Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2007
En présence de l’honorable juge Mactavish
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Javed Majeed est arrivé à l’Aéroport international Pearson le 15 mai 2005, à bord d’un vol en provenance du Pakistan. M. Majeed a présenté une déclaration écrite aux fonctionnaires des douanes; il y était indiqué que la valeur des fonds que M. Majeed importait au pays n’excédait pas 10 000 $ CAN. Les agents de douane ont par la suite découvert que M. Majeed avait plus de 43 070 $ sur lui, en devises canadiennes et américaines.
[2] Après avoir questionné M. Majeed, les fonctionnaires des douanes ont saisi l’argent à titre de confiscation de produits présumés de la criminalité, conformément au paragraphe 18(1) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, 2000, ch. 17 (la « Loi »). M. Majeed a alors demandé l’examen administratif de la décision de l’agent. Un délégué du ministre a confirmé la confiscation.
[3] M. Majeed demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision, en alléguant que les dispositions de la Loi en matière de confiscation sont incompatibles avec l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. M. Majeed soutient également que l’agent de douane n’était pas en mesure de décider, initialement, de saisir les sommes en cause. M. Majeed fait en outre observer que le délégué du ministre a commis une erreur en appliquant le mauvais fardeau et la mauvaise norme de preuve, et qu’il a été partial à son égard. Enfin, M. Majeed affirme que la décision de confirmer la décision de l’agent de douane était déraisonnable.
[4] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que les arguments de M. Majeed ne sont pas fondés. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
Faits
[5] Afin de comprendre les questions à trancher en l’espèce, il est nécessaire d’avoir une certaine idée du régime législatif prévu dans la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. À cette fin, les dispositions de la Loi sont jointes en annexe à la présente décision.
[6] En vertu des dispositions du paragraphe 12(1) de la Loi, M. Majeed était tenu de déclarer à l’Agence des services frontaliers du Canada s’il importait au pays des devises dont la valeur excédait 10 000 $. Il n’est pas contesté que M. Majeed ne l’a pas fait, et qu’une fouille de ses effets personnels a permis de découvrir un montant de 43 070 $ en devises canadiennes et américaines.
[7] M. Majeed a expliqué que l’argent provenait de diverses sources, notamment du produit de la vente d’un bien au Pakistan et de ses épargnes personnelles.
[8] Les fonctionnaires des douanes ayant conclu que cet argent n’avait pas été déclaré, que la somme que M. Majeed avait sur lui n’était pas compatible avec son revenu, et qu’un montant de 43 070 $ constituait une forte somme d’argent liquide aux fins du passage d’une frontière internationale, l’argent a été saisi à titre de confiscation.
[9] Comme les fonctionnaires des douanes étaient d’avis qu’il y avait des motifs raisonnables de soupçonner que les fonds étaient des produits de la criminalité, M. Majeed n’a bénéficié d’aucune mainlevée de la saisie.
[10] À la suite de la saisie des fonds, M. Majeed a demandé que le ministre décide, en vertu de l’article 25 de la Loi, s’il y avait eu violation du paragraphe (1) de la Loi.
[11] Un membre de la Direction générale de l’admissibilité de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a ensuite invité M. Majeed à présenter la preuve qu’il souhaitait produire à cet égard. M. Majeed a présenté un affidavit indiquant que les fonds provenaient de ses propres sources légitimes d’épargnes et de placements, ainsi que de la vente d’un bien au Pakistan. Il a joint des copies du contrat de vente et des relevés bancaires attestant des retraits de son compte personnel.
[12] L’ASFC a alors informé M. Majeed qu’elle n’acceptait pas ses dossiers bancaires à titre de preuve de la source d’une partie des fonds, parce qu’ils ne permettaient pas d’établir que les sommes retirées de son compte plusieurs années auparavant étaient bien celles qui avaient été saisies à l’aéroport. L’ASFC a aussi demandé d’autres preuves démontrant la conversion des fonds provenant de la vente du bien en devises canadiennes et américaines.
[13] M. Majeed a alors expliqué qu’afin de se protéger contre une éventuelle menace de vol, il avait changé les fonds en plusieurs tranches, à différents endroits. Il a ajouté qu’en raison des préoccupations pour sa sécurité, il n’avait pas conservé les reçus des opérations. Selon M. Majeed, la possession continue de tels reçus risquait de révéler à d’éventuels criminels l’existence des sommes d’argent qu’il avait sur lui ou en sa possession.
[14] L’ASFC a répondu, en réitérant sa préoccupation concernant le défaut de M. Majeed de fournir une preuve documentaire démontrant la conversion des fonds provenant de la vente de sa maison en devises canadiennes et américaines.
[15] Dans une décision qu’il a rendue le 29 juin 2006, un délégué du ministre a conclu qu’il y avait eu violation du paragraphe 12(1) de la Loi, puisque M. Majeed n’avait pas déclaré l’importation des espèces, comme le requérait la loi. Le passage pertinent de la décision prévoit ce qui suit :
[traduction]
La preuve présentée a confirmé que, le 16 mai 2005, vous n’avez pas dûment déclaré des montants de 22 000 $ US et de 15 800 $ CAN aux fonctionnaires des douanes. Un agent des douanes vous a questionné expressément. À ce titre, vous avez eu pleinement l’occasion de faire une déclaration véridique et complète et vous avez toutefois omis de la faire. Au moment de la saisie, il y avait un motif raisonnable de soupçonner que la confiscation des espèces était justifiée. Les documents présentés n’ont pas établi l’origine légitime des espèces saisies. Les relevés bancaires présentés n’étaient pas courants. En outre, vous deviez fournir la preuve documentaire de la conversion des sommes provenant de la vente d’une maison. Vous avez déclaré ne pas être en mesure de le faire, parce que vous n’aviez pas conservé de dossiers documentaires. Sur le fondement de l’ensemble de la preuve, et pour cause d’insuffisance d’éléments de preuve crédibles et vérifiables, il existe encore un soupçon raisonnable. À ce titre, les espèces demeureront confisquées.
[16] Dans le « Résumé de l’affaire et motifs de décision » ci‑joint, qu’a rédigé un arbitre, l’historique de la correspondance échangée entre M. Majeed et l’ASFC fait l’objet d’un examen. Pour l’essentiel, ce rapport réitère la préoccupation de l’arbitre, à savoir que M. Majeed n’a pas fourni de preuve documentaire démontrant la vente du bien au Pakistan et la conversion du produit de la vente en devises canadiennes et américaines. L’arbitre a aussi souligné l’insuffisance de la preuve permettant d’établir qu’une partie des fonds provenait des épargnes personnelles de M. Majeed. En raison de son défaut de fournir une preuve suffisante à l’égard de la source des fonds, M. Majeed n’a pas récusé les soupçons raisonnables selon lesquels les espèces étaient des produits de la criminalité.
[17] Par conséquent, il a été décidé qu’il y avait eu violation du paragraphe 12(1) de la Loi, en raison du défaut de M. Majeed de déclarer l’importation des espèces. De plus, le ministre a autorisé que les espèces saisies demeurent confisquées, conformément aux dispositions de l’article 29 de la Loi.
[18] C’est la décision rendue en vertu de l’article 29 qui constitue le fondement de la présente demande de contrôle judiciaire.
[19] Avant de me pencher sur les questions dont la Cour est convenablement saisie à l’égard de la présente demande, il s’avère d’abord nécessaire d’examiner les efforts de M. Majeed visant à contester les dispositions de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes en matière de confiscation.
Questions fondées sur la Charte
[20] L’avis de demande de contrôle judiciaire de M. Majeed ne fait pas mention de questions fondées sur la Charte en l’espèce. Dans son mémoire des faits et du droit, M. Majeed fait valoir uniquement que [traduction] « le paragraphe 18(2) de la Loi viole l’article 8 de la Charte en créant un seuil qui permet la saisie déraisonnable des fonds d’une personne ». Le mémoire des faits et du droit indique en outre que cette question sera abordée dans un Avis de question constitutionnelle. L’affidavit de M. Majeed ne dit rien au sujet de la question liée à la Charte.
[21] Peu de temps avant l’audience en l’espèce, M. Majeed a signifié un Avis de question constitutionnelle contestant la validité constitutionnelle du [traduction] « pouvoir conféré à un agent en vertu du paragraphe 18(2) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes ». C’est dans ce document que, pour la première fois, M. Majeed précise le motif de sa contestation.
[22] Au début de l’audience, l’avocat du défendeur s’est opposé aux efforts déployés par M. Majeed afin de soulever une question fondée sur la Charte de cette façon.
[23] Après avoir entendu l’avocat de M. Majeed, j’ai décidé que celui‑ci ne serait pas autorisé à poursuivre sa question fondée sur la Charte, et cela, parce que la jurisprudence est claire : la Cour doit se pencher uniquement sur les motifs de contrôle qu’un demandeur a invoqués dans son avis de demande de contrôle judiciaire. Si un demandeur était autorisé à invoquer de nouveaux motifs de contrôle dans son mémoire des faits et du droit, le défendeur ne serait pas en mesure de présenter une preuve destinée à aborder le nouveau motif : voir, par exemple, Arora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 24.
[24] En l’espèce, la situation est pire que celle à laquelle la Cour faisait face dans Arora. Le mémoire des faits et du droit de M. Majeed n’aide même pas le défendeur à trouver le point de départ de son argument fondé sur la Charte. Par conséquent, non seulement le défendeur n’avait pas la possibilité de produire une preuve à l’appui du point de vue du ministre, mais il n’avait pas non plus la possibilité de répliquer à l’argument fondé sur la Charte dans son mémoire des faits et du droit.
[25] Non seulement ce cours normal des choses causerait un préjudice grave au défendeur, mais il supposerait aussi que la Cour est appelée à trancher une question constitutionnelle dans l’abstrait, en grande partie. Comme la Cour suprême du Canada l’a fait observer à maintes reprises, les questions fondées sur la Charte doivent être tranchées sur le fondement d’un dossier de la preuve adéquat : voir, par exemple, Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, au paragraphe 80, et MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, aux paragraphes 8 et suivants.
Questions à trancher
[26] Comme j’ai refusé d’examiner la contestation fondée sur la Charte de M. Majeed, les questions qu’il reste à trancher en l’espèce sont les suivantes :
1. Quelle est la norme de contrôle appropriée qu’il faut appliquer à la décision du ministre?
2. L’agent de douane était‑il en mesure de décider, initialement, de saisir les sommes en cause?
3. Le délégué du ministre a‑t‑il commis une erreur en appliquant le mauvais fardeau et la mauvaise norme de preuve?
4. Le délégué du ministre a‑t‑il été partial à l’égard de M. Majeed?
5. La décision du délégué du ministre était‑elle déraisonnable?
Norme de contrôle
[27] Les parties conviennent que les arguments de M. Majeed concernant le fardeau et la norme de preuve appropriés sont des questions juridiques, qui doivent être examinées selon la norme de la décision correcte. J’y souscris, en adoptant l’analyse pragmatique et fonctionnelle qu’a effectuée la juge Simpson dans Sellathurai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 208, qui se rapporte aux questions de droit.
[28] L’argument de M. Majeed qui se fonde sur la partialité soulève une question d’équité procédurale. La question de la norme de contrôle ne se pose pas en pareils cas – il appartient à la Cour de décider si la personne a bénéficié ou non d’une audience équitable, au vu des circonstances pertinentes : Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 2056, 2005 CAF 404, aux paragraphes 52 et 53.
[29] Je comprends l’argument de M. Majeed concernant l’incapacité présumée de l’agent des douanes de soulever une question qui est essentiellement de nature juridique, et je compte me pencher sur cette question selon la norme de la décision correcte.
[30] En dernier lieu, s’agissant du bien‑fondé de la décision du délégué du ministre, je souligne que la jurisprudence de la Cour comporte une divergence en ce qui concerne la norme de contrôle appropriée à appliquer pour décider du bien‑fondé des décisions rendues en vertu de l’article 29 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
[31] Certains juges ont conclu que la norme de contrôle était celle de la décision manifestement déraisonnable : voir, par exemple, Thérancé c. Canada (Ministre de la sécurité publique), 2007 CF 136. Plus régulièrement, les juges ont conclu que la norme était celle de la décision raisonnable : voir Dag c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 427, et Sellathurai, précité.
[32] Il n’est pas nécessaire de résoudre cette question en l’espèce, puisque je suis convaincue que le bien‑fondé de la décision faisant l’objet du contrôle peut résister à un examen minutieux selon la norme plus rigoureuse de la décision raisonnable.
L’agent de douane était‑il en mesure de décider de la saisie, initialement?
[33] D’après ce que je comprends des observations de M. Majeed sur cette question, il prétend qu’avant d’appliquer la norme des « motifs raisonnables de soupçonner », l’agent de douane devait comprendre quels étaient les facteurs à rechercher et ceux répondant à la norme.
[34] Selon M. Majeed, étant donné que les agents des douanes ne sont ni des agents de police, ni des procureurs, ni des juges, ils ne sont donc pas qualifiés pour décider s’il y a des motifs raisonnables de soupçonner que des devises sont des produits de la criminalité dans un cas précis, puisqu’il s’agit d’une question de droit. En conséquence, M. Majeed affirme que la décision faisant l’objet du contrôle devrait être cassée.
[35] M. Majeed ne cite aucun précédent à l’appui de son point de vue, et je n’accepte pas son argument.
[36] En premier lieu, la décision faisant l’objet du contrôle n’est pas celle que l’agent des douanes a prise en vertu de l’article 18 de la Loi. La décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire est plutôt celle du délégué du ministre en vertu de l’article 29 de la Loi. Par conséquent, toute question concernant la compétence de l’agent des douanes n’est guère pertinente à l’égard des questions à trancher en fonction de la présente demande.
[37] De plus, comme dans le cas de ses questions fondées sur la Charte, la façon dont M. Majeed a soulevé cette question entraîne des préoccupations à l’égard de l’équité, en ce sens que, dans son avis de demande ou son affidavit, M. Majeed n’avait pas clairement soulevé de questions concernant l’insuffisance présumée des qualifications de la part des agents. En conséquence, le défendeur n’a pas été avisé qu’il s’agissait d’une question à trancher et n’a pas eu la possibilité de produire la preuve des compétences et de la formation de l’agent des douanes. Il serait donc inéquitable envers le défendeur d’autoriser M. Majeed à défendre cet argument.
Le délégué du ministre a‑t‑il appliqué le mauvais fardeau et la mauvaise norme de preuve?
[38] M. Majeed soutient que le délégué du ministre a commis une erreur en appliquant le mauvais fardeau et la mauvaise norme de preuve en l’espèce. Selon M. Majeed, le délégué du ministre l’a essentiellement obligé à établir, hors de tout doute raisonnable, que les fonds en cause n’étaient pas des produits de la criminalité.
[39] M. Majeed prétend que le processus de saisie et de confiscation établi par la Loi est un mécanisme de recouvrement civil et que, à ce titre, la norme de preuve appropriée devrait être celle de la prépondérance des probabilités. Bien que l’« instantanéité » de l’interaction entre les voyageurs et les agents des douanes à la frontière puisse permettre le recours à la norme plus souple des « motifs raisonnables de soupçonner », cette « instantanéité » n’a plus cours au moment de l’examen effectué par un délégué du ministre. En conséquence, affirme M. Majeed, lui‑même devrait avoir uniquement à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les fonds en cause n’étaient pas des produits de la criminalité.
[40] Même si M. Majeed allègue que le délégué du ministre a commis une erreur en appliquant à la fois le mauvais fardeau et la mauvaise norme de preuve en l’espèce, ses observations ne visent que la question de la norme de preuve. À ce titre, je ne comprends pas que M. Majeed affirme qu’il devrait incomber au gouvernement d’établir que les fonds contestés en vertu de la Loi sont des produits de la criminalité. Je crois plutôt comprendre que sa préoccupation ne concerne que la norme de preuve à laquelle toute personne doit satisfaire, afin de démontrer que les fonds ne sont pas des produits de la criminalité.
[41] Ce même argument a été examiné avec soin par la juge Simpson dans Sellathurai, puis par le juge Blais dans Dag.
[42] La juge Simpson a précisé qu’une décision rendue en vertu de l’article 29 de la Loi suppose une conclusion in rem concernant les devises en cause. Une décision rendue en vertu de l’article 29 ne constitue ni une procédure pénale, ni une autre procédure en matière personnelle.
[43] Compte tenu de la norme de preuve qu’il faut appliquer lorsqu’il s’agit de rendre une décision en vertu de l’article 29 de la Loi, la juge Simpson a commencé par tracer un parallèle avec l’expression « motifs raisonnables de soupçonner ». Le juge a ensuite observé que la norme correspondant à l’existence de « motifs raisonnables de penser » exigeait « davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile ». Par conséquent, « la croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi ».
[44] Comme la Cour suprême du Canada l’a souligné dans R. c. Monney, [1999] 1 R.C.S. 652, la norme fondée sur des motifs raisonnables de soupçonner est moins exigeante que celle fondée sur l’existence de « motifs raisonnables […] de croire » mais incluse dans celle‑ci.
[45] En ce qui concerne cette norme moins exigeante fondée sur des « motifs raisonnables de soupçonner », la juge Simpson a déclaré que même des motifs raisonnables de soupçonner « exigent davantage qu’un « simple » soupçon ou un soupçon subjectif ou encore une intuition. Le soupçon doit reposer sur une preuve objective et digne de foi » : voir Sellathurai, au paragraphe 70.
[46] En outre, la juge Simpson a confirmé qu’il incombe à la personne, et non au ministre, de fournir une preuve permettant de dissiper les soupçons.
[47] Quant à la portée du fardeau qui incombe à la personne, la juge Simpson a conclu qu’une personne qui demande un redressement en vertu de l’article 29 de la Loi doit établir hors de tout doute raisonnable qu’il n’y a pas de motifs raisonnables de soupçonner que les fonds en cause n’étaient pas des produits de la criminalité. Ce n’est qu’en pareilles circonstances que la preuve sera suffisante pour dissiper un soupçon raisonnable : voir Sellathurai, au paragraphe 72.
[48] Lorsqu’elle en est arrivée à cette conclusion, la juge Simpson a souligné ce qui suit :
73 […] si un représentant du ministre était convaincu selon la prépondérance des probabilités seulement qu’il n’y a aucun motif raisonnable de soupçonner, il pourrait quand même soupçonner que les espèces confisquées sont des produits de la criminalité. La norme de preuve civile n’efface pas tout doute raisonnable de l’esprit et, si un doute raisonnable existe, le soupçon subsiste.
[49] Comme je l’ai déjà souligné, d’autres juges de la Cour ont adopté cette analyse, et M. Majeed ne m’a pas convaincue que je devrais imposer une norme de preuve moins rigoureuse en l’espèce.
[50] L’article 18 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes autorise l’ASFC à saisir des devises à titre de confiscation, s’il y a des motifs raisonnables de soupçonner que les fonds sont des produits de la criminalité. Comme l’a souligné la juge Simpson dans Sellathurai, pour convaincre un délégué du ministre qu’il n’existe pas de motifs raisonnables de soupçonner que les sommes sont des produits de la criminalité, il s’ensuit qu’un demandeur de redressement doit établir la source des fonds hors de tout doute raisonnable.
Le délégué du ministre a‑t‑il été partial à l’égard de M. Majeed?
[51] M. Majeed soutient que le délégué du ministre ne lui a pas accordé une audience équitable, parce qu’il a été partial à son égard. À l’appui de cette allégation, M. Majeed attire l’attention sur un échange de lettres entre lui, son avocat et l’ASFC, dans le cadre de la procédure en vertu de l’article 29, avant que la décision finale n’eût été rendue.
[52] Plus particulièrement, M. Majeed attire l’attention sur une lettre de l’ASFC indiquant ce qui suit :
[traduction]
L’acte consistant à ne pas déclarer l’importation des espèces ou effets d’une valeur égale ou supérieure à 10 000 $ est un acte de dol (ainsi qu’une violation de la loi) et constitue une preuve solide que le voyageur ne souhaite pas que l’Agence des services frontaliers du Canada sache qu’il a l’argent sur lui et souhaite enfreindre la loi en vue d’atteindre ce but.
[53] Selon M. Majeed, cette déclaration soulève une appréhension raisonnable de partialité, puisqu’elle préjuge de son intention, dans un cas où il n’y a aucune preuve sur laquelle se fonder pour tirer cette conclusion.
[54] Le critère permettant de décider s’il y a réellement eu partialité ou appréhension raisonnable de partialité de la part d’un décideur donné est bien connu : il s’agit, pour la Cour, de se demander à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question […] de façon réaliste et pratique, c’est‑à‑dire, si cette personne croirait que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, n’a pas rendu pas une décision juste : voir Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la p. 394.
[55] M. Majeed n’a pas établi qu’il y avait eu appréhension raisonnable de partialité de la part du délégué du ministre en l’espèce. Dans sa déclaration, ce dernier fait simplement observer que l’omission de déclarer l’importation d’espèces ou effets d’une valeur supérieure à 10 000 $ constitue une violation de la loi. Le délégué du ministre poursuit en formulant l’observation évidente selon laquelle le défaut de déclarer constitue une preuve solide que M. Majeed ne souhaitait pas que l’Agence des services frontaliers du Canada sût qu’il avait l’argent sur lui, et souhaitait enfreindre la loi en vue d’atteindre ce but.
[56] Dans les circonstances, je ne vois rien d’inapproprié dans cette déclaration, d’autant plus que, dans ses échanges avec l’ASFC, M. Majeed n’a jamais fourni d’explication pour justifier son défaut de déclarer les devises.
[57] Il reste la question de savoir si la décision du délégué du ministre était déraisonnable.
La décision du délégué du ministre était‑elle déraisonnable?
[58] M. Majeed prétend que la décision du délégué du ministre était déraisonnable, puisqu’il avait fourni une explication claire au sujet de la source des fonds en cause.
[59] Je ne suis pas convaincue que la décision du délégué du ministre ait été déraisonnable.
[60] Il n’y a aucun différend quant au fait que M. Majeed a menti dans sa déclaration en douane lorsqu’il a affirmé qu’il n’importait pas plus de 10 000 $ en espèces au pays. Comme je l’ai déjà souligné dans la présente décision, même s’il a eu la possibilité de le faire, M. Majeed n’a jamais fourni d’explication ni d’excuse pour justifier sa fausse déclaration au fonctionnaire des douanes.
[61] Quant aux documents présentés par M. Majeed pour expliquer la source des fonds, il est vrai que celui‑ci a fourni des documents indiquant qu’il avait vendu un bien au Pakistan et en avait reçu le produit en roupies. Cependant, M. Majeed n’a pas été en mesure de présenter des dossiers démontrant que ces produits avaient été convertis en fonds canadiens et américains, afin qu’il fût possible d’établir un lien entre le produit de la vente et l’argent qu’il avait sur lui en entrant au pays. À ce titre, il n’était pas déraisonnable de soupçonner que les devises non déclarées ne fussent pas les produits de la vente d’une maison, acquis de façon légitime.
[62] De plus, l’explication qu’a fournie M. Majeed concernant l’impossibilité pour lui de produire ces documents dépasse l’entendement. Bref, il aurait voulu faire croire au délégué du ministre que, même si le niveau de sécurité était suffisamment sûr, au Pakistan, pour avoir sur soi d’importantes sommes d’argent liquide, il était trop dangereux d’avoir sur soi des reçus attestant la conversion de devises.
[63] En ce qui concerne les autres documents, afin de démontrer qu’une partie des fonds provenait de sa mère, M. Majeed s’est fondé sur un reçu qui semble montrer qu’il avait envoyé de l’argent à sa mère, environ cinq ans plus tôt. La conclusion du délégué du ministre selon laquelle ces documents n’aidaient pas à démontrer quelle était la source des fonds était tout à fait raisonnable.
[64] Enfin, M. Majeed prétend qu’une partie des fonds provenait de ses épargnes personnelles. De toute évidence, M. Majeed détenait un compte bancaire dans son pays, mais il n’a pas été en mesure de produire des dossiers bancaires attestant que son compte était la source des fonds. Les dossiers bancaires qu’il a produits couvraient la période 2000‑2001; par conséquent, la préoccupation du délégué du ministre concernant la valeur probante de ces documents était tout à fait raisonnable.
Conclusion
[65] Dans les circonstances, la décision du délégué du ministre peut résister à un examen assez poussé, et la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.
ANNEXE
COUR FÉDÉRALE
NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1238-06
INTITULÉ : JAVED MAJEED c.
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 3 octobre 2007
ET JUGEMENT : La juge Mactavish
DATE DES MOTIFS : Le 19 octobre 2007
COMPARUTIONS :
M. Raza Kayani POUR LE DEMANDEUR
M. Michael Roach POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
RAZA KAYANI LLP
Avocats
Toronto (Ontario) POUR LE DEMANDEUR
JOHN H. SIMS, c.r.
Sous-procureur général du Canada POUR LE DÉFENDEUR