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Date : 20071113

Dossier : IMM-1669-07

Référence : 2007 CF 1170

Ottawa (Ontario), le 13 novembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

demandeur

 

et

 

 

ROOZBEH KIANPOUR ATABAKI

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

 

[1]        Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) demande l’annulation d’une décision en date du 4 décembre 2006 par laquelle un commissaire de la Section de la protection des réfugiés (le tribunal) a reconnu le statut de réfugié à M. Roozbeh Kianpour Atabaki (le défendeur ou M. Atabaki), un citoyen de l’Iran, parce qu’il était convaincu qu’il n’y avait aucune raison de l’exclure en vertu de l’alinéa 1Fa) de la Convention et qu’il y avait une possibilité sérieuse qu’il soit exposé au risque d’être persécuté s’il retournait dans le pays dont il a la nationalité.

[2]        Le ministre fonde sa demande de contrôle judiciaire sur un seul moyen, en l’occurrence que son avocate avait déposé un avis d’intention de participer conformément à l’alinéa 170e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi), qu’il avait l’intention d’intervenir en produisant des éléments de preuve, en interrogeant des témoins et en présentant des observations et qu’il a été victime d’un déni de justice naturelle lorsque, le 12 septembre 2006, le tribunal a déclaré que son avocate ne pouvait interroger le défendeur que sur la question de savoir s’il était susceptible de se voir refuser l’asile (la question de l’exclusion) tout en lui refusant la possibilité d’interroger le demandeur d’asile sur la question de savoir s’il était un réfugié au sens de la Convention, c’est-à-dire s’il avait raison de craindre d’être persécuté s’il retournait en Iran.

 

[3]        L’avocat du défendeur ne disconvient pas avec l’avocate du ministre, dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, que l’alinéa 170e) de la Loi autorisait l’avocate du ministre à interroger le défendeur, lors de l’audience du tribunal, tant à l’étape de l’exclusion qu’à celle de l’inclusion. Son argument comporte deux volets :

 

·        Malgré la conclusion tirée par le tribunal au sujet de la non-participation de l’avocate du ministre aux questions adressées au demandeur d’asile au sujet du bien-fondé de sa crainte de persécution, le procès-verbal de l’audience démontre nettement que l’avocate du ministre a posé un grand nombre de questions à l’étape de l’exclusion dans le but d’ébranler la crédibilité de M. Atabaki au sujet du bien-fondé de sa crainte de persécution;

 

·        À titre subsidiaire, l’avocat du défendeur a soutenu qu’il serait inutile de renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision parce que, dans l’instance qui m’est soumise, le ministre ne contestait pas les principales conclusions sur lesquelles le tribunal s’était fondé pour refuser de reconnaître à M. Atabaki le statut de réfugié au sens de la Convention et que le ministre ne contestait pas la décision rendue au sujet de l’inclusion, de la crédibilité de M. Atabaki ou des risques auxquels il serait exposé en Iran. Par ailleurs, le demandeur ne conteste pas la conclusion du tribunal suivant laquelle M. Atabaki n’est pas assujetti à l’alinéa 1Fa). À l’appui de son argument au sujet de l’inutilité, il cite l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Mobil Oil Canada Ltd. c. Office national Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202.

 

[4]        L’alinéa 170e) porte :

 

Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section de la protection des réfugiés :

[…]

 

e) donne à la personne en cause et au ministre la possibilité de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations;

 

 

 The Refugee Protection Division, in any proceeding before it, …

 

 

 

(e) must give the person and the Minister a reasonable opportunity to present evidence, question witnesses and make representations;

 

Décision du tribunal

[5]        Le tribunal a commencé ses motifs en relatant l’historique procédural de la demande d’asile de M. Atabaki, qui avait été introduite le 24 février 2004. À la suite de l’audience du 11 juin 2004, une décision défavorable a été rendue le 27 août 2004. Le tribunal a déclaré que M. Atabaki n’avait pas qualité de réfugié et l’a exclu par application de l’alinéa 1Fa). Le 11 juillet 2005, un des mes collègues a annulé la décision du tribunal et a renvoyé l’affaire à la Section de la protection des réfugiés pour qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision au sujet de la demande d’asile de M. Atabaki.

 

[6]        Dans la première instance, le ministre est intervenu en vertu des alinéas 1Fa) et 1Fc). Lors de la première audience, la représentante du ministre n’a pas comparu, se contentant de soumettre des observations écrites qui portaient principalement sur l’alinéa 1Fa).

 

[7]        Le 20 décembre 2005, le ministre est intervenu dans le cadre de la seconde audience [traduction] « conformément à l’avis d’intention de participer déposé le 20 mai 2004 ». Le tribunal a signalé, le premier jour de la seconde audience, que l’avocate du ministre avait fait savoir qu’elle invoquerait seulement l’alinéa 1Fa), et non l’alinéa 1Fc). Le tribunal a ajouté que les observations formulées par la suite par le ministre s’étaient limitées à l’alinéa 1Fa). À la même date, M. Atabaki a ajouté à sa demande originale qu’il s’était converti au christianisme et a soutenu que cela lui fournissait un motif additionnel sur lequel fonder sa demande. À cause de ce nouveau motif, le tribunal a ajourné l’audience au 12 septembre 2006.

 

[8]        Les séances ont repris les 12 et 13 septembre 2006 sur les aspects d’exclusion de la demande d’asile. Une date d’audience concernant l’aspect d’inclusion de la demande d’asile a été fixée au 4 décembre 2006.

 

[9]        Le tribunal a ensuite résumé l’histoire du demandeur d’asile relatée dans son Formulaire de renseignements personnels et dans son témoignage. Le tribunal a écrit ce qui suit :

 

Le demandeur d’asile est issu d’une famille active en politique. Son père a été engagé dans des activités contre le régime à l’époque du Shah, puis plus tard à l’époque de la République islamique. Il a été emprisonné sous les deux régimes. Le demandeur d’asile était un musulman non pratiquant qui se décrivait comme un athée et il affirme que tout au long de ses études il a été régulièrement sanctionné pour des écarts de conduite. Son caractère rebelle lui a aussi causé des problèmes au travail.

            Les incidents à l’origine de la présente demande remontent à juillet 2000, lorsque le médecin du demandeur d’asile et ami de sa famille, le Dr Bani Torfi, lui a demandé de l’aide. Le Dr Bani Torfi était membre de l’organisation illégale Mujahadeen-e-Khalq (MEK). Il était au courant de l’habileté du demandeur d’asile à manipuler des dispositifs électroniques et lui a donc demandé d’enregistrer certaines émissions par satellite au profit des membres du MEK. Le demandeur d’asile l’a fait pendant six ou sept mois et a aussi distribué des tracts pour le Dr Bani Torfi à deux occasions.

            Le 30 décembre 2000, le demandeur d’asile a reçu un appel de sa sœur à la résidence de son oncle maternel, l’avertissant que des forces de sécurité avaient perquisitionné la résidence familiale et avaient une sommation l’enjoignant de comparaître devant le Tribunal islamique révolutionnaire. Il est resté terré chez son oncle jusqu’à ce qu’on l’informe le 21 juillet 2001 que les autorités avaient à nouveau perquisitionné la résidence familiale, mais que cette fois elles avaient trouvé les cassettes et les tracts du demandeur d’asile et avaient arrêté son père. Son oncle a alors pris des dispositions pour que le demandeur d’asile quitte l’Iran.

            Le demandeur a abouti en Australie, où il a demandé l’asile, mais sans succès. En janvier 2004, il est arrivé au Canada et a demandé l’asile. Après son arrivée au Canada, il s’est converti au christianisme et a été baptisé.

 

[10]      Le tribunal a expliqué qu’il y avait deux questions à trancher. La première était celle de savoir si M. Atabaki pouvait être exclu en vertu de l’alinéa 1Fa) de la Convention. Dans l’affirmative, a expliqué le tribunal, « l’affaire se termine là ». S’il ne pouvait pas être exclu, la question à se poser était alors celle de savoir s’il serait « exposé au risque de persécution, de torture, de traitements ou peines cruels et inusités ou de menace à sa vie s’il retourne en Iran ».

 

[11]      Ainsi que je l’ai déjà signalé, le tribunal a conclu que le défendeur ne pouvait pas être exclu pour avoir participé à des « crimes contre l’humanité » ou des « crimes de guerre ».

 

[12]      Le tribunal a conclu que le MEK n’était pas une organisation aux fins limitées et brutales, et ce, « parce qu’elle a eu recours à de nombreuses tactiques différentes pour renverser le régime du Shah et la République islamique qui lui a succédé. Certes, le MEK a mené de nombreuses attaques militaires et autres contre des cibles gouvernementales au fil des ans, mais il y a aussi eu des manifestations, des manifestes et ainsi de suite ».

 

[13]      Le tribunal a fait observer que le MEK pouvait commettre tout de même des crimes contre l’humanité s’il ciblait des populations civiles. Se fondant sur la preuve documentaire, le tribunal a conclu que le MEK avait frappé des cibles civiles et qu’il avait « à tout le moins fait volontairement abstraction du fait que, en menant des attaques de la façon dont il l’a fait, il tuerait des civils ». Le tribunal s’est dit d’avis que le MEK était une organisation ayant commis des crimes contre l’humanité, et ce, à l’époque même où le demandeur d’asile lui offrait son aide. Il a relevé que le dossier indiquait aussi que plusieurs pays avaient désigné le MEK comme une organisation terroriste.

 

[14]      Le tribunal a ensuite examiné la question de savoir si M. Atabaki avait « participé personnellement et consciemment » aux activités du MEK et s’il « partageait avec le MEK un objectif commun ». Il a expliqué que, dans l’affirmative, il pouvait être exclu et que, dans la négative, il ne pouvait pas être exclu. Il a ensuite analysé les observations du ministre et celles du défendeur sur ce point. Il a aussi précisé que « il n’est pas contesté que le contact avec le MEK semble avoir été uniquement par l’entremise du Dr Bani Torfi – le médecin du demandeur d’asile, que le demandeur n’a joué aucun rôle de planification important et qu’il n’a participé directement à aucun des crimes ». Le tribunal a conclu que le demandeur d’asile « n’était pas véritablement au courant du caractère criminel de certaines des actions du MEK pendant les 6 ou 7 mois au cours desquels il a aidé le MEK », de sorte que M. Atabaki « ne peut pas être considéré comme ayant partagé un objectif commun avec le MEK relativement à ces actions ». Le tribunal a également conclu que M. Atabaki « n’avait pas une connaissance personnelle de l’étendue des activités du MEK » et qu’il n’avait « pas des raisons sérieuses de penser que le demandeur d’asile a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité ».

 

[15]      L’analyse que le tribunal a faite au sujet de la question de l’inclusion de M. Atabaki est très brève. La voici :

Le demandeur d’asile a raconté de nombreuses histoires, et il y a eu des incohérences, mais le compte rendu de ses activités avec le Dr Bani Torfi est demeuré constant. C’est cette collaboration passée avec le MEK qui causera des problèmes au demandeur d’asile s’il retourne en Iran. Le régime le recherche; les autorités ont saisi les cassettes et les tracts qu’il avait cachés dans sa résidence familiale. Pour ce qui concerne les activités qui ont amené le demandeur d’asile à quitter, l’épouse du demandeur a témoigné au sujet d’une visite qu’elle avait rendue au père du demandeur en Iran en 2004. Elle a produit des photos et a livré un témoignage crédible. Dans son témoignage, elle se rappelait que le père lui avait dit que le demandeur d’asile avait fui l’Iran à cause de ses activités politiques. Ce témoignage ajoute à la crédibilité du compte rendu du demandeur d’asile. [Non souligné dans l’original.]

            Il est bien documenté que l’Iran emprisonne les opposants politiques et en particulier ceux du MEK. L’on sait aussi que l’Iran torture ses prisonniers.

            Étant donné la situation en Iran, le tribunal conclut que le demandeur d’asile ne serait pas protégé et qu’il n’aurait aucune possibilité de refuge intérieur s’il devait retourner.

 

Analyse

[16]      La seule question qui se pose dans le cadre de la présente instance est celle de savoir si l’avocate du ministre a subi un déni de justice naturelle ou d’équité procédurale parce qu’elle n’a pas eu l’occasion de participer au débat sur la question de savoir si le défendeur avait raison de craindre d’être persécuté, c.-à-d. s’il est un réfugié au sens de la Convention (la volet « inclusion » de sa demande d’asile). Il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue envers les conclusions tirées par le tribunal sur cette question; si le tribunal a manqué à la justice naturelle ou à l’équité, sa décision doit être annulée, sous réserve des principes dégagés dans l’arrêt Mobil Oil (précité) que l’avocat de M. Atabaki a invoqués.

 

[17]      L’examen du procès-verbal de l’audience révèle ce qui suit.

 

[18]      Le tribunal a commencé à entendre la preuve le 12 septembre 2006 en présence de l’avocate du ministre, de l’agent de protection des réfugiés (l’APR) et de l’avocat du défendeur. Le tribunal a suggéré d’entamer la phase relative à l’exclusion en laissant l’avocate du ministre prendre l’initiative des questions, suivie de l’APR, puis du tribunal pour terminer avec l’avocat de M. Atabaki. Pour la phase de l’inclusion, le tribunal a proposé que les rôles soient inversés et que l’APR pose ses questions en premier, pour être suivi de l’avocate du ministre et du tribunal et pour terminer avec l’avocat du défendeur.

 

[19]      C’est à ce moment-là que l’avocat de M. Atabaki a soulevé une objection. Il a fait valoir que le ministre n’était pas intervenu au sujet de la crédibilité lors du volet relatif à l’inclusion. Il a expliqué que le ministre pouvait formuler des observations au sujet de l’exclusion, mais qu’il n’avait pas l’intention de participer au débat sur la crédibilité mais uniquement sur celui concernant l’exclusion. Le tribunal a alors demandé à l’avocate du ministre : [traduction] « Ainsi, vous êtes contente de limiter votre intervention aux questions relatives à l’exclusion? », ce à quoi l’avocate du ministre a répondu : [traduction] « Ouais, bien que je croie que… qu’il est difficile de tracer une ligne entre l’inclusion et l’exclusion parce que la demande d’asile du demandeur est fondée en partie sur son rôle au sein du MEK, de sorte que je pense que l’avocat de la partie adverse accepte que si cet aspect de la preuve soulève des questions de crédibilité, je vais formuler des observations à ce sujet ».

 

[20]      Le tribunal a ensuite examiné l’avis de participation du ministre et a déclaré : [traduction] « On pourrait entamer un débat intéressant sur la question de savoir si la crédibilité est en cause ou non, mais je crois que la meilleure façon de procéder en l’espèce, puisque Me Chan ne s’intéresse en fait qu’à l’exclusion, est de lui poser des questions au sujet de l’exclusion et si ses réponses soulèvent des questions de crédibilité, il vous sera alors loisible de vous opposer. Et la seconde fois, nous vous interdirons de poser des questions sur l’aspect inclusion, sauf si un argument que vous estimez approprié est formulé au sujet de l’exclusion ».

 

[21]      Après cette décision, l’avocate du ministre a commencé à interroger M. Atabaki. Son interrogatoire couvre environ 55 pages de la transcription de la séance du 12 septembre 2003. Elle lui a demandé notamment comment la demande d’asile qu’il avait présentée en Australie avait été traitée – avec ou sans interprètes et conseillers juridiques et ce, à deux paliers : au palier administratif, devant les fonctionnaires de l’immigration australienne et au niveau d’appel, devant le tribunal de révision australien (Refugee Review Tribunal ou RRT). Elle a cherché à savoir si le défendeur avait eu droit à une audience, s’il y était représenté par un avocat, la nature de la procédure postérieure à l’audience, y compris un avis du RRT au sujet des contradictions relevées dans son témoignage et une invitation qui lui était lancée de formuler ses observations.

 

[22]      L’avocate du ministre a ensuite tenté de savoir ce que le défendeur connaissait du MEK, quand il en avait été informé pour la première fois, quand il avait commencé à y participer par l’intermédiaire du Dr Torfi, le type de fonctions qu’il exerçait, ce qui le motivait à aider ce médecin, la question de savoir s’il était au courant que le MEK se livrait à des actes de violence et comment il se tenait au courant de l’actualité. L’avocat du ministre a ensuite tenté d’attaquer la crédibilité de M. Atabaki sur les points suivants :

 

  • En vérifiant sa crédibilité sur sa connaissance ou son ignorance des violences commises par le MEK en rapport avec un attentat à la bombe commis à Awaz, la ville natale du défendeur, le 25 novembre 1999;

 

  • L’appartenance de son père au MEK. Dans son témoignage, il avait dit qu’il l’était, alors que devant le RRT, il avait dit que son père était membre du MEK;

 

  • À quel moment il avait aidé le Dr Torfi, en mettant en contraste le témoignage qu’il avait donné à l’audience avec ce qu’il avait dit au RRT en Australie;

 

  • Les contradictions entre le témoignage qu’il avait donné à l’audience et ce qu’il avait dit au RRT au sujet de ce qu’il savait des actes violents commis par le MEK et de ce qu’il avait dit aux autorités canadiennes le 11 mai 2005.

 

[23]      Aux pages 141 et 142 du dossier du demandeur, l’avocate du ministre a évoqué sa participation au débat sur la question de l’inclusion devant le tribunal de la façon suivante :

            [traduction]

 

Je crois que ce sont là toutes mes questions pour ce qui est de l’exclusion. Je sais que l’avocat de la partie adverse s’est déjà opposé à ce que je pose des questions au cours de la phase de l’examen consacrée à l’inclusion et à ce que je pose des questions au sujet de la crédibilité car nous n’avons pas donné d’avis d’intervention sur ce fondement. J’imagine que maintenant je souhaite simplement m’opposer, à défaut de terme plus précis. Je veux dire que j’aimerais poser des questions au sujet de la crédibilité. Je ne crois pas que cela nuirait au demandeur d’asile de quelque manière que ce soit. La crédibilité est une question qui se pose toujours, indépendamment de la demande d’asile. Elle est de toute évidence considérée comme un point litigieux.

 

Ce que je veux dire, essentiellement, c’est que je crois que le ministre devrait avoir la possibilité de poser des questions au sujet de l’inclusion et de la crédibilité.

 

Je veux dire que je peux intervenir après l’APR et le commissaire et intervenir en dernier, Je crois qu’il est difficile de scinder en l’espèce et probablement dans bien d’autres affaires, l’aspect exclusion et l’aspect inclusion, parce que lorsqu’on  ─ si je dois formuler des observations au sujet de la crédibilité, je dois le faire en fonction de l’ensemble de la preuve et il sera difficile de séparer, pour ainsi dire ─ vous savez, à partir de ce que j’ai entendu jusqu’ici et de tirer une conclusion sur ce fondement.

 

[24]      L’avocat de M. Atabaki s’oppose à cette demande. Il soutient que le ministre devait donner un préavis d’au moins 20 jours des motifs sur lesquels il entendait intervenir, en l’occurrence la crédibilité ou l’exclusion, du moins selon ses propres paroles. Il a ajouté que l’avis d’intervention que le ministre avait envoyé les deux fois ─ la première fois en 2004 et, plus récemment, dans le cadre de la présente audience ─ ne parlait que d’exclusion. Il affirme qu’aucun des deux avis d’intervention en question ne laissait entendre qu’on interviendrait au sujet de la crédibilité. Il a maintenu son objection au sujet de la capacité du ministre d’intervenir maintenant sur la question de la crédibilité, car elle concerne les divers éléments de l’inclusion.

 

[25]      L’avocat de M. Atabaki a expliqué que l’avocate du ministre pouvait certes poser des questions au sujet de divers aspects de la crédibilité, étant donné que cela se rapporte aux motifs d’exclusion [traduction] « mais que si les questions posées au sujet de crédibilité se rapportent à la question de savoir s’il a effectivement joué un rôle actif ou non au sein du MEK, de telles questions ne feraient pas partie de la preuve du ministre, ou ne devraient pas en faire partie, car elles minent leur participation quant aux motifs d’exclusion ». Il a ajouté ce qui suit : [traduction] « Si la thèse du ministre, ou son sentiment, est que les aspects relatifs à l’inclusion ne sont pas véridiques, alors pourquoi sont-ils là ? » Il a conclu en déclarant : [traduction] « Mais il semble qu’ils ont parfaitement le droit de le faire et je répète que je ne m’oppose pas à ce que l’avocate pose des questions sur les motifs de crédibilité car tout cela se rapporte à des questions d’exclusion, de mens rea, de complicité et ainsi de suite, questions qui peuvent se poser dans le cadre du volet de la preuve relatif à l’inclusion ».

 

[26]      L’avocate du ministre a fait observer que la thèse du ministre était susceptible de changer au fur et à mesure que l’affaire se déroule. Elle a expliqué qu’elle pouvait [traduction] « fort bien envisager un cas dans lequel le ministre interviendrait au sujet de l’exclusion et où il s’avérerait que l’intéressé ne semble pas vraiment appartenir à cette organisation ou ne se trouvait pas là où il avait dit qu’il était, de sorte que la question en devient une de crédibilité, ce qui en fait ne pourrait se présenter qu’au cours de l’audience ». Elle a ajouté qu’il arrive parfois que le ministre retire les motifs d’exclusion en pareil cas. Elle a expliqué que le ministre n’est pas obligé de s’en tenir à l’avis d’intervention et elle a ajouté : [traduction] « Ce que nous disons, c’est que des questions d’exclusion peuvent surgir à l’audience ou qu’elles peuvent constituer des points litigieux éventuels, mais que ce n’est pas une conclusion inéluctable ».

 

[27]      Le tribunal a jugé que l’avocate du ministre ne pouvait pas poser de questions au sujet de l’aspect inclusion de la demande d’asile.

 

[28]      Le tribunal a invoqué trois motifs pour justifier sa décision. Premièrement, il a rappelé que l’avocate du ministre avait convenu qu’elle ne poserait pas de questions sur les aspects de la demande d’asile portant sur l’exclusion. Deuxièmement, le tribunal a rappelé qu’il lui appartenait de gérer le déroulement de l’instance. Enfin, le tribunal a invoqué l’article 25 des Règles de la Section de la protection des réfugiés (les Règles), qui porte sur l’intervention du ministre et il a cité en particulier le paragraphe 25(2), intitulé « contenu de l’avis » qui prévoit ce qui suit : « Le ministre indique dans l'avis la façon dont il interviendra […] » Le tribunal a également cité le paragraphe 25(3), qui dispose : « S'il croit que les sections E ou F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés pourraient s'appliquer à la demande d'asile, le ministre énonce également dans l'avis les faits et les règles de droit sur lesquels il s'appuie ».

 

[29]      M. Atabaki a témoigné au sujet de l’inclusion le 4 décembre 2006. Sa femme a également témoigné au sujet de ce que le père de M. Atabaki lui avait dit lorsqu’elle s’était rendue en Iran en 2004. L’avocate du ministre n’était pas présente le 4 décembre 2006 pour exposer ses observations finales au sujet de l’exclusion. Elle a déposé le 1er décembre 2006 des arguments écrits qui se limitaient à la question de l’exclusion.

 

Conclusion

[30]      En dépit de l’habile plaidoyer de l’avocat de M. Atabaki, la présente demande de contrôle judiciaire application doit être accueillie, pour les motifs ci-dessus exposés.

 

[31]      Premièrement, ainsi que je l’ai déjà mentionné, l’avocat de M. Atabaki n’a pas contesté l’interprétation que l’avocate du ministre fait de la portée de l’alinéa 170e) de la Loi. Le tribunal doit de toute évidence accorder au ministre et aux intéressés la possibilité raisonnable de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations. Le libellé de la Loi est clair : il parle de la procédure à suivre et non des questions à trancher et il s’applique tant au ministre qu’au demandeur d’asile. Cette interprétation est confirmée par l’analyse article par article du projet de loi C-11, qui a conduit à l’adoption de la Loi. Voici les explications fournies au sujet de l’article 170 :

            [traduction]

Cette disposition codifie le concept du modèle de la commission d’enquête spécialisée que la Commission a adopté en 1995. Elle permet aussi au ministre de participer sans condition aux instances qui se déroulent devant la Section de la protection des réfugiés, alors que dans la situation actuelle, le ministre ne peut, de plein droit, présenter des éléments de preuve ou participer pleinement aux débats que sur les questions d’exclusion. Qui plus est, le ministre n’a plus besoin d’obtenir l’autorisation du président dans le cadre des procédures d’annulation.

 

[32]      Cette interprétation est également consacrée par la jurisprudence. En effet, dans le jugement Makani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 891, mon collègue le juge Campbell écrit :

 

[5]       En l'instance, l'avocate du demandeur prétend que l'audience devant la SPR contrevient à l'alinéa 170e) de la LIPR, selon lequel le demandeur doit avoir « la possibilité de produire des éléments de preuve, d'interroger des témoins et de présenter des observations ». Compte tenu de la preuve que je viens de décrire, je suis d'accord avec elle. 

                       

[33]      Deuxièmement, le tribunal a, à mon humble avis, commis une erreur en invoquant l’article 25 des Règles pour restreindre la participation de l’avocate du ministre à la phase de l’exclusion. Le Tribunal ne pouvait se fonder sur le paragraphe 25(3) des Règles pour restreindre le droit du ministre de participer à la phase de l’audience de M. Atabaki portant sur l’inclusion. Le paragraphe 25(3) prévoit une exigence : s'il croit que les sections E ou F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés pourraient s'appliquer à la demande d'asile, le ministre doit énoncer également dans l'avis les faits et les règles de droit sur lesquels il s'appuie ». Ce paragraphe ne traite nullement d’inclusion et il n’impose aucune obligation au ministre à cet égard. Pour ce qui est du paragraphe 25(2) des Règles, il exige que le ministre précise, dans son avis, la façon dont il interviendra, c’est-à-dire de quelle manière il entend le faire. C’est bien ce que le ministre a fait en l’espèce dans son avis : son avocate a expliqué qu’elle interrogerait les témoins, produirait des éléments de preuve et présenterait des observations. Dans la version française, on emploie l’expression « la façon », ce qui vient confirmer cette interprétation. Cette interprétation de l’article 25 des Règles s’harmonise avec la portée de l’alinéa 170e) de la Loi dont il a été question plus haut.

 

[34]      Troisièmement, j’estime que le tribunal a commis une erreur en déclarant qu’à l’ouverture de l’audience, l’avocate du ministre avait convenu de ne pas poser de questions sur les aspects de la demande d’asile de M. Atabaki portant sur l’inclusion ou, pour reprendre ses propres paroles, l’avocate a renoncé à ses droits à cet égard. Or, l’avocate n’a pas pris un engagement ferme à ce sujet, d’où sa demande d’éclaircissements. Elle s’est dite constamment troublée, en l’espèce, par le chevauchement entre la phase de l’inclusion et celle de l’exclusion en raison du rôle important que le MEK a joué relativement à ces deux phases.

 

[35]      Quatrièmement, je dois rejeter l’argument avancé par l’avocat de M. Atabaki suivant lequel, lors de son contre-interrogatoire, l’avocate du ministre a effectivement mis à l’épreuve la crédibilité de M. Atabaki au sujet de l’inclusion. Il est vrai que l’avocate du ministre a effectivement vérifié la crédibilité de M. Atabaki mais, comme elle n’a pas pu l’interroger au sujet de la phase de l’inclusion, elle n’a pas été en mesure de vérifier les éventuelles contradictions entre le témoignage de M. Atabaki et son FRP, ni de vérifier si sa crainte subjective était objectivement fondée présentement (la question de l’amnistie), la façon dont sa famille et le docteur Torfi étaient présentement traités par les autorités, la situation actuelle au pays, la crédibilité sur l’inclusion et l’interrogatoire de la femme de M. Atabaki auquel le tribunal a accordé une valeur corroborante qui a joué un rôle important dans le cas qui nous occupe, parce que, dans ses motifs, le tribunal a relevé des contradictions dans le témoignage de M. Atabaki.

 

[36]      L’avocate du ministre défend de toute évidence la thèse que, lors de ce genre d’audience, la situation est fluide et les chevauchements sont inévitables et qu’on ne peut pas compartimenter les questions en fonction de la phase d’exclusion et de la phase d’inclusion. Elle a senti le besoin de poser des questions au sujet de la phase de l’inclusion, ainsi que l’alinéa 170e) de la Loi le lui permettait, selon moi.

 

[37]      Enfin, l’argument que le renvoi de la demande d’asile du demandeur pour réexamen serait futile est spéculatif. La question de savoir quelle aurait été l’issue si l’avocate du ministre avait été autorisée à participer à la phase de l’inclusion est de la pure conjecture. Qui plus est, je ne tire aucune conclusion négative du fait que, dans l’instance qui s’est déroulée devant moi, le ministre n’a peut-être pas contesté certains aspects de la demande d’asile de M. Atabaki. Pareille contestation était sans objet, vu la nature de la question que le ministre m’a soumise, en l’occurrence le déni de son droit de participer au débat sur un aspect essentiel de la cause soumise au tribunal.

 

[38]      Je termine en disant qu’il est vrai que l’avocate du ministre n’a pas participé à l’audience du 4 décembre 2006. Elle a soumis ses observations par écrit et s’est limitée à la phase de l’exclusion. Elle n’a pas pu participer au débat du 4 décembre 2006 sur la phase de l’inclusion en raison de la décision du tribunal.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision du 28 février 2007 du tribunal soit annulée et que la demande d’asile du défendeur soit renvoyée à la Commission pour être examinée par un tribunal différemment constitué. Aucune question n’est certifiée.

 

 

                                                                                                       « François Lemieux »

                                                                                                            ________________________

                                                                                                                                 Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1669-07

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c.

ROOZBEH KIANPOUR ATABAKI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 24 OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 13 NOVEMBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Sandra Weafer

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Shane Molyneaux

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR 

Elgin, Cannon & Associates

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR 

 

 

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