Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2007
En présence de Monsieur le juge Harrington
SUNIL HANDA
demandeur
et
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
défendeur
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] M. Handa avait jusqu’au 14 juin 2001 pour demander à la Commission d’appel des pensions (la Commission) l’autorisation de porter en appel la décision du tribunal de révision selon laquelle il n’était pas invalide au sens du Régime de pensions du Canada (le Régime). Près de quatre années complètes se sont écoulées avant que son représentant ne fasse savoir par écrit en avril 2005 qu’il demandait l’autorisation d’interjeter appel.
[2] La Commission n’a pas traité correctement cette demande en accordant l’autorisation en novembre 2005. Le procureur général a contesté cette décision au motif que la Commission ne pouvait pas simplement accorder l’autorisation. Elle devait d’abord décider si une prorogation de délai devait être accordée à M. Handa pour le dépôt de la demande d’autorisation. Le procureur général a saisi la Cour d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Commission. Le juge O’Keefe a rétabli la situation en septembre 2006. Il a annulé la décision accordant l’autorisation d’appel à M. Handa et a renvoyé l’affaire à un autre commissaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue. Il a déclaré que M. Handa, s’il souhaitait aller de l’avant avec son appel, devait demander une prorogation de délai (Procureur général du Canada c. Sunil Handa, 2006 CF 1148, [2006] A.C.F. no 1552).
[3] M. Handa a effectivement demandé une prorogation de délai. La Commission a toutefois décidé qu’elle ne pouvait pas excuser le retard parce que M. Handa ne satisfaisait pas aux critères applicables, et elle a rejeté la demande. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.
LE CONTEXTE
[4] M. Handa souffre de maux de dos depuis les années 1990. Il ne travaille pas depuis ce temps et prétend être physiquement incapable de travailler. Il a fait appel à différentes sources pour obtenir de l’aide financière, notamment le Régime de pensions du Canada (le Régime) auquel il a contribué lorsqu’il travaillait.
[5] L’une des prestations prévues par le Régime est une pension d’invalidité, différente de l’indemnisation des accidents du travail et de l’assurance‑emploi. Il n’est pas nécessaire que l’invalidité soit consécutive à un incident lié au travail.
[6] En 2000, le ministre du Développement des ressources humaines du Canada a décidé que M. Handa n’était pas invalide au sens du Régime. Le tribunal de révision a ensuite rejeté l’appel de M. Handa.
[7] L’étape suivante consistait à interjeter appel à la Commission en vertu de l’article 83 du Régime. L’appel n’est pas un appel de plein droit. Une autorisation doit être obtenue. La demande doit être faite dans un délai de 90 jours ou dans un délai plus long qui peut être autorisé.
[8] M. Handa a présenté une demande d’autorisation d’appel et un avis d’appel dans le délai prévu, en avril 2001. La demande a été faite au moyen d’un formulaire sur lequel il y avait des espaces pour inscrire les motifs d’appel, de même que pour présenter à la Commission l’exposé des faits, les dispositions applicables du texte de loi et les motifs qui allaient être invoqués.
[9] M. Handa a rempli les espaces de manière plutôt insatisfaisante. En ce qui concerne les motifs d’appel, il a simplement écrit : [traduction] « Je ne suis pas d’accord quant à ces décisions. » Il n’a allégué aucun fait et n’a mentionné aucune disposition du texte de loi ni aucun motif. Il a cependant indiqué : [traduction] « J’ai besoin de plus de renseignements. Écrivez‑moi. Je vous remercie. »
[10] La Commission a écrit à M. Handa. Dans sa lettre du 3 mai 2001, elle a dit que sa demande ne pouvait pas être acceptée parce qu’aucun motif n’était mentionné. M. Handa devait présenter une demande plus détaillée ou une lettre exposant ses motifs au plus tard le 14 juin. Si la Commission ne recevait rien, elle considérerait qu’il s’était désisté de son appel.
[11] Aucune lettre n’a été reçue et, comme il a été mentionné précédemment, M. Handa n’a pas donné signe de vie jusqu’en 2005.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[12] La Cour doit décider si la Commission a exercé correctement son pouvoir discrétionnaire en refusant d’accorder à M. Handa une prorogation du délai dans lequel il devait déposer sa demande d’autorisation d’appel. Le défendeur soutient, en se fondant sur l’arrêt Osborne c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 412, [2005] A.C.F. no 2043, rendu par la Cour d’appel fédérale, que la décision ne devrait pas être modifiée, sauf si elle est manifestement déraisonnable. Le juge Nadon a cependant, dans cette affaire, appliqué la norme de la décision manifestement déraisonnable à des décisions relatives à l’invalidité. La situation est toutefois différente en l’espèce. La norme applicable est la décision raisonnable simpliciter ou la décision manifestement déraisonnable (Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Gattellaro, 2005 CF 883, [2005] A.C.F. no 1106). Il n’est donc pas nécessaire que je décide laquelle s’applique.
L’ANALYSE
[13] La Commission ne doit pas exercer de façon arbitraire le pouvoir de proroger le délai dans lequel une demande d’autorisation d’appel doit être présentée qui lui a été conféré par le législateur. Elle doit adopter une méthode disciplinée.
[14] Le juge Létourneau a dit ce qui suit au nom de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, [2007] A.C.F. no 37, un appel visant la décision de la Commission d’accorder une prorogation de délai et l’autorisation d’appel :
[24] Dans l’affaire Berhad, précitée, au paragraphe 60, la Cour a rappelé le principe selon lequel le délai imposé à quiconque veut contester une décision administrative n’est pas affaire de caprice. « Il existe dans l’intérêt public, afin que les décisions administratives acquièrent leur caractère définitif et puissent aussi être exécutées sans délai, apportant la tranquillité d’esprit à ceux qui observent la décision ou qui veillent à ce qu’elle soit observée, souvent à grands frais ».
[15] L’affaire Berhad a fait l’objet d’une autre décision à la Cour d’appel fédérale : Budisukma Puncak Sendirian Berhad c. Canada, 338 N.R. 75, [2005] A.C.F. no 1302 (C.A.F.).
[16] Dans Gattellaro, précitée, la juge Snider a rappelé les critères qui doivent être pris en considération :
[9] Selon la jurisprudence invoquée par le ministre (Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 263 (C.A.F.); Baksa c. Neis (c.o.b. Brookside Transport), [2002] A.C.F. no 832), il faut prendre en considération et évaluer les critères suivants :
1. il y a intention persistante de poursuivre la demande ou l’appel;
2. la cause est défendable;
3. le retard a été raisonnablement expliqué;
4. la prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l’autre partie.
[17] La Commission a appliqué la décision Gattellaro aux faits et a conclu que rien n’indiquait que M. Handa avait l’intention persistante de poursuivre l’appel ou avait une explication raisonnable pour le retard.
[18] La Commission n’était pas non plus certaine que M. Handa avait établi une cause d’action raisonnablement défendable sur le fond. En outre, elle a déclaré que l’écoulement du temps causerait un préjudice au ministre.
[19] Comme il doit être satisfait aux quatre critères, je laisse de côté les deux derniers. Même en appliquant la norme de la décision raisonnable simpliciter, la norme applicable aux décisions discrétionnaires la plus favorable à M. Handa , je ne suis pas convaincu que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle.
[20] M. Handa, qui se représentait lui‑même devant la Cour, affirme que son conseiller a commis une erreur lorsqu’il a dit à la Commission qu’il n’avait pas compris les termes techniques employés dans la lettre de la Commission qui lui a été adressée en mai 2001. Il dit plutôt qu’il n’a reçu la lettre qu’après avoir demandé l’autorisation d’appel en 2005. La contradiction mise à part, cette version des faits n’arrange pas les choses pour M. Handa. Après tout, il avait dit au début : [traduction] « J’ai besoin de plus de renseignements. Écrivez‑moi. Je vous remercie. » Le fait qu’il n’a pas donné signe de vie pendant quatre ans est tout à fait incompatible avec une intention persistante de poursuivre l’affaire.
[21] M. Handa a plutôt exercé d’autres recours. Il a finalement réussi à convaincre l’Alberta Workers’ Compensation Board que ses blessures étaient reliées à son travail. Il reçoit une pension, mais il dit que ce n’est pas suffisant. Le Régime tient compte des autres indemnités, mais l’avocat du défendeur ne dispose pas d’autres renseignements sur la question de savoir si la pension versée par l’Alberta Workers’ Compensation Board empêchait M. Handa d’obtenir des sommes du Régime.
[22] M. Handa, dont le récit est quelque peu flou, a aussi présenté une demande dans le cadre d’un programme de l’Alberta appelé « Assured Income for the Severely Handicapped (AISH) ». Un intervenant de ce programme lui aurait dit qu’il devrait présenter une demande au Régime, auquel il avait contribué. Le fait que M. Handa exerçait d’autres recours n’excuse pas son manque d’attention pour la présente affaire et ne constitue pas une explication raisonnable du retard.
[23] La demande sera rejetée. Le défendeur n’a pas demandé les dépens, et aucuns dépens ne seront adjugés.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par la Commission d’appel des pensions le 3 janvier 2007 soit rejetée sans dépens.
« Sean Harrington »
______________________________Juge
Traduction certifiée conforme
D. Laberge, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-255-07
INTITULÉ : SUNIL HANDA
c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : EDMONTON (ALBERTA)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 10 SEPTEMBRE 2007
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON
DATE DES MOTIFS : LE 17 SEPTEMBRE 2007
COMPARUTIONS :
Sunil Handa
|
LE DEMANDEUR, POUR SON PROPRE COMPTE
|
Markus Davies
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sunil Handa Edmonton (Alberta)
|
LE DEMANDEUR, POUR SON PROPRE COMPTE |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR |