Toronto (Ontario), le 3 octobre 2007
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER
ENTRE :
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 28 avril 2006 par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAI) a confirmé la décision par laquelle un agent de l’immigration avait estimé que le demandeur était interdit de territoire.
[2] Le demandeur s’est vu accorder la résidence permanente au Canada le 6 août 1997 avec sa femme et ses enfants. Après avoir obtenu le droit d’établissement, le demandeur a quitté le Canada pour s’occuper de certaines affaires à Hong-Kong.
[3] Depuis qu’il a obtenu le droit d’établissement, le demandeur est entré au Canada le 7 février 2001 et le 6 janvier 2005. Il affirme qu’il entend revenir au Canada une ou deux fois par année pour des séjours de « quelques mois ».
[4] Le 6 janvier 2005, un agent d’immigration a estimé que le demandeur était interdit de territoire, en vertu de l’article 41 de la Loi, compte tenu du fait qu’il existait des raisons de croire qu’il était un résident permanent ayant manqué à l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la Loi, qui oblige le résident permanent à avoir été physiquement présent au Canada pour au moins 730 jours pendant la période quinquennale précédente.
[5] L’agent d’immigration a également estimé qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier de conserver au demandeur son statut de résident permanent.
[6] Le demandeur a interjeté appel de la décision de l’agent d’immigration le 20 janvier 2005.
[7] Dans une décision datée du 28 avril 2006, la SAI a confirmé la décision de l’agent d’immigration et a estimé qu’il n’y avait pas de circonstances d’ordre humanitaire justifiant de dispenser le demandeur de l’obligation de résidence prévue à l’article 28.
[8] La SAI a expliqué que, bien que le demandeur ait soumis une lettre datée du 26 février 2006 dans laquelle sa femme expliquait qu’elle était atteinte d’un cancer en phase terminale et que, si le demandeur devait perdre son statut de résident permanent, ses enfants deviendraient orphelins au décès de sa femme, cette dernière avait soumis le 3 mars 2006 une seconde lettre dans laquelle elle affirmait qu’elle avait rédigé la première lettre sous la contrainte. La SAI a jugé cette seconde lettre plus crédible. Dans la seconde lettre, la femme du demandeur expliquait que c’étaient ses parents qui s’occupaient d’elle et de ses enfants et que le demandeur ne l’avait jamais fait.
[9] À l’audience, le demandeur a tenté de contredire la seconde lettre de sa femme en affirmant qu’en raison de sa maladie, sa femme était déprimée, extrêmement négative et qu’elle avait un comportement irrationnel. Il n’a cependant fourni aucune preuve médicale pour appuyer ses dires.
[10] Le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire le 13 octobre 2006.
[11] Nous sommes appelés en l’espèce à définir les droits procéduraux à accorder au plaideur qui n’est pas représenté par un conseil devant la SAI. Le demandeur affirme que la SAI a violé les principes d’équité procédurale en ne l’informant pas, en sa qualité de demandeur non représenté, de la possibilité de contre-interroger l’auteur d’un document défavorable à sa cause. Je ne suis pas de son avis pour les motifs qui suivent.
[12] En tant qu’organisme administratif, la SAI est maître de sa propre procédure, de sorte que la Cour devrait être réticente à intervenir pour sanctionner ses choix en matière de procédure (Aslani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada), [2006] CF 351, [2006] A.C.F. no 422 (QL), au paragraphe 21). Dans l’arrêt Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560, au paragraphe 16, le juge Sopinka a déclaré :
Nous traitons ici des pouvoirs d'un tribunal administratif à l'égard de sa procédure. En règle générale, ces tribunaux sont considérés maîtres chez eux. En l'absence de règles précises établies par loi ou règlement, ils fixent leur propre procédure à la condition de respecter les règles de l'équité et, dans l'exercice de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, de respecter les règles de justice naturelle.
[13] Dans le cas de la SAI, les Règles de la Section d’appel de l’immigration confèrent à cette dernière un pouvoir discrétionnaire absolu en ce qui concerne le choix de la procédure applicable :
57. Dans le cas où les présentes règles ne contiennent pas de dispositions permettant de régler une question qui survient dans le cadre d'un appel, la Section peut prendre toute mesure nécessaire pour régler la question […]
[14] Pour préciser le contenu des droits de participation, la juge L’Heureux-Dubé a fait observer, dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (QL), au paragraphe 21, que « la notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas ». Elle a poursuivi en expliquant, au paragraphe 22, que « les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leur points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur ».
[15] Il convient donc de faire preuve de beaucoup de retenue envers la SAI en ce qui concerne ses choix de procédure, à condition que ceux-ci permettent aux personnes visées par sa décision de faire valoir leur point de vue.
[16] Plus précisément, dans le contexte des droits procéduraux reconnus au plaideur qui agit pour son propre compte, notre Cour a estimé qu’un tribunal administratif n’a pas l’obligation de tenir lieu de procureur pour le demandeur qui refuse de s’adresser à un avocat et que :
[…] elle n'est pas tenue d' « instruire » le demandeur d'asile de tel ou tel point de droit soulevé par sa demande (Ngyuen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] CF 1001, [2005] A.C.F. no 1244 (QL), au paragraphe 17).
[17] Cependant, bien que les tribunaux administratifs ne soient pas tenus de faire office d’avocats pour les parties qui agissent pour leur propre compte, ils doivent quand même s’assurer que l’audience est équitable. Dans le jugement Nemeth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] CFPI 590, [2003] A.C.F. no 776 (QL), au paragraphe 13, le juge O’Reilly explique ce qui suit :
[…] Mais la liberté de la Commission de procéder à l'instruction malgré l'absence d'un avocat ne la dispense évidemment pas de l'obligation primordiale de garantir une audience équitable. Les obligations de la Commission dans les cas où des revendicateurs ne sont pas représentés sont peut-être en réalité plus élevées parce qu'elle ne peut compter sur un avocat pour protéger leurs intérêts.
[18] Il a également été reconnu qu’une partie non représentée « […] a droit à toute la latitude possible et raisonnable pour présenter l’intégralité de sa preuve et que les règles strictes et techniques devraient être assouplies dans le cas des parties non représentées (Soares c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] CF 190, [2007] A.C.F. no 254 (QL), au paragraphe 22).
[19] Il est donc évident que la teneur précise des droits procéduraux reconnus aux parties qui ne sont pas représentées dépend du contexte. La préoccupation primordiale est de s’assurer que le plaideur non représenté a bénéficié d’une audience équitable au cours de laquelle il a eu l’occasion de présenter l’intégralité de sa cause.
[20] Dans le cas qui nous occupe, le demandeur a eu droit à une audience équitable et a eu l’occasion de présenter l’intégralité de sa cause. Il a été interrogé au sujet de la seconde lettre de sa femme et a été autorisé à fournir des explications sur son contenu. Le demandeur a expliqué que sa femme était malade, déprimée et irrationnelle et qu’elle avait subi l’influence de sa famille. La SAI a estimé que la seconde lettre était plus convaincante que les explications du demandeur, ainsi qu’il lui était loisible de le faire.
[21] Qui plus est, des concessions ont effectivement étaient faites en faveur du demandeur pour lui permettre de présenter sa cause de la manière la plus complète et équitable possible. La SAI lui a permis de faire entendre deux témoins malgré le fait qu’un préavis régulier n’avait pas été donné.
[22] J’estime donc que, dans ce contexte, la SAI n’était pas obligée d’accorder au demandeur la possibilité de contre-interrroger l’auteur d’un document défavorable à sa cause.
[23] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration est rejetée.
JUGEMENT
LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration.
« Danièle Tremblay-Lamer »
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5562-06
INTITULÉ : CHI FAT ALFRED LAW c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 2 OCTOBRE 2007
ET JUGEMENT : LA JUGE TREMBLAY-LAMER
DATE DES MOTIFS : LE 3 OCTOBRE 2007
COMPARUTIONS :
Max Chaudhary
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Sharon Stewart Guthrie |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Chaudhary Law Office Avocat Toronto (Ontario)
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John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada |
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