Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2007
En présence de monsieur le juge Martineau
ENTRE :
Olga HERNANDEZ FERRUSCA
Hector Luis JIMENEZ HERNANDEZ
Victor Daniel SANCHEZ HERNANDEZ
demandeurs
et
ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Les demandeurs contestent la légalité d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (le tribunal), rendue le 27 février 2007, concluant que les demandeurs n’ont pas la qualité de « réfugiés » au sens de la Convention, ni celle de « personnes à protéger » en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27.
[2] Le demandeur principal, Hector Luis Jimenez Ramirez, est citoyen du Mexique et de Cuba, tandis que les autres membres de sa famille ont la citoyenneté mexicaine. Le demandeur est diplômé en éducation physique. En 2000, il quitte Cuba pour être entraîneur sportif à Querétaro, au Mexique. En avril 2005, suite à un changement de gouvernement, un certain Martin devient directeur des sports de Querétaro. Martin, qui était autrefois directeur du sport municipal (un rival de l’organisation de Querétaro au sein de laquelle œuvrait le demandeur), entre en conflit avec le demandeur et d’autres entraîneurs d’origine cubaine, si bien que l’affaire se retrouve en 2005 devant la Commission des droits humains de Querétaro. Celle-ci donne alors raison aux plaignants. Par la suite, le demandeur commence à recevoir diverses menaces et est même agressé physiquement par Martin. Craignant pour leur sécurité, les demandeurs quittent le Mexique pour le Canada.
[3] Le tribunal rejette la demande d’asile des demandeurs estimant qu’il existe un refuge interne (PRI) et que la protection de l’État mexicain est également disponible.
[4] Réitérant devant cette Cour que le demandeur est crédible et que « ce n’est pas juste qu’il ait à tout quitter parce qu’un haut fonctionnaire qui n’a aucune intégrité est furieux après lui et qu’il veut l’empêcher de travailler avec les athlètes, pour favoriser sa propre entreprise », les demandeurs soumettent aujourd’hui que les conclusions du tribunal sont manifestement déraisonnables. Après tout, comme le demandeur principal l’a expliqué au tribunal, Martin peut le retrouver partout au Mexique. En tout état de cause, la police mexicaine n’est pas en mesure de protéger les demandeurs. Aussi, la décision du tribunal est-elle révisable, ce que conteste bien entendu le défendeur qui soutient que les déterminations du tribunal ne sont pas manifestement déraisonnables.
[5] D’emblée, je note que l’analyse du commissaire Houde dans la décision attaquée sur la possibilité qu’ont les demandeurs de s’adresser à l’État mexicain se résume à quelques affirmations générales et est certainement déficiente et incomplète à plusieurs égards. Aussi, cette partie de la décision du tribunal ne peut, à mon avis, résister à une analyse assez poussée, de sorte que si la conclusion de rejet de la demande d’asile reposait entièrement sur ce point, je n’aurais aucune hésitation à casser la décision du tribunal (Chavez c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 193, aux para. 9 à 11; Avila c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 359, [2006] A.C.F. no 439 (QL) aux para. 26, 27 et 32). Mais voilà, dans le cas sous étude, le tribunal a également abordé la question de l’existence d’un refuge interne ailleurs au Mexique.
[6] Pour que leur demande d’asile et de protection soit accordée, les demandeurs devaient démontrer l’absence de PRI, soit en raison d’un risque de persécution présent partout au Mexique, soit parce qu’ils seraient exposés à une menace à la vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités en tout lieu dans ce pays : Thirunavukkarasu c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F).
[7] Le critère permettant de déterminer s'il existe ou non une PRI a été énoncé par le juge Mahoney dans l'arrêt Rasaratnam c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.), à la page 711, et repris dans l'arrêt Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 12 :
À mon avis, en concluant à l'existence d'une possibilité de refuge, la Commission se devait d'être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant ne risquait pas sérieusement d'être persécuté [à l'endroit de la PRI] et que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, la situation [au lieu de la PRI] était telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour l'appelant d'y chercher refuge.
[8] D’autre part, il est bien précisé dans l’arrêt précité de la Cour d’appel fédérale qu’il ne suffit pas pour un demandeur d’asile d’alléguer que dans cette partie plus sûre du pays, il n’a ni amis ni parents ou qu’il risque de ne pas y trouver le travail qui lui convient (Thirunavukkarasu, précité, aux para. 13 et 14).
[9] La Cour d’appel fédérale a récemment statué dans l’arrêt Rujillo Sanchez v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2007 FCA 99, [2007] F.C.J. No. 336 (F.C.A.), au paragraphe 16, qu’on s’attend à ce qu’un demandeur d’asile pose des gestes raisonnables pour tenter de faire cesser cette persécution, d’où la nécessité de considérer son déménagement dans une autre partie du pays en cause :
As noted by this Court in Thirunavukkarasu v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1994] 1 F.C. 589 (C.A.), at paragraph 12, “if there is a safe haven for claimants in their own country, where they would be free of persecution, they are expected to avail themselves of it unless they can show that it is objectively unreasonable for them to do so.” Similarly, claimants who are able to make reasonable choices and thereby free themselves of a risk of harm must be expected to pursue those options.
[Non souligné dans l’original]
[10] S'agissant des allégations de crainte des demandeurs, le tribunal fait bien remarquer dans la décision sous étude :
Le tribunal a aussi envisagé la possibilité d’un refuge intérieur pour les demandeurs. Le demandeur n’aurait aucune difficulté à se mouvoir dans un autre endroit au Mexique. Il prétend qu’il aurait téléphoné dans tous les états du Mexique pour obtenir un emploi et qu’il aurait été refusé. Le demandeur, qui est diplômé en éducation physique et dont la matière est enseignée, selon son témoignage, dans toutes les écoles du Mexique, n’aurait aucun problème à se trouver un emploi. Il n’a pas fait la preuve qu’il ne pouvait pas se trouver de travail au Mexique.
Le demandeur prétend qu’il ne se sentirait pas en sécurité au Mexique et que Martin le rechercherait. Pourquoi le ferait-il? demande le tribunal. Le demandeur répond qu’il le ferait par vengeance personnelle. Quels moyens déploierait-il pour ce faire? demande le tribunal. Le demandeur se contente de dire que Martin a des contacts dans la police. Cette courte explication que le demandeur n’a pu élaborer amène le tribunal à conclure qu’il existerait une possibilité de refuge interne pour les demandeurs.
[Non souligné dans l’original]
[11] Faut-il le rappeler, la possibilité d'un refuge interne est essentiellement une détermination de nature factuelle. Or, il incombait exclusivement au tribunal d'évaluer la situation personnelle des demandeurs à la lumière de la preuve documentaire au dossier, de la nature du risque et de l’identité de l’agent persécuteur. Même si le raisonnement du tribunal est sommaire, je ne peux pas dire ici qu’il est arbitraire ou irrationnel. À mon avis, le raisonnement du tribunal selon lequel il n'est pas déraisonnable pour les demandeurs de chercher refuge au Mexique s'appuie sur la preuve au dossier et respecte les critères jurisprudentiels applicables en l'espèce.
[12]
Compte
tenu du fait que la conclusion du tribunal au sujet de la possibilité d’un
refuge interne n’est pas révisable en l’espèce et que celle-ci a un effet
déterminant sur la demande d’asile des demandeurs, la demande de contrôle
judiciaire doit être rejetée. Aucune question d’importance générale n’a été
soulevée et ne se soulève dans ce dossier.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1292-07
INTITULÉ : Hector Luis JIMENEZ RAMIREZ
Olga HERMANDEZ FERRUSCA
Hector Luis JIMENEZ HERMANDEZ
Victor Daniel SANCHEZ HERMANDEZ
c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 6 novembre 2007
ET ORDONNANCE : LE JUGE MARTINEAU
DATE DES MOTIFS : Le 15 novembre 2007
COMPARUTIONS :
Éveline Fiset
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POUR LES DEMANDEURS |
Patricia Nobl
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Éveline Fiset Montréal (Québec)
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POUR LES DEMANDEURS |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec) |
POUR LE DÉFENDEUR |