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Date : 20071010

Dossier : T-1321-97

Référence : 2007 CF 1041

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2007

En présence de monsieur le juge Hughes    

 

ENTRE :

ELI LILLY AND COMPANY

et ELI LILLY CANADA INC.

 

demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

 

et

 

 

APOTEX INC.

 

défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

 

ET ENTRE :

 

SHIONOGI & CO. LTD.

 

 

défenderesse reconventionnelle

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Apotex Inc., défenderesse et demanderesse reconventionnelle a, en plus de l’instruction de la Cour du 10 juillet 2007, déposé une requête pour l’autoriser à présenter le témoignage de plus de dix (10) témoins experts au procès de cette poursuite qui doit commencer au début de l’année prochaine. Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’Apotex soit autorisée à présenter le témoigne de quinze (15) témoins experts tout au plus, à la discrétion du juge du procès.

 

[2]               Le 10 juillet 2007, j’ai donné une instruction à la suite d’une conférence au sujet de l’affaire avec l’avocat à qui on a demandé à ce moment-là de fournir la meilleure estimation du nombre d’experts nécessaires pour présenter des témoignages au procès. L’instruction correspondait à cette estimation et prévoyait que :

[TRADUCTION]

 

2.         Aucune partie ne présentera le témoignage d’expert de plus de 10 témoins experts en tout pour Apotex, de 10 témoins experts en tout pour Eli Lilly, et de 5 témoins experts en tout pour Shionogi sans solliciter ni obtenir une ordonnance de la Cour. Une telle ordonnance doit être sollicitée au moyen d’une requête écrite à l’intention du juge Hugues au plus tard le 15 septembre 2007.

 

 

[3]               Apotex cherche maintenant à dépasser l’estimation fournie par, pour reprendre son avis de requête [TRADUCTION] « [...] plus de 10 experts », et du paragraphe 46 de son affidavit à l’appui d’Ivor M. Hughes : 

[TRADUCTION]

 

« 46     Par conséquent, Apotex aura sans doute besoin de cette occasion pour présenter des rapports d’expert de 15 experts pour mieux présenter son cas »

 

 

[4]               Les demanderesses, défenderesses reconventionnelles, Eli Lilly s’opposent à cette requête en affirmant qu’Apotex n’a pas prouvé qu’elle avait besoin de plus de 10 experts. Shionogi, une autre défenderesse reconventionnelle, tel qu’il est établi dans une lettre de son avocat datée du 25 septembre 2007, ne s’oppose pas à la requête présentée par Apotex, et demande qu’aucuns dépens ne soient adjugés contre elle.

 

[5]               La poursuite intentée par Eli Lilly affirme la violation de plusieurs revendications de huit brevets concernant apparemment les processus de fabrication d’un composé antibiotique connu sous le nom de céfaclor, ainsi que d’intermédiaires et de complexes utilisés dans de tels processus. En résumé, les brevets peuvent former deux groupes; l’un d’eux se rapporte aux nouveautés conçues par Eli Lilly, et l’autre aux nouveautés conçues par Shionogi. Apotex nie toute violation des brevets et soutient que chacun d’eux est légitime pour un certain nombre de motifs. La demande reconventionnelle d’Apotex sollicite une déclaration quant à l’illégitimité de chacun des brevets. Apotex soutient en outre dans sa défense et au moyen d’une demande reconventionnelle qu’Eli Lilly a acquis le groupe de brevets de Shionogi dans le but d’empêcher la compétition sur le marché canadien, et qu’Eli Lilly s’est livrée à cette activité ainsi qu’à d’autres activités anticoncurrentielles. 

 

[6]               Apotex appuie cette requête par voie d’affidavit d’Ivor M. Hughes, un avocat et agent des brevets titulaire d’un baccalauréat en chimie. À son avis, comme indiqué aux paragraphes 30 et 31 de son affidavit, six aspects de chimie devront être traités par des experts en ce qui a trait aux huit brevets en question. Au paragraphe 41, il conclut que huit (8) scientifiques seront nécessaires pour cette tâche. Au paragraphe 42, il déclare que deux (2) autres experts pourraient être nécessaires pour répondre aux questions pouvant être soulevées par d’autres parties.

 

[7]               Aux paragraphes 43 à 45 de son affidavit, Ivor M. Hughes affirme que cinq (5) autres experts seraient nécessaires pour régler les questions de complot.

 

[8]               Au total, Apotex demande l’autorisation de présenter des preuves de 15 experts au procès tout au plus.

 

[9]               Eli Lilly, en s’opposant à cette requête, présente l’affidavit Paul A. Bartlett, un professeur de chimie qui a été contre-interrogé. Il est en désaccord avec l’affirmation d’Ivor M. Hughes selon lequel les procédures comportent six aspects de chimie nécessitant des experts différents. Au paragraphe 24, il conclut que la suggestion de M. Hughes selon laquelle un expert différent est requis pour la compréhension de chaque facette de la chimie organique n’est tout simplement pas fondée sur une compréhension de cette science. Bartlett n’indique pas si le fait d’appeler d’autres experts à travailler sur les questions de droit de la concurrence est nécessaire. 

 

[10]           Eli Lilly a aussi présenté l’affidavit d’un étudiant en droit, auquel sont jointes des procédures et des correspondances relatives à cette poursuite à titre de pièces. L’étudiant n’a exprimé aucun avis.

 

[11]           Plusieurs questions sont liées à la requête d’Apotex. L’une consiste à savoir si l’article 7 de la Loi sur la preuve au Canada limite à cinq (5) le nombre d’experts qu’une partie peut présenter au cours de la procédure dans son ensemble, ou à cinq (5) pour chaque question d’une procédure, et si tel est le cas, ce que constitue une « question ». Une autre consiste à savoir, compte tenu de l’instruction du 10 juillet 2007, s’il est approprié d’autoriser que le nombre de témoins experts d’Apotex passe de 10 à 15.

 

[12]           D’abord, je vais vérifier si l’article 7 de la Loi sur la preuve au Canada autorise une partie à présenter les preuves de cinq (5) témoins experts tout au plus par poursuite ou par question, sans autorisation de la Cour. 

 

[13]           L’article 7 de la Loi sur la preuve au Canada L.R.C. (1985), ch. C-5 prévoit « [...] [qu’] il ne peut être appelé plus de cinq de ces témoins de chaque côté sans la permission du tribunal, du juge ou de la personne qui préside ». La loi dit ceci :

7. Lorsque, dans un procès ou autre procédure pénale ou civile, le poursuivant ou la défense, ou toute autre partie, se propose d’interroger comme témoins des experts professionnels ou autres autorisés par la loi ou la pratique à rendre des témoignages d’opinion, il ne peut être appelé plus de cinq de ces témoins de chaque côté sans la permission du tribunal, du juge ou de la personne qui préside.

7. Where, in any trial or other proceeding, criminal or civil, it is intended by the prosecution or the defence, or by any party, to examine as witnesses professional or other experts entitled according to the law or practice to give opinion evidence, not more than five of such witnesses may be called on either side without the leave of the court or judge or person presiding.

 

 

[14]           La Cour suprême dans [TRADUCTION] Fangan c. Ure Estate, [1958] R.C.S. 377, a interprété une ancienne disposition de l’article 10 de la Alberta Evidence Act, qui se lit comme suit :

[TRADUCTION]

 

10. Lorsqu’une partie entend interroger comme témoins des personnes qui sont autorisées par la loi ou la pratique à donner un témoignage d’opinion, pas plus de trois de tels témoins ne peuvent être appelés de chaque côté. 

 

 

[15]           Le juge Cartwright de la Cour suprême a statué que le témoignage en question n’était pas un témoignage d’expert. Toutefois, s’il avait été jugé comme témoignage d’expert, il a statué que l’article 10 de la Alberta Evidence Act prévoyait trois experts par question ou, comme il la dit, à chacun de [TRADUCTION] « plusieurs faits ». Il a dit aux pages 381 et 382 :

[TRADUCTION]

 

S’il doit être statué, contrairement à l’avis que j’ai exprimé, que Hare était autorisé à donner un témoignage d’opinion et qu’il l’a bel et bien fait, je rejetterais tout de même ce motif d’appel. En 1912, dans le cas de In 1912, dans le cas de In Re Scamen and Canadian Northern Railway Co., [(1912), 5 Alta. L.R. 376, 2 W.W.R. 1006, 22 22 W.L.R. 105, 6 D.L.R. 142.], l’article 10 a été interprété en formation plénière par la Cour suprême de l’Alberta. Les effets du jugement de la Cour, rendu par le juge en chef Harvey, sont résumés avec exactitude dans le deuxième paragraphe du sommaire dans le D.L.R., comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

Selon la bonne interprétation de l’article 10 de la Alberta Evidence Act, 1910, 2e session, ch. 3, dans le cas d’un procès ou d’une requête où s’inscrivent plusieurs faits, sur lesquels des témoignages d’opinion peuvent être présentés, une partie est autorisée à appeler trois témoins pour présenter de tels témoignages au sujet de chacun de tels faits puisqu’elle n’est pas contrainte à une limite de trois témoins de la sorte pour le procès dans son ensemble. 

 

Comme on l’à déjà mentionné, l’article 10 a été reconstitué ipsissimis verbis dans les lois révisées de 1922 et de 1942, et cette reconstitution doit être jugée comme ayant donné des sanctions législatives à l’interprétation de cette section dans In re Scamen. La règle applicable a été formulée de la façon suivante par James L.J. dans Ex parte Campbell; In re Cathcart [(1870), L.R. 5 c. 703 à 706.] :

 

[TRADUCTION]

 

Lorsque certains termes dans une loi du Parlement ont reçu une interprétation judiciaire dans l’une des cours supérieures, et que les législateurs les ont répétées sans modification dans une loi subséquente, j’estime que le législateur doit être jugé comme ayant utilisé le terme selon la signification qu’un tribunal compétent leur a attribuée. 

 

Cette déclaration a été admise par la majorité à la Chambre des communes par la Chambre des lords dans Barras c. Aberdeen Steam Trawling et Fishing Company, Limited [[1933] A.C. 402.], et a été appliquée par la Cour pour interpréter une loi de l’Alberta dans MacMillan c. Brownlee [[1937] R.C.S. 318 au paragraphe 324-5, [1937] 2 D.L.R. 273, 68 C.C.C. 7, a confirmé[1940] A.C. 802, [1940] 3 All E.R. 384, [1940] 3 D.L.R. 353, [1940] 2 W.W.R. 445]. Il convient d’observer que même si le législateur et les lois de certaines provinces ont jugé à propos de modifier cette règle d’interprétation (voir par exemple, le paragraphe 21 [4] de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1952, ch. 158), l’Alberta ne l’a pas fait.

 

On a déjà soulevé le fait qu’aucun autre témoin appelé par les défendeurs n’a présenté de témoignage d’opinion sur le sujet pour lequel le témoin Ford a été interrogé, et il s’en suit qu’il n’y a eu aucune violation de l’article 10 comme interprété dans In re Scamen, ci-dessus.

 

 

[16]           Par la suite, la Cour d’appel du Manitoba dans B.C. Pea Growers Ltd. c. City of Portage La Prairie (1964), 49 D.L.R. (2e) 91 a dû interpréter l’article 25 de la Loi sur la preuve au Manitoba R.S.M.. 1954, ch. 75 qui, contrairement à l’ancienne loi de l’Alberta, prévoit que la Cour peut augmenter le nombre d’experts. Elle déclare ce qui suit :

[TRADUCTION]

 

25. Lorsqu’une partie entend interroger des témoins autorisés, selon la loi ou la pratique, à présenter un témoignage d’opinion, pas plus de trois témoins de ce genre peuvent être appelés de chaque côté sans autorisation de la cour, à appliquer avant l’interrogatoire de n’importe quel des témoins de ce genre.

 

 

[17]           Le juge Guy, en donnant les motifs de la cour expliquant le renversement du juge de première instance qui a statué que la loi prévoyait trois (3) témoins par question, a distingué la décision de la Cour suprême dans Fagnan c. Ure, ci-dessus, en fonction du fait que la loi de l’Alberta n’a pas prévu de disposition pour accroître le nombre d’experts avec l’autorisation de la Cour. Aux pages 97 et 98, il a dit :

 [TRADUCTION]

 

Fagnan c. Ure, ci-dessus, n’est lié qu’à l’interprétation de l’article de l’Alberta telle qu’elle l’était à l’époque. Je constate des différences considérables entre cet article et l’article 25 de la Loi sur la preuve au Manitoba. La première ne comporte aucune disposition prévoyant appeler plus de trois témoins experts [« de chaque côté »], alors que la dernière comporte des dispositions prévoyant appeler plus de trois experts avec l’autorisation de la Cour.   L’une était une loi très stricte, pour prévenir le recours abusif aux experts, mais ne prévoyait aucune façon d’en appeler plus de trois lorsque la justice l’exigeait, alors que l’article 25 de la Loi sur la preuve au Manitoba est en effet formulé différemment et prévoit la possibilité d’appeler plus de trois experts avec une autorisation.

 

Je ne constate aucune ambiguïté dans la formulation de l’article 25 de la Loi sur la preuve au Manitoba ni quoi que ce soit qui lui donne la vaste signification et interprétation privilégiée par la Cour de l’Alberta dans [In] Re Scamen c. Canadian Northern R. Co., ci-dessus, parce que trois experts pour chaque fait en question peuvent ouvrir la voie à un nombre considérable d’experts dans n’importe quel procès.

 

Je statue donc que Fagnan c. Ure, ci-dessus, n’est pas contraignant selon moi quant à l’interprétation de l’article 25 de la Loi sur la preuve au Manitoba et que la partie du témoignage de M. Turpie dans lequel il a témoigné que son opinion n’a pas été accueillie puisqu’une autorisation d’augmenter le nombre de témoins experts autorisés à témoigner n’avait pas été accordée.

 

 

[18]           Le juge Farley de la Cour supérieure de l’Ontario Bank of America Canada c.  Mutual Trust Co.  (1998), 39 [O.R.] (3e) 134, a interprété l’article 12 de la Loi sur la preuve de l’Ontario [R.S.R. 1990, S. E23] de la même façon :

[TRADUCTION]

 

12.       Lorsqu’une personne entend interroger comme témoin des personnes autorisées, en vertu de la loi ou de la pratique, à présenter un témoignage d’opinion, pas plus de trois témoins de ce genre peuvent être appelés de chaque côté sans autorisation du juge ou d’une autre personne qui préside. 

 

 

[19]           Aux pages 137 et 138, le juge Farley a dit :

[TRADUCTION]

 

À mon avis, l’approche dans B.C. Pea et Duttrum est préférable à celle de Scamen, ci-dessus, comme interprétée par Fagnan. Il est évident que dans ces deux derniers cas, les cours ont jugé comme opportun d’accorder à l’article de la Alberta Evidence Act une vaste interprétation parce que cet article ne prévoit aucune disposition relative à l’autorisation. Si les lois de l’Alberta avaient compris la possibilité d’autoriser un nombre plus élevé d’experts si la nécessité a été démontrée, il n’y aurait alors pas eu de problème quant à la protection de l’intérêt de la justice autrement. En fait, tout comme Fagnan faisait l’objet d’une décision à la Cour suprême du Canada, la loi de l’Alberta a été modifiée de façon à y ajouter l’expression suivante :

 

[TRADUCTION]

 

[…] sans autorisation de la cour, qui doit être accordée avant l’interrogatoire de tout témoin de ce genre.

(Non en italique dans l’original)

 

Cette modification a éclairé le problème des cas à venir en Alberta. Toutefois, il ne serait pas approprié d’incorporer le recours à une modification préalable de l’Alberta à l’Ontario puisque les lois de l’Ontario ont toujours été protégées par l’autorisation.    Scamen et Fagnan doivent être reléguées au cabinet des curiosités parce qu’il s’agit de décisions obsolètes imputables à une particularité historique de la loi albertaine d’alors.

 

[20]           Ce raisonnement a été suivi du juge Ferguson de la Cour supérieure de l’Ontario dans Burgess c.  Wu., [2005] O.J. no 929.

 

[21]           Ainsi, la distinction faite par ces décisions est que lorsqu’un pouvoir discrétionnaire est accordé à la Cour dans le but d’accroître le nombre indiqué de témoins experts, le nombre indiqué est au cas par cas, et la Cour dispose du pouvoir discrétionnaire de l’accroître.

 

[22]           Dans la Cour fédérale, la première réflexion au sujet du nombre d’experts autorisés en vertu de l’article 7 de la Loi sur la preuve au Canada a été faite par la juge Reed dans Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1997), 73 C.P.R. (3e) 371 aux pages 411 à 413 lorsqu’elle était préoccupée par la question à savoir si chaque « côté » se limitait à cinq experts lorsque plus d’une partie formait un « côté ». Elle a dit que les parties se sont largement mises d’accord sur l’interprétation selon laquelle la limite s’applique par « côté ». Elle a dit au paragraphe 412 :

Quoi qu’il en soit, la Cour a estimé que l’article 7 autorisait Me Deeth à appeler cinq témoins pour le compte de sa cliente (Novopharm) et Me Radomski à en appeler cinq pour le compte de ses deux clientes (Apotex et Nu-Pharm). Heureusement, l’avocat des demanderesses a assuré à la Cour que, puisqu’il avait déjà produit sa preuve, sauf en ce qui concerne les témoins appelés en réponse, il ne se servirait pas de la logique de cette décision pour ajouter d’autres témoignages d’expert pour le compte de ses clientes. La limite prévue à l’article 7 s’applique si la Cour ou le juge ne donne pas la permission d’y déroger. La Cour a indiqué que, vu l’étape de la procédure où cette question était soulevée, elle aurait, de toute façon, été disposée à accorder la permission de dépasser la limite prévue dans cet article si cela s’était avéré nécessaire. La nature de l’instance, et plus particulièrement le fait qu’elle repose en grande partie sur des témoignages d’expert, a également été un facteur. Quoi qu’il en soit, ce qui a commencé comme une simple préoccupation de l’avocat des demanderesses a été traité comme une requête présentée par les défenderesses afin d’obtenir une décision quant à l’interprétation à donner à l’article 7 et, subsidiairement, si cette décision ne leur était pas favorable, afin d’obtenir la permission d’appeler d’autres témoins. Cette requête a été tranchée également sur ce moyen subsidiaire.

 

[23]           Toutefois, deux paragraphes avant dans cette décision, la juge Reed s’est questionnée à savoir si l’article 7 limitait le nombre d’experts « par question » ou « par cas ». Elle a dit aux pages 411 et 412 :

En l’espèce, trois actions ont été inscrites au rôle pour être entendues en même temps, sur preuve commune. Ces actions n’ont pas été fusionnées, mais Me Radomski, en sa qualité de procureur d’Apotex et de Nu-Pharm, a procédé essentiellement, par rapport à ses clientes, comme si elles l’avaient été. L’article 7 a été interprété comme ne s’intéressant qu’aux témoignages d’opinion d’expert et comme limitant à cinq le nombre témoins par sujet ou par question de fait soulevés dans une cause, non à cinq témoins au total (Buttrum c. Udell,[1925] 3 D.L.R. 45 (C.A. Ont.), Re Scamen and Canadian Northern Railway Co. (1912), 6 D.L.R. 142 (C.S. Alb. ), Fagnan v. Ure,[1958] R.C.S. 377, 13 D.L.R. (2d) 273, Hamilton v. Brusnyk (1960), 28 D.L.R. (2d) 600 (C.S. Alb. ), R. c. Morin,[1991] A.O. No. 2528 (QL) [résumé] 16 W.C.B. (2d) 416] B.C. Pea Growers Ltd. c. City of Portage La Prairie (1963), 43 D.L.R. (2d) 713 (C.B.R.  Man.]).

 

 

[24]           De toute évidence, l’attention de la juge Reed n’a pas été attirée sur la décision de la Cour d’appel au Manitoba, qui a renversé le juge du procès de l’affaire BC Pea Grower, puisqu’elle n’a cité que la décision de la Section de première instance. La décision de l’Ontario du juge Farley a été rendue après que la juge Reed a rendu la sienne. Si la décision de la Cour d’appel du Manitoba avait été portée à l’attention de la juge Reed, elle n’aurait sans aucun doute pas tiré la conclusion qu’elle a tirée.  

 

[25]           Le juge Heneghan de la Cour fédérale dans Merck & Co. c. Canada (ministre de la Santé), (2003), 30 C.P.R (4e) 342 s’est appuyé sur la juge Reed dans Eli Lilly et au juge Pinard dans GlaxoSmithKline & Inc. c. Apotex Inc. (inédit), qui s’est aussi appuyé sur la juge Reed pour tirer la conclusion suivante au paragraphe 13 :

[13]  Le protonotaire n’avait aucune raison valable de ne pas suivre et appliquer la jurisprudence de la Cour, qui a interprété l’article 7 comme limitant le nombre total d’experts pour chaque question soulevée plutôt que pour l’ensemble de l’affaire. Mes conclusions sur ce point sont suffisantes pour disposer du présent appel et l’accueillir.

 

 

[26]           Il semble que l’avocat n’a pas porté à l’attention du juge Heneghan la décision de la Cour d’appel du Manitoba dans BC Pea Growers ou du juge Farley dans Bank of America.

 

[27]           Compte tenu de l’état de la jurisprudence, il est raisonnable de conclure qu’une bonne interprétation de l’article 7 de la Loi sur la preuve au Canada vise à limiter chaque partie à cinq (5) témoins experts dans la procédure dans son ensemble, sous réserve de l’instruction de la Cour d’accroître ce nombre. Le fardeau repose sur une partie cherchant à accroître le nombre de témoins experts qu’elle entend appeler dans l’affaire pour solliciter l’autorisation de le faire auprès de la Cour et de l’obtenir. C’est ce qui est fait dans la présente affaire.

 

[28]           En l’espèce, j’ai autorisé Apotex, en vertu de l’instruction du 10 juillet 2007, à appeler 10 experts, et les parties opposées à appeler 15 experts au total, soit 10 pour Eli Lilly et 5 pour Shionogi.

 

[29]           À mon avis, il n’est pas nécessaire de décider du nombre de « questions » ou de ce que constitue une « question » dans une affaire. Je suis conscient que la Cour d’appel fédérale dans Pharmascience Inc. c.  Canada (Ministre de la Santé) 2007 CAF 140, au paragraphe 41, dans le contexte d’une poursuite relative à un AC a statué que la légitimité d’un brevet, sans égard au nombre de motifs d’illégitimité soulevés, ne constitue pas une seule « question ». C’est selon ce fondement que j’ai fait des observations dans Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limitée 2007 CF 596, aux paragraphes 5 à 7, et la protonotaire Tabib a fait ses déclarations in Altana Pharma Inc. c. Novopharm Ltd. 2007 CF 637, aux paragraphes 35 à 37. Je suis d’accord avec ses observations au paragraphe 37 selon lesquelles l’article 7 de la Loi sur la preuve au Canada a pour but de restreindre le nombre d’experts soumis au contrôle de la cour :

37        L’article 7 a pour objet de limiter à un nombre raisonnable les experts pouvant être appelés à témoigner par les parties, nombre au-delà duquel l’autorisation préalable de la Cour doit être obtenue en démontrant qu’un plus grand nombre d’experts est nécessaire pour trancher les questions en litige, qu’il n’y a aucun dédoublement inutile dans la preuve et que les contraintes additionnelles de temps et de ressources pour la Cour et les parties sont justifiées (voir Gorman c.  Powell, [2006] O.J. No. 4233 (C.S.J.)Burgess c. Wu, [2005] O.J. no 929 [C.S.J.] et Sopinka, John et al., The Law of Evidence in Canada, 2e éd., 1999, aux pages 664 à 666).

 

[30]           Vu que la Cour a le contrôle général de la procédure et du nombre d’experts s’élevant à plus de cinq, il n’est pas à propos de tenir compte du nombre de « questions ». La réflexion appropriée consiste à savoir si, dans son ensemble, l’affaire à laquelle une partie doit présenter ou répondre nécessite bien plus de cinq (5) experts.  

 

[31]           En ce qui concerne la requête d’Apotex, elle, en réalité, demande à faire passer le nombre d’experts qu’elle est autorisée à présenter en preuve au procès de 10 à 15. Je suis conscient qu’Apotex et Eli Lilly ont déjà été autorisées à dépasser le nombre de cinq (5) experts par procédure pour en présenter jusqu’à 10. Je suis aussi conscient qu’en réalité, Apotex convoite déjà jusqu’à 15 experts par rapport à cette autorisation, 10 pour Eli Lilly, en plus de cinq (5) pour Shionogi.

 

[32]           Je n’entends pas résoudre les questions complexes de chimie puisqu’elles sont établies dans les affidavits d’Ivor M. Hughes et de Bartlett. Bartlett est sans aucun doute un chimiste plus qualifié, mais il n’est pas avocat. Hughes est un avocat ainsi qu’un agent des brevets. Les questions sont une combinaison de droit des brevets, de droit de la concurrence et de chimie. Il suffit de dire qu’Apotex a démontré plus qu’une prétention établie à première vue qu’elle nécessite jusqu’à cinq (5) experts de plus que les dix (10) experts autorisés au départ compte tenu des questions quant à la concurrence et de la possible nécessité d’une contre-preuve.

 

[33]           Je prends bien note de ce que l’avocat d’Apotex indique au paragraphe 43 de son exposé des arguments principaux :

[TRADUCTION]

 

« […] les divers experts se prononceront sur des sujets qui sont suffisamment distincts pour écarter toute menace de redondance ou d’inutilité des preuves présentées »

 

[34]           Pour cette raison, je laisserai au juge du procès la discrétion de rejeter tout témoignage d’expert présenté par Apotex qui soit redondant ou inutile.

 

[35]           La question des dépens doit être laissée au juge du procès, hormis le fait qu’aucun ne doit être accordé à Shiniogi, ni adjugé contre lui.

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

Pour les motifs soulevés :

LA COUR STATUE que :

 

1.         La requête est accueillie dans la mesure où Apotex peut présenter le témoignage d’un nombre de témoins experts s’élevant jusqu’à 15 dans le cadre de ce procès, à la discrétion du juge du procès de rejeter de telles preuves qui soient redondantes ou inutiles;

 

2.         Les dépens de cette requête relèveront de la décision du juge du procès;

 

3.         Aucuns dépens ne doivent être accordés à Shiniogi, ni n’être adjugés contre elle.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1321-97

 

INTITULÉ :                                       Eli Lilly and Company et al. c. Apotex Inc.

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 octobre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Anthony Creber

Me Patrick Smith

 

POUR LES DEMANDEURS

Me H.B. Radomski

Me D.M. Scrimger

Me Miles Hastie

Me Sandon Shogilev

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowlings

Ottawa, Ontario

 

POUR LES DEMANDEURS

Goodmans LLP

Toronto, Ontario

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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