Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE
RANJAN DE SERAM
(connu également sous le nom de RANJAN JAYASURIYA ARACHCHIL)
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
LE JUGE O’KEEFE
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), à l’égard de la décision, en date du 19 septembre 2006, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.
[2] Le demandeur sollicite l’annulation de cette décision et le renvoi de l’affaire à la Commission pour qu’un tribunal constitué différemment rende une nouvelle décision.
Contexte
[3] Le demandeur, Ranjan De Seram (également connu sous le nom de Ranjan Jayasuriya Arachchil), est citoyen du Sri Lanka. Il a demandé le statut de réfugié en raison de son appartenance à un groupe social précis qui fait l’objet de persécution et de poursuites pénales dans tout le Sri Lanka pour la commission de certains actes sexuels, à savoir les hommes d’orientation homosexuelle habitant au Sri Lanka. Les circonstances ayant donné lieu à sa demande de statut de réfugié sont décrites dans l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels (FRP).
[4] Les difficultés du demandeur ont commencé quand il était à l’école secondaire. Lorsqu’il était en neuvième année à l’école St. Thomas College Guruthalawa, il a commencé une relation avec un partenaire du même sexe que lui, Asiri. Cette relation n’a jamais été acceptée par les élèves et les enseignants. À plusieurs occasions, des élèves, agissant sous les ordres d’enseignants, leur ont lancé des pierres. Le demandeur a été menacé d’expulsion, mais il a été autorisé à rester à l’école.
[5] Après l’école secondaire, le demandeur a terminé un programme collégial de deux ans et demi et s’est inscrit à l’Académie navale et maritime. En 1991, il a réussi a obtenir un contrat comme matelot auprès d’une société nommée M/T Blue Wave. Après avoir travaillé 18 mois sur un bateau, il est retourné au Sri Lanka pour y vivre avec son partenaire Asiri, à Colombo. En 1993, le demandeur et son partenaire ont ouvert leur salon de coiffure et de beauté. Puis, comme le demandeur désirait améliorer et déménager son commerce, il a décidé de retourner travailler sur un bateau pour gagner plus d’argent. Il a signé un contrat et est parti à bord du M/V Lanka Asitha.
[6] En 1998, le demandeur et son partenaire ont déménagé leur salon de coiffure dans un nouveau local situé à Borella, à Colombo. Le nouveau local était doté de dix fauteuils de coiffure et équipé à neuf. En 1998 et en 2002, le demandeur est retourné travailler sur le bateau pour poursuivre sa carrière de matelot. En 2002, il est rentré de façon définitive au Sri Lanka pour y rester avec son partenaire.
[7] En 2004, le salon et l’appartement du demandeur et son partenaire ont été détruits en leur absence. La police locale a été informée deux fois de ce fait, mais elle n’a rien fait. Le demandeur et son partenaire ont quitté Colombo puis leur pays pour des destinations différentes. En 2005, le demandeur est retourné travailler sur un bateau. Il y est resté cinq mois, mais il a été harcelé et humilié par des membres de l’équipage lorsque ces derniers ont appris son orientation sexuelle. Lorsque le bateau a accosté au Canada, le demandeur y a demandé un avis juridique sur la possibilité de demander l’asile. En décembre 2005, il a déposé une demande de statut de réfugié.
[8] Son audience a eu lieu le 12 septembre 2006 et la Commission a rendu sa décision le 19 septembre 2006. La Commission a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Voici le contrôle judiciaire de cette décision.
Motifs de la décision de la Commission
[9] Dans sa décision du 19 septembre 2006, la Commission a rejeté la demande du demandeur au motif (1) qu’elle mettait en cause la crédibilité du demandeur; (2) que le demandeur n’avait pas démontré que le harcèlement dont il avait été victime constituait de la persécution; (3) le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État.
[10] La Commission a fait remarquer que le témoignage du demandeur au sujet de la destruction de son commerce est différent des faits qu’il a exposés dans son FRP et de la déposition qu’il a faite lors de son entrevue au point d’entrée. Dans son FRP, il ne fait pas référence à l’identité des personnes ayant détruit son commerce et il ne mentionne pas de menaces de mort que l’on aurait écrites sur le mur de son ancien commerce. À son entrevue au point d’entrée, le demandeur a déclaré que ce sont les propriétaires des commerces situés dans le même immeuble qui ont détruit son salon. Une fois de plus, il ne mentionne pas de menaces écrites sur le mur. Au cours de l’audience, le demandeur a déclaré qu’il ne savait pas qui avait détruit son commerce et il a ajouté qu’il y avait une menace de mort écrite sur le mur dudit commerce. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer ces divergences, il a dit qu’il avait deviné l’identité des personnes qui ont détruit son commerce et qu’il n’était pas dans un [traduction] « état d’esprit convenable » quand il a rempli son FRP. La Commission a fait observer que le message écrit n’était pas un détail de moindre importance, mais la principale raison pour laquelle il avait quitté le Sri Lanka et demandé l’asile. Le demandeur en a convenu.
[11] La Commission a tiré une inférence négative des déclarations divergentes du demandeur au sujet des risques qui pèsent sur sa sécurité personnelle. Lorsqu’on lui a demandé si les personnes responsables de la destruction de son commerce savaient s’il s’y trouvait alors, il a répondu qu’il n’en était pas sûr, mais qu’il était possible qu’elles aient été au courant de son absence. La Commission a indiqué qu’il ne lui semblait pas que les responsables aient eu l’intention de lui faire physiquement mal, mais qu’ils semblaient uniquement intéressés à détruire son commerce. Elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que l’incendie ayant détruit le salon n’était lié à aucune menace écrite à la vie du demandeur.
[12] La Commission a tiré une conclusion négative des déclarations divergentes du demandeur au sujet des contacts qu’il a eus avec la police. Elle a fait observer que, dans son FRP, le demandeur a déclaré avoir informé deux fois la police de l’incident et que les policiers lui ont dit les deux fois qu’ils ne pouvaient rien faire parce que les habitants du quartier étaient fâchés parce que des homosexuels réussissaient en affaires. Au cours de l’audience, le demandeur a témoigné qu’on lui a ordonné de sortir du poste de police et que la police savait qu’il était homosexuel. Lorsqu’on l’a prié de justifier ces divergences, le demandeur a expliqué qu’il se souvenait différemment des faits lorsqu’il avait rédigé l’exposé factuel. La Commission a également fait remarquer que le témoignage du demandeur laissait clairement sous‑entendre que les policiers avaient fait preuve de discrimination à son égard; il a toutefois déclaré dans son FRP que les responsables étaient ses voisins.
[13] La Commission a également tiré des conclusions au sujet de la présomption de protection de l’État. Lorsque l’on a demandé au demandeur s’il était au courant de l’existence d’une organisation sri‑lankaise pour homosexuels appelée « Compagnons de voyage », il a répondu qu’il s’agissait d’une organisation appartenant à l’élite économique et sociale et qu’elle n’accordait aucune place à des gens provenant de la classe moyenne comme lui. La Commission a fait observer que le groupe en question était actif et qu’il n’y avait aucune preuve documentaire à l’appui du type d’exclusion mentionné par le demandeur. Elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que l’explication avancée par le demandeur pour justifier le fait qu’il n’a pas cherché à obtenir d’aide des « Compagnons de voyage » n’était pas crédible. Elle a également conclu que l’explication du demandeur sur son omission de chercher à obtenir l’aide d’un cadre de la police ou d’un avocat n’est pas crédible et qu’il n’avait pas testé adéquatement la capacité et la volonté de l’État de le protéger.
[14] En ce qui concerne la question de la persécution, la Commission a fait observer que, même si le demandeur a indiqué qu’il avait été victime de harcèlement et qu’on avait essayé de lui extorquer de l’argent dans le passé, il n’avait produit aucune preuve de persécution. Elle a indiqué qu’il avait eu la possibilité de faire des études et même de recevoir une formation professionnelle qui lui a permis de réussir dans sa carrière de matelot. La Commission a également fait remarquer que bien que le demandeur ait allégué qu’il ferait l’objet de poursuites pénales si jamais il retournait au Sri Lanka (en raison de son homosexualité), il n’avait pas déposé de preuves à l’appui de cette allégation. La Commission a aussi fait observer que la documentation sur ce pays indique qu’il n’y a pas eu de poursuites pour homosexualité depuis de nombreuses années.
Questions en litige
[15] Le demandeur sollicite l’examen des points suivants :
1. La Commission a commis une erreur de droit en effectuant un examen microscopique des éléments de preuve plutôt qu’une appréciation raisonnable et générale de l’ensemble de la preuve.
2. La Commission a commis une erreur de droit en affirmant que le demandeur aurait dû demander de l’aide à des organisations pour homosexuels lorsque la police a refusé de l’aider.
3. La Commission a commis une erreur de droit en n’effectuant pas une analyse séparée des risques qui pourraient menacer le demandeur à l’avenir conformément à l’article 97.
4. La Commission a commis une erreur de droit en effectuant une analyse excessivement sélective des éléments de preuve documentaire objectifs dont elle était saisie et en ne tenant pas compte des éléments de preuve qui étayaient directement la crainte du demandeur.
[16] Je reformule les questions en litige comme suit :
1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la demande du demandeur au motif que ce dernier n’était pas crédible?
2. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur aurait dû faire des démarches auprès d’organisations non gouvernementales lorsque la police a refusé de l’aider?
3. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en n’effectuant pas une analyse séparée conformément à l’article 97?
4. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve documentaire dont elle était saisie?
Prétentions du demandeur
[17] Le demandeur avance qu’il n’est pas raisonnable de relever chaque contradiction de l’exposé d’un demandeur d’asile pour tirer une conclusion négative quant à la crédibilité (R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2003 CFPI 116). Il fait valoir que la Commission est obligée de procéder à une appréciation équitable de l’ensemble de la preuve dont elle dispose et qu’ [traduction] « il n’est pas convenable que la Commission fonde ses conclusions sur un examen "microscopique" de questions périphériques ou n’ayant pas de rapport avec la demande du demandeur » (Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 N.R. 168 (C.A.F.) au paragraphe 9). Le demandeur ajoute que la Commission a rejeté les preuves qu’il a présentées au sujet des rapports qu’il a eus avec la police sur le fondement des contradictions décelées entre sa déposition orale et l’exposé circonstancié de son FRP. Plus précisément, la Commission a fait observer que le FRP indiquait que les policiers avaient dit au demandeur qu’ils ne pouvaient rien faire pour lui, alors que, selon son témoignage verbal, ils lui ont ordonné de sortir du poste de police. Le demandeur fait valoir que la Commission semblait essayer de faire son possible pour trouver des contradictions dans son récit. Il prétend en outre qu’il n’y a aucune contradiction importante et que, dans l’ensemble, la preuve n’a pas changé. En se fondant sur cette divergence mineure dans la description pour rejeter la preuve du demandeur, la Commission a agi, aux dires du demandeur, de façon abusive et manifestement déraisonnable. Il avance également qu’il était manifestement déraisonnable de la part de la Commission de rejeter le fait qu’il y avait eu des menaces écrites lors de la destruction de son salon au motif qu’il n’en avait pas fait état dans l’exposé circonstancié du FRP.
[18] Le demandeur fait valoir que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas testé adéquatement la capacité et la volonté de l’État de le protéger. Il fait observer que la Commission a fondé sa conclusion sur l’omission du demandeur de demander l’aide d’un cadre de police, d’un avocat ou d’une organisation pour homosexuels. Il déclare avoir essayé deux fois de rapporter l’incident à deux policiers différents, mais que les deux fois on avait refusé de faire un rapport et lui avait ordonné de quitter le poste. Il soutient que le témoignage d’un demandeur au sujet d’incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l’État ne s’est pas concrétisée est suffisant pour réfuter la présomption de la protection de l’État (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). Le demandeur allègue également que la Commission a commis une erreur en lui imposant l’obligation de chercher à obtenir réparation auprès d’organismes autres que la police (Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 339 (1re inst.). Il fait valoir que la Commission, en se concentrant sur son omission de demander de l’aide à une organisation pour homosexuels ou à un avocat, a appliqué une norme supérieure à celle qu’envisage la Cour relativement à la question de la protection adéquate de l’État. Il fait également observer que la Commission détenait des preuves que les policiers commettent fréquemment des actes de violence envers les homosexuels au Sri Lanka.
[19] Le demandeur fait valoir que la Cour a statué clairement que les articles 96 et 97 de la LIPR sont différents et doivent faire l’objet d’analyses séparées (Kilic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 84). Il avance que la déclaration générale de la Commission selon laquelle il n’est pas une personne à protéger n’est pas suffisante puisque rien ne prouve qu’elle a effectivement examiné les différents risques et critères prévus à l’article 97. Le demandeur soutient que la Commission a admis que son identité et son profil correspondent à celui d’un jeune homme homosexuel du Sri Lanka et que, par conséquent, elle était, en vertu de l’article 97, obligée d’examiner la question de savoir s’il courait des risques objectifs en raison de ce profil (Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1211).
[20] Le demandeur reconnaît que la Commission n’est pas obligée de mentionner chaque élément de preuve dont elle dispose; cependant, lorsqu’elle omet de faire état d’un élément de preuve important ou fondamental pour la demande, elle commet une erreur de droit manifestement déraisonnable (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (C.F. 1re inst.) (QL). Il allègue que l’analyse par la Commission de la preuve documentaire objective est excessivement concise et ne compte que deux courts paragraphes. Il déclare également que l’examen de la preuve documentaire effectué par la Commission se concentre sur le caractère criminel de l’homosexualité au Sri Lanka et ne mentionne pas que les homosexuels font souvent l’objet d’attaques et qu’ils sont aussi visés par la police. Il porte à l’attention de la Cour la décision Peiris c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1251, dans laquelle la juge Mactavish a examiné des questions très semblables à celles de l’espèce. Dans la décision Peiris, précitée, la Cour a statué qu’il est vrai que la Commission est en droit d’apprécier la preuve documentaire et de la rejeter, mais qu’elle n’avait pas, compte tenu de l’importance de la preuve relative à une question centrale de l’affaire, la possibilité d’omettre simplement d’en tenir compte. Le demandeur prétend que la Commission disposait d’éléments de preuve explicites sur le traitement de personnes dans des situations semblables à celle du demandeur et qu’elle a omis de mentionner ces éléments de preuve. Le demandeur fait valoir que cette omission constitue une erreur de droit.
Prétentions du défendeur
[21] Le défendeur fait valoir que la norme de contrôle applicable est la norme du « caractère manifestement déraisonnable » (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982). Il avance que le critère nécessaire pour établir la crainte de persécution a deux volets : le demandeur doit éprouver une crainte subjective d’être persécuté et sa crainte doit être objectivement justifiée (arrêt Ward, précité). Le défendeur soutient que la Commission a examiné et soupesé tous les éléments de preuve produits par le demandeur et qu’elle a conclu que ce dernier n’avait pas démontré, ni par son comportement, ni par ses actions, qu’il éprouvait une crainte subjective d’être persécuté. Le défendeur fait observer que la Commission a conclu que le demandeur avait toujours eu l’intention de rester au Sri Lanka avant la destruction de son commerce. Il déclare qu’il est vrai que la Commission a statué que le demandeur avait été victime de harcèlement et de préjugés au Sri Lanka, mais qu’il n’y avait pas de preuve que ses expériences avaient atteint le niveau de la persécution.
[22] Le défendeur fait valoir que l’élément‑clé permettant de décider si la crainte d’un demandeur est justifiée est la capacité de l’État de le protéger (arrêt Ward, précité). L’incapacité de l’État d’accorder sa protection constitue l’élément primordial pour déterminer si le demandeur avait objectivement raison de ne pas vouloir solliciter la protection de l’État (arrêt Ward, précité). Le défendeur soutient qu’il incombe au demandeur de réfuter la présomption selon laquelle, en l’absence de l’effondrement complet de l’appareil de l’État, ce dernier est capable de le protéger. Il ajoute qu’il ne suffit pas que le demandeur démontre qu’il est allé voir certains membres des services de police et que ses efforts n’ont pas porté fruit. Il fait valoir que la Commission n’a pas accepté l’argument du demandeur selon lequel les autorités ne seraient pas disposées à faire de vrais efforts pour le protéger en tant que victime d’un acte criminel grave s’il demandait la protection de l’État. Le défendeur déclare également que la Commission n’a trouvé aucune preuve à l’appui de l’allégation du demandeur selon laquelle, d’après son expérience personnelle, l’État ne lui offrait aucune protection au Sri Lanka. Le défendeur prétend que la Commission a compétence pour apprécier et soupeser l’ensemble des éléments de preuve dont elle est saisie et, après avoir ainsi procédé, pour tirer ses propres conclusions à l’égard de ces éléments de preuve. Le défendeur déclare également qu’il y avait des éléments de preuve sur lesquels la Commission aurait pu se fonder pour conclure que le demandeur disposait d’une protection convenable de la part de l’État et qu’il ne s’était pas acquitté du lourd fardeau de la preuve qui lui incombait.
Analyse et décision
Norme de contrôle
[23] Les conclusions de la Commission sont examinées selon la norme du caractère manifestement déraisonnable et, par conséquent, la Cour doit faire preuve d’un degré élevé de retenue à leur égard (voir Juan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 809, au paragraphe 2). La Commission est en droit d’apprécier la valeur probante des éléments de preuve, dont la preuve documentaire, et la norme de contrôle applicable aux conclusions tirées est celle du caractère manifestement déraisonnable (voir Akhler c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 914).
[24] Je souhaiterais aborder en premier lieu la quatrième question.
[25] Quatrième question
La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve documentaire dont elle était saisie?
Le demandeur fait valoir que l’examen de la preuve documentaire par la Commission est excessivement concis et qu’il ne compte que deux courts paragraphes. Il ajoute que cet examen se concentre sur le caractère criminel de l’homosexualité au Sri Lanka et qu’il n’est pas fait mention du fait que les homosexuels font souvent l’objet d’attaques et qu’ils sont aussi visés par la police. Voici l’extrait pertinent de la décision de la Commission :
[...] [Le demandeur d’asile] a par ailleurs indiqué dans son FRP qu’il risquait de faire l’objet d’accusations criminelles s’il retournait au Sri Lanka, mais aucune preuve n’a été communiquée pour soutenir cette allégation. Les documents sur le pays indiquent que les homosexuels n’y sont pas inquiétés depuis de nombreuses années.
Il est clair que la société sri‑lankaise est une société conservatrice en matière d’homosexualité et que le demandeur d’asile a bien été victime de harcèlement et de préjugés. Il est également vrai que l’homosexualité est toujours illégale au Sri Lanka et qu’une loi rendant l’homosexualité illégale et datant du XIXe siècle demeure en vigueur. Cependant, il appert également que le traitement des homosexuels au Sri Lanka s’est amélioré au cours des dernières années et que la loi qui criminalise l’homosexualité n’y a pas été appliquée depuis de nombreuses années. Deux organismes de défense des droits des homosexuels ont participé à une campagne publique en faveur de la modification de la loi, et l’homosexualité est un sujet de moins en moins tabou au Sri Lanka. De plus, le fait que le demandeur d’asile soit retourné au Sri Lanka après chacune des périodes qu’il a passées en mer et le fait qu’il ait indiqué son intention de demeurer au Sri Lanka avant la destruction de son salon montrent que toute peur subjective était atténuée par la situation objective régnant dans ce pays. Le demandeur d’asile a témoigné qu’il avait espéré réussir sa vie avec son partenaire au Sri Lanka et que c’était la raison pour laquelle il y était toujours retourné par le passé.
[26] Le demandeur invoque la décision Peiris, précitée, à l’appui de sa prétention selon laquelle la Commission doit prendre en considération la preuve documentaire selon laquelle les policiers attaquent et ont pour cible les homosexuels au Sri Lanka.
[27] La preuve documentaire objective dont disposait la Commission comportait les extraits suivants tirés d’un rapport du Home Office de la Grande‑Bretagne : Sri Lanka, septembre 2005 (révisé en octobre 2005), paragraphe 6.245 :
[traduction] . . . Au cours de l’année, des organismes de défense des droits de la personne ont rapporté que des policiers ont harcelé, extorqué de l’argent et attaqué des homosexuels à Colombo et dans d’autres régions . . .
(dossier du tribunal, page 145)
Voici des extraits du document LKA35952.E :
[traduction] Même s’il n’y a pas de poursuites en vertu de la loi, de Rose prétend qu’on utilise cette loi pour « mener une campagne officielle contre les homosexuels du Sri Lanka » (The Data Lounge, 20 août 1998) et qu’elle a été liée à du chantage exercé sur des homosexuels par des policiers (ibid., 16 octobre 1998), à la perception qu’ils sont des « pervers » (ABC, 20 juillet 1999) et à leur stigmatisation.
(dossier du tribunal, page 63)
[traduction] Dans d’autres documents sur le traitement des homosexuels au Sri Lanka, les sources ont rapporté des attaques contre des homosexuels, des suicides, leur peur de « révéler leur orientation », le fait que les homosexuels « sont généralement traités avec "dégoût" » et la « grande intolérance publique à leur égard » (IPS, 30 déc. 1997; ibid. 8 déc. 1999; AFP, 28 juin 1999; ibid. 4 sept. 2000; ABS, 20 juillet 1999). Selon le Data Lounge, la communauté homosexuelle est concentrée à Colombo, bien qu’il « n’y ait pas de bars ou de clubs où les homosexuels peuvent se réunir » (16 oct. 1998). Cependant, Human Rights Watch a rapporté que « des organisations dotées d’objectifs spécialisés précis », y compris les droits des homosexuels, ont grandi « en force et en nombre [en 1998] et elles ont rouvert le débat public sur des questions importantes ».
(dossier du tribunal, page 64)
[28] Au paragraphe 17 de la décision Cepeda‑Gutierrez, précitée, le juge Evans a écrit :
Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’il passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.
[29] Les éléments de preuve documentaire susmentionnés ne sont pas discutés dans la décision de la Commission. Ils paraissent contredire les conclusions de fait tirées par la Commission. Il s’agit d’éléments de preuve importants en l’espèce. La Commission a la latitude de traiter des éléments de preuve de la façon qu’elle l’entend, mais elle ne peut pas passer sous silence des éléments importants pour une question fondamentale de la cause.
[30] Je suis d’avis que la Commission, en omettant de montrer qu’elle a tenu compte des éléments de preuve contraires indiquant que des policiers ont harcelé et attaqué des homosexuels et leur ont extorqué de l’argent, n’a pas pris en considération des éléments de preuve pertinents et a commis une erreur susceptible de contrôle. Je ne suis pas en mesure de savoir quelle décision la Commission aurait rendue si elle avait tenu compte de ces éléments de preuve.
[31] Vu ma conclusion sur cette question, je n’ai pas besoin d’examiner les autres questions soulevées par le demandeur.
[32] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.
[33] Aucune des parties n’a souhaité soumettre à la Cour une proposition de question grave de portée générale aux fins de certification.
[34] LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision.
Juge
Traduction certifiée conforme
Sandra de Azevedo, LL.B.
ANNEXE
Dispositions législatives pertinentes
Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites à la présente section.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) :
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:
a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.
97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée:
a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;
b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant:
(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,
(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,
(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.
(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.
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(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or
(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.
97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally
(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or
(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if
(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,
(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,
(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and
(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.
(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Dossier : IMM-5710-06
INTITULÉ : RANJAN DE SERAM
(connu également sous le nom de RANJAN JAYASURIYA ARACHCHIL)
- et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 24 octobre 2007
ET JUGEMENT : LE JUGE O’KEEFE
DATE DES MOTIFS : Le 31 octobre 2007
COMPARUTIONS :
Robert I. Blanshay
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Negar Hashemi
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Robert I. Blanshay Toronto (Ontario)
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John H. Sims, c.r. Sous‑procureur général du Canada
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