Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SUPPLÉANT BARRY L. STRAYER
ENTRE :
EXÉCUTRICE DE FEU RALPH ESTENSEN
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
INTRODUCTION
[1] La requérante en l’espèce, Gail Estensen (la nouvelle demanderesse), en sa qualité d’exécutrice du demandeur, demande à être substituée à ce dernier et à ce que l’intitulé soit modifié en conséquence. J’ai accédé à sa demande. Elle demande aussi que la demande initiale de contrôle judiciaire déposée dans la présente affaire soit suspendue et qu’une ordonnance extraordinaire lui accordant les dépens soit sur la base avocat‑client, soit sur une base plus élevée prévue par le tarif B, soit rendue.
LES FAITS
[2] La demande initiale en l’espèce a été déposée le 21 février 2006, afin d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision rendue par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’ACIA) le 3 février 2006. L’ACIA avait alors annulé l’entente d’accréditation des vétérinaires conclue entre elle et le demandeur. Selon cette entente, le demandeur était employé par l’ACIA pour inspecter les bovins expédiés aux États‑Unis dans le but de certifier qu’ils satisfaisaient aux conditions d’importation dans ce pays. Dans son avis d’annulation, l’ACIA a conclu que le demandeur avait délivré un certificat d’abattage de bovins destinés à l’exportation aux États‑Unis « qui était faux ». L’ACIA a toutefois fait savoir au demandeur, dans une lettre datée du 3 avril 2006, qu’elle avait révoqué l’annulation de son entente. Il n’est pas contesté qu’en réexaminant la procédure qu’elle avait suivie pour rendre sa décision du 3 février 2006 l’ACIA a constaté, à la lumière de la demande de contrôle judiciaire subséquente, que des irrégularités et un manque d’équité rendaient probablement nulle cette décision. Le jour où elle a révoqué l’annulation, l’ACIA a aussi avisé le demandeur qu’elle avait de nouveau suspendu son accréditation et qu’une audience aurait lieu en vue de l’annulation permanente de celle‑ci. Les motifs étaient les mêmes que dans le cas de la première suspension et annulation.
[3] Le demandeur a alors déposé une nouvelle demande de contrôle judiciaire, qui est devenue l’affaire T‑740‑06. Le 12 octobre 2006, un protonotaire a rendu une ordonnance suspendant la première demande, T‑320‑06, jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire de l’affaire T‑740‑06.
[4] J’ai instruit la demande de contrôle judiciaire dans l’affaire T‑740‑06 et, le 22 mai 2007, j’ai prononcé des motifs indiquant que j’accueillais cette demande. Je n’ai pas rendu de jugement parce que le demandeur souhaitait présenter des observations spéciales sur la question des dépens selon l’issue de l’affaire T‑740‑06. Dans mes motifs, j’ai demandé aux avocats de me soumettre des observations écrites concernant les dépens, mais les choses ont été retardées par le décès du demandeur le 16 juin 2007. Son épouse, Gail Estensen, qui a été nommée exécutrice de sa succession, m’a soumis une requête concernant les dépens dans l’affaire T‑740‑06, ainsi que la présente requête demandant qu’une décision soit rendue dans l’affaire T‑320‑06.
[5] En ce qui concerne la suspension de l’affaire T‑320‑06 qui est demandée, je crois qu’il convient de mettre fin à cette affaire étant donné que l’ordonnance dont le contrôle judiciaire a été demandé dans la demande initiale n’existe plus. Je rejetterai donc simplement la demande de contrôle judiciaire, mais accorderai les dépens au demandeur.
[6] La nouvelle demanderesse soutient essentiellement qu’une ordonnance extraordinaire concernant les dépens devrait être rendue, car le demandeur a dû assumer inutilement le coût d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision qui, à cause de la conduite de l’ACIA, était indéfendable. J’accepte cet argument. La nouvelle demanderesse affirme cependant qu’il serait justifié d’adjuger les dépens sur la base avocat‑client parce que l’ACIA a agi [traduction] « de manière arbitraire et arrogante ». Elle a cité l’arrêt Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, où la Cour suprême du Canada a écrit, aux pages 65 et 66, que « [l]es dépens comme entre procureur et client ne sont généralement accordés que s’il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d’une des parties », mais il ressort clairement du contexte que la Cour suprême faisait alors la précision habituelle que les dépens sont généralement accordés sur la base avocat‑client uniquement lorsqu’il y a eu faute dans le cadre du litige lui‑même. L’adjudication des dépens sur cette base n’est pas justifiée simplement parce qu’une partie, comme c’est le cas en l’espèce, n’aurait eu aucune cause défendable si la demande de contrôle judiciaire avait été instruite.
[7] Bien que je ne puisse pas, au moyen de l’adjudication des dépens, indemniser le demandeur ou son exécutrice de la perte de revenu et de l’atteinte à sa réputation subis par le premier à cause de la première annulation, laquelle n’était pas justifiée – et fait l’objet du présent contrôle judiciaire – je crois que je peux essayer de réduire les frais qu’il a été forcé d’engager pour déposer cette demande inutile. J’ai tenu compte aussi du fait que, dans sa décision du 3 février 2006 – celle qui est en cause en l’espèce – l’ACIA a déclaré que le demandeur avait délivré un certificat « qui était faux », portant ainsi gravement atteinte à la réputation du demandeur dans une instance qui était invalide, mais que le demandeur a tout de même était contraint de contester.
[8] Par souci d’économie et pour accélérer les choses, je fixerai le montant approprié de la somme globale demandée au titre des dépens en me servant du peu de renseignements qui ont été présentés au soutien de la demande. Il me semble que l’avocat du demandeur et de la nouvelle demanderesse a pris trois mesures importantes en l’espèce : il a préparé et déposé des actes introductifs d’instance et un dossier de demande; il a rédigé des observations en réponse à l’avis concernant l’état de l’instance du 13 septembre 2006; il a déposé la présente requête visant à mettre fin à l’affaire et à obtenir les dépens. En conséquence, je fixerai les dépens, y compris les honoraires d’avocat, à 6 000 $, auxquels s’ajoutent des débours de 100 $ et les taxes applicables.
JUGEMENT
LA COUR STATUE :
1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, les dépens étant accordés à la nouvelle demanderesse.
2. Une somme globale de 6 000 $ au titre des honoraires d’avocat, à laquelle s’ajoutent des débours de 100 $ et les taxes applicables, est accordée à la nouvelle demanderesse.
« B.L. Strayer »
Traduction certifiée conforme
David Aubry, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-320-06
INTITULÉ : GAIL ESTENSEN, EXÉCUTRICE DE FEU RALPH ESTENSEN
c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : VANCOUVER
DATE DE L’AUDIENCE : LE 8 MAI 2007
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE STRAYER
DATE DES MOTIFS : LE 16 NOVEMBRE 2007
COMPARUTIONS :
R.A. Wattie David Letkemann |
POUR LA DEMANDERESSE |
Melanie Chartier |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Linley Duigen Vancouver (C.-B.)
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POUR LA DEMANDERESSE |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Ministère de la Justice Vancouver (C.-B.)
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POUR LE DÉFENDEUR |