Edmonton (Alberta), le 14 novembre 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le demandeur, un citoyen du Rwanda, fonde sa demande d’asile principalement sur le fait que, étant un dissident politique, il a fui le Rwanda en 2004 parce qu’il craint subjectivement et objectivement d’être persécuté par le gouvernement rwandais s’il retourne dans ce pays. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a jugé la preuve du demandeur crédible et a formulé des commentaires très élogieux au sujet de l’honnêteté de celui-ci. Elle a néanmoins décidé de rejeter sa demande à cause de l’insuffisance de la preuve objective étayant sa crainte subjective. Pour les motifs qui suivent, j’estime que cette décision comporte une erreur susceptible de révision.
[2] Le demandeur a présenté à la SPR une preuve objective concernant quatre facteurs au soutien de sa crainte subjective actuelle du gouvernement rwandais : entre 2001 et 2004, il a créé et géré un groupe de discussion sur Internet (MSN), où étaient publiés des commentaires très critiques à l’égard du gouvernement; le gouvernement actuel est le même qu’en 2004 et est un régime répressif; le gouvernement reconnaîtra le demandeur et dénoncera sa conduite passée s’il retourne au Rwanda parce qu’il appartient indiscutablement à une famille rwandaise influente; fait le plus important, un ami de sa famille, M. Damascene, qui travaillait pour le service de renseignement du Rwanda, lui a conseillé en 2004 de ne pas retourner dans ce pays.
[3] En ce qui concerne le fait qu’il est un dissident politique, le demandeur a répondu à la question suivante comme suit :
[traduction]
Q. : Bien. Avez-vous réellement critiqué ouvertement le gouvernement rwandais?
R. : Oui.
(Transcription, à la page 13)
[4] Selon le demandeur, M. Damascene lui a dit :
[traduction]
Vu vos idées, vous ne pouvez pas retourner au Rwanda, pas dans votre état d’esprit, pas dans votre état d’esprit actuel.
(Transcription, à la page 12)
[5] La preuve des conditions existant actuellement au Rwanda indique notamment :
[traduction] De graves violations des droits de la personne ont été commises, bien que la situation se soit grandement améliorée dans certaines régions. À cause des restrictions frappant les activités des partis politiques, les citoyens n’ont toujours pas pleinement le droit de changer paisiblement de gouvernement. Des exécutions sommaires et des actes de torture et de violence commis en toute impunité par les forces de sécurité ont été signalés. Les conditions existant dans les prisons et les centres de détention sont toujours médiocres malgré les mesures positives prises par le gouvernement. Des personnes, notamment des enfants de la rue et d’autres « vagabonds » ainsi que des témoins de Jéhovah, ont été arrêtées et détenues arbitrairement par les forces de sécurité. La détention prolongée avant le procès, les limites imposées à l’indépendance judiciaire, les procès publics inéquitables et la détention d’anciens personnages politiques – notamment l’ancien président Pasteur Bizimingu – demeurent problématiques. La liberté d’expression, la liberté de presse et la liberté d’association continuent d’être limitées. La corruption au sein du gouvernement et les restrictions imposées à la société civile restent problématiques. De plus, la violence et la discrimination dont les femmes sont victimes dans la société, le trafic de personnes, le travail des enfants et les limites imposées aux droits en matière de travail constituent toujours des problèmes. (Dossier du tribunal, à la page 155)
La constitution garantit la liberté d’expression et la liberté de presse « dans les conditions prescrites par la loi », mais le gouvernement a parfois restreint ces droits dans la pratique en appliquant des lois trop générales et trop vagues. Les ONG internationales qui défendent la liberté de presse ont signalé des cas où le gouvernement a harcelé, déclaré coupables, condamné au paiement d’amendes et intimidé des journalistes étrangers indépendants qui avaient exprimé des opinions considérées comme des critiques à l’égard du gouvernement sur des sujets délicats ou qui étaient soupçonnés d’avoir violé les normes journalistiques contrôlées par un conseil réglementaire médical seulement partiellement indépendant. Certains journalistes pratiquaient l’autocensure. (Dossier du tribunal, à la page 165)
[6] La SPR a dit ce qui suit au sujet de la preuve objective du demandeur :
En ce qui concerne le groupe de discussion MSN, les sujets dont nous a parlé le demandeur d’asile sont assurément des sujets d’une grande actualité pour ce qui est du Rwanda [les jeunes entrepreneurs, l’absence de liberté d’expression, la sexualité, le VIH/sida, la libération des femmes; transcription, aux pages 12 et 22]. Je peux comprendre que les agents du service de renseignements du Rwanda peuvent vouloir surveiller des groupes de discussion comme celui-là dans Internet. Il m’apparaît donc sensé que le collègue de votre père, M. Damascene, aurait, ou pourrait avoir, été au courant de ce groupe de discussion. Je peux comprendre qu’il vous conseillait de faire preuve de prudence. Toutefois, je ne vois rien de vraiment politique dans le sujet, ni rien de nature si délicate qu’il donnerait lieu à une enquête sérieuse de la part des autorités rwandaises.
Le groupe a été actif jusqu’en 2003, peut-être 2004. Rien dans la preuve n’indique qu’il a été actif depuis ni qu’une personne ayant participé à ce groupe de discussion en a subi des conséquences négatives au Rwanda ou à son retour dans ce pays. Je n’ai été saisi d’aucun élément de preuve me permettant de conclure que les autorités rwandaises considéreraient que vous représentez une menace sérieuse en raison de ces activités.
(Non souligné dans l’original.)
(Décision de la SPR, à la page 4)
[7] À mon avis, la SPR n’a pas bien apprécié la preuve à l’égard de quatre points. Premièrement, à l’époque où il a quitté le Rwanda, le demandeur menait des activités vraiment politiques contre le gouvernement. Deuxièmement, les propos de M. Damascene démontrent que le gouvernement considérait que les activités du demandeur étaient vraiment politiques et qu’elles constituaient une menace pour ses intérêts. Troisièmement, le gouvernement rwandais continue de réprimer l’opposition politique; l’opinion de la SPR selon laquelle le gouvernement ne s’intéresserait pas au demandeur si celui‑ci retournait au Rwanda n’est qu’une pure conjecture. Quatrièmement, en ce qui a trait au risque de persécution auquel le demandeur serait exposé s’il retournait au Rwanda, la SPR s’est servie d’une norme trop rigoureuse pour apprécier la preuve. Il n’est pas nécessaire que le demandeur établisse que les autorités rwandaises le considéreraient comme une « menace sérieuse » en raison des activités qu’il a menées jusqu’en 2004. Il faut seulement que le demandeur établisse qu’il existe plus qu’une simple possibilité de persécution en raison de ces activités s’il retournait au Rwanda. La SPR a donc commis une erreur de droit à cet égard.
[8] Par conséquent, j’estime que la SPR a commis une erreur susceptible de révision.
ORDONNANCE
En conséquence, j’annule la décision de la SPR et je renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.
Aucune question n’est certifiée.
« Douglas Campbell »
___________________________
Juge
Traduction certifiée conforme
Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1912-07
INTITULÉ : FREDDY BIHOZAGARA CYOYA
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : EDMONTON
DATE DE L’AUDIENCE : LE 14 NOVEMBRE 2007
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE CAMPBELL
DATE DES MOTIFS : LE 14 NOVEMBRE 2007
COMPARUTIONS :
Simon Yu
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POUR LE DEMANDEUR |
Camille Audain
|
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Simon Yu Avocat Edmonton (Alberta)
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POUR LE DEMANDEUR |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
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