Date : 20071026
Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2007
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON
ENTRE :
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Un agent des visas a estimé que le mariage d’Albert Roopchand avec Sharmin Richards n’était pas authentique et visait principalement à faire acquérir un statut aux termes de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). La demande parrainée qu’a présentée Mme Richards en vue de devenir résidente permanente a donc été rejetée au motif que son mariage entrait dans la disposition d’exclusion qu’est l’article 4 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Appel a été interjeté de la décision de l’agent des visas devant la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SAI ou la Commission), mais la SAI a rejeté l’appel parce que, selon elle, M. Roopchand n’avait pas pu démontrer que le mariage était authentique ou qu’il ne visait pas principalement à faire acquérir un statut aux termes de la Loi.
[2] La présente demande de contrôle judiciaire déposée à l’égard de la décision défavorable de la SAI est rejetée, parce que M. Roopchand n’a pas démontré que les conclusions de fait de la Commission étaient manifestement déraisonnables.
[3] L’article 4 du Règlement est ainsi rédigé :
[4] Cette disposition soulève des questions de fait qui concernent l’intention et la motivation du conjoint parrainé. En pratique, il sera généralement difficile de sonder une personne sur ses intentions en la soumettant à un contre-interrogatoire serré destiné à lui faire admettre une fraude ou une malhonnêteté. Habituellement, c’est plutôt l’arbitre des faits qui tirera des conclusions, en se fondant sur les déclarations incohérentes ou contradictoires faites par les parties, sur la connaissance qu’elles ont l’une de l’autre et leur histoire commune, sur la nature, la fréquence et le contenu des communications entre elles, sur le soutien financier accordé à l’une par l’autre, et sur toute tentative antérieure du conjoint demandeur en vue d’obtenir son admission au Canada.
[5] Les questions d’intention et de motivation sont des points de fait, décidés par la SAI après qu’elle a vu les parties ou à tout le moins entendu leurs témoignages. Pour cette raison, la Cour croit que de telles conclusions sont réformables selon la norme de contrôle nécessitant le plus haut degré de retenue, celle de la décision manifestement déraisonnable. Voir par exemple le jugement Khella c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2006] A.C.F. n° 1696 au paragraphe 12.
[6] En l’espèce, la SAI s’est appuyée sur des divergences entre le témoignage de M. Roopchand et celui de son épouse, et sur une contradiction entachant le témoignage de son épouse. La Commission a sans doute usé de mots un peu vagues ou d’un style un peu trop fleuri lorsqu’elle a parlé « des déclarations inconciliables de l’appelant et de la demandeure », mais je suis d’avis que les mots employés par la Commission ne changent rien à l’affaire. Je suis également d’avis que, contrairement aux conclusions de M. Roopchand, la SAI était fondée à s’en rapporter, comme elle l’a fait, aux importantes contradictions suivantes contenues dans la preuve :
· Dans le questionnaire du conjoint parrainé, Mme Richards écrivait que c’est par téléphone, en 2001, qu’elle avait communiqué la première fois avec M. Roopchand. Dans le même questionnaire, elle écrivait aussi qu’elle avait rencontré la première fois M. Roopchand en 2004 et que, à ce moment-là, « nous avons eu une conversation et avons échangé nos numéros de téléphone ». À l’audience, M. Roopchand avait dit qu’ils avaient communiqué la première fois par téléphone en 2002.
· M. Roopchand a témoigné qu’il croyait que son épouse était baptiste et que sa mère était hindoue. Mme Richards avait dit qu’elle était membre de l’Église du Plein Évangile et que sa mère était chrétienne.
· Mme Richards a subi deux avortements au cours de leur relation. M. Roopchand disait que son épouse avait assumé le coût des deux avortements et qu’il l’avait ensuite remboursée en lui envoyant 10 000 dollars guyanais pour chaque avortement. Mme Richards avait dit que le premier avortement avait coûté 8 000 dollars guyanais, le second 10 000 dollars guyanais, et que, dans les deux cas, elle avait utilisé l’argent envoyé par son mari pour payer la facture (c’est-à-dire que son mari ne l’avait pas remboursée).
· M. Roopchand avait dit qu’il allait au restaurant, dans les bars et les boîtes de nuit avec son épouse. Il avait dit que sa boisson favorite était la bière, alors que Mme Richards avait dit qu’il aimait boire de la vodka et du lait de coco (parfois accompagné de jus d’orange).
[7] Outre ces contradictions, la SAI s’est aussi appuyée sur les constats suivants :
· M. Roopchand n’avait pas connaissance du détail des avortements subis par son épouse, et cela ne s’accordait pas avec une authentique relation conjugale, surtout compte tenu de son témoignage à lui selon lequel ils se parlaient quotidiennement par téléphone. S’agissant du premier avortement, M. Roopchand ne savait pas à quelle date il avait eu lieu, le nom de l’hôpital où il avait eu lieu, ni le nom du médecin traitant. S’agissant du deuxième avortement, il ne savait pas depuis combien de temps son épouse était enceinte, ni la date de l’avortement, ni le nom du médecin traitant, ni le nom de l’hôpital.
· M. Roopchand et son épouse ne connaissaient pas les noms de leurs banques respectives.
· M. Roopchand ne savait pas le nom du supérieur hiérarchique de son épouse au travail et connaissait mal les collègues de son épouse.
· La preuve documentaire attestant les prétendues communications entre M. Roopchand et son épouse de 2004 à 2006 était limitée, et il n’existait aucune preuve du genre pour les années 2001, 2002 et 2003.
[8] Je suis d’avis que toutes ces conclusions étaient étayées par la preuve que la SAI avait devant elle.
[9] La SAI a tiré une seule déduction discutable et, à une occasion, elle a rapporté incorrectement la preuve qu’elle avait devant elle.
[10] S’agissant de la déduction discutable, la Commission n’a pas jugé crédible que M. Roopchand ait demandé Mme Richards en mariage avant le 5 août 2004, mais qu’ils n’aient décidé qu’en janvier 2005 de se marier. Le long intervalle entre la proposition et l’acceptation n’est pas en soi nécessairement invraisemblable. Il m’est impossible toutefois de voir dans les motifs de la Commission une indication que ce fut là une conclusion déterminante. Je suis d’avis que la décision de la Commission n’aurait pas été différente en l’absence de cette déduction.
[11] S’agissant de la preuve incorrectement rapportée dans ses motifs, la SAI écrivait que M. Roopchand buvait sept ou huit consommations par jour. En fait, il avait dit qu’il buvait sept ou huit consommations par semaine. Là encore, je ne crois pas que cette erreur a été déterminante. Ce qui était important, c’était le témoignage des parties à propos de ce qu’il buvait.
[12] Outre qu’il trouve à redire aux contradictions que la Commission a cru déceler dans son témoignage, M. Roopchand affirme que la Commission a commis une erreur [traduction] « parce qu’elle a établi les preuves selon un ordre chronologique discutable, qu’elle a refusé d’accorder une valeur probante à de nombreuses photos versées dans le dossier qui montrent le couple lors de sorties et lors du mariage, et qu’elle a rejeté la preuve de l’existence d’un soutien financier ». Il dit que la Commission n’a tenu compte que de quelques preuves et qu’elle a rejeté les autres, sans considérer l’ensemble des preuves produites.
[13] À mon avis, la Commission n’a pas commis d’erreur, contrairement à ce que prétend M. Roopchand. Je suis d’avis qu’elle a considéré l’ensemble des preuves qu’elle avait devant elle, mais qu’elle a conclu, au vu des contradictions entre les témoignages des parties, de leur ignorance de certains faits et de la rareté des preuves confirmant que les parties communiquaient régulièrement, que les photographies ainsi que la preuve selon laquelle M. Roopchand avait envoyé à Mme Richards entre 1 600 et 1 700 $ depuis 2004 n’étaient pas de nature à établir l’authenticité et la fin véritable du mariage. La conclusion de la Commission n’était pas manifestement déraisonnable.
[14] En définitive, les conclusions de fait tirées par la Commission n’étaient pas manifestement déraisonnables, et la SAI était autorisée à dire que M. Roopchand ne s’était pas acquitté de son obligation de prouver que le mariage était authentique et ne visait pas principalement à faire acquérir un statut aux termes de la Loi. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.
[15] M. Roopchand a proposé que la question suivante soit certifiée :
[traduction]
Est-il nécessaire pour la Cour, saisie d’une procédure de contrôle judiciaire, de faire une distinction entre la norme de contrôle servant à dire si la décision administrative contestée est erronée, et la norme de réformation servant à dire si la décision contestée devrait être annulée après que la Cour a conclu qu’une erreur a été commise?
[16] Cette question ne se pose pas dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question ne sera certifiée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« Eleanor R. Dawson »
Juge
Traduction certifiée conforme
Michèle Ledecq, B. trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1473-07
INTITULÉ : ALBERT ROOPCHAND, demandeur
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION, défendeur
LIEU DE L’AUDIENCE : WINNIPEG (MANITOBA)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 17 OCTOBRE 2007
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LA JUGE DAWSON
DATE DES MOTIFS : LE 26 OCTOBRE 2007
COMPARUTIONS :
David Matas POUR LE DEMANDEUR
Melissa Danish POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
David Matas POUR LE DEMANDEUR
Winnipeg (Manitoba)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada