ENTRE :
demanderesse
et
MMD DESIGN AND CONSULTANCY LIMITED
et
ALAN POTTS
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
[1] Il s’agit en l’espèce d’une requête des défenderesses (ci-après collectivement MMD Design) en vertu des règles 208d) et 221 des Règles des Cours fédérales (les règles) afin d’obtenir la radiation de la déclaration d’action de la demanderesse Suncor Energy Inc. (Suncor) aux motifs que cette Cour n’a pas juridiction sur la cause d’action soulevée par Suncor.
[2] MMD Design soulève également au soutien de la radiation recherchée qu’il y a litispendance entre le présent dossier et une action mue par Suncor devant la Cour du banc de la Reine en Alberta (le litige en Alberta).
Contexte
[3] Il ressort de la déclaration d’action en cette Cour qu’en 2003, Suncor a conclu une entente avec, entre autres, MMD Design afin que cette dernière développe et construise un certain type d’équipement devant aider Suncor dans l’exploitation de sables bitumineux. Dans le cadre de l’élaboration et de l’essai éventuel de cet équipement, les employés de MMD Design et de Suncor auraient eu une certaine interaction.
[4] Ce contact entre les employés des deux corporations aurait amené MMD Design à prendre connaissance d’informations confidentielles touchant un autre type de technologie que les employés de Suncor étaient à mettre au point en parallèle; technologie qui devait éventuellement supplanter dans le cadre du projet de Suncor l’équipement ou la technologie en développement par MMD Design.
[5] Fort de l’information confidentielle et des secrets commerciaux subtilisés ainsi par MMD Design, cette dernière aurait logé une demande de brevet concernant justement l’invention mise au point en parallèle par les employés de Suncor.
[6] Outrée de cette démarche de MMD Design, Suncor a, le 1er juin 2007, débuté deux litiges, soit le présent dossier en Cour fédérale (le litige en Cour fédérale) et le litige en Alberta.
[7] Au paragraphe 1 de sa déclaration d’action en Cour fédérale, Suncor recherche une déclaration à l’effet qu’elle, et non MMD Design, est la propriétaire de l’invention en jeu et demande que cette Cour ordonne que les registres du Bureau des brevets soient corrigés en conséquence et que les employés de Suncor soient identifiés à ces registres comme les véritables inventeurs.
[8] Voici du reste, et cela m’apparaît suffisant pour les fins de notre étude, le texte des paragraphes 1 a. et b. de cette déclaration d’action dans le litige en Cour fédérale :
1. The Plaintiff claims:
a. A declaration that the plaintiff Suncor Energy Inc. is the owner of the subject matter described and claimed in Canadian Patent Application No. 2,558,059;
b. An order pursuant to s. 52 of the Patent Act, R.S.C. 1985, c. P‑4, as amended, directing that the records of the Patent Office relating to Canadian Patent Application No. 2,558,059 be varied to:
i. strike the current listed owner and applicant, and identify the plaintiff Suncor Energy Inc. as the sole owner and applicant; and
ii. strike the current listed inventor and identify Brad Bjornson, Doug Cox, Paul MacDougall and Garth Booker as inventors.
[9] Il est intéressant de noter tout de suite que dans le litige en Alberta, outre des dommages de diverses natures réclamés à l’égard de défendeurs incluant MMD Design, Suncor y recherche également une déclaration de propriété de l’invention. La déclaration d’action dans le litige en Alberta contient à cet effet les conclusions suivantes :
a. A declaration that Suncor is the owner of, and that Suncor’s employees are inventors of, the subject matter disclosed and claimed in, the following:
i. Canadian Patent Application No. 2,558,059;
ii. the foreign patent applications from which Canadian Patent Application No. 2,558,059 claims priority; and
iii. all patent applications or corresponding patents, in all jurisdictions, derived from the above priority applications and/or the PCT application filed as Canadian Patent Application No. 2,558,059;
e. In the alternative, if this Honourable Court does not issue a declaration that Suncor is the owner of the subject matter described and claimed in Canadian Patent Application No. 2,558,059, an order that Suncor be declared a co-applicant of the patent application or, in the further alternative, that the application be declared invalid and void.
Analyse
[10] Quant à la conclusion l a. du litige en Cour fédérale, il m’apparaît clair et évident de par les enseignements de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Cellcor Corp. of Canada Ltd. et al. v. Kotacka, (1977), 27 C.P.R. (2d) 68 (l’arrêt Cellcor) que cette Cour n’a pas juridiction quant à une détermination préliminaire de propriété sur une invention.
[11] Dans Cellcor, la Cour d’appel fédérale avait à évaluer une dynamique semblable à celle qui nous occupe ici. Après avoir considéré le texte de ce qui est maintenant l’article 52 de la Loi sur les brevets, L.R.C., 1985, ch. P-4, telle qu’amendée, (la Loi) ainsi que le texte de l’article 20 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, telle que modifiée, le juge Pratte s’est exprimé comme suit en pages 73-74 :
The respondent’s contention is, in my view, ill-founded. Assuming that the declaration sought in this action is a remedy respecting a patent of invention, within the meaning of s. 20, I am nevertheless of opinion that, in the circumstances of this case, it is not a relief that the Federal Court has power to grant because I agree with the appellants’ view that there is no legal basis for it. Under the Patent Act, the official who must first decide whether a patent may issue to an applicant is the Commissioner. The Act does not empower the Courts to give him directions on the decision he should reach; it is only if he is alleged to have made a wrong decision that, under the statute, the Courts may be seized of the matter. In my view, it would be contrary to the scheme of the Patent Act for the Courts to assume the power, in a case like the present one, to make the declaration sought. In my opinion, the power of the Court, under Rule 1723, to make “binding declarations of right” cannot be exercised in respect of letters patent of invention when its exercise is not expressly or impliedly contemplated by the Patent Act or another statute within the legislative jurisdiction of Parliament.
I know that my conclusion may be difficult to reconcile with the statement made by Mr. Justice Rinfret (as he then was) at p. 250 of his reasons for judgment in Kellogg Co. v. Kellogg (1941), 1 C.P.R. 30, [1941] 2 D.L.R. 545, [1941] S.C.R. 242. However, I find that statement equally difficult to reconcile with the subsequent decision of the Supreme Court in Radio Corp. of America v. Philco Corp. (Delaware) (1966), 48 C.P.R. 128, 56 D.L.R. (2d) 407, [1966] S.C.R. 296.
(Mes soulignés)
[12] Quant à la conclusion 1 b. du litige en Cour fédérale, il s’en rapporte – tout comme les autres conclusions recherchées par Suncor – à l’article 52 de la Loi. Cet article se retrouve en bout de course sous la rubrique « Cessions et Dévolutions » contenue à la Loi. Cette rubrique contient de fait les articles 49 à 52. Ces articles se lisent ainsi :
[13] Suivant MMD Design, il est clair et évident qu’un brevet – et non simplement une demande de brevet – doit être en jeu pour que cette Cour puisse ordonner au Bureau des brevets une modification ou une radiation à une inscription aux registres.
[14] Une lecture du texte de l’article 52 de la Loi appert soutenir cette interprétation de MMD Design.
[15] Toutefois, Suncor s’en rapporte à une décision de 1989 de cette Cour dans l’arrêt Love c. Claveau, [1990] 1 C.F. 64 (l’arrêt Love) pour soutenir que la Cour a alors dans cet arrêt refusé de radier une demande de contrôle judiciaire logée sous l’article 52 de la Loi et où les demandeurs d’alors demandaient qu’une inscription aux registres du Bureau des brevets reconnaissant une corporation comme cessionnaire d’un brevet soit radiée. Comme dans le cas du présent litige en Cour fédérale, dans l’arrêt Love, aucun brevet n’avait encore été émis. Toutefois dans cet arrêt Love, une cession du droit à demander un brevet était intervenue; cession qui avait été enregistrée par le Commissaire des brevets.
[16] Dans son analyse dans l’arrêt Love, le juge Dubé, en page 67, cite, outre l’article 52 de la Loi, le texte des trois articles de la Loi qui précèdent cet article 52 puisque, selon lui, il est essentiel de tenir compte de ces articles pour comprendre l’intention du législateur à la rubrique où l’article 52 se retrouve en dernière place.
[17] À mon sens, il est clair et évident que cette approche du juge Dubé de même que les propos cités ici par après démontrent que le texte de l’article 52 de la Loi peut s’étendre à une demande de brevet et non seulement à un brevet émis; mais cela en autant que la dynamique en jeu implique une cession ou dévolution du droit d’obtenir un brevet. Ce qui n’est pas le cas dans notre présent litige en Cour fédérale.
[18] En fin de page 67, le juge Dubé note comme suit que la rubrique dont fait partie l’article 52 vise toute cession de droits, que cette cession intervienne avant ou après la délivrance d’un brevet :
La lecture de ces articles montre que l’article 49 traite de la cession du droit d’obtenir un brevet avant que ce brevet n’ait été concédé. L’article 50 porte sur la cession d’un brevet qui a été délivré. L’article 51 vise toute cession « en vertu des articles 49 ou 50 ». L’article 52 précité établit la compétence de la Cour fédérale pour ordonner la radiation de « toute inscription dans les registres du Bureau des brevets concernant le titre à un brevet ».
La principale question consiste à savoir si ces mots limitent la compétence de la Cour à un brevet qui a été délivré ou s’ils sont suffisamment larges pour comprendre une inscription visant une demande de brevet en cours. (…)
[19] Après avoir revu certains arrêts, dont l’arrêt Cellcor, le juge Dubé centre son analyse comme suit en pages 71-72 :
Il convient de noter que parce que le commissaire des brevets a enregistré la cession du droit à la demande, les requérants sont désormais privés du droit qu'ils avaient de pousser plus avant leur demande. Dans l'éventualité où ceux qui seraient cessionnaires de la demande, soit les intimés, négligeraient de voir à ce qu'il lui soit donné suite, le brevet pourrait ne pas être délivré. S'ils retiraient la demande, le brevet ne sera pas concédé. À mon avis, si la prétendue cession est un faux, comme le soutiennent les requérants, ils ont droit à réparation pour le préjudice qui leur a été causé.
Les intimés affirment qu'il s'agit là d'une question qui relève d'une cour supérieure provinciale, probablement une cour de l'Ontario puisque le document en cause aurait été signé à Toronto. Cependant, je ne vois pas comment un tribunal de l'Ontario pourrait ordonner à un office fédéral, ce qu'est clairement le Bureau des brevets, de modifier ou de radier une inscription ou de prendre une autre mesure à cet égard. Il est évident que ce problème demande une solution beaucoup plus appropriée.
À mon sens, la solution se trouve dans les pouvoirs étendus conférés à la Cour par l'article 52 de la Loi sur les brevets. Cet article, interprété correctement compte tenu du contexte du chapitre sur les cessions et dévolutions de la Loi sur les brevets, signifie que la Cour peut ordonner que toute inscription [souligné du juge Dubé] dans les registres soit modifiée ou radiée pourvu que l'inscription concerne le titre à un brevet. Ce libellé comprend nécessairement la cession du droit à l'obtention d'un brevet. Toutes les cessions, bien que les articles 49 et 50 en traitent de façon distincte, sont groupées ensemble à l'article 51, et elles le restent à l'article 52, qui marque le point culminant du sujet.
(Mon souligné)
[20] Je ne considère donc pas que la décision de cette Cour dans l’arrêt Love puisse permettre en l’absence d’une cession ou dévolution de droits dans une demande de brevet que l’on considère que l’article 52 de la Loi puisse servir comme le soutient Suncor au paragraphe 9 de ses représentations écrites :
(…) to rectify the application documents now on file in the Patent Office to reflect the true inventors and hence the true owner of the application.
(Mes soulignés)
[21] Il est donc clair et évident suivant mon opinion que cette Cour n’a pas juridiction sur la cause d’action soulevée par Suncor. En conséquence, la déclaration d’action de Suncor sera radiée et son action rejetée, le tout sans possibilité d’amendement. Vu cette conclusion, je n’ai pas à toucher ici à l’aspect litispendance soulevé par MMD Design.
[22] J’ajouterais cependant que si j’en n’étais pas venu à la conclusion précédente, j’aurais à tout le moins radié la conclusion 1 a. de cette même déclaration et suspendu le reste de l’action en Cour fédérale puisque cette conclusion 1 a. fait carrément double emploi avec le litige en Alberta.
[23] De plus, j’ajouterais également ici que si un recours est permis au terme de l’article 52 de la Loi, il m’appert de par l’économie de l’alinéa 300b) des règles et de l’article 52 de la Loi que c’est par « Demande » sous la partie 5 des règles et non par action qu’un tel recours doit être débuté. Toutefois, on notera que la règle 57 ne fait pas de cette situation un cas de radiation.
Protonotaire
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1001-07
INTITULÉ : SUNCOR ENERGY INC.
Demanderesse
et
MMD DESIGN AND CONSULTANCY LIMITED
et
ALAN POTTS
défendeurs
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : 20 août 2007
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE MORNEAU
DATE DES MOTIFS : 11 septembre 2007
COMPARUTIONS :
Me Bruce W. Stratton Me Etienne deVilliers
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POUR LA DEMANDERESSE |
Me Bob H. Sotiriadis
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POUR LES DÉFENDEURS |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Simock Stratton LLP Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE |
Leger Robic Richard, L.L.P. Montréal (Québec)
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POUR LES DÉFENDEURS |