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Date : 20071004

Dossier : IMM-5103-06

Référence : 2007 CF 1001

ENTRE :

YIN HUAN SHEN

JUN CAO YONG

HUI SHAN CAO

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Pinard

 

 

[1]               Les demandeurs, un homme, son épouse et leur fille, visent à obtenir le contrôle judiciaire d’une décision, en date du 16 août 2006, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a décidé que les demandeurs n’avaient pas qualité de « réfugié au sens de la Convention » ni de « personne à protéger ».

 

[2]               Les demandeurs sont arrivés au Canada en 2003, en provenance de Guangzhou dans la province de Guangdong en Chine, et ont demandé l’asile aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), la demanderesse a prétendu avoir été forcée de porter un dispositif intra‑utérin (DIU) après la naissance de son premier enfant, et ce, malgré l’inconfort et les saignements excessifs que cela occasionnait. Lorsque les fonctionnaires ont découvert, au cours d’un examen de routine, qu’elle était enceinte d’un deuxième enfant, elle a été contrainte de subir un avortement immédiat. Puisque le DIU ne pouvait pas être replacé tout de suite après l’avortement, on a exigé des demandeurs qu’ils versent une garantie de 5 000 RMB afin de s’assurer que la demanderesse retourne dans un délai d’un mois pour la réinsertion du DIU. Les demandeurs se sont plutôt cachés et, deux mois plus tard, sont venus au Canada. Ils allèguent faire face à la stérilisation forcée en cas de retour en Chine.

 

[3]               La Commission a rejeté les demandes de statut de réfugié et de personne à protéger des demandeurs. Pour la Commission, la principale question soulevée par les demandes concernait la crédibilité de la crainte subjective des demandeurs d’être persécutés s’ils retournaient en Chine. En particulier, la Commission a décidé que la demanderesse n’était pas crédible par rapport à sa prétention selon laquelle elle avait fait l’objet d’un avortement forcé et que les demandeurs n’étaient pas crédibles par rapport à leur allégation selon laquelle ils faisaient face à la stérilisation forcée s’ils retournaient en Chine.

* * * * * * * *

[4]               Les demandeurs invoquent la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F., 1re inst.), pour faire valoir que, bien que la Commission n’ait pas besoin de référer à chaque élément de preuve dont elle dispose, son obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés et que, en l’espèce, la Commission n’avait pas du tout tenu compte d’une preuve fort pertinente.

 

[5]               Dans la décision Cepeda-Gutierrez, précitée, la Cour a décidé qu’elle pouvait inférer, du fait qu’un organisme n’avait pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve, que l’organisme avait rendu une décision qui n’était pas fondée sur la preuve dont il disposait. Toutefois, « les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal […] et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait ». Cependant, la Cour a bien souligné qu’« une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont il n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion ».

 

[6]               À mon avis, une distinction peut être faite entre la décision Cepeda‑Gutierrez et la présente demande, puisque la preuve dans cette affaire était propre au demandeur, alors que la preuve dont on n’aurait pas tenu compte en l’espèce, selon le demandeur, constitue une preuve documentaire générale.

 

[7]               Toutefois, même si la décision Cepeda‑Gutierrez s’applique, je suis d’avis que la décision de la Commission n’était pas manifestement déraisonnable. La Commission a clairement procédé à une appréciation de la preuve contradictoire lorsqu’elle a déclaré qu’il était possible que la demanderesse « dise ou ne dise pas la vérité » concernant la question de l’avortement forcé. Comme l’a souligné le défendeur, la Commission a le droit de décider sur quels éléments de preuve elle se fondera dans le cas d’une preuve contradictoire et elle peut également préférer la preuve documentaire au témoignage (Ganiyu-Giwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 506 (C.F. 1re inst.) (QL)). La Commission a décidé que l’allégation de la demanderesse n’était pas crédible, parce qu’elle prétendait que les avortements forcés étaient une pratique courante dans sa région, une prétention qui n’était pas appuyée par la preuve documentaire. Cela apparaît clairement dans les extraits suivants des motifs de la Commission :

     Il ressort d’une étude sur la planification des naissances en Chine effectuée en 2001 que la norme de l’enfant unique est toujours en place et qu’une femme qui a une grossesse hors plan ferait l’objet d’une pression sociale de la part d’agents désignés pour qu’elle subisse un avortement. Cependant, si une femme insiste pour mener à terme la grossesse hors plan, la sanction consiste dans une amende substantielle et la révocation de tout avantage offert aux parents dans le cadre de la politique de l’enfant unique. De plus, les sources consultées à la Direction des recherches de la CISR n’ont permis de relever aucun incident précis d’avortement et de stérilisation forcés dans la région de Guangzhou, la région d’origine des demandeurs d’asile, au cours de la période de 2002 à 2005. Cela ne signifie pas qu’il y en a eu aucun. Il est souvent difficile d’obtenir des renseignements sur ce genre de questions. Il semble cependant clair que de telles mesures de persécution n’étaient pas la réaction normale officielle en 2003. […]

 

     La demandeure d’asile a affirmé dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) que l’exigence voulant qu’il fallait utiliser un DIU, ainsi que l’inconfort et les saignements excessifs que le dispositif a causés [traduction] « ont constitué le début de la persécution ». À cet égard, un document intitulé Procedures Governing Population and Family Planning Management in the City of Guangzhou souligne que d’autres méthodes de contraception peuvent être choisies si des médecins attestent que le DIU ne convient pas pour des raisons médicales. Le même document fait état de situations dans lesquelles plus d’un enfant est permis. Je tire une conclusion défavorable de la généralisation irréfléchie que fait la demandeure d’asile concernant les avortements et la stérilisation en tant que politiques courantes et l’accent qu’elle met sur le fardeau que constitue l’utilisation du DIU sans effort apparent de chercher d’autres moyens de protection. Même s’il n’est pas possible de savoir si la demandeure d’asile a subi un avortement ni de connaître les circonstances dans lesquelles il pourrait s’être déroulé, j’estime que le récit de la demandeure d’asile selon lequel elle aurait été forcée de subir un avortement immédiatement et qu’on lui aurait refusé l’accès à sa famille n’est pas crédible.

 

[Renvois omis.]

 

 

 

[8]               En l’espèce, le rôle de la Cour n’est pas de décider si elle est ou non d’accord avec l’appréciation de la Commission, mais plutôt de trancher la question de savoir si la décision de la Commission était manifestement déraisonnable. Les extraits qui précèdent démontrent que la Commission a tenu compte du fait qu’il y avait une preuve contradictoire et que sa conclusion n’est pas manifestement déraisonnable.

 

[9]               Les demandeurs contestent également la décision de la Commission de ne pas reconnaître la valeur probante du registre qui avait été présenté par la demanderesse. À cet égard, la Commission a déclaré :

     L’exposé circonstancié de la demandeure d’asile concernant sa deuxième grossesse et l’avortement forcé qui a suivi était étayé par un registre des contrôles du DIU. L’authenticité du registre a cependant été mise en doute et a fait l’objet d’une analyse. Le résultat n’a pas été concluant parce qu’il n’y avait pas de spécimen authentique correspondant. Il n’y a donc pas de preuve documentaire solide à l’appui de son récit. […]

 

[Renvoi omis.]

 

 

 

[10]           Les demandeurs s’élèvent contre cette appréciation du document et font valoir que la Commission aurait dû lui accorder plus de valeur d’après l’autre énoncé du rapport d’expertise selon lequel, bien que les résultats n’aient pas été concluants, le document n’avait pas été produit à l’aide d’un copieur ou d’une imprimante et [traduction] « la totalité des données écrites est compatible avec un moyen spécifique d’écriture courante ».

 

[11]           Toutefois, cet argument dépend aussi de la valeur donnée à la preuve par la Commission. Il ressort clairement de l’énoncé susmentionné du tribunal que la Commission a pris le registre en considération, mais qu’elle a décidé qu’il avait peu de valeur. La Commission avait le pouvoir de le faire. Par conséquent, je ne crois pas que la décision de la Commission, selon laquelle l’allégation de la demanderesse relative à l’avortement forcé manquait de crédibilité, était manifestement déraisonnable.

 

[12]           Les demandeurs prétendent en outre que, s’ils retournent en Chine, ils feront face à la stérilisation forcée, du fait qu’ils ont contrevenu à la politique de l’enfant unique. La Commission a conclu que cette allégation manquait également de crédibilité, mais les demandeurs soutiennent que la Commission a encore une fois omis de tenir compte de la preuve pertinente.

 

[13]           Je suis d’avis de rejeter cette allégation aussi. Les motifs de la Commission indiquent clairement qu’elle a pris en considération la preuve contradictoire :

     […] La documentation sur le pays fournit des messages contradictoires concernant la nature des sanctions auxquelles les deux demandeurs d’asile adultes pourraient être exposés. La prépondérance des éléments de preuve indique cependant que leur sanction consisterait probablement dans une amende et le déni d’avantages sociaux, ce qui constitue un fardeau, et non pas de la persécution.

 

 

 

[14]           La Commission pouvait à bon droit tirer cette conclusion. Comme l’a souligné le juge Pelletier dans la décision Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 300 (C.F. 1re inst.) (QL), « [l]e point de vue que la [Commission] a adopté à l'égard de la preuve était raisonnable, tout comme l'aurait été le point de vue opposé. […]Toute conclusion qu'elle tire qui n'est pas erronée à première vue n'est pas manifestement déraisonnable ».

* * * * * * * *

 

 

[15]           Pour tous ces motifs, je conclus que la décision de la Commission, selon laquelle les prétentions des demandeurs n’étaient pas crédibles, n’était pas manifestement déraisonnable, de sorte que la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 4 octobre 2007

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-5103-06

 

INTITULÉ :                                                               YIN HUAN SHEN, JUN CAO YONG, HUI SHAN CAO

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IIMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 12 SEPTEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 4 OCTOBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hart A. Kaminker                                                         POUR LES DEMANDEURS

 

Angela Marinos                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hart A. Kaminker                                                         POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

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