Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL
ENTRE :
le Chef Peter Bill et les conseillers Romeo Thomas, Frederick Whitehead, David Thomas, Gilbert Chamakese, Sidney Bill
et Jimmy Bill
et
David D. Thomas, Wayne R. Thomas ET Lorne Sakebow
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Quand tout ceci finira-t-il? La présente demande de contrôle judiciaire est la cinquième instance introduite devant les Cours fédérales[1], en plus des ordonnances connexes[2] et d’une instance introduite devant la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan[3], concernant la contestation des résultats des élections successives du conseil de la Bande du lac Pélican (le conseil de bande) devant le comité d’appel de la Bande du lac Pélican (le comité d’appel) aux termes de la Pelican Lake Band Treaty Six Election Act (la Loi) depuis 1999.
[2] À cause de l’historique du présent litige, la Cour a incité les parties à suivre un processus de médiation et a demandé au juge en chef de nommer un médiateur. Il semble que ce soit la bonne façon de procéder puisque l’histoire de ce litige montre que quelle que soit la décision prise par la Cour ou d’autres cours, elle ne mettra pas fin au différend. Il a été affirmé que la médiation permettrait de trouver des solutions qui régleraient le différend de façon définitive en faisant l’économie de toutes ces poursuites judiciaires. Les parties ont tenté, sans succès, de trouver une façon d’aborder la médiation. La Cour est donc tenue de rendre un jugement, en tenant compte des circonstances particulières du dossier.
I. Les faits
[3] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs ont été élus chef et conseillers du conseil de bande à la suite de l’élection du 9 mars 2007. Le 20 mars 2007, les défendeurs ont interjeté appel devant le comité d’appel de ces résultats électoraux, au motif qu’il y avait deux Election Acts, dont l’interprétation erronée avait porté atteinte à l’issue des élections, contrairement aux alinéas 12(1)a) et 12(1)c) de l’Election Act, qui énoncent ce qui suit :
[Traduction] 12.(1) Un candidat à l’élection ou un électeur qui a voté à l’élection, peut, dans les quatorze (14) jours civils de la tenue du scrutin, interjeter appel de l’élection s’il a des motifs raisonnables de croire : a) qu’une erreur ou violation de l’Election Act a été commise relativement à l’interprétation ou l’application de la Loi qui puisse porter atteinte au résultat de l’élection;
[. . .];
c) il y a eu manœuvre corruptrice en violation de l’Election Act. |
|
[4] Les défendeurs ont déposé des affidavits à l’appui de leur appel et demandé que le comité d’appel accueille leur appel, annule l’élection du 9 mars 2007 et déclenche de nouvelles élections.
[5] Les cinq membres constituant le comité d’appel se sont réunis une première fois le 21 mars 2007 et ont poursuivi leurs délibérations sur cet appel les 23, 24 et 26 mars 2007. Le secrétaire et le trésorier du comité d’appel ont estimé que les affidavits et les autres documents présentés ne permettaient pas d’accueillir l’appel, ni de l’instruire. À leur avis, le comité d’appel ne respectait pas l’Election Act et était invité à annuler inutilement les résultats de l’élection à cause de l’animosité personnelle qu’entretenait son président, M. Harvey Abbott (le président Abbott) envers le chef élu, le demandeur, le chef Peter Bill.
[6] Une motion a été adoptée à la réunion du 23 mars 2007; trois membres du comité ont voté en faveur d’accueillir l’appel et deux contre cette décision. Les trois membres ont envoyé un avis d’appel aux demandeurs dans une lettre datée du 26 mars 2007.
[7] Les trois membres du comité d’appel ont envoyé un avis daté du 28 mars 2007 à toutes les personnes concernées pour les informer que le comité d’appel tiendrait une audience d’appel le 3 avril 2007 visant à examiner l’appel interjeté à l’égard des résultats de l’élection.
[8] Les deux membres qui s’opposaient à l’appel n’ont pas participé aux délibérations du 28 mars 2007 et n’ont pas non plus assisté à l’audience d’appel tenue le 3 avril 2007, même s’ils ont reçu l’avis en question comme toutes les personnes concernées. Les deux membres n’ont pas démissionné du comité d’appel. Ils ont plutôt décidé de protester contre la façon dont le président Abbott semblait décidé à faire annuler les résultats de l’élection, malgré l’absence de preuves suffisantes pour accueillir l’appel. C’est ce qui explique pourquoi ils ont décidé de ne pas assister à l’audience d’appel du 3 avril 2007.
[9] En plus d’avoir boycotté l’audience d’appel du 3 avril 2007, les deux membres dissidents du comité d’appel ont placé une affiche dans le magasin de la bande qui annonçait ce qui suit :
[Traduction]
AVIS
Objet : Élection générale du lac Pélican du 17-10-2007
Le comité d’appel a été saisi d’un appel et a exprimé le désir de tenir une audience à ce sujet.
La décision de tenir une audience n’est PAS unanime : le secrétaire et le trésorier du comité d’appel estiment qu’elle ne devrait pas avoir lieu.
[10] Le 7 avril 2007, le comité d’appel a rendu sa décision, laquelle n’a été signée que par les trois autres membres du comité d’appel. Le comité d’appel a déclaré ce qui suit :
a. L’élection du conseil de bande du 9 mars 2007 a été déclenchée aux termes d’une Election Act « révisée » ¾ à laquelle plusieurs modifications avaient été apportées ¾ en contravention à l’article 16 de l’Election Act, laquelle précise la façon dont l’Election Act peut être modifiée.
b. Les membres de la bande étaient nombreux à être exclus du processus de mise en candidature et leur droit de présenter les candidatures de leur choix a été violé.
c. L’élection générale du 9 mars 2007 n’a pas été tenue conformément à la loi parce qu’à la différence de l’Election Act « révisée », l’Election Act officielle comporte les initiales VC au coin inférieur droit de la Loi.
d. Toutes les candidatures ont été présentées conformément à la Loi « révisée ». Lorsque le directeur général des élections (DGE) a été informé de l’erreur, il est revenu à l’Election Act officielle et a procédé au choix des cinq membres du comité d’appel.
e. Si tous les électeurs avaient eu droit de présenter des candidatures, la liste des candidats aurait été plus longue et les résultats de l’élection n’auraient peut‑être pas été les mêmes. Un certain nombre d’électeurs se sont vus refuser la possibilité de présenter des candidatures, comme l’établissent les documents d’appel et les affidavits produits à leur appui.
[11] Le comité d’appel a accueilli l’appel et ordonné la tenue d’une nouvelle élection dans les vingt et un (21) jours, conformément à l’alinéa 12(6)c) de l’Election Act. Le paragraphe 12(6) est reproduit ci‑dessous dans le but d’indiquer les trois options qui étaient offertes au comité d’appel :
[Traduction]
12(6) Dans les sept (7) jours qui suivent l’audition de l’appel, le comité d’appel rend l’une des décisions suivantes :
a) le comité rejette l’appel au motif que la preuve présentée ne révélait pas l’existence d’une infraction à la Loi et il en informe la bande et le plaignant;
b) le comité accueille l’appel mais confirme la validité de l’élection, au motif qu’on ne peut raisonnablement estimer que l’infraction a porté atteinte au résultat de l’élection;
c) le comité accueille l’appel et ordonne la tenue d’une nouvelle élection dans les vingt et un (21) jours qui suivent sa décision sur l’appel, pour l’ensemble ou un certain nombre des postes pour lesquels l’élection était contestée, en donnant des directives précises pour faire en sorte que soit corrigé ce qui a motivé l’appel initial. Aucune mise en candidature nouvelle ou additionnelle ne peut être présentée en dehors des personnes inscrites sur la liste des candidats qui ont brigué les suffrages lors de l’élection générale ou partielle visée par l’appel.
[12] Les demandeurs ont déposé une requête en vue d’obtenir le sursis de la décision du comité d’appel jusqu’à ce qu’il soit statué sur la présente demande de contrôle judiciaire. Le 14 mai 2007, le juge Luc Martineau a accordé le sursis et suspendu l’exécution de la décision du comité d’appel du 7 avril 2007, et ainsi préservé le statu quo découlant des résultats de l’élection du 9 mars 2007, jusqu’à ce qu’il soit statué sur la présente demande.
II. Observations préliminaires de la Cour
[13] Les demandeurs ont soulevé six questions et les défendeurs cinq autres questions dans la présente demande de contrôle judiciaire. Il ressort d’un examen attentif et approfondi de ces 11 questions que c’est la Pelican Lake Band Election Act elle‑même qui est au cœur du différend qui oppose les parties, et qui est en fait à l’origine de l’instabilité électorale qui accable le conseil de bande depuis le début du siècle.
[14] La Cour d’appel fédérale a souligné le fait qu’il s’agissait là d’une situation déplorable dans Bill c. Bande indienne du lac Pélican, [2006] A.C.F. no 1836, une décision dans laquelle le juge Gilles Létourneau a déclaré au paragraphe 12 :
12 Il s’agit d’une situation inacceptable et très coûteuse pour tous les participants, y compris l’appareil judiciaire, qui mine et compromet l’intégrité du processus électoral de la Première nation du lac Pélican. Les membres de la bande ont le droit d’élire leurs représentants et d’être gouvernés par des représentants dûment élus. Compte tenu de ce qui s’est passé jusqu’à maintenant, il est évident qu’à moins qu’un tiers n’intervienne dans le processus électoral et en assure l’intégrité, la situation se répétera très probablement.
[15] La situation est en train de se répéter avec l’instance introduite devant la Cour et risque de durer éternellement si rien n’est fait à ce sujet. La Cour admet que le chef Peter Bill a été réélu au cours de cinq élections successives du conseil de bande, qui ont toutes débouché sur un litige. En fait, les preuves et la jurisprudence indiquent que le chef Bill a toujours été réélu depuis 1999. (Dossier des demandeurs, affidavit du chef Bill, paragraphe 3.) Quatre-vingt-sept pour cent des électeurs ont voté à la dernière élection, un des plus forts pourcentages jamais enregistré. (Voir le dossier des défendeurs, page 99.) La volonté démocratique qui ressort des résultats des élections indique clairement que les membres de la bande ont toujours choisi le chef Bill comme leur chef depuis 1999.
[16] Mais surtout, je ne suis pas insensible au fait que l’Election Act impose, par l’état d’incertitude perpétuelle qu’elle entretient, un fardeau très lourd à l’administration des affaires courantes de la Bande du lac Pélican et qu’elle compromet en particulier la bonne entente entre les membres de la bande, et qu’elle a notamment des effets néfastes sur les jeunes de la bande, comme le démontre un échantillon des témoignages spontanés qui ont été présentés par les personnes qui assistaient à l’audience d’appel du 3 avril 2007 (dossier des défendeurs, pages 116 à 118) :
[Traduction]
- (Membre de la bande Walter Abbott) […] – Cela fait trop longtemps que la bande est bloquée par tous ces appels et rien ne se fait pour les membres de la bande parce que celle‑ci se retrouve continuellement devant les tribunaux. (applaudissements)
- (Ancien Edward Chamabese) – Merci à tous ceux qui sont ici. Qu’allons-nous obtenir avec tous ces appels? Même nos écoliers sont touchés par tout ceci. Je n’ai pas été élu la dernière fois que je me suis présenté, mais je n’ai jamais essayé de faire appel. Les trois personnes qui ont fait appel sont en fait utilisées par d’autres. Comment tout ceci va-t-il finir? Essayons de nous comprendre. Quand tout cela va-t-il cesser? La bande elle-même est divisée! J’étais heureux lorsque j’ai fait ma fête et que tous les membres de ma parenté étaient là, mais les appels ne s’arrêtent jamais.
- (Ancien Leslie Bill) Cri – Je n’aime pas le fait que l’homme blanc soit venu ici pour nous causer des problèmes. Même nos dirigeants actuels ne traitent pas tous les membres de la même façon. […] J’en ai vraiment assez! L’homme blanc nous a donné cette Election Act, mais les dirigeants ne la respectent pas lorsque les décisions ne leur sont pas favorables.
- (Ancienne Liz Whitehead) – Je suis une ancienne, mais je n’ai pas une trop haute idée de moi. Je m’occupe des jeunes enfants à l’école. Pourquoi n’arrivons-nous pas à comprendre que ces appels causent beaucoup de tort à notre bande? J’en ai vraiment assez de tous ces appels.
- (Ancien/sénateur Jacob Bill) Cri – Pourquoi a-t-on adopté une loi électorale? Pourquoi ne respectons-nous pas cette loi? Pourquoi a-t-elle été adoptée si elle n’est pas suivie? Il n’y aurait pas d’appel si l’on avait commencé par respecter la loi sur les élections. La loi a été violée! C’est une accusation grave, c’est arrivé avec les deux (2) Election Acts (élection de 2007). Qui a fait l’autre Election Act (version révisée)? D’où vient-elle? La seule solution est d’examiner à nouveau ce qui est arrivé. J’en ai assez, il faut faire ce qu’il faut! (applaudissements)
[17] C’en est trop! Voilà ce que disent les anciens de la bande et voilà ce que dit la Cour. Il faut soit modifier et respecter l’Election Act, soit l’abroger et laisser la bande revenir à ses méthodes de gouvernance traditionnelles pour restaurer la paix et l’harmonie dans l’administration des affaires de la bande. La Cour est consciente du fait qu’il s’agit là d’une façon inhabituelle d’examiner une demande de contrôle judiciaire, mais la situation est tellement intenable que, pour éviter que perdure la situation confuse soumise au juge O’Keefe et à la Cour d’appel fédérale, voir ci‑dessus, la Cour utilise en dernier recours son pouvoir discrétionnaire et invoque le principe général d’interprétation énoncé à l’article 3 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, pour apporter une solution au présent litige qui soit la plus expéditive et économique possible. L’article 3 des Règles énonce ce qui suit :
3. Les présentes règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. |
3. These Rules shall be interpreted and applied so as to secure the just, most expeditious and least expensive determination of every proceeding on its merits. |
[18] La Cour conclut donc que, pour aborder les questions fondamentales que soulève cette affaire et les examiner au fond, elle doit déclarer que l’Election Act sous sa forme actuelle entraîne des résultats absurdes et calamiteux pour le peuple de la Bande du lac Pélican, sans parler des aspects financiers de l’administration de la justice. C’est pourquoi il faudrait soit l’abolir et la remplacer par la coutume traditionnelle de la bande pour qu’elle puisse s’occuper de ses affaires dans la paix et le respect. Subsidiairement, et compte tenu de l’ensemble des circonstances, le conseil de bande et les membres de la bande devraient accorder la priorité à la réforme de l’Election Act et la modifier conformément aux dispositions de son article 16. La procédure de modification est ainsi décrite :
[Traduction]
16. Pour introduire des changements ou des adjonctions à la présente Loi, un avis écrit des changements proposés doit être envoyé par courrier à tous les ménages de la réserve de la Bande du lac Pélican trois (3) mois avant leur adoption. Toute personne qui s’oppose à ces changements doit le faire par écrit en s’adressant à la Bande du lac Pélican, à l’attention du chef et du conseil, avant l’expiration du délai de trois (3) mois. Sur réception d’une contestation, une assemblée des électeurs de la Bande du lac Pélican doit être régulièrement convoquée et le changement mis aux voix : la majorité des personnes présentes doit accepter le changement. En l’absence de contestation, les changements peuvent être approuvés par le chef et le conseil au moyen d’une résolution du conseil de bande.
III. La question en litige
[19] La source réelle du problème ayant été cernée dans les paragraphes qui précèdent, la présente affaire ne soulève qu’une seule question, à savoir :
Le comité d’appel de la Bande du lac Pélican a-t-il commis une erreur de fait ou de droit lorsqu’il a examiné l’appel interjeté par les demandeurs et qu’il a décidé qu’il existait des motifs justifiant la tenue d’une audience d’appel et l’annulation des résultats de l’élection du 9 mars 2007?
IV. L’analyse
La norme de contrôle
[20] La présente affaire soulève une question juridique fondamentale qui concerne la façon dont le comité d’appel aurait exercé sa compétence pour accueillir l’appel, tenir une audience d’appel et annuler les résultats de l’élection, en contravention aux dispositions de l’Election Act. Traditionnellement, les questions de compétence ne peuvent être examinées que par rapport à la norme de la décision correcte. La décision du comité d’appel est ultra vires et ne peut donc être maintenue si les demandeurs démontrent, selon la prépondérance des probabilités, que le comité d’appel a agi en violation des dispositions de l’Election Act.
[21] Pour me prononcer en faveur des défendeurs, je dois être convaincu que la décision du comité d’appel était bien fondée et qu’il avait le pouvoir d’agir de la manière décrite dans la preuve.
Le comité d’appel de la Bande du lac Pélican a-t-il commis une erreur de fait ou de droit lorsqu’il a examiné l’appel interjeté par les demandeurs et qu’il a décidé qu’il existait des motifs justifiant la tenue d’une audience d’appel et l’annulation des résultats de l’élection du 9 mars 2007?
[22] La Cour conclut que le comité d’appel a eu raison d’entendre l’appel et d’examiner les affidavits à l’appui qu’ont fournis les appelants (les défendeurs) conformément aux dispositions de l’Election Act. Cependant, compte tenu de l’ensemble de la preuve, la Cour conclut que le comité d’appel n’a pas respecté l’Election Act et qu’il a privé les demandeurs de l’équité procédurale, pour les quatre raisons qui sont examinées ci‑dessous.
[23] Premièrement, il est vrai que l’avis d’appel a été envoyé aux demandeurs, mais cet avis ne contenait pas les motifs d’appel. Cela est contraire à l’Election Act et a privé les demandeurs de la possibilité de préparer une défense pleine et entière aux allégations soulevées dans l’appel. De plus, le comité d’appel n’a pas envoyé l’avis d’appel par courrier recommandé, comme l’exige le paragraphe 12(4) de l’Election Act, lequel dispose :
[Traduction]
Si le comité d’appel décide d’entendre l’appel, l’audience a lieu dans les quatorze (14) jours qui suivent la réception de la plainte. Toutes les personnes concernées sont avisées par courrier recommandé de la date, de l’heure et du lieu de l’audience ainsi que des motifs d’appel.
[24] Deuxièmement, l’Election Act exige expressément que l’audience d’appel soit consacrée à l’audition du témoignages des demandeurs. Ce n’est pas ce qui a été fait au cours de l’audience d’appel tenue le 3 avril 2007. Les trois appelants (les défendeurs) n’ont pas témoigné à l’audience d’appel. Leur témoignage a plutôt été rendu sous forme d’affidavits qui ont été lus à l’audience d’appel. En agissant ainsi, le comité d’appel a non seulement évité aux demandeurs d’être contre-interrogés par l’avocat des défendeurs (les demandeurs), mais il a également violé le paragraphe 12(5) de l’Election Act. Les passages pertinents de cette disposition énoncent ce qui suit :
[Traduction]
À l’audition de l’appel, l’appelant présente sa preuve. Les intimés ont le droit de présenter une défense pleine et entière. L’appelant a ensuite la possibilité de présenter une contre-preuve. […] Le comité d’appel entend toute la preuve pertinente fournie par l’appelant et par l’intimé.
[25] Troisièmement, la décision d’accueillir l’appel et d’ordonner la tenue d’une nouvelle élection avec une nouvelle liste de candidats est irrégulière. Lorsque le comité d’appel ordonne la tenue d’une élection, celle‑ci doit reprendre la liste des candidats initiale. L’alinéa 12(6)c) énonce clairement, entre autres, qu’[traduction] « […] aucune candidature nouvelle ou additionnelle ne peut être présentée en dehors de la liste des candidats qui ont brigué les suffrages lors de l’élection générale ou partielle visée par l’appel ». Ce n’est pas ce qu’a fait le comité d’appel. Il a autorisé des mises en candidature additionnelles de personnes qui ne figuraient pas sur la liste des candidats à l’élection du 9 mars 2007 visée par le présent appel.
[26] Quatrièmement et dernièrement, les affidavits des deux membres du comité montrent que le président Abbott a fait preuve de partialité envers le chef Bill. Cette preuve n’est pas contredite. Par ses paroles et ses actions, le président Abbott a démontré qu’il était partial envers le chef Bill, au point où il était disposé à tenir des réunions du comité d’appel sans avoir donné l’avis exigé aux deux autres membres du comité, le trésorier et le secrétaire qui n’approuvaient pas son comportement. Les preuves indiquent que le président Abbott a fait des remarques désobligeantes au sujet du chef Bill. Ce comportement va à l’encontre d’un impératif mentionné dans l’Election Act, selon lequel le comité d’appel doit être non seulement composé de cinq membres, mais de cinq membres impartiaux. Pour un observateur ordinaire, cette partialité apparente a obscurci le jugement du président Abbott et a peut‑être incité les autres membres du comité d’appel à prendre la décision en question.
[27] La Cour estime que le comité d’appel a eu raison de constater qu’une irrégularité avait été commise au cours de l’élection générale pour la raison qu’il y avait deux versions de l’Election Act, mais elle reconnaît que, lorsque cette irrégularité a été portée à l’attention du directeur général des élections, celui‑ci a pris immédiatement des mesures pour corriger cette erreur. En fait, la question a immédiatement fait l’objet d’un vote et les membres de la bande présents à l’assemblée de mise en candidature du 23 février 2007 ont voté en faveur de l’Election Act et non pas de la loi « révisée » qui avait été utilisée depuis le début et jusqu’à ce moment de la réunion.
[28] La Cour tient également compte du fait que les défendeurs ont déposé 12 affidavits, dont certains contenaient des pétitions signées par 127 membres de la bande qui allèguent, notamment, qu’ils n’ont pas pu présenter les candidatures de leur choix, ce qui aurait pu augmenter le nombre de candidatures et influencer l’issue de l’élection. Cependant, en contre-interrogatoire, les auteurs des affidavits n’ont pu affirmer qu’on leur avait refusé la possibilité de présenter les candidatures de leur choix. En fait, à l’exception de M. David D. Thomas, tous les défendeurs et les auteurs des affidavits qu’ils avaient déposés ont admis n’avoir jamais essayé de présenter la candidature de qui que ce soit. M. Thomas a présenté une candidature qui a été acceptée. De plus, ils ont tous reconnu avoir pu voter et personne n’a pu nommer un membre de la bande à qui on aurait interdit à tort de présenter sa candidature. Les preuves indiquent également que la bonne Election Act a été utilisée pour la nomination des membres du comité d’appel.
[29] La Cour conclut que pour les quatre motifs mentionnés ci‑dessus, le comité n’a pas agi judiciairement et a violé les principes de l’équité procédurale. En raison des circonstances particulières du présent litige (voir plus précisément les paragraphes 15, 16, 28, 31 et suivants de la présente décision), je formulerai également l’observation suivante. Malgré toutes les allégations graves portant que la tenue des élections aurait été entachée d’irrégularités procédurales, il n’existe pas suffisamment de preuves pour établir que, sans elles, le résultat de l’élection aurait été différent au point où il était justifié d’accueillir l’appel et d’ordonner la tenue d’une nouvelle élection.
[30] La Cour conclut par conséquent que le comité d’appel a mal appliqué l’Election Act lorsqu’il a pris sa décision. D’après la preuve, le comité d’appel aurait dû appliquer l’alinéa 12(6)b) et non l’alinéa 12(6)c) de l’Election Act, lequel énonce :
[Traduction]
12(6) Dans les sept (7) jours qui suivent l’audition de l’appel, le comité d’appel rend l’une des décisions suivantes :
[…]
b) le comité accueille l’appel mais confirme la validité de l’élection, au motif qu’on ne peut raisonnablement estimer que l’infraction a porté atteinte au résultat de l’élection.
V. Les remarques incidentes
[31] Dans le cours normal d’un contrôle judiciaire, la Cour aurait la possibilité de renvoyer l’affaire à un comité d’appel différemment constitué pour qu’il se prononce à nouveau sur cette affaire. Cependant, l’Election Act ne contient aucune disposition prévoyant cette possibilité, comme mon collègue le juge John O’Keefe l’a conclu dans Bill c. Bande indienne du lac Pélican, [2006] A.C.F. no 877, 2006 CF 679, décision confirmée en appel par le juge Létourneau, tel que cité ci‑dessus. Le juge O’Keefe a déclaré au paragraphe 59 :
59 L’appel ne peut être renvoyé à un comité d’appel différemment constitué parce qu’aucune disposition ne prévoit une telle nouvelle constitution. Le paragraphe 11(1) de la Loi requiert que le comité d’appel soit constitué de la manière suivante :
[Traduction]
• 11(1) Un comité d’appel est constitué par les membres à l’assemblée de mise en candidature, immédiatement après que la fin des mises en candidature ait été annoncée par le directeur des élections et par la personne que celui‑ci aura désignée.
[32] J’ajouterais également qu’étant donné que la Cour a conclu à une apparence de partialité, il est impossible de renvoyer l’affaire au comité d’appel, tel qu’il était constitué après l’élection de mars 2007. Que peut faire la Cour dans une telle situation?
[33] À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Pour mettre un terme à ce cercle vicieux et donner effet à la volonté démocratique des membres de la bande, la Cour accueille donc l’appel. La Cour mentionne, à titre de remarque incidente, qu’elle estime, après mûre réflexion, que les demandeurs devraient prendre tous les moyens possibles pour corriger la situation actuelle. Le conseil de la Bande du lac Pélican, sous la direction des demandeurs, le chef Peter Bill et les conseillers Romeo Thomas, Frederick Whitehead, David Thomas, Gilbert Chamakese, Sidney Bill et Jimmy Bill, élus pour un mandat de trois ans le 9 mars 2007, sont invités à redonner à la population le contrôle du processus électoral, conformément à la coutume de la bande, et le pouvoir de décider comment la bande doit être gouvernée, conformément aux modifications qui seront réputées être dans l’intérêt de la bande et de ses membres.
[34] La Cour veut ainsi encourager le conseil de la bande à penser à l’intérêt de ses membres dans les six (6) mois des présents motifs et, à l’aide de la procédure de modification prévue à l’article 16 de l’Election Act, à mettre en place des mécanismes clairs, équitables et justes qui respectent la volonté démocratique des membres de la bande, lui donnent effet et mettent un point final à cette série interminable de poursuites judiciaires.
VI. La conclusion
[35] Étant donné que les preuves étaient insuffisantes pour que le comité d’appel accueille l’appel et compte tenu des nombreuses irrégularités commises par le comité d’appel, l’appel est accueilli et la décision du comité d’appel datée du 7 avril 2007 est annulée.
[36] Les parties ont demandé des dépens. Étant donné que l’issue est favorable aux demandeurs, les défendeurs sont condamnés aux dépens pour une somme globale de 900 $, soit l’équivalent de la caution de 300 $ que chacun des défendeurs a été tenu de déposer lorsqu’ils ont interjeté appel devant le comité d’appel.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :
1. L’appel est accueilli et la décision du comité d’appel de la Bande du lac Pélican du 7 avril 2007 est annulée;
2. Les défendeurs sont condamnés à des dépens de 900 $, lesquels seront répartis également entre chacun des trois défendeurs.
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-716-07
INTITULÉ : CHEF PETER BILL ET AL.
c.
CONSEILLERS ROMEO THOMAS ET AL.
LIEU DE L’AUDIENCE : SASKATOON (SASKATCHEWAN)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 18 OCTOBRE 2007
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE SIMON NOËL
DATE DES MOTIFS : LE 7 NOVEMBRE 2007
COMPARUTIONS :
Anil Pandila Prince Albert (Sask.)
|
POUR LES DEMANDEURS |
Brenda V. McLeod Young (Sask.)
|
POUR LES DÉFENDEURS |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Pandila & Company Prince Albert (Sask.)
|
POUR LES DEMANDEURS |
Brenda V. McLeod Young (Sask.)
|
MANDATAIRE DES DÉFENDEURS |
[1] 1) Première nation du lac Pélican c. Canada, [2000] A.C.F. no 2078, juge Campbell.
2) Abbott c. Première nation du lac Pélican, [2003] A.C.F. no 577, 2003 CFPI 340, juge Tremblay-Lamer.
3) Bill c. Bande indienne du lac Pélican, [2006] A.C.F. no 877, 2006 CF 679, juge O’Keefe.
4) Bill c. Bande indienne du lac Pélican, [2006] A.C.F. no 1836, 2006 CAF 397, juge Létourneau.
[2] 1) Bill c. Francis Thomas et al., T-1262-06, 16 août 2006; juge O’Reilly appel entendu et
2) Bill c. David D. Thomas, T-716-07, 14 mai 2007, juge Martineau.
[3] Première nation du lac Pélican c. Bill, [2003] S.J. No. 866, 2003 SKQB 566, Q.B.G. No. 271 of J.C.B., (B.R. Sask.) juge Klebuc.