Ottawa (Ontario), le 6 septembre 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE
ENTRE :
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
APERÇU
[1] Lorsque la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) estime qu’un demandeur n’est pas crédible, elle peut étendre cette conclusion à l’ensemble de la demande présentée par ce dernier (Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.), [1990] A.C.F. no 604 (QL)).
INTRODUCTION
[2] M. Manuel Oswaldo Lopez Pineda, un citoyen du Guatemala, a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en rapport avec une décision que la Commission a rendue le 13 décembre 2006 et par laquelle elle a conclu qu’il n’était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger.
L’HISTORIQUE
[3] M. Pineda prétend que, s’il est renvoyé au Guatemala, il subira un préjudice grave équivalant à de la persécution de la part de son ancien employeur, M. Mike Corser, un Américain qui a peut‑être été impliqué dans le meurtre de l’un de ses collègues de travail.
LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE
[4] La Commission a décidé que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention parce qu’il n’existe aucun lien entre la présente demande et l’un ou l’autre des motifs prévus dans la Convention.
[5] Par ailleurs, comme le demandeur n’a fourni aucune preuve crédible ou fiable, la Commission a conclu qu’il n’avait pas qualité de personne à protéger du fait qu’il ne serait exposé ni à une menace à sa vie, ni au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ni au risque d'être soumis à la torture (décision, pages 2 à 4). Dans une remarque incidente, la Commission a conclu qu’il existe une protection adéquate au Guatemala et que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur.
L’ANALYSE
[6] La Commission a énoncé en termes clairs et explicites les raisons valables pour lesquelles elle a conclu que M. Pineda n’était pas crédible et pour lesquelles elle doutait de la véracité de son histoire, le tout en conformité avec l’arrêt Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.F.).
[7] M. Pineda ne conteste pas la conclusion de la Commission selon laquelle il n’est pas crédible.
[8] La Commission était fondée à conclure que la crédibilité de M. Pineda ainsi que celle de son témoignage étaient douteuses car son témoignage et son Formulaire de renseignements personnels (FRP) comprenaient des invraisemblances, des incohérences et des contradictions en rapport avec les éléments et les incidents importants allégués à l’appui de sa demande (Mostajelin c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 28 (QL) (C.A.F.); Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL) (C.A.F.)).
[9] En ce qui a trait aux allégations de menace à la vie et de risque de traitement ou de peines cruels ou inusités, le tribunal a estimé que le témoignage que M. Pineda a rendu à l’appui de ses allégations n’était pas crédible, ni même cohérent. Les allégations de M. Pineda portent sur des événements qui se sont produits au Guatemala entre le 22 et le 24 septembre 2005. Parmi ces événements, il y en a un dans lequel M. Pineda a été impliqué. M. Pineda n’a pas été capable de rendre un témoignage cohérent quant à ce qui s’est vraiment produit le 22 septembre 2005.
[10] Dans son FRP, M. Pineda écrit que, lorsqu’il s’est approché du véhicule, il a vu le corps d’un homme qui était peut‑être mort. M. Pineda ne mentionne pas clairement s’il a été capable d’identifier le corps. Selon son FRP, c’est le jour suivant (le 23 septembre 2005), alors qu’il avait entendu dire que la famille de Benedicto était à sa recherche que M. Pineda a fait le lien entre la personne qui se trouvait dans la voiture et Benedicto. Or, au cours de son témoignage, M. Pineda a clairement affirmé que lorsqu’il s’était approché de la voiture et avait regardé à l’intérieur, il avait pu constater qu’il s’agissait de Benedicto. Lorsqu’on lui a souligné cette contradiction, M. Pineda n’a offert aucune réponse.
[11] Pour compliquer davantage la présente affaire, M. Pineda a produit un affidavit, émanant censément de son père, qui vise à corroborer son témoignage. Il est cependant clairement mentionné dans cet affidavit que, selon le père de M. Pineda, ce dernier aurait été témoin du meurtre d’un collègue de travail appelé Benedicto. Cette affirmation donne clairement ouverture à un troisième scénario. En l’espèce, il semble que M. Pineda aurait vraiment été témoin du meurtre, ce qui ne correspond ni avec le récit figurant dans son FRP ni avec son témoignage. Lorsqu’on lui a souligné ces contradictions, M. Pineda a tenté d’apporter des nuances. Dans l’esprit du tribunal, il existe trois explications pour le même événement et cela a une incidence sur la crédibilité de M. Pineda en général ainsi que sur la fiabilité de ses allégations.
[12] De plus, dans son affidavit, le père de M. Pineda mentionne que ce dernier a fait l’objet de menaces d’une extrême gravité et que cela a causé la mort de sa grand‑mère.
[13] La Commission a souligné que M. Pineda n’a fait aucune mention dans son FRP de la mort de sa grand‑mère ni du fait que sa grand‑mère aurait reçu des menaces de la part de son ancien employeur après son départ.
[14] Il est justifié que la Commission tienne compte des omissions importantes qui figurent dans le FRP d’un demandeur d’asile lorsqu’elle apprécie la crédibilité de ce dernier. Dans Grinevich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. 444 (QL) :
[4] […] Lorsqu'un demandeur du statut de réfugié omet de mentionner des faits importants dans son FRP, la Commission peut légitimement considérer que cette omission porte atteinte à sa crédibilité […]
[15] De même, dans Basseghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1867 (QL), le juge Max Teitelbaum a souligné que tous les faits importants doivent figurer dans le récit du FRP.
[33] Il n'est pas inexact de dire que les réponses fournies dans un FRP devraient être concises, mais il est inexact de dire que ces réponses ne devraient pas contenir tous les faits pertinents. Il ne suffit pas à un requérant d'affirmer que ce qu'il a dit dans son témoignage oral était un développement. Tous les faits pertinents et importants devraient figurer dans un FRP. Le témoignage oral devrait être l'occasion d'expliquer les informations contenues dans le FRP.
[Non souligné dans l’original.]
[16] M. Pineda prétend que la Commission a commis une erreur en concluant que les menaces et les attaques dirigés contre lui et contre ses biens ne sont pas assez sérieuses pour constituer une menace à sa vie.
[17] Ce commentaire de la Commission constitue une remarque incidente qui n’a aucune incidence sur la validité de sa décision car la Commission a conclu que le récit de M. Pineda n’était pas crédible.
[18] Lorsque la Commission estime qu’un demandeur n’est pas crédible, elle peut étendre cette conclusion à l’ensemble de la demande de ce dernier (Sheikh, précitée).
[19] M. Pineda prétend également que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il aurait dû se réclamer de la protection du Guatemala.
[20] La Cour est convaincue que la conclusion tirée par la Commission en rapport avec la crédibilité de M. Pineda était raisonnable. La remarque incidente faite par la Commission en rapport avec la protection de l’État au Guatemala ne modifie pas la conclusion qu’elle a tirée quant à la crédibilité.
[21] En effet, comme la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans Kumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 219 (QL), une conclusion accessoire erronée ne saurait vicier une décision par ailleurs valide :
Il appartenait au tribunal de tirer ses propres conclusions quant aux contradictions décelées dans le témoignage, tout comme il lui appartenait d'apprécier la plausibilité du récit. Il l'a fait d'une manière qui ne justifie pas l'intervention de cette Cour.
Le tribunal, par la suite et en obiter, s'est permis une analyse de la situation des Hindous en Inde et, plus particulièrement, dans le Punjab, pour en arriver à la conclusion que le requérant aurait eu la possibilité d'un refuge interne. Cette analyse n'était pas nécessaire. Même si elle était erronée ou même si elle avait amené le tribunal à excéder sa compétence, ce sur quoi nous ne nous prononçons pas, elle ne saurait vicier une décision par ailleurs valide.
[22] De plus, la Commission a conclu que M. Pineda disposait d’une possibilité de refuge intérieur au Guatemala. Cette conclusion n’est pas contestée par M. Pineda. La Commission a déclaré ce qui suit à la page 4 de sa décision :
Finalement, dans les circonstances et de son propre aveu, [le demandeur] a vécu et travaillé dans une ville qui se trouvait à une certaine distance de la capitale. N’est‑il donc pas logique que le demandeur d’asile quitte simplement sa ville, comme il l’a fait, pour déménager dans la capitale afin de commencer une nouvelle vie? Le tribunal, dans les circonstances, croit qu’il s’agit d’une option raisonnable.
CONCLUSION
[23] Pour l’ensemble des motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-483-07
INTITULÉ : MANUEL OSWALDO LOPEZ PINEDA
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 28 AOÛT 2007
DATE DES MOTIFS : LE 6 SEPTEMBRE 2007
COMPARUTIONS :
Annick Legault
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Michel Pépin
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Annick Legault Avocate Montréal (Québec)
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John H. Sims, c.r. Sous‑procureur général du Canada
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