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Date : 20071120

Dossier : IMM‑5700‑06

Référence : 2007 CF 1216

Ottawa (Ontario), le 20 novembre 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

OSSAMA KAMAL KAMEL GHALY

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        M. Ossama Kamal Kamel Ghaly est un chrétien copte, citoyen de l’Égypte, qui a quitté son pays en janvier 2000. Après être demeuré tout juste un peu plus de trois ans aux États‑Unis, il est arrivé au Canada le 24 mars 2003. Il a alors présenté une demande d’asile. Après que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) eut prononcé le désistement de sa demande d’asile, M. Ghaly a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR). La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision de l’agente d’ERAR, selon qui M. Ghaly n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

[2]        En prenant sa décision, l’agente d’ERAR a conclu que : (i) bien qu’il existe des éléments de preuve selon lesquels les chrétiens coptes sont victimes de discrimination en Égypte, cet état de fait ne constitue pas de la persécution et que (ii) M. Ghaly n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle il pouvait se prévaloir de la protection de l’État en Égypte.

 

[3]        La présente demande de contrôle judiciaire de cette décision est accueillie au motif que l’omission de l’agente de tenir compte du fait que M. Ghaly avait été victime de persécution dans le passé constitue une erreur de droit et que sa façon d’appliquer le critère permettant d’établir l’existence de la protection de l’État constitue aussi une erreur de droit. La norme de contrôle qui s’applique à ces deux erreurs de droit est la décision correcte.

 

[4]        Il est d’abord important de souligner que la situation de M. Ghaly devant l’agente était marquée à deux égards par le fait que le bien‑fondé de sa demande d’asile n’avait pas été examiné par la SPR.

 

[5]        Premièrement, l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), ne restreignait pas la preuve que M. Ghaly pouvait présenter à l’agente.

 

[6]        Deuxièmement, aucune décision antérieure n’avait été prise quant à la crédibilité de la preuve présentée par M. Ghaly. Les renseignements dont disposait l’agente, constituant tous des éléments de preuve « survenus depuis le rejet [en l’espèce le désistement] » de la demande d’asile au sens de l’alinéa 113a) de la Loi, étaient cruciaux pour la prise de la décision relative à la protection et, s’ils avaient été admis, auraient justifié que soit accordée la demande de protection. L’agente n’a pas exigé que M. Ghaly comparaisse à une audience, ce qu’elle aurait eu à faire si, à son avis, les renseignements qu’il avait fournis soulevaient une question importante en ce qui concernait sa crédibilité. Se référer à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), et à l’alinéa 113b) de la Loi (Les textes de l’article 113 de la Loi et de l’article 167 du Règlement sont reproduits dans l’annexe aux présents motifs). En fait, il semble que l’agente ait admis la véracité des renseignements fournis par M. Ghaly, comme elle devait le faire selon moi, puisqu’elle n’avait pas exigé qu’il comparaisse à une audience.

 

[7]        Les renseignements fournis par M. Ghaly établissaient qu’en 1998, des membres de la Gamaat Islamiya l’avaient menacé et attaqué avec un couteau de 10 à 15 reprises, du fait qu’il avait donné des conseils à un ami chrétien qui pensait à se convertir à l’islam, et qu’il refusait lui‑même de s’y convertir. En 1999, les membres de la famille de M. Ghaly ont été attaqués dans leur maison par cinq hommes, décrits par le demandeur comme des extrémistes qui étaient à sa recherche et qui l’avaient menacé de mort. Les parents et les sœurs de M. Ghaly ont été battus et leur maison ainsi que son contenu ont été endommagés. À la suite de cette attaque, le père du demandeur est allé à un poste de police, mais les agents ont refusé de prendre en note sa déclaration. Ils se sont alors réfugiés chez des parents. Lorsque les attaquants de M. Ghaly ont appris où il demeurait alors, il a obtenu un visa pour se rendre aux États‑Unis et a quitté l’Égypte en janvier 2000. Depuis que M. Ghaly a quitté l’Égypte, les extrémistes sont toujours à sa recherche, continuent de le menacer et ont déclaré qu’ils attendaient son retour.

 

[8]        Comme l’agente n’a pas requis la tenue d’une audience, mais qu’elle a plutôt admis les renseignements fournis par M. Ghaly, les conséquences suivantes découlent de l’application du droit.

 

[9]        Premièrement, comme l’a reconnu de façon juste et convenable l’avocat du ministre, l’agente a commis une erreur de droit en omettant de tenir compte du fait que M. Ghaly avait été victime de persécution dans le passé par des membres de la Gamaat Islamiya en raison de sa religion. Comme l’a écrit ma collège la juge Tremblay‑Lamer au paragraphe 23 de la décision N.K. c. Canada (Solliciteur général), [1995] A.C.F. no 889 :

          Les situations factuelles qui ont donné lieu en jurisprudence à une telle caractérisation comportent en général des actes de violence lesquels sont souvent accompagnés de menaces de mort. L'accumulation de ces actes hostiles sur une longue période de temps et souvent qui portent atteinte à la sécurité physique du revendicateur, ne peuvent de toute évidence se qualifier seulement de discriminatoires.

 

[10]      Cette erreur rend non pertinente l’analyse de l’agente selon laquelle le traitement habituellement réservé aux chrétiens coptes en Égypte constitue de la discrimination et non de la persécution.

 

[11]      Deuxièmement, l’arrêt clé relativement à l’existence de la protection de l’État est Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. Au paragraphe 50 de l’arrêt, la Cour suprême explique, comme suit, la façon dont un demandeur peut prouver l’absence de protection de l’État :

Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur. [Non souligné dans l’original.]

 

[12]      En ce qui a trait à la question de la protection de l’État, l’agente a fait abstraction de la pertinence de la preuve fournie par M. Ghaly quant aux incidents passés, au motif qu’il n’avait pas mentionné si les attaques au couteau avaient été signalées à la police. L’agente a conclu que M. Ghaly ne s’était pas déchargé de son obligation de demander la protection de l’État. Dans les circonstances de l’espèce, en l’absence d’une preuve ou d’observations présentées à l’agente selon lesquelles M. Ghaly avait sollicité la protection de l’État ou n’avait pas à le faire parce que la protection n’aurait probablement pas été fournie, je ne suis pas prête à juger que la conclusion de l’agente constituait une erreur.

 

[13]      L’agente a ensuite examiné la preuve dont elle disposait concernant les personnes qui étaient dans une situation semblable à celle de M. Ghaly, ce qu’elle devait faire étant donné la période de temps qui s’était écoulée depuis que le demandeur avait quitté l’Égypte. Toutefois, l’agente a commis une erreur de droit sur ce point en omettant de reconnaître que M. Ghaly, sur le fondement de la preuve, était dans une situation semblable à celle des chrétiens coptes qui étaient ciblés par des extrémistes religieux et qui avaient été persécutés dans le passé. En tenant compte uniquement de la situation des chrétiens coptes de façon générale, l’agente a commis une erreur de droit en appliquant incorrectement le critère de la protection de l’État énoncé dans l’arrêt Ward, précité. Cette erreur était importante eu égard à la preuve documentaire dont disposait l’agente, qui établissait qu’en [traduction]« Égypte, les chrétiens coptes sont traités comme des citoyens de seconde classe et l'État égyptien ne fait pas tout ce qu'il faut pour les protéger contre les fondamentalistes islamistes ». Se référer aux Réponses aux demandes d’information, EGY42414.F « Traitement des chrétiens et la protection qui leur est offerte par l’État (1999‑février 2004) ».

 

[14]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Les avocats n’ont proposé aucune question aux fins de certification et je suis d’accord que le présent dossier n’en soulève aucune.

 

[15]      En conclusion, je souligne le fait que la Cour, dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, a tiré profit des observations remarquables de M. Knapp, au nom du ministre, et de Mme Desloges, au nom de M. Ghaly.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de l’agente d’examen des risques avant renvoi datée du 28 septembre 2006 est annulée.

 

2.         L’affaire est renvoyée à un autre agent qui devra en faire un nouvel examen conformément aux présents motifs.

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


ANNEXE

L’article 113 de la Loi et l’article 167 du Règlement prévoient ce qui suit :

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

 

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

 

 

 

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

 

 

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

 

 

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

 

[…]

 

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci‑après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

 

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

 

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

 

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 

[…]

 

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM‑5700‑06

 

INTITULÉ :                                                               OSSAMA KAMAL KAMEL

                                                                                    GHALY

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 30 OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 20 NOVEMBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Chantal Desloges                                                          POUR LE DEMANDEUR

 

David Knapp                                                                POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Green and Spiegel LLP                                                 POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LES DÉFENDEURS

Sous‑procureur général du Canada

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