Toronto (Ontario), le 1er octobre 2007
En présence de madame la juge Mactavish
ENTRE :
LAURENTINO USCANGA LARA
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Martin et Laurentino Lara sont cousins. Ils ont présenté une demande d’asile au Canada parce qu’ils craignaient d’être persécutés au Mexique en raison des opinions politiques qu’on leur prête. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté leurs demandes, concluant que leur récit de persécution aux mains des autorités du Pentathlon Deportivo Militarizado Universitario et de la police militaire n’était pas crédible. De plus, la Commission a conclu que, de toute façon, les demandeurs pouvaient obtenir une protection adéquate au Mexique.
[2] Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission, affirmant que cette dernière a commis une erreur en omettant de justifier sa conclusion d’absence de crédibilité. Cette erreur aurait mené à l’impossibilité de déterminer la mesure dans laquelle la conclusion d’absence de crédibilité a compromis l’analyse de la protection de l’État par la Commission.
[3] De plus, les demandeurs affirment que l’analyse de la protection de l’État à laquelle la Commission s’est livrée était viciée, parce que cette dernière n’a pas tenu compte du fait qu’en l’espèce, les agents de persécution avaient des liens étroits avec l’armée mexicaine.
[4] Enfin, les demandeurs soutiennent que la Commission a agi de manière inéquitable sur le plan de la procédure en s’appuyant sur des éléments de preuve extrinsèques au sujet de la situation au Mexique, sans donner à l’un ou à l’autre l’occasion de réagir à la preuve.
Contexte de l’affaire
[5] Les demandeurs sont d’anciens étudiants du Pentathlon Deportivo Militarizado Universitario, un établissement qui enseigne les valeurs militaires, la discipline et l’éducation physique. Selon les demandeurs, bien qu’il s’agisse d’un établissement privé, son administration a des liens très étroits avec l’armée mexicaine.
[6] Les demandeurs affirment qu’ils ont pris connaissance de la corruption et de l’abus de pouvoir qui prévalaient au sein de l’administration de l’établissement, et qu’ils ont commencé à participer aux activités d’un groupe d’étudiants activistes dont le but était d’apporter des changements au sein de la direction de l’établissement. Les deux demandeurs soutiennent qu’ils ont fait l’objet de menaces et d’agressions physiques parce qu’ils fréquentaient ce groupe.
[7] Martin Vazquez Lara affirme également qu’il a été enlevé et battu quelques jours avant que son cousin s’enfuie du Mexique, et que ses agresseurs lui ont volé son passeport. Il croit qu’il a été enlevé sur l’ordre du commandant de l’établissement.
[8] Martin déclare qu’il s’est adressé à la police pour déposer une plainte concernant son enlèvement. Bien qu’il ait tenté de relater son histoire à un agent, il était évident que ce dernier n’était pas intéressé à traiter sa plainte. Il n’a donc déposé qu’une plainte écrite relativement au vol de son passeport. Quelques jours plus tard, les cousins ont quitté le Mexique et sont arrivés au Canada, où ils ont présenté une demande d’asile.
Norme de contrôle
[9] En ce qui concerne la conclusion de la Commission sur l’absence de crédibilité, les demandeurs sont préoccupés par l’absence de motifs justifiant cette conclusion. La considération du caractère suffisant des motifs soulève une question d’équité procédurale, tout comme le fait que la Commission se soit prétendument fiée à des éléments de preuve extrinsèques.
[10] Il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle concernant la question de l’équité procédurale; c’est à la Cour de décider si la procédure qui a été suivie dans une affaire était juste, en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes : voir l’arrêt Canada (Procureur général) c. Sketchley, [2005] A.C.F. no 2056, 2005 CAF 404, aux pages 52 et 53.
[11] En ce qui concerne l’appréciation par la Commission de la possibilité de se prévaloir d’une protection de l’État suffisante, la norme de la décision raisonnable s’applique : voir la décision Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2005] A.C.F. no 232, 2005 CF 193.
Analyse
[12] Il ne fait aucun doute que l’évaluation par la Commission de la crédibilité des demandeurs était totalement inadéquate. Après avoir exposé les allégations des demandeurs, l’analyse de la Commission sur la question de la crédibilité peut se résumer ainsi : [traduction] « Même si le tribunal avait conclu que les éléments de preuve fournis par les demandeurs étaient crédibles et dignes de foi, conclusion à laquelle il n’est pas arrivé, le tribunal est d’avis que ces demandeurs peuvent se prévaloir de la protection de l’État au Mexique ». Aucun motif n’a été fourni étayant la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs n’étaient pas crédibles.
[13] Le défendeur fait valoir que la conclusion de la Commission au sujet de la crédibilité a clairement été formulée de façon subsidiaire, et que la protection de l’État peut à elle seule servir de fondement, indépendamment de toute question portant sur la crédibilité des demandeurs. Je ne suis pas de cet avis.
[14] Tout d’abord, la Commission a conclu que les questions déterminantes en l’espèce étaient celles de la crédibilité et de la protection de l’État.
[15] En outre, si, comme le soutient le défendeur, la Commission a effectué son analyse sur la protection de l’État en supposant que le récit des demandeurs était vrai, son analyse était donc inadéquate, parce qu’elle a omis de se pencher sur l’existence de la protection de l’État dans des situations où les agents de persécution sont des membres des forces armées, comme le prétendent les demandeurs.
[16] Si, d’autre part, la Commission n’a pas retenu les éléments de preuve des demandeurs sur les liens qu’entretient la haute direction de l’établissement d’enseignement avec l’armée, et sur l’identité des agents de persécution, la Commission a alors commis une erreur en omettant de justifier sa conclusion d’absence de crédibilité à cet égard.
[17] Pour ces motifs, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire et j’annulerais la décision de la Commission.
[18] Je ferais également remarquer qu’il semble que la Commission ait commis une autre erreur en tenant compte d’un élément de preuve documentaire sur la situation au Mexique, élément de preuve dont elle n’a pas été dûment saisie en l’espèce. Les demandeurs soulignent que la Commission s’est contentée d’effectuer une analyse standard de la protection de l’État en insérant dans la décision l’élément de preuve documentaire tiré d’une autre décision, sans tenir compte de la situation particulière des demandeurs.
[19] Je préfère ne pas faire de spéculations sur la façon dont les références à la preuve documentaire en question se sont retrouvées dans la décision en l’espèce. Bien que sois d’accord avec le défendeur quant au fait que la preuve documentaire en question n’était pas sensiblement différente des renseignements sur la situation du pays dont la Commission a été dûment saisie, il suffit de dire que les références aux éléments de preuve extrinsèques dans de telles circonstances sont injustes, et que la Commission devrait limiter son examen aux éléments de preuve dont elle est dûment saisie.
Conclusion
[20] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.
Question à certifier
[21] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et la présente affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE ET ADJUGE ce qui suit :
1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvelle décision.
2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.
« Anne Mactavish »
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4858-06
INTITULÉ : MARTIN VAZQUEZ LARA ET AL. c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 27 SEPTEMBRE 2007
ET JUGEMENT : LA JUGE MACTAVISH
DATE DES MOTIFS : LE 1er OCTOBRE 2007
COMPARUTIONS :
Geraldine MacDonald POUR les demandeurs
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Geraldine MacDonald
Avocate
Toronto (Ontario) Pour les demandeurs
John H. Simms, c.r.
Sous-procureur général du Canada Pour le défendeur