Ottawa (Ontario), le 17 octobre 2007
En présence de monsieur le juge Barnes
ENTRE :
BAYER INC.
défendeur(s) reconventionnel(s)
et
demandeur(s) reconventionnel(s)
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La Cour est saisie d’un appel interjeté par Sandoz Canada Incorporated (Sandoz) contre une ordonnance de protonotaire datée du 8 juin 2007. L’ordonnance en appel, émise en vertu de l’article 221 des Règles des Cours fédérales, radie sans autorisation de modification les paragraphes 29 à 33 et 46 à 56 de la défense modifiée et demande reconventionnelle de Sandoz (défense modifiée). Sandoz affirme que la protonotaire a commis une erreur en radiant les passages précités de sa défense modifiée et que son ordonnance devrait être annulée.
Contexte procédural
[2] La présente instance porte sur une demande présentée par Bayer Healthcare AG et Bayer Inc. (Bayer) contre Sandoz afin de faire déclarer Sandoz coupable de contrefaçon du brevet canadien no 1 282 006 (brevet 006) de Bayer. En outre, Bayer demande des dommages-intérêts liquidés, une restitution des bénéfices, des dommages-intérêts majorés, des dommages-intérêts punitifs, des dommages-intérêts exemplaires et le remboursement des dépens procureur-client.
[3] Le 30 janvier 2007, Sandoz a déposé dans la présente instance une défense et demande reconventionnelle (défense) alléguant notamment que le brevet 006 est invalide, puisque sa portée est excessive par rapport à l’invention réalisée ou aux données divulguées (l’allégation dite de « portée excessive »). Les allégations ont été exposées dans les paragraphes 24 à 27 de la défense.
[4] Dans une requête déposée antérieurement par Bayer, le protonotaire Roger Lafrenière a ordonné la radiation des paragraphes 24 à 27 de la défense de Sandoz, avec une autorisation de modification. Le protonotaire Lafrenière a fondé son ordonnance sur le fait que l’acte de procédure de Sandoz sur la portée excessive « s’appuyait uniquement sur la déclaration d’un inventeur » provenant d’un historique de dossier des États-Unis. Il a conclu que ces allégations ne pouvaient être maintenues puisqu’elles étaient incompatibles avec l’arrêt Free World Trust v. Électro Santé Inc., 2000 ACS no 67 (CSC), qui a conclu que les déclarations d’un inventeur ne constituent pas une preuve admissible pour interpréter une demande concernant un brevet. Cette ordonnance a récemment été confirmée en appel par le juge John O’Keefe : voir l’arrêt Bayer c. Sandoz, 2007 CF 964, [2007] ACF no 1265.
[5] Sandoz a déposé la défense modifiée le 20 avril 2007 en alléguant de nouveau que le brevet 006 est invalide puisque sa portée est excessive par rapport à l’invention réalisée, mais cette fois sans mentionner les déclarations de l’inventeur des États-Unis précédemment en cause. La défense modifiée soulève également une nouvelle question d’invalidité qui repose sur des allégations de mauvaise foi et d’infraction à l’article 53 de la Loi sur les brevets (la Loi), LRC 1985, ch. P-4. Ces nouvelles allégations visent l’omission de Bayer de répondre de bonne foi à la demande d’un examinateur de brevets. Plus précisément, Sandoz déclare que Bayer a fait de fausses déclarations relativement à la divulgation d’éléments d’art antérieur pertinents. Cet acte de procédure fondé sur la mauvaise foi est exposé dans les paragraphes 46 à 56 de la défense modifiée et résumé dans les passages suivants de la conclusion :
55. À l’encontre de l’article 53 de la Loi sur les brevets, l’omission de mentionner l’article d’Hoeffken dans la réponse aux demandeurs et dans la divulgation associée au brevet 006 était volontaire et avait des intentions trompeuses. L’omission s’est soldée par une portée beaucoup plus vaste des revendications du brevet 006 par rapport aux revendications du brevet correspondant aux États‑Unis, à savoir le brevet no 4957922, et du brevet européen correspondant, à savoir le brevet européen no 219784. Par conséquent, le brevet 006 est nul.
56. Par ailleurs, compte tenu du manque de bonne foi des demandeurs dans leur réponse à la demande de l’examinateur, les défendeurs n’ont pas droit une restitution des bénéfices en equity.
Analyse
[6] Il est bien établi en droit que la norme de contrôle applicable à un appel relatif à une ordonnance de protonotaire radiant un acte de procédure est de novo. Il en est ainsi, car une ordonnance de ce type porte sur des questions déterminantes au regard de l’affaire, en particulier lorsque, comme en l’espèce, l’ordonnance est émise sans autorisation de modification : voir l’arrêt Zambon Group S.P.A. v. Teva Pharmaceutical Industries Ltd., 2005 CF 57, 136 A.C.W.S. (3d) 619, aux paragraphes 12 et 13.
[7] La Cour doit faire preuve d’une grande prudence quand elle radie des allégations dans une défense. Il serait pratiquement toujours inadéquat de le faire quand le résultat priverait un défendeur de l’occasion de constituer une défense de fond valable. Il est bien établi que le test pour radier des actes de procédure consiste à savoir s’il est « absolument évident » que les allégations sont indéfendables en droit, et ce, « au-delà de tout doute » : voir l’arrêt Eli Lilly and Co. et al. v. Apotex Inc. (1998), 80 C.P.R. (3d) 80 (F.C.T.D.), au paragraphe 10.
Acte de procédure sur la portée excessive
[8] En l’espèce, Sandoz a le droit de présenter une défense pour le motif que le brevet 006 est invalide puisque ses revendications ont prétendument une portée excessive par rapport à l’invention divulguée. La question de savoir si une demande de brevet est trop ambitieuse repose sur l’interprétation et pourrait donc être tranchée sans recourir à une preuve extrinsèque. En revanche, une telle défense pourrait être établie avec l’aide de témoignages d’experts. Il n’existe aucune obligation de la part d’un défendeur comme Sandoz d’invoquer la preuve sur laquelle il compte s’appuyer pour soutenir la défense d’un acte de procédure relativement à une portée excessive. En fait, la présentation de la preuve est généralement inadéquate. Dans le cas de l’acte de procédure initial de Sandoz, il s’agit exactement de ce dont le protonotaire Lafrenière a ordonné la radiation – une preuve inadmissible sur la façon dont le défendeur proposait d’établir le bien-fondé de sa défense.
[9] Je ne lis rien de plus dans l’ordonnance du protonotaire Lafrenière – l’allégation initiale de portée excessive de Sandoz dans sa défense était liée à une preuve qui ne pouvait pas être utilisée et donc, elle ne pouvait être souvenue sous cette forme. Par ailleurs, je ne crois pas que le protonotaire Lafrenière avait l’intention, par cette décision, d’empêcher Sandoz de présenter la défense de fond de portée excessive ou qu’il était nécessaire d’appuyer cette allégation par une description des éléments qui devaient être présentés en preuve. Comme il a été mentionné précédemment, Sandoz pourrait tenter d’établir le bien-fondé de sa défense sans aucune preuve extrinsèque et, dans tous les cas, il serait inadéquat d’exiger qu’elle présente sa preuve.
[10] Il s’ensuit que je ne suis pas d’accord avec la protonotaire pour dire que les nouveaux actes de procédure de la défense « s’appuient sur les mêmes renseignements » que ceux soulignés par le protonotaire Lafrenière. Après le retrait des éléments de preuve en cause de la défense, les autres allégations de la défense modifiée ne reposent sur aucun « renseignement » ou « élément de preuve », et ce n’est pas nécessaire non plus. Sandoz affirme maintenant que Bayer n’a pas inventé des solutions de perfusion contenant 1 mol ou moins d’acide lactique à 1 mol de ciprofloxine, car ces solutions étaient connues dans les éléments d’art antérieurs. Sandoz affirme également que Bayer n’a pas inventé des solutions de perfusion contenant moins de 1,33 mol d’acide lactique à 1 mol de ciprofloxine, car les inventeurs du brevet 006 n’ont pas fabriqué ni testé de telles solutions. Finalement, Sandoz affirme que la divulgation associée au brevet 006 reconnaît que les formulations contenant 1 mol ou moins d’acide lactique sont instables et que, par conséquent, les revendications du brevet 006 ont une portée excessive par rapport à l’invention revendiquée. On peut présumer que Sandoz est en mesure de prouver ces affirmations, faute de quoi la défense sera irrecevable. Toutefois, Sandoz ne devrait pas être privée de l’occasion de présenter ses arguments en produisant une preuve recevable. Les réserves de la protonotaire selon lesquelles cette allégation de la défense est une « recherche à l’aveuglette » restent à évaluer. Si Sandoz s’aventure en terrain glissant pendant la période d’interrogatoires, elle se heurtera probablement à de la résistance. Il pourrait toutefois s’avérer utile de se rappeler que l’arrêt Free World Trust, précité, a reconnu que les observations ou les intentions de l’inventeur peuvent constituer des éléments de preuve pertinents à des fins autres que l’interprétation d’une revendication : voir le paragraphe 67.
Acte de procédure relativement à la mauvaise foi
[11] La protonotaire a radié les paragraphes 46 à 56 de la défense modifiée de Sandoz après avoir conclu qu’ils « ne sont pas pertinents à la jurisprudence » et « ne révèlent aucune cause de défense raisonnable ». Elle a également conclu que les allégations de la défense étaient « vouées à l’échec ».
[12] En toute déférence, je ne suis pas d’accord pour dire que ces allégations de défense n’ont absolument aucune chance de réussite.
[13] L’allégation selon laquelle Bayer a omis de répondre de bonne foi à la demande d’un examinateur en omettant de divulguer une déclaration de l’inventeur (voir la déclaration de Serno) et des éléments d’art antérieurs (l’article d’Hoeffkin) en fait partie. La déclaration de Serno semble être le même document que celui qui posait problème au protonotaire Lafrenière quand il a radié les références antérieures de la défense de Sandoz portant sur ses allégations de portée excessive.
[14] Si j’étais convaincu que ces allégations de mauvaise foi avaient été déposées seulement pour éviter l’ordonnance antérieure du protonotaire Lafrenière, je n’hésiterais pas à confirmer l’ordonnance de la protonotaire les radiant de la défense modifiée. Toutefois, en l’espèce, Sandoz vise à s’appuyer sur ces allégations pour soutenir une défense en vertu de l’article 53 de la Loi, selon laquelle Bayer a volontairement induit en erreur le Bureau des brevets en omettant l’article d’Hoeffkin dans la divulgation associée au brevet 006. Bien que les renvois connexes à la déclaration de Serno et au caractère adéquat de la réponse de Bayer à la demande de l’examinateur puissent avoir une pertinence douteuse dans une défense fondée sur l’article 53, ils pourraient néanmoins s’avérer pertinents quant à l’allégation sur l’intention subjective de Bayer d’induire en erreur le Bureau des brevets dans la demande associée à son brevet 006. Ces allégations de mauvaise foi sont probablement pertinentes quant à la question de déterminer si Bayer a droit à une restitution des bénéfices, sans mentionner sa demande de dommages-intérêts majorés, punitifs et exemplaires.
[15] Par conséquent, le présent appel est accueilli et l’ordonnance de la protonotaire datée du 8 juin 2007 est annulée. Sandoz a droit à ses dépens dans le cadre du présent appel et de la requête ci-dessous, quelle que soit l’issue de la cause.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que le présent appel soit accueilli et que l’ordonnance de la protonotaire datée du 8 juin 2007 soit annulée. Sandoz a droit à ses dépens dans le cadre du présent appel et de la requête ci-dessous, quelle que soit l’issue de la cause.
« R. L. Barnes »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-762-06
INTITULÉ : BAYER HEALTHCARE AG et BAYER INC.
c.
SANDOZ CANADA INCORPORATED
DATE DE L’AUDIENCE : LE 13 AOÛT 2007
DATE DES MOTIFS : Le 17 octobre 2007
COMPARUTIONS :
Paula Bremner POUR LE DÉFENDEUR
Robert Shapiro
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
HITCHMAN & SPRIGINGS POUR LE DÉFENDEUR
Avocats
Toronto (Ontario)
GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP POUR LE DEMANDEUR
Avocats
Toronto (Ontario)