on lui demande de produire des pièces d’identité avec photo pour prouver qu’il était bien le titulaire du compte en question. Il a répondu à la demande qu’on lui faisait en produisant deux (2) pièces d’identité, dont l’une remontait à 1970. Comme l’on pouvait s’y attendre, sa signature apparaissant sur cette pièce d’identité ne correspondait pas tout à fait à sa signature le jour de l’incident. Je suis donc d’avis qu’il était loisible à la représentante de la défenderesse qui s’occupait du demandeur d’agir avec grande prudence. Je suis d’avis que la représentante de la défenderesse pouvait parfaitement suivre cette ligne de conduire quel qu’ait pu être le profil de la personne qui lui présentait les pièces d’identité. Je suis également d’avis que l’enquêteuse pouvait parfaitement conclure, au vu de la preuve qu’elle avait devant elle, qu’il n’y avait aucun lien entre l’incident, tel qu’il s’était déroulé, et un motif de distinction illicite.
[24] Je suis d’avis que l’enquête relative à la plainte du demandeur a été à la fois approfondie et impartiale. En outre, eu égard à la brève analyse faite ci‑dessus, j’arrive à la conclusion, comme je l’ai dit plus haut, que l’enquêteuse pouvait formuler la recommandation qui apparaissait dans son rapport. Finalement, je suis également d’avis qu’il était loisible à la Commission d’accepter la recommandation de l’enquêteuse. Cette affaire n’est tout simplement jamais allée jusqu’à poser la question de savoir si l’incident en cause faisait apparaître un parti pris ou un profilage racial. Puisque la preuve recueillie n’attestait aucun lien entre l’incident en cause et un motif de distinction illicite, il est tout simplement impossible de conclure à un parti pris ou à un profilage racial.
DISPOSITIF
[25] Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
[26] L’avocat de la défenderesse n’a pas sollicité de dépens. Il ne sera pas adjugé de dépens.
Ottawa (Ontario)
le 23 novembre 2007
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes, LL.B.
ANNEXE
(voir les paragraphes 19 à 21)
ANALYSE
a) La norme de contrôle
[20] S’agissant de la norme de contrôle, je ne puis faire mieux que citer les motifs exposés par mon collègue le juge Mosley dans la décision Besner c. Procureur général of Canada (Service correctionnel du Canada)[3], où il s’exprimait ainsi, aux paragraphes 23 à 25 :
Dans Sketchley c. Canada (Procureur général), […], la Cour d’appel fédérale a effectué une analyse pragmatique et fonctionnelle pour établir les normes de contrôle applicables au rejet d’une plainte analogue par la Commission canadienne des droits de la personne. Elle fait observer au paragraphe 111 que cette approche analytique ne s’applique pas à la question de savoir si une enquête a été suffisamment approfondie. Cette question en est une d’équité procédurale qui ne commande aucune retenue judiciaire. Le manquement à l’équité procédurale est depuis longtemps considéré comme une faute grave de la part de n’importe quel tribunal administratif, de sorte qu’il appartient aux tribunaux judiciaires de donner une réponse juridique à toute question de cette nature : […]
La question de savoir si l’employeur doit prendre des mesures précises et raisonnables pour se renseigner auprès de médecins sur les limitations fonctionnelles invoquées par l’employé est une question de droit, à laquelle s’applique la norme de la décision correcte : […]
Sauf manquement à l’obligation d’équité procédurale ou erreur de droit, la cour de révision ne devrait intervenir que dans le cas où le caractère déraisonnable de la décision de la Commission est démontré : […]. Les lacunes dont pourrait être entaché le rapport d’un enquêteur ne vicient pas la décision de la Commission, pourvu qu’elles ne soient pas à ce point fondamentales que les observations complémentaires des parties ne suffisent pas à y remédier. Dans un contrôle judiciaire, lorsque la Commission n’a pas, comme en l’espèce, fourni de motifs détaillés, le rapport de l’enquêteur peut être considéré comme constituant les motifs de la décision de la Commission. […]
[Renvois omis.]
[21] La plainte dont la Cour est ici saisie n’est pas « analogue » à celle dont la Cour d'appel était saisie dans l’affaire Sketchley[4]. Cela dit, je suis d’avis que les brèves remarques faites par mon collègue sur la norme de contrôle s’appliquent ici. Le premier point soulevé par le demandeur est une question d’équité procédurale, qui n’appelle aucune retenue de la part de la Cour. Le deuxième point soumis ici à la Cour, celui qui concerne l’application du mauvais critère de discrimination, est, tout comme le point auquel se rapporte le deuxième paragraphe cité plus haut, une question de droit, réformable selon la décision correcte. Le troisième point soulevé au nom du demandeur ne concerne ni un manquement à l’équité procédurale ni une erreur de droit. Le troisième paragraphe cité plus haut est applicable. S’agissant de ce troisième point, la Cour n’interviendra que s’il est établi que la décision de la Commission est déraisonnable. Par ailleurs, au vu des faits portés à ma connaissance, le rapport d’enquête doit être considéré comme les motifs de la décision rendue par la Commission.
b) L’obligation d’équité
i) L’exhaustivité de l’enquête
[22] Dans le jugement Sanderson c. Canada (Procureur général)[5], ma collègue la juge Mactavish écrivait ce qui suit, aux paragraphes 45 et 46 de ses motifs :
[…]pour respecter la mission consistant à instruire les plaintes de discrimination que la loi attribue à la Commission, les enquêtes doivent être à la fois neutres et exhaustives. Voici ce que la Cour a déclaré dans Slattery au sujet du caractère exhaustif des enquêtes :
Il faut faire montre de retenue judiciaire à l’égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n’est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante, qu’un contrôle judiciaire s’impose [...] [Non souligné dans l’original.]
Les décisions prononcées après Slattery indiquent que la décision que prend la Commission de rejeter une plainte en se fondant sur une enquête lacunaire est elle‑même lacunaire puisque « si les rapports sont défectueux, il s’ensuit que la Commission ne disposait pas d’un nombre suffisant de renseignements pertinents pour exercer à bon droit son pouvoir discrétionnaire » : …
[Renvois omis; s’agissant de « Slattery », il s’agit du jugement
Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574.]
[23] Comme je l’écrivais plus haut au paragraphe [5] des présents motifs, le demandeur a déposé sa plainte auprès de la Commission en février 2004. Les motifs de distinction illicite allégués dans sa plainte étaient la race et la couleur. Dans une lettre datée du 4 mai 2004, l’avocat du demandeur informait la Commission que [traduction] « outre la discrimination fondée sur la race, nous voudrions modifier la plainte de M. Powell pour y ajouter les motifs suivants de distinction : la couleur, le sexe, l’âge et le pays d’origine ». La demande d’ajouter la couleur parmi les motifs de distinction était évidemment une redite. En outre, comme je l’ai dit précédemment, il semblerait que le « pays d’origine » n’est pas explicité. Le demandeur a demandé d’ajouter les autres motifs bien avant la nomination d’un enquêteur par la Commission. Je suis d’avis que le motif d’« appartenance ethnique », évoqué plus loin, est compris dans le motif de « race », considéré au sens large.
[24] Pareillement, le demandeur a donné à la Commission un avis détaillé de son sentiment, je dirais même de son inquiétude, que la discrimination qu’il alléguait participait du profilage racial. Réagissant à la défense opposée par la défenderesse à l’accusation de discrimination, le demandeur écrivait ce qui suit, aux paragraphes 44 et 47 de sa réponse :
[traduction]
Les mesures prises par la défenderesse le 4 novembre et le 1er décembre 2003 sont révélatrices d’un profilage racial.
[…]
Le demandeur dit qu’il a été victime d’un profilage racial en raison de sa couleur, de son sexe, de sa race, de son appartenance ethnique et de son âge, de la part des deux succursales de TD Canada Trust mentionnées dans la plainte. Il croit qu’il a été classé comme étant un criminel, un fraudeur émérite et un individu violent parce qu’il est afro‑américain.
[25] Au paragraphe 5 de son affidavit déposé dans la présente affaire, le demandeur, s’exprimant sur un entretien qu’il a eu avec l’enquêteur de la Commission, écrit ce qui suit :
[traduction] […] J’ai trouvé préoccupant que l’enquêteur ne paraissait pas comprendre que le profilage racial était une forme de discrimination raciale.
Invoquant ce moyen, parmi d’autres, le demandeur s’est plaint auprès de la Commission à propos de la tournure que prenait l’enquête et, plus particulièrement, à propos de la conduite et de l’attitude de l’enquêteur. Après enquête de la Commission, l’enquêteur en cause a été dessaisi du dossier, encore que l’enquête n’ait pas été reprise depuis le début.
[26] Réagissant à la « conclusion et recommandation » de la Commission apparaissant dans le rapport d’enquête, le demandeur a soulevé, encore une fois et en détail, la question du profilage racial [6]. Le demandeur écrivait en particulier ce qui suit, au paragraphe 65 :
[traduction] L’enquêteur n’a pas validement appliqué le droit aux faits, parce qu’il n’a pas pris conscience des directives de la Cour selon lesquelles il est souvent nécessaire de prouver par déduction les allégations de profilage racial. Il est allégué que la seule déduction qui puisse être tirée de l’ensemble des circonstances est que le plaignant a subi un profilage racial en ce sens qu’on l’a cru susceptible de commettre une fraude, et cela en raison de sa couleur, de son sexe, de sa race, de son appartenance ethnique et de son âge.
[27] Le demandeur trouvait aussi que la Commission n’avait pas mené une enquête exhaustive[7]. À ce propos, il écrivait ce qui suit, au paragraphe 30 :
[traduction] S’agissant de la deuxième exigence, le plaignant dit que l’enquêteur n’a pas mené une enquête approfondie. Il a en effet négligé de considérer plusieurs anomalies qui, eu égard aux circonstances exposées dans la plainte, donnent un motif raisonnable de conclure que le plaignant a été victime d’un profilage racial et d’une discrimination en raison de sa couleur, de son sexe, de sa race, de son appartenance ethnique et de son âge. […]
[28] En dépit de tout ce qui précède, il n’est pas établi devant la Cour que, au cours de son enquête, la Commission a pris en compte, et encore moins examiné sérieusement, la question du profilage racial, et qu’elle a pris en compte les autres motifs de distinction illicite avancés par le demandeur.
[29] La preuve du profilage racial est insaisissable, d’autant que l’intention de se livrer à un profilage racial n’est pas requise. En fait, une personne qui se livre à un profilage racial peut même ne pas en être consciente.
[30] Dans l’arrêt R. c. Brown[8], le juge Morden, de la Cour d'appel de l’Ontario, s’exprimait ainsi :
[traduction]
[7] Il n’y a aucune divergence d’opinions sur ce que signifie l’expression « profilage racial ». Dans son mémoire, l’appelante définit l’expression d’une manière concise : « le profilage racial consiste à cibler tel ou tel membre d’un groupe racial donné, en lui attribuant la supposée propension du groupe tout entier à la criminalité », puis elle cite une définition plus longue proposée par la Clinique juridique afro‑canadienne dans une décision antérieure, R. c. Richards […], une définition apparaissant dans les motifs du juge Rosenberg. […] :
traduction]
Le profilage racial est un profilage de criminalité fondé sur la race. Le profilage racial, ou profilage fondé sur la couleur, s’entend du phénomène par lequel certaines activités criminelles sont attribuées à un groupe donné de la société, en raison de sa race ou de sa couleur, entraînant ainsi le ciblage de tel ou tel membre de ce groupe. Dans ce contexte, la race sert d’une manière illégitime comme indicateur de la criminalité d’un groupe racial tout entier, ou comme indicateur de sa propension générale à la criminalité.
[8] L’attitude à l’origine du profilage racial est une attitude qui peut être consciente ou non. Plus exactement, il n’est pas nécessaire que l’officier de police soit un raciste déclaré. Sa conduite peut être fondée sur des préjugés raciaux subconscients.
[Renvois omis.]
Dans la présente affaire, aucun officier de police n’était évidemment concerné. Cela dit, je suis d’avis que l’on pourrait dire exactement la même chose à propos des représentants de la défenderesse qui ont mis à l’épreuve le demandeur pour s’assurer qu’aucune fraude n’allait être commise par lui contre la défenderesse.
[31] Puis le juge Morden écrivait ce qui suit, au paragraphe [44] de ses motifs :
[traduction] Une allégation de profilage racial pourra rarement être établie par preuve directe. Cela supposerait que l’officier de police admette qu’il a été influencé par des préjugés raciaux dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de faire s’arrêter un automobiliste. En conséquence, si le profilage racial doit être prouvé, il le sera par déduction tirée d’une preuve circonstancielle.
[32] Dans l’arrêt Peart c. Peel Regional Police Services Board[9], le juge Doherty écrivait ce qui suit, aux paragraphes 89 et 90 de ses motifs :
[traduction]
Dans l’arrêt R. c. Richards […], le juge Rosenberg, après avoir cité la deuxième définition susmentionnée du profilage racial, écrivait ce qui suit, aux paragraphes 90 et 91 de ses motifs :
L’officier de police qui utilise (consciemment ou non) la race comme indice d’une possible conduite illégale, un indice fondé non pas sur un soupçon personnalisé, mais sur des préjugés négatifs qui attribuent à des personnes, en raison de leur race, une propension aux comportements illégaux, se livre à un profilage racial […]
Le profilage racial est une mauvaise chose. C’est une mauvaise chose quand bien même la conduite policière qui résulte du profilage racial pourrait se justifier en dehors de tout recours à des préjugés négatifs fondés sur la race […]
[Renvoi omis]
[33] Encore une fois, je suis d’avis que les propos cités ci‑dessus ne devraient pas se limiter à la conduite des officiers de police, mais devraient s’étendre à la conduite de toute personne, par exemple les représentants de la banque auxquels a eu affaire le demandeur et qui cherchaient à prévenir une conduite illégale.
[34] Comme je le disais au paragraphe [28] des présents motifs, il n’est pas établi devant la Cour que, durant son enquête, la Commission a pris en compte, et encore moins examiné sérieusement, la question du profilage racial. Par ailleurs, même si le profilage racial évoqué par le demandeur est reconnu superficiellement dans le rapport d’enquête, le sentiment du demandeur sur la question n’est nulle part reconnu dans l’« analyse globale » comprise dans le rapport en question, et il n’est pas non plus reconnu dans la « recommandation » qui termine le rapport. Le sentiment du demandeur à propos du profilage racial n’est nulle part reconnu non plus dans les pièces additionnelles que la Commission avait devant elle lorsqu’elle est arrivée à la décision contestée, si ce n’est dans le formulaire de plainte du demandeur et dans la réponse du demandeur au rapport d’enquête.
[35] Eu égard à l’analyse qui précède, je suis d’avis que l’enquête menée par la Commission sur la plainte du demandeur et donc le rapport d’enquête qui a été présenté à la Commission n’ont pas été aussi approfondis qu’ils auraient dû l’être. Cette faiblesse a vicié la recommandation présentée à la Commission, puis a vicié la décision de la Commission qui est ici contestée. Sur ce seul moyen, et en raison d’un manquement à l’obligation d’équité qu’avait la Commission envers le demandeur, la décision contestée doit être annulée.
[36] La conclusion susmentionnée touche la demande de contrôle judiciaire. Néanmoins, par souci d’exhaustivité, je me prononcerai brièvement sur les points restants soumis à la Cour dans la présente affaire.
ii) La possibilité offerte au demandeur de réagir aux arguments avancés par la défenderesse en réponse à la plainte était‑elle suffisante?
[37] L’avocat du demandeur a relevé que la politique de la défenderesse appelée KYC, sur laquelle se sont fondés les représentants de la défenderesse pour interroger minutieusement le demandeur au cours des deux (2) incidents en cause, n’avait pas été portée à la connaissance du demandeur d’une manière qui lui aurait donné une occasion raisonnable de réagir. Ni la défense opposée par la défenderesse à l’égard de la plainte, défense à laquelle le demandeur a eu l’occasion de répondre, ni le rapport d’enquête, auquel le demandeur a également eu l’occasion de répondre, ne contenaient le texte de ladite politique. Lorsque le demandeur fut mis au fait du contenu de la politique, il n’avait plus la possibilité d’y réagir.
[38] L’avocat de la défenderesse relève que les « portions pertinentes » de la politique étaient référencées dans la réponse de la défenderesse, qu’elles ont été évoquées au nom du demandeur dans sa réponse à ladite réponse et qu’elles ont été considérées lors de l’entretien de l’enquêteur avec le demandeur. Il ajoute que le demandeur n’a jamais cherché à obtenir la politique comme telle.
[39] L’avocat de la défenderesse invoque le passage suivant de l’arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne)[10], où la Cour suprême du Canada faisait sien le raisonnement suivant de lord Denning, maître des rôles, concernant la définition de l’obligation d’agir équitablement :
Cependant, l’organisme enquêteur est maître de sa propre procédure […]. Il n’est pas tenu de révéler tous les détails de la plainte et peut s’en tenir à l’essentiel. Il n’a pas à révéler sa source de renseignements. Il peut se limiter au fond seulement.
[40] Au vu de ce qui précède, je suis d’avis que la Commission n’a pas sur ce point manqué à l’équité envers le demandeur.
iii) L’impartialité, la neutralité ou l’ouverture d’esprit
[41] Dans le jugement Zündel c. Canada (Procureur général)[11], le juge Evans, alors juge de la Cour dans son organisation antérieure, écrivait ce qui suit, au paragraphe 21 de ses motifs :
[…] il a été statué, autant en ce qui concerne une commission provinciale des droits de la personne […] que la Commission canadienne des droits de la personne […] que le critère applicable aux enquêteurs et à la Commission en matière de partialité est celui de l’esprit fermé. Comme l’a dit le juge Noël (maintenant juge à la Cour d'appel fédérale) dans l’affaire Société Radio‑Canada c. Commission canadienne des droits de la personne et al. […] au sujet du critère de partialité applicable à la Commission :
Le critère ne repose donc pas sur le point de savoir si l’on peut raisonnablement discerner un parti pris, mais plutôt si l’on s’est tellement écarté de la norme de l’ouverture d’esprit qu’on pourrait avec raison affirmer qu’il y a eu préjugement de la question portée devant l’organisme d’enquête.
[42] Comme je l’ai dit plus haut, le demandeur avait de sérieux doutes sur l’ouverture d’esprit de l’enquêteur mandaté à l’origine pour enquêter sur sa plainte. Il s’en est plaint à la Commission par l’entremise de son avocat. Une enquête interne a eu lieu au sein de la Commission. Ce premier enquêteur a été dessaisi de l’enquête sur la plainte du demandeur. Un nouvel enquêteur fut désigné, mais cet enquêteur comptait parmi ceux qui avaient participé à l’enquête interne. Le premier enquêteur fut dessaisi du dossier, mais l’enquête n’a pas repris depuis le début. Le nouvel enquêteur a tout simplement repris l’enquête là où le premier enquêteur l’avait laissée.
[43] Cela dit, le demandeur n’a jamais contesté, selon le dossier que la Cour a devant elle, l’exactitude et l’exhaustivité des notes d’entretien du premier enquêteur.
[44] La procédure suivie par la Commission pour enquêter sur la plainte du demandeur ne fut certainement guère satisfaisante pour le demandeur, et il est sans doute possible de dire que la conduite du premier enquêteur et les questions qu’il a posées manquaient passablement de tact, mais je ne suis pas persuadé, au vu de la preuve que la Cour a devant elle, que la Commission a préjugé la question qui lui était soumise. Le demandeur ne peut donc obtenir gain de cause sur ce moyen.
c) L’erreur de droit – La Commission a‑t‑elle appliqué le mauvais critère de « discrimination », sur le plan général ou dans le « contexte du profilage racial »?
[45] Le demandeur dit que l’enquêteur chargé d’examiner sa plainte et donc la Commission ont utilisé le critère de discrimination applicable aux allégations relevant de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés[12]. Ce faisant, d’affirmer le demandeur, l’enquêteur et donc la Commission ont recherché une intention et une motivation lorsqu’ils ont analysé la conduite des représentants de la défenderesse impliqués dans les deux (2) incidents en cause, et ils ont par conséquent commis une erreur susceptible de contrôle. Dans le jugement Smith c. Ontario (Human Rights Commission)[13], la Cour supérieure de justice de l’Ontario s’exprimait ainsi, au paragraphe 11 :
[traduction] Il est de jurisprudence constante que l’intention ou la raison d’exercer une discrimination n’est pas un élément nécessaire de la discrimination. Dans l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et Theresa O’Malley c. Simpson‑Sears Ltd., […] la Cour suprême du Canada écrivait ce qui suit :
La preuve de l’intention, une exigence nécessaire dans notre façon d’aborder une loi criminelle et punitive, ne devrait pas être un facteur déterminant dans l’interprétation d’une loi sur les droits de la personne qui vise à éliminer la discrimination. Je suis d’avis que les tribunaux d’instance inférieure ont eu tort de conclure que l’intention d’établir une distinction constitue un élément de preuve nécessaire.
[Renvoi omis.]
[46] En outre, de faire valoir le demandeur, l’enquêteur et donc la Commission ont commis une erreur susceptible de contrôle dans l’adoption d’un critère du « groupe de comparaison ».
[47] Le paragraphe pertinent du rapport d’enquête est bref. Il est reproduit ici, par commodité, avec soulignements :
[traduction] L’enquête n’a pas permis de conclure à l’existence de preuves permettant d’affirmer que les actes de la défenderesse et de ses employés étaient motivés par la race et la couleur du plaignant. Il n’existe aucun groupe de comparaison connu de personnes de race blanche qui permettrait de dire si un Blanc, dans des circonstances identiques à celles du plaignant, était mieux traité que le plaignant, ou traité différemment. Eu égard à l’ensemble de la preuve, une personne de race blanche, dans des circonstances identiques, serait probablement traitée de la même façon selon la politique KYC de la banque, qui requiert d’établir l’identité de cette personne à la satisfaction du personnel de la succursale.
[Non souligné dans l’original.]
[48] Il est clair que l’enquêteur a largement fait fond sur l’aspect de la motivation et, comme je l’ai dit précédemment, compte tenu de la brièveté de la décision de la Commission qui est ici en cause, je dois présumer que la Commission a adopté le point de vue de l’enquêteur. Je suis donc d’avis que la décision contestée est erronée et susceptible de contrôle selon la norme applicable, posant que cette norme est la décision correcte.
[49] S’agissant de l’importance accordée dans le rapport d’enquête à un critère du « groupe de comparaison », mon collègue le juge O’Reilly écrivait, au paragraphe 22 de ses motifs, dans le jugement Canada (Commission des droits de la personne) c. M.R.N.[14] :
[…] La Commission a allégué que la discussion à propos d'un « groupe de comparaison », une notion dérivée de la jurisprudence concernant le paragraphe 15(1) de la Charte, était inappropriée et avait eu une incidence sur la conclusion du Tribunal. À mon avis, cette discussion était complètement inoffensive. Une cour ou un tribunal ne peut décider si une personne a été victime de discrimination sans établir des comparaisons avec le traitement accordé aux autres personnes. Les comparaisons sont inévitables.
[50] Dans la présente affaire, la brève évocation d’un groupe de comparaison n’était pas inoffensive. Elle était plutôt un élément essentiel de la très brève analyse conduisant à la recommandation faite à la Commission. Cela dit, je partage l’avis de mon collègue le juge O’Reilly selon lequel « les comparaisons sont inévitables ». Il m’est impossible de dire que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a implicitement adopté sur ce point le raisonnement du rapport d’enquête.
c) Conclusions non raisonnablement étayées par la preuve, ne tenant pas compte de la preuve ou se méprenant sur la preuve
[51] Le demandeur ne s’est pas attardé outre mesure sur ce moyen dans ses observations écrites, à en juger par la longueur relative de ces observations, et, pareillement, son avocat a limité son argumentation sur la question. Je suis d’avis que la preuve d’identité invoquée par le demandeur aux cours des deux (2) incidents, ce à quoi s’ajoute la preuve extraite des dossiers de la défenderesse à laquelle ont eu accès les représentants de la défenderesse impliqués dans les mêmes incidents, était quelque peu déroutante. Il se trouve que le demandeur a choisi de se présenter à deux succursales différentes de la banque défenderesse et que ni l’une ni l’autre n’était une succursale où il détenait un compte. Il n’était donc pas déraisonnable pour les représentants de la défenderesse de le prier de s’identifier clairement. Ce qui ne veut pas dire que le demandeur n’a pas été victime d’une discrimination au cours des incidents en question. Je veux simplement dire que je ne trouve aucune erreur susceptible de contrôle, au regard de la décision raisonnable simpliciter, dans la manière dont la Commission a considéré la preuve figurant dans le rapport d’enquête qu’elle avait devant elle.
…
[Pour des raisons techniques, les numéros des notes infrapaginales apparaissant dans l’annexe ne concordent pas avec les numéros des notes correspondantes apparaissant dans le texte original.]
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑2219‑06
INTITULÉ : M. GLEN MORRISON et
LA BANQUE HSBC DU CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 30 OCTOBRE 2007
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE GIBSON
DATE DES MOTIFS : LE 23 NOVEMBRE 2007
COMPARUTIONS :
Glen Morrison
|
LE DEMANDEUR, pour son propre compte |
Vincent P. Johnston
|
POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
|
POUR LE DEMANDEUR |
Harris et Compagnie, Vancouver (C.‑B.)
|
POUR LA DÉFENDERESSE |
[1] L.R.C. 1985, ch. H‑6.
[2] Numéro du greffe T‑535‑06, 2007 CF 1227, le 23 novembre 2007.
[3] 2007 CF 1076, 19 octobre 2007 (jugement non cité devant la Cour).
[4] Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. n° 2056, 2005 CAF 404, 9 décembre 2005.
[5] [2006] A.C.F. n° 557, 2006 CF 447, 6 avril 2006.
[6] Voir l’onglet 4Q du dossier de demande, volume 1, paragraphes 1, 25, 27, 30, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 54, 55, 60, 65 et 66.
[7] Voir l’onglet 4Q, paragraphes 2, 25, 30 et 44.
[8] 64 O.R. (3d) 161 (C.A. Ont.).
[9] [2006] O.J. No. 4457 (C.A. Ont.).
[10] [1989] 2 R.C.S. 879.
[11] [1999] 4 C.F. 289.
[12] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 (L.R.C. 1985, appendice II, n° 44), qui est l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.).
[13] [2005] O.J. No. 377, 8 février 2005.
[14] [2004] 1 C.F. 679.