Ottawa (Ontario), le 13 août 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MAX M. TEITELBAUM
ENTRE :
LEYLA APITHY
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision datée du 14 décembre 2006 par laquelle une agente d’immigration (l’agente) a conclu qu’aucun motif d’ordre humanitaire ne justifiait une dispense de l’obligation de demander la résidence permanente de l’extérieur du Canada. Les demanderesses contestent également, dans une demande distincte présentée à la Cour, la décision relative à l’examen des risques avant renvoi (ERAR) que la même agente a rendue à la même date.
[2] Nadiath Radji, la demanderesse principale, est citoyenne du Bénin. L’autre demanderesse est sa fille, Leyla Apithy, citoyenne des États-Unis. La demanderesse principale, qui est musulmane, craint sa famille parce que, d’une part, celle-ci aurait tenté de l’obliger à se marier et, d’autre part, parce ce qu’elle a eu un petit ami chrétien. En 2002, la demanderesse a suivi son petit ami aux États-Unis. Lors de son séjour dans ce pays, la demanderesse est tombée enceinte, mais peu après son petit ami et elle ont commencé à avoir des problèmes et cette dernière a déménagé seule à Chicago, où elle a donné naissance à sa fille. Plusieurs mois après son accouchement, la demanderesse est partie avec sa fille pour le Bénin. Elle allègue que, dans ce pays, sa mère a menacé de les empoisonner, sa fille et elle. À la suite de cet incident, les demanderesses sont retournées aux
États-Unis. Elles sont arrivées au Canada, depuis les États-Unis, le 6 janvier 2004 et elles ont demandé l’asile à leur arrivée. Dans la décision datée du 7 octobre 2004, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté cette demande au motif que la demanderesse principale n’était pas crédible et qu’elle n’éprouvait pas de crainte subjective.
[3] Les demanderesses ont présenté une requête en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, mais celle-ci a été rejetée le 31 janvier 2007. Peu après avoir appris qu’elle serait renvoyée du Canada, la demanderesse principale a été hospitalisée pour des problèmes de santé mentale. Les demanderesses n’ont donc pas été renvoyées. Elles ont interjeté appel de la décision de ne pas accorder la sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, lequel appel a été annulé par la Cour d’appel fédérale pour défaut de compétence.
LA DÉCISION VISÉE PAR LA PRÉSENTE PROCÉDURE
[4] Les demanderesses ont sollicité un redressement fondé sur des motifs d’ordre humanitaire pour un certain nombre de raisons. Premièrement, elles ont fait valoir que la demanderesse principale s’exposerait à un risque au Bénin parce que sa famille est encore en colère contre elle. Deuxièmement, la situation des femmes au Bénin est peu enviable et elles s’exposent donc à un risque de violence. Troisièmement, la demanderesse mineure serait victime de mutilation génitale dans ce pays. Enfin, leur degré d’établissement au Canada justifie l’octroi d’un redressement fondé sur des motifs d’ordre humanitaire.
[5] À l’appui de ses allégations de risque, la demanderesse principale a produit sept lettres. Deux d’entre elles avaient été produites devant la Commission. Trois des cinq nouvelles lettres provenaient de spécialistes de la santé; elles indiquent que la demanderesse principale souffrait de dépression grave et de tendances suicidaires, et que ces problèmes découlaient du fait que sa famille l’a rejetée et que son ancien petit ami l’a abandonnée. Selon la lettre de la Dre Renée Pelletier, l’état de la demanderesse principale s’est nettement amélioré. L’agente a conclu que ces lettres, même si elles indiquaient que la demanderesse principale souffrait de problèmes psychologiques, ne constituaient pas la preuve des risques que dit courir la demanderesse. Les deux autres lettres sont de nature personnelle : l’une provient de la sœur de la demanderesse et l’autre d’une connaissance de cette dernière. L’agente a conclu que ces lettres provenaient de personnes non désintéressées, et elle ne leur a donc accordé qu’une faible valeur probante.
[6] Pour ce qui est de l’allégation de la demanderesse principale concernant son mariage forcé, l’agente a noté qu’une loi adoptée en 2004 interdit les mariages forcés, mais que ce problème est toujours d’actualité au Bénin. Elle a ensuite conclu que la demanderesse n’avait pas prouvé qu’elle courait un risque de mariage forcé. L’agente a pris en considération la situation des femmes au Bénin et a signalé que, selon un rapport présenté aux Nations-Unies, la promotion des droits des femmes dans ce pays connaît une nette amélioration. Elle a fait référence aussi à la preuve documentaire selon laquelle les Yoroubas musulmanes qui ont des enfants hors mariage risquent d’être expulsées temporairement de leur domicile familial si elles ne se marient pas.
[7] Même si les observations des demanderesses n’ont pas soulevé directement la question de savoir si l’état mental de la demanderesse principale lui faisait courir un risque, l’agente s’est fondée sur cette question et a conclu que la demanderesse bénéficierait au Bénin de services de santé mentale, notant qu’il y a un hôpital psychiatrique dans la région du pays d’où la demanderesse est originaire.
[8] Pour ce qui est des allégations de risque concernant la demanderesse mineure, l’agente a signalé que la demanderesse n’avait produit aucune preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle elle risquerait d’être victime de mutilation génitale si elle retournait au Bénin. Elle a ajouté que même s’il existe aujourd’hui une loi qui interdit la mutilation génitale des femmes, dans la pratique l’État n’est pas parvenu à éliminer entièrement cette coutume. Elle a fait référence aussi à la réponse à la demande d’information de la CISR où l’on cite la secrétaire administrative adjointe de la section béninoise de l’organisation Femmes, Droit et Développement en Afrique, qui a déclaré que le Bénin vivait dans une période de transition par rapport à cette coutume et qu’il se déroulait à ce moment-là une campagne de sensibilisation visant à informer la population de la nouvelle loi. Selon la preuve documentaire, environ 17 % des femmes au Bénin ont été victimes de mutilation génitale, dont 70 % des femmes appartenant aux groupes ethniques bariba, yoa-lokpa et peul. L’agente a signalé que la demanderesse principale n’appartenait à aucun de ces groupes, et elle a conclu que cette dernière n’avait pas établi que sa fille courait un risque de mutilation génitale.
[9] L’agente a ensuite pris en considération l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle a examiné les avantages dont Leyla avait bénéficié durant son séjour au Canada, dont sa participation à un programme appelé « Devenir grand ensemble » ainsi qu’au Club garçons et filles de Lasalle. Elle a conclu que tout laissait croire que Leyla était une enfant bien adaptée. Elle a signalé aussi que Leyla éprouverait moins de difficultés si elle était renvoyée à ce moment car elle n’était pas encore en âge de fréquenter l’école. Leyla avait beaucoup voyagé et rien n’indiquait que cette dernière ne s’était pas bien adaptée à ces déménagements. En outre, elle avait passé plus d’un an au Bénin. L’agente a signalé que Leyla était citoyenne américaine mais elle pourrait acquérir la citoyenneté au Bénin car sa mère est citoyenne de ce pays. L’agente a conclu que l’intérêt supérieur de Leyla réside dans le fait que celle-ci reste auprès de sa mère et qu’un renvoi au Bénin ne serait pas contraire à cet intérêt.
[10] Enfin, l’agente a pris en considération le degré d’établissement de la demanderesse principale au Canada. Elle a signalé que la demanderesse avait un travail, qu’elle n’avait pas de famille au Canada mais de nombreux amis, que sa connaissance du français était excellente et qu’elle avait le souhait d’améliorer son sort.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[11] La demanderesse principale a soulevé les questions suivantes :
1. L’agente a-t-elle commis une erreur dans sa décision concernant l’intérêt supérieur de l’enfant?
2. La décision de l’agente quant au degré d’établissement et d’intégration de la demanderesse principale au Canada était-elle déraisonnable?
3. L’agente a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale envers la demanderesse principale en se fondant unilatéralement sur des documents trouvés sur Internet auxquels les demanderesses n’ont pas eu la possibilité de répondre?
ANALYSE
Intérêt supérieur de l’enfant
[12] Dans l’arrêt Hawthorne c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 CAF 475, la Cour d’appel fédérale a déclaré au paragraphe 31 qu’une décision relative à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire sera jugée déraisonnable si l’agent n’a prêté aucune attention à l’intérêt supérieur de l’enfant et n’y a pas été « réceptif, attentif et sensible ».
[13] La demanderesse soutient que l’agente a commis une erreur en ne pondérant pas par rapport à d’autres facteurs les difficultés que causerait son renvoi et qu’elle a plutôt conclu simplement que les difficultés que cette mesure causerait ne seraient pas inhabituelles ou injustifiées. Les demanderesses citent le passage suivant, tiré de l’arrêt Hawthorne :
Il est quelque peu superficiel de simplement exiger de l'agente qu'elle décide si l'intérêt supérieur de l'enfant milite en faveur du non-renvoi - c'est un fait qu'on arrivera à une telle conclusion, sauf dans de rares cas inhabituels. En pratique, l'agente est chargée de décider, selon les circonstances de chaque affaire, du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d'un parent exposera l'enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d'intérêt public, qui militent en faveur ou à l'encontre du renvoi du parent.
[14] Le défendeur est plutôt d’avis que l’agente a pondéré comme il faut les difficultés auxquelles faisait face Leyla si elle était renvoyée du Canada par rapport à d’autres facteurs pertinents et que, contrairement à ce que les demanderesses laissent entendre, l’agente n’a pas fait abstraction des effets défavorables parce qu’ils n’équivalaient pas à des difficultés excessives.
[15] À mon avis, le fait de ne pas pondérer expressément le degré probable de difficultés qu’occasionnerait le renvoi par rapport à d’autres facteurs ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle si l’agent a examiné l’intérêt supérieur de l’enfant avec beaucoup d’attention, ainsi que l’exige l’arrêt Legault c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (2002), 212 D.L.R. (4th) 139, au paragraphe 30 (C.A.) et qu’il a accordé un poids important à l’intérêt supérieur de l’enfant, comme le veut l’arrêt Baker c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 75. Par ailleurs, dans l’arrêt Hawthorne, la majorité a déclaré que, lorsqu’il est question d’examiner l’intérêt supérieur de l’enfant, il n’existe pas de formule fixe que sont tenus de suivre les agents chargés d’évaluer les motifs d’ordre humanitaire. Au paragraphe 7, le juge Décary s’est exprimé en ces termes :
Le fardeau administratif qui incombe aux agents chargés d'examiner les demandes de considérations humanitaires — comme l'illustre l'article 8.5 du chapitre IP 5 du Guide de l'immigration, reproduit au paragraphe 30 des motifs de mon collègue - est déjà assez lourd sans qu'on y ajoute celui, purement de style, de décrire et d'analyser les faits et facteurs en des termes ou suivant une approche choisie à l'avance. Lorsque notre Cour a statué dans l'arrêt Legault, au paragraphe 12, que l'intérêt supérieur de l'enfant devait être « bien identifié et défini », elle ne tentait pas d'imposer une formule magique à laquelle devaient recourir les agents d'immigration dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire.
[16] Enfin, je suis d’avis que, dans l’arrêt Hawthorne, la conclusion de la majorité n’indique pas que l’on commet une erreur susceptible de contrôle en ne pondérant pas expressément par rapport à d’autres facteurs les difficultés que causerait un renvoi. Comme l’indique la Cour :
[11] Je rejetterais l'appel et je répondrais à la question certifiée de la manière suivante :
Q. : La règle énoncée dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, selon laquelle l'intérêt supérieur des enfants doit être pris en compte lorsqu'il est disposé d'une demande de dispense selon le paragraphe 114(2) est-elle observée lorsque l'agent d'immigration s'est demandé si le renvoi du parent exposera l'enfant à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives?
R. : Selon les circonstances de chaque cas, on peut satisfaire à l'exigence selon laquelle l'intérêt supérieur de l'enfant doit être pris en compte en évaluant le degré de difficultés auquel le renvoi d'un parent exposera l'enfant.
[Non souligné dans l’original]
[17] Si j’applique l’arrêt Hawthorne à la présente espèce, l’agente était tenue de prendre en considération le degré de difficultés que subirait Leyla si elle était renvoyée au Bénin. C’est clairement ce que l’agente a fait, et je conclus que celle-ci n’a pas mal évalué l’intérêt supérieur de l’enfant.
[18] La demanderesse soutient également que la décision de l’agente à propos de l’intérêt supérieur de l’enfant est déraisonnable parce qu’elle n’examine pas l’effet de la fragilité mentale et psychologique de la demanderesse sur sa fille, de même que les effets, sur cette fille et sur la capacité de sa mère de cette dernière de prendre soin d’elle, de l’expulsion, de l’interruption de la continuité des soins dispensés et du retrait du milieu actuellement stable. Le défendeur soutient que, dans leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, les demanderesses n’ont pas allégué que l’état mental de la demanderesse principale était à ce point fragile que son renvoi du Canada était susceptible de détériorer gravement son état mental ou sa capacité de prendre soin de son enfant. En matière de demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il incombe à la partie demanderesse de soulever toutes les questions qu’elle souhaite voir examiner et de produire les preuves qui étayent sa prétention. Je signalerais que la preuve soumise à l’agente indiquait que l’état mental de la demanderesse s’améliorait, mais qu’il était néanmoins fragile.
Degré d’établissement
[19] L’agente a pris en considération le travail, l’aptitude linguistique, les capacités, les efforts d’amélioration de soi, les attaches familiales, la participation à la vie de la collectivité ainsi que les activités bénévoles de la demanderesse principale.
[20] Les demanderesses soutiennent que la décision de l’agente à propos du degré d’établissement de la demanderesse principale était déraisonnable car elle n’a pas pris en considération la difficulté que causerait le fait de retirer la demanderesse principale de son milieu actuel et d’interrompre la continuité des soins médicaux et psychosociaux qu’elle recevait.
[21] L’agente a pris en considération tous les facteurs pertinents au sujet de l’établissement de la demanderesse principale, et il lui était loisible de décider que le degré d’établissement de la demanderesse principale n’était pas de nature telle que son départ causerait des difficultés inhabituelles ou injustifiées.
Consultation unilatérale d’Internet
[22] La demanderesse principale soutient que l’agente s’est fondée sur sept documents pour rendre sa décision et que le fait que cette dernière ne lui ait pas communiqué ces documents constitue un manquement à l’obligation d’équité procédurale envers la demanderesse principale. Les demanderesses ont soulevé cette question dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire de la décision relative à l’ERAR que la même agente a rendue et ce, à la même date que la décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Dans mes motifs concernant cette demande-là
(IMM-342-07), j’ai passé en revue la jurisprudence concernant l’obligation de communiquer les documents, et tout particulièrement des documents provenant d’Internet, dont la décision de la Cour d’appel fédérale Mancia c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1998] 3 C.F. 461 (C.A.) et la décision Zamora c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 1414 rendue par la Cour. J’ai conclu que dans les cas où l’agent d’immigration s’est fondé sur un document provenant d’un site non courant, c'est-à-dire un site que ne consultent pas régulièrement les agents d’immigration ou la CISR, comme celui d’Amnistie Internationale ou du département d’État des États-Unis, et que le document en question n’est pas disponible au Centre de documentation de la CISR, il est alors obligatoire de communiquer le document en question à la partie demanderesse s’il est inédit et important et si la preuve indique qu’il y a eu dans le pays des changements qui pourraient avoir une incidence sur la décision.
[23] Les sept documents qu’a pris en compte l’agente pour se prononcer sur la demande fondée sur les motifs d’ordre humanitaire des demanderesses et qui, selon ces dernières, auraient dû leur être communiqués, sont les suivants :
- le site Internet WiLDAF/FeDDAF – Afrique de l’Ouest : Femmes, Droit et Développement en Afrique;
- le Rapport alternatif au Comité des Nations Unies des droits de l’enfant sur la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant au Bénin; document établi par l’Organisation mondiale contre la torture;
- l’article de l’Agence Inter Press Services, intitulé : Droits-Bénin : un ancien praticien abandonne l’excision et veut sensibiliser les réticents;
- le site Internet de l’Association des femmes juristes au Bénin;
- le Portail de développement Bénin;
- un article paru dans Le Républicain, sous le titre : « Les patients du Centre psychiatrique Jacquot honorés hier », disponible « en ligne »;
- « Couverture sanitaire à Cotonou », un document provenant du site Web de la ville de Cotonou.
[24] Même si l’adresse du premier site Web énuméré - WiLDAF/FeDDAF - ne figurait pas dans la liste des pièces accompagnant la trousse de la CISR sur le Bénin, un document de cette organisation figure dans la liste des pièces (voir la pièce A jointe à l’affidavit de Jordan Toope). En outre, l’adresse du site Web est indiquée dans la liste des documents de référence rattachée à la demande d’information à la CISR sur la mutilation génitale des femmes au Bénin. Je conclus donc que la demanderesse principale avait accès à cette information. Aucun des documents et des sites restants ne provient d’un site Web courant, et aucun n’était énuméré dans la liste des pièces jointes à la trousse de la CISR sur le Bénin.
[25] Les documents nos 2 à 4 ne contiennent aucune information qui ne figurait pas déjà dans l’un des documents auxquels les demanderesses avaient accès dans la trousse sur le Bénin, laquelle est disponible au Centre de documentation de la CISR. Le cinquième document contient des renseignements généraux sur l’amélioration des programmes de santé au Bénin, mais aucune information pertinente en rapport avec la situation de la demanderesse, car il n’y est pas question de savoir si les soins de santé mentale sont largement accessibles. Les deux derniers documents semblent être importants, selon la décision de l’agente, car celle-ci s’est fiée à ces derniers pour conclure que la demanderesse principale serait en mesure de recevoir des services de santé mentale à Cotonou, la ville où elle vivait au Bénin. Même si l’agente semble avoir estimé que les renseignements provenant de ces sites étaient importants, je ne suis pas convaincu que c’est le cas de ces documents. L’article du Républicain porte sur une cérémonie tenue au Centre national hospitalier psychiatrique Jacquot le jour même de la Journée internationale de la santé mentale. Il y est question de l’engagement pris par le gouvernement du Bénin à l’égard des questions de santé mentale, mais on n’y dit pas si les services de santé mentale sont largement accessibles. Le dernier document, intitulé « Couverture sanitaire à Cotonou », n’est plus disponible à l’adresse indiquée dans la décision de l’agente et, contrairement aux autres documents sur lesquels cette dernière s’est fondée, il ne figure pas dans le dossier certifié du tribunal. Il est de ce fait impossible de vérifier les informations figurant dans ce site. Malgré les questions qui subsistent à propos de la pertinence de ces documents, il reste que l’agente s’est fondée sur ces documents pour décider s’il y aurait au Bénin des services de santé mentale disponibles. Pour cette raison, je conclus que l’agente a manqué à son obligation d’équité procédurale envers les demanderesses en ne leur communiquant pas ces documents.
[26] Le défendeur soutient que même si la Cour conclut à un manquement à l’équité procédurale, elle ne doit pas intervenir parce que l’issue de la cause aurait été la même. Il cite l’arrêt Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, où la Cour suprême du Canada a conclu qu’« une cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire et décider de ne pas accorder un redressement par suite d’un manquement à l’équité procédurale lorsque le résultat est inéluctable ». Au dire du défendeur, le résultat était inéluctable car les demanderesses ne se sont pas acquittées du fardeau d’établir que leurs circonstances particulières sont suffisantes pour justifier une dispense.
[27] J’abonde dans le sens du défendeur. Les demanderesses ont élevé un nombre important de prétentions, mais elles n’ont pas produit de preuves à l’appui de celles-ci. Comme l’a fait remarquer le défendeur, les demanderesses n’ont produit aucune preuve sur la situation des femmes au Bénin, les mariages forcés, la mutilation génitale des femmes et la disponibilité de soins de santé mentale dans ce pays. Si la demanderesse principale estimait qu’elle avait droit à une décision favorable pour des motifs d’ordre humanitaire du fait de son état mental et qu’un renvoi au Bénin aurait pu l’affecter au point où sa fille s’exposerait à un risque, elle aurait alors dû soulever la question dans ses observations et produit les preuves corroborantes. Comme il incombe à la partie demanderesse, dans le cas d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, d’établir qu’il existe des circonstances qui justifient une décision favorable par des motifs d’ordre humanitaire et qu’en l’espèce les demanderesses n’ont pas présenté de preuves à l’appui de leurs prétentions, je conclus qu’il y a lieu pour la Cour, en vertu de son pouvoir discrétionnaire de ne pas faire droit à la demande de contrôle judiciaire, et ce, même si l’agente a manqué à son obligation d’équité procédurale.
[28] Les demanderesses ont présenté une demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. Cette demande a été entendue et rejetée par le juge Shore. Le sursis n’est accordé que si les éléments suivants sont clairement établis :
1) une cause défendable;
2) un préjudice irréparable;
3) la prépondérance des inconvénients penche du côté des demanderesses
[29] Après avoir lu les motifs du juge Shore, je dois dire que s’il avait conclu, d’après les éléments de preuve produites, que la demanderesse subirait un préjudice si elle était renvoyée du Canada, un préjudice grave ou irréparable, il aurait certainement accordé le sursis.
[30] Je suis conclus qu’en rejetant la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’agente d’immigration a pris dûment en compte tous les éléments nécessaires.
[31] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[32] Les demanderesses ont soumis la question suivante à certifier, tant dans le dossier
IMM-342-07 que dans le dossier IMM-343-07 :
[traduction] « À quelle condition le fait qu’un agent d’immigration a consulté unilatéralement Internet pour rendre une décision sur une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ou sur une demande d’examen des risques avant renvoi constitue-t-il une violation de l’équité procédurale, lorsque la consultation unilatérale d’Internet s’entend de la consultation de documents trouvés sur Internet sans fournir à la partie demanderesse la possibilité de les commenter? »
[33] Je ne réitérai pas ici ce que déclare le défendeur dans ses observations écrites du 31 juillet 2007, mais je suis d’accord avec lui quant à la raison pour laquelle il n’y a pas lieu de certifier la question qui précède.
[34] Je conclus que la question proposée n’est pas déterminante quant aux questions qui sont en litige car, même si l’agente a pris en considération des documents obtenus d’Internet, sa décision montre clairement pourquoi elle a rejeté la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Traduction certifiée conforme
François Brunet, LL.B., B.C.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-343-07
INTITULÉ : NADIATH RADJI, LEYLA APITHY c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 25 juillet 2007
MOTIFS DU JUGEMENT Le juge Max M. Teitelbaum
DATE DES MOTIFS : Le 13 août 2007
COMPARUTIONS :
Jared Will
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POUR LES DEMANDERESSES |
Alexandre Tavadian
|
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Jared Will 400, rue McGill, 2e étage Montréal (Québec) H2Y 2G1
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POUR LES DEMANDERESSES |
John H. Sims, c.r. Ministère de la Justice du Canada Bureau régional du Québec Complexe Guy-Favreau 200, boul. René-Lévesque Ouest Tour Est, 5e étage Montréal (Québec) H2Z 1X4
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POUR LE DÉFENDEUR |