Dossier : T-1085-06
Ottawa (Ontario), le 7 août 2007
EN PRÉSENCE DE Madame la juge Heneghan
ENTRE :
et
JOHN JRAIGE et RON GALBRAITH
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] M. Barry Burstyn (le demandeur) réclame un bref de mandamus, aux termes de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et ses modifications, pour obliger l’Agence du revenu du Canada (l’ARC ou la défenderesse) à le nommer à un poste permanent AU04 conformément à la décision de l’examinatrice indépendante Kathleen O’Neil (l’examinatrice). Le demandeur réclame aussi un dédommagement pour perte de revenus et d’avantages entre la date de la décision, soit le 10 mars 2005, qui a été précisée par la décision du 8 août 2005, ainsi que des dommages intérêts de l’ARC, aux termes de la compétence en equity qui est conférée à la présente Cour par l’article 3 de la Loi sur les Cours fédérales, de même que les dépens sur la base avocat-client.
II. Le contexte
[2] Le demandeur est un employé de niveau AU03 à l’ARC. Il a posé sa candidature à un poste de vérificateur de dossiers importants (niveau AU04). Il a participé à un concours, mais sa candidature n’a pas été retenue, les candidats heureux étant MM. John Jraige et Ron Galbraith.
[3] Le demandeur a déposé une plainte conformément au Programme de dotation de l’ARC et à ses Directives sur les recours en matière de dotation, faisant valoir que la sélection de ces deux candidats était arbitraire et incompatible avec les principes de l’ARC en matière de dotation en personnel, à savoir l’équité et la transparence. La plainte du demandeur a été transmise à l’examinatrice le 3 mars 2004.
[4] Une audience a eu lieu le 4 février 2005 et, dans une décision datée du 10 mars 2005, l’examinatrice a accueilli la plainte du demandeur. Elle a statué que l’ARC avait agi de façon arbitraire en prenant des décisions qui ont mené à l’exclusion du demandeur d’une affectation à un poste permanent AU04. De plus, l’examinatrice a estimé que la procédure suivie par l’Agence contrevenait aux principes de dotation en personnel, savoir l’équité et la transparence, et, par conséquent, était incompatible avec la politique du Programme de dotation en personnel. Elle a conclu que [Traduction] « des mesures correctives devaient être prises ».
[5]
L’examinatrice
a passé en revue l’éventail des mesures correctives disponibles. Elle pouvait
ordonner la rectification de l’erreur entachant le processus, recommander la révocation
de l’employé nommé ou encore l’intervention d’un autre gestionnaire dans la
décision. Aux pages 21 et 22 de sa décision du 10 mars 2005,
l’examinatrice a choisi la première option, c’est-à-dire la correction de
l’erreur dont le processus était entaché. Elle a formulé sa conclusion de la
façon suivante :
[Traduction]
Pour avoir un sens, la correction des erreurs devrait, dans la mesure du possible, replacer le demandeur dans la position aurait été la somme si les irrégularités n’avaient pas été commises. En l’espèce, j’estime que cela est très difficile, parce que les erreurs ont été cumulatives, et qu’elles ont abouti à ce qui paraît avoir été, d’après la preuve dont je suis saisie, l’erreur finale de ne pas nommer le demandeur à un poste pour lequel il était bien qualifié, parce que l’Agence croyait à tort qu’il ne l’était pas. En outre, il y a une preuve non contestée qui est compatible avec l’existence d’un réel parti pris, même si cet élément n’est pas déterminant.
Dans les circonstances de cette affaire, je ne crois pas que le renvoi de l’affaire à l’Agence pour que celle-ci réexamine l’étendue de l’expérience du demandeur « comme si » on recommençait tout à neuf permettrait de corriger efficacement « l’irrégularité dont est entaché le processus ». Je ne dispose d’aucun élément qui me permette de croire que cela est possible d’après les faits dont je suis saisie. L’Agence avait certainement des renseignements pertinents à cet égard, que je ne connais pas parce qu’elle a décidé de ne pas participer à l’audience. Quand une partie qui est en possession de renseignements pertinents refuse de les présenter devant l’instance instituée à cette fin, malgré qu’elle ait été avisée des conséquences possibles, cela mène habituellement à conclure que la communication de l’information n’aurait pas été en sa faveur. Cela nous amène aussi à nous demander si le renvoi de la question aux directeurs de l’Agence pour qu’ils reprennent le processus depuis le début permettrait de corriger de façon efficace les erreurs commises. Compte tenu du fait que l’Agence ne s’est pas présentée à l’audience, laissant ainsi la cause du demandeur très largement non contestée, il est justifié de tirer une conclusion défavorable. Par conséquent, compte tenu des circonstances inhabituelles de cette affaire, je suis d’avis que la seule façon efficace de corriger l’erreur dont le processus est entaché est de recommander que le demandeur soit nommé à un poste permanent AU04 au bureau de Windsor. D’après la preuve dont je suis saisie, c’est la seule mesure qui corrigerait véritablement l’irrégularité commise, et qui le placerait dans la position qui aurait été la sienne, n’eut été ces erreurs. Compte tenu des intérêts des titulaires, et de l’observation du demandeur selon laquelle il n’était pas nécessaire de recommander leur révocation, je laisserai à l’Agence le soin de décider si elle souhaite appliquer cette recommandation en procédant à la révocation de l’une des affectations en question qui, selon mes conclusions, sont le résultat d’un processus lourdement vicié, ou en nommant M. Burstyn à un autre poste permanent AU04 qu’il sera disposé à accepter. Il est important de souligner que ces conclusions et recommandations ne sont en aucune façon une critique des compétences et qualifications évidentes des titulaires. [Non souligné dans l’original.]
En outre, pour que la correction des erreurs soit complète, le demandeur devrait être dédommagé pour toutes les pertes qu’il a subies à cause de ces erreurs, notamment pour l’écart salarial entre un poste AU03 et un poste AU04 à compter de la date des affectations initiales jusqu’à la date de l’affectation de M. Burstyn à un poste permanent AU04.
[6] L’ARC a écrit au demandeur le 3 mai 2005 pour l’informer qu’elle ne donnerait pas suite à la décision de l’examinatrice étant donné qu’il n’y avait pas de fondement ou de mécanisme légal dans sa loi habilitante, c’est-à-dire la Loi sur l’Agence des douanes et du revenu du Canada, L.C. 1999, et ses modifications (la Loi), pour donner effet à la décision.
[7] Le même jour, le demandeur a prié l’examinatrice de clarifier sa décision. Le 8 août 2005, l’examinatrice a clarifié sa décision. Dans cette dernière décision, elle disait avoir choisi la première option qui s’offrait à elle, c’est-à-dire la correction de l’erreur entachant le processus de sélection, et que sa décision initiale détaillait la façon dont l’erreur devait être rectifiée. Elle a ajouté que la décision subséquente de l’ARC de procéder en « demandant à un autre gestionnaire » de prendre la décision sur l’affectation n’était pas la mesure corrective qu’elle avait jugé nécessaire dans sa décision.
[8]
L’examinatrice
a également précisé la date de départ du calcul du salaire rétroactif de la
façon suivante :
[Traduction]
La note de service de l’Agence indique que ma décision proposait que l’affectation du demandeur soit rétroactive à la date de la présélection. Ma conclusion indiquait que le demandeur devait être dédommagé pour toutes les pertes résultant des erreurs, « à compter de la date des affectations initiales jusqu’à la date de l’affectation de M. Burstyn à un poste permanent AU04 ». Le 1er décembre 2003 est la date à laquelle les affectations permanentes ont été faites, et c’est la date qui, à mon avis, est appropriée pour le paiement du traitement rétroactif. C’est ce que j’entendais quand j’ai fait référence aux affectations initiales. Il est important de préciser que la décision n’indiquait pas que l’affectation devait être rétroactive à la date de la présélection des candidats qui, d’après ce que je comprends, remonte au 28 octobre 2002, date à laquelle les résultats de la présélection ont été annoncés.
[9] Finalement, elle a rejeté l’argument de l’ARC selon lequel elle avait outrepassé sa compétence en choisissant la réparation à accorder. À cet égard, elle déclare que sa décision était dans les limites du pouvoir qui lui est conféré par les [Traduction] « directives concernant la présentation et le traitement d’une demande de révision par un tiers indépendant ». Ceci est une référence au Programme de dotation de l’Agence et à ses Directives sur les recours en dotation.
[10] L’ARC n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision de Mlle O’Neil en date du 10 mars 2005, et elle n’a pas non plus déposé de demande de contrôle judiciaire pour les précisions apportées à cette décision le 8 août 2005.
[11] Dans une lettre datée du 11 août 2005, adressée à l’ARC, l’avocat du demandeur a demandé que la décision de l’examinatrice soit appliquée. L’ARC a répondu par une lettre, le 25 août 2005, dans laquelle elle exprime l’avis que l’examinatrice a outrepassé sa compétence. Cette lettre précise que l’Agence ne mettra pas en œuvre les mesures correctives recommandées par Mlle O’Neil et note de plus qu’il y avait à ce moment deux instances devant la Cour fédérale concernant le pouvoir des examinateurs.
[12] Le 7 septembre 2005, le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour dans la cause portant le numéro de dossier T-1500-05, au sujet de la décision de l’ARC, exprimée dans sa lettre du 25 août 2005, de ne pas donner suite à la décision de Mlle O’Neil. Dans une ordonnance en date du 23 juin 2006, dans l’affaire Burstyn c. Agence des douanes et du revenu du Canada, [2006] A.C.F. no 954 (Burstyn no 1), Madame la juge Layden-Stevenson a accueilli la demande et a infirmé la décision de l’ARC prise le 25 août 2005 de ne pas donner effet à la décision de l’examinatrice.
[13]
Dans une
lettre en date du 31 juillet 2006, l’avocat du demandeur a de nouveau
exigé que l’ARC donne suite à la décision de l’examinatrice. Dans une lettre en
date du 22 août 2006, l’ARC a répondu qu’elle ne donnerait pas effet
aux mesures correctives recommandées dans la décision de l’examinatrice pour
les motifs suivants :
[Traduction]
[…] nous avons toujours de la difficulté à trouver un fondement qui justifierait l’affectation de M. Barry Burstyn rétroactivement au 1er décembre 2003.
[…] il n’y a pas de mécanisme, ni dans la Loi sur l’ARC ni dans le Programme de dotation, qui donnerait à l’Agence le pouvoir légal de procéder à cette nomination comme le demande l’examinatrice. La décision de l’examinatrice de procéder à cette nomination constitue une mesure illégale qui est contraire à une directive du Programme de dotation de l’ARC.
III. Résumé des prétentions
[14]
Les
parties conviennent que le critère applicable pour délivrer un bref de mandamus
est celui énoncé dans l’arrêt Apotex Inc. c. Canada ( Procureur général),
[1994] 1 C.F. 742 (C.A.). Les seuls points en litige sont de savoir s’il
existe une obligation légale à caractère public envers le demandeur et si la
prépondérance des inconvénients penche en sa faveur.
A. Le demandeur
[15]
Le
23 août 2006, le demandeur a déposé la présente demande dans laquelle
il réclame un bref de mandamus pour obliger la défenderesse à donner
effet aux décisions de l’examinatrice.
[16]
Le
demandeur fait valoir que l’effet combiné du Programme de dotation de la
défenderesse, la directive sur les recours en matière de dotation et les lignes
directrices imposent une obligation légale à caractère public de mettre en
oeuvre la décision de l’examinatrice.
[17]
L’article P.5.0-9
du Programme de dotation précise que l’examen par un tiers indépendant donne
lieu à « une décision exécutoire ». Ce programme prévoit également, à
l’article P.5.0-14, que les recours en matière de dotation « seront
régis par la Directive sur les recours en matière de dotation ».
[18]
La
Directive prévoit, à la page 10, que l’examen par un tiers indépendant lie
l’employeur. Les lignes directrices de la défenderesse prévoient que « le
niveau de gestion approprié est responsable de la mise en application des
mesures correctives émises par le réviseur ».
[19]
Le
demandeur soutient que la seule exception à l’obligation pour la défenderesse
de mettre en oeuvre la décision de l’examinatrice ou de contester une telle
décision au moyen d’une demande de contrôle judiciaire découle du texte des
lignes directrices, à la page 7, où il est écrit ce qui suit :
Le niveau de gestion approprié est responsable de la mise en application des mesures correctives émises par le réviseur, dans la mesure où ces dernières se situent à l’intérieur des paramètres des pouvoirs qui lui sont conférés, […] dans les plus brefs délais.
[20]
D’après le
demandeur, la défenderesse a essayé en vain de s’appuyer sur cette exception,
dans l’instance entendue par Madame la juge Layden-Stevenson, en faisant
valoir que l’examinatrice avait commis une erreur de droit en ordonnant une
réparation qui outrepassait sa compétence.
[21]
Le
demandeur soutient que la décision prise par la juge Layden-Stevenson dans
l’affaire Burstyn no 1 signifie que la défenderesse
a l’obligation de mettre en oeuvre la décision de l’examinatrice. Il soutient
également que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur.
B. La défenderesse
[22]
La
défenderesse fait valoir deux arguments. Tout d’abord, elle soutient que la
décision de l’examinatrice est erronée et illégale parce qu’elle n’avait pas la
compétence d’ordonner la mesure corrective imposant la nomination à un poste.
La défenderesse cite la décision Canada (Procureur général) c. Gagnon,
[2006] A.C.F. no 270, à l’appui de son argument.
[23]
Dans
l’affaire Gagnon, une employée de la défenderesse avait demandé une
promotion. Après s’être vue refuser cette promotion, elle a demandé un examen
par un tiers indépendant. L’examinateur a conclu que l’employeur avait agi de
façon arbitraire en lui refusant le poste auquel elle avait droit et a ordonné
la nomination rétroactive au poste recherché. Dans le cadre d’une demande de
contrôle judiciaire, la Cour a jugé que l’examinateur avait outrepassé sa
compétence.
[24]
La
défenderesse soutient que la décision Gagnon signifie que la décision de
l’examinatrice ne peut donner lieu à une obligation légale à caractère public.
[25]
La
défenderesse fait également valoir que l’examinatrice n’a fait qu’une
recommandation quand elle a ordonné la nomination du demandeur au poste de
vérificateur des dossiers importants. Elle
soutient qu’une décision discrétionnaire ne peut appuyer une demande de mandamus et elle cite, à l’appui de
cet argument, la décision Kelly c. Canada (Service correctionnel),
[1992] A.C.F. no 720.
IV. Discussion et dispositif
[26]
La
question principale soulevée dans la présente demande est de savoir si la
décision de l’examinatrice donne lieu à une obligation légale à caractère
public qui forcerait la défenderesse à donner effet à cette décision. Une
obligation légale à caractère public peut découler d’une loi ou de lignes
directrices prises en vertu d’un pouvoir législatif : voir Jefford c.
Canada, [1988] 2 C.F. 189 et Fédération canadienne de la faune
Inc. c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1989] 3 C.F.
309 (C.F. 1re inst.); conf. à [1990]
2 W.W.R. 69 (C.A.F.).
[27]
Comme on
l’a noté ci-dessus, la décision de l’examinatrice a été prise conformément au
Programme de dotation de la défenderesse et à ses directives sur les recours en
matière de dotation. Dans la décision Burstyn no 1,
la juge Layden-Stevenson a décrit l’autorité législative et l’origine du
Programme de dotation au paragraphe 21, dans les termes suivants :
L’Agence est établie en tant
que personne morale en vertu du paragraphe 4(1) de la Loi et, conformément
au paragraphe 4(2), elle ne peut exercer ses pouvoirs qu’à titre de
mandataire de Sa Majesté du chef du Canada. Elle est chargée de fournir
l’appui nécessaire à l’application et au contrôle d’application de la
législation fiscale et douanière (alinéa 5(1)a) de la Loi). Elle a
compétence exclusive pour nommer le personnel qu’elle estime nécessaire à
l’exercice de ses activités (paragraphe 53(1) de la Loi) et elle doit élaborer
un programme de dotation en personnel régissant notamment les nominations et
les recours offerts aux employés (paragraphes 54(1) de la Loi).
[28]
À mon
avis, le fait que le Programme de dotation a été adopté en vertu d’une loi
milite en faveur d’une conclusion selon laquelle les processus élaborés dans le
cadre de ce programme donnent lieu à une obligation légale. La défenderesse a
autorisé le Programme de dotation et il est raisonnable de conclure qu’elle a
délibérément choisi les mesures et les processus qui sont énoncés dans ce
programme.
[29]
Une
décision a été prise par l’examinatrice, conformément au Programme de dotation
et aux processus créés par la défenderesse. Au paragraphe 27 de ses
motifs, la juge Layden-Stevenson estime que la décision avait un caractère
« judiciaire », pour ce qui a trait aux processus dont était saisie
l’examinatrice, notamment le pouvoir de tenir une audience avec des témoins. Je
ne vois aucune raison de m’éloigner de ce raisonnement et je note que la
qualification de la décision dans ce sens penche également en faveur d’une
conclusion selon laquelle elle donne lieu à une obligation légale à caractère
public.
[30]
La
décision Gagnon n’est pas vraiment pertinente, à mon avis, aux questions
soulevées dans la présente demande. Il n’est pas contesté que la défenderesse
n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision de l’examinatrice ni de
ses précisions. La défenderesse ne peut contester le bien-fondé de cette
décision dans la présente instance, étant donné qu’elle ne l’a pas fait dans
les délais appropriés et de la façon adéquate, aux termes de la Loi sur les
Cours fédérales et des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.
[31]
Je reviens
de nouveau à la décision Burstyn no 1. Il semble
que la défenderesse ait essayé de contester la décision de l’examinatrice dans
cette affaire également. La juge Layden‑Stevenson a brièvement
décrit cette tentative au paragraphe 1, dans les mots suivants :
L’Agence défenderesse, qui n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision résultant d’un examen par un tiers indépendant (ETI), peut‑elle atteindre cet objectif dans la présente instance, où est contesté le refus de l’Agence de donner effet à ladite décision? Au vu des particularités de la présente affaire, je suis arrivée à la conclusion que la réponse est négative.
[32]
Au
paragraphe 20, sous la rubrique « Les concessions », elle ajoute
ce qui suit :
Comme je l’ai dit, l’Agence n’a rien à redire aux motifs de l’examinatrice. Elle s’oppose uniquement à la recommandation portant sur la rectification des erreurs entachant le processus. Bien qu’elle ne soit pas exprimée en ces termes, cette concession signifie, selon moi, que l’Agence ne conteste pas que l’examinatrice avait le pouvoir de mener l’enquête et d’ordonner une réparation. L’Agence admet aussi qu’elle aurait dû solliciter un contrôle judiciaire et que, si elle ne l’a pas fait, c’est parce qu’elle attendait l’issue de l’affaire Gagnon. Rétrospectivement, l’Agence constate qu’elle a eu tort d’opter pour cette ligne de conduite. Elle ne dit pas que sa décision de ne pas solliciter un contrôle judiciaire dans cette affaire n’a pas été mûrement réfléchie.
[33]
Finalement,
je dois examiner les conséquences du choix mûrement réfléchi de la défenderesse
de ne pas solliciter un contrôle judiciaire. Ce choix signifie qu’il y a une
décision en vigueur qui, on peut le présumer, doit être exécutée. La validité
de cette décision, sur le plan de la compétence, n’a pas été contestée et je
reprends les mots du juge von Finckenstein dans la décision Sherman
c. Canada (Agence des douanes et du revenu) (2005),
269 F.T.R. 294 (C.F.), au paragraphe 19, où il dit ceci :
L'ADRC a établi le processus de révision par un tiers indépendant, a participé à l'audience, a commencé à mettre en oeuvre la décision (telle qu'elle l'interprétait), ne s'est pas opposée à la décision et n'a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision; elle ne peut maintenant affirmer de façon aussi tardive que le réviseur n'avait pas le pouvoir de prononcer la décision en question. Comme l'a formulé succinctement le juge Campbell dans Ontario Provincial Police (Commissioner) c. Silverman (2000), 49 O.R. (3d) 272, au paragraphe 25 :
[TRADUCTION] ... Il existe dans notre droit une règle fondamentale qui interdit à la partie qui invite un tribunal administratif à se saisir d'une affaire de soutenir, une fois que le tribunal en question a rendu une décision défavorable à son endroit, que celui-ci n'avait pas le pouvoir qu'elle lui a demandé d'exercer : Ex p. Pratt, Re Pratt (1884), 12 Q.B.D. 334, à la p. 341, 53 L.J. Ch. 613, par le lord juge Bowen, cité par le juge Gliders dans Imperial Tobacco c. Imperial Tobacco Sales, [1939] O.R. 627, à la p. 644, 72 C.C.C. 321, à la p. 346.
[34]
La
décision de l’examinatrice est-elle une « décision » ou une
« recommandation »? S’il s’agit d’une recommandation, elle ne peut
être appliquée au moyen d’un bref de mandamus. En faisant valoir que la
décision n’est rien de plus qu’une recommandation, la défenderesse met l’accent
sur l’utilisation des mots « recommander » aux pages 21 et 22 de
la décision.
[35]
Compte
tenu de l’ensemble de sa décision, je ne suis pas convaincue que l’examinatrice
ne faisait qu’une recommandation. À mon avis, elle a choisi la réparation qui
devait être accordée au demandeur et elle avait l’intention que celle-ci soit
appliquée. Cet argument de la défenderesse est rejeté.
[36]
Je suis
convaincue que le demandeur a démontré que la défenderesse a obligation légale
à caractère public de donner effet à la décision de l’examinatrice et que cette
décision n’est pas une recommandation.
[37]
La
question suivante consiste à déterminer si la prépondérance des inconvénients
penche en faveur de la délivrance d’un bref de mandamus. Un tel bref,
comme toutes les formes de réparation que l’on peut obtenir dans le cadre d’une
demande de contrôle judiciaire, relève entièrement de la discrétion de la
Cour, aux termes du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours
fédérales.
[38]
Dans l’arrêt
Apotex, aux paragraphes 107 et 108, la Cour d’appel fédérale a
discuté de certains des facteurs qui doivent être pris en compte dans
l’évaluation de la prépondérance des inconvénients. Ces facteurs incluent les
coûts et le chaos administratifs et les risques manifestes pour la santé ou la
sécurité publiques.
[39]
La
présente affaire ne met pas en jeu les intérêts du public. L’obligation se
rattache au demandeur personnellement. La défenderesse n’a pas exprimé de
préoccupation au sujet du chaos administratif, mais elle a plutôt mis l’accent
sur ce qu’elle appelle « l’illégalité » de la décision à l’étude.
Cette question n’est pas soulevée à bon droit dans la présente instance, et, à
mon avis, elle n’entre pas en considération dans l’évaluation de la
prépondérance des inconvénients.
[40]
Je suis
convaincue que le demandeur a démontré que la prépondérance des inconvénients
penche en sa faveur. Il a demandé l’examen par un tiers indépendant
conformément aux processus établis par la défenderesse. Celle-ci a choisi de ne
pas participer à ce processus et, par la suite, elle a choisi de ne pas
contester la décision de l’examinatrice. Le demandeur s’est engagé dans ce
processus dans l’espoir d’obtenir une réparation et, comme il a respecté le
seul autre volet du critère qui était contesté, c’est-à-dire démontrer
l’existence d’une obligation légale à caractère public, il a droit au bénéfice
de la décision. Je conclus que la prépondérance des inconvénients penche en sa
faveur.
[41] Je me tourne maintenant vers les mesures accessoires réclamées par le demandeur, c’est-à-dire la délivrance d’une ordonnance obligeant la défenderesse à le dédommager conformément à la décision de l’examinatrice pour toutes les pertes qu’il a subies jusqu’à la date de sa nomination, majorées des intérêts, une ordonnance de dommages-intérêts payables par la défenderesse conformément à la compétence en equity conférée à la présente Cour, et les dépens sur la base avocat-client.
[42]
Comme je
l’ai déjà dit, l’examinatrice a traité de la question du dédommagement dans ses
précisions. Pour faciliter la consultation, je répète ses observations à cet
égard :
[Traduction]
La note de service de l’Agence indique
que ma décision proposait que l’affectation du demandeur soit rétroactive à la
date de la présélection. Ma conclusion indiquait que le demandeur devait être
dédommagé pour toutes les pertes résultant des erreurs, « à compter de la
date des affectations initiales jusqu’à la date de l’affectation de
M. Burstyn à un poste permanent AU04 ». Le 1er décembre 2003
est la date à laquelle les affectations permanentes ont été faites, et c’est la
date qui, à mon avis, est appropriée pour le paiement du traitement rétroactif.
C’est ce que j’entendais quand j’ai fait référence aux affectations initiales.
Il est important de préciser que la décision n’indiquait pas que l’affectation
devait être rétroactive à la date de la présélection des candidats qui, d’après
ce que je comprends, remonte au 28 octobre 2002, date à laquelle les
résultats de la présélection ont été annoncés.
[43]
Je ne
rendrai pas l’ordonnance réclamée par le demandeur. Je ne suis pas disposée à
disséquer la décision de l’examinatrice, y compris sa décision donnant des
précisions, et le bref de mandamus sera délivré à l’égard de la décision
dans son ensemble.
[44] De toute façon, il n’est pas possible d’accorder des dommages-intérêts comme réparation dans une demande de contrôle judiciaire : voir le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales et la décision Tench c. Canada (Procureur général) (1999), 179 F.T.R. 126.
[45]
Je ferai
la même objection au sujet de l’exercice de la compétence en equity qui est
conférée à la présente Cour par l’article 3 de la Loi sur les Cours
fédérales.
[46]
La seule
question qui reste à trancher est la question des dépens. L’octroi des dépens
est régi par la règle 400 des Règles de la Cour fédérale. La Cour a
entière discrétion pour octroyer les dépens, y compris sur la base avocat-client.
Ces dépens sont accordés
dans de rares cas, par exemple lorsqu’une partie a agi d’une manière répréhensible,
scandaleuse ou choquante : voir l’arrêt
Mackin c.
Nouveau-Brunswick (Ministre de la Justice), [2002] 1 R.C.S. 405.
[47]
Je ne suis
pas convaincue que tel est le cas en l’espèce. Je renvoie à la décision Sherman
où le demandeur réclamait également les dépens sur la base procureur-client. En
refusant cette demande, la Cour a estimé que la question soulevée était une
question de compétence et que des arguments raisonnables avaient été formulés
par le défendeur.
[48] En l’espèce, la défenderesse a repris des arguments qui avaient apparemment été soulevés et rejetés devant la juge Layden-Stevenson. À mon avis, l’officier taxateur doit avoir entière discrétion pour octroyer les dépens en l’espèce.
ORDONNANCE
La demande de contrôle judiciaire est accueillie et un bref de mandamus sera délivré pour donner effet à l’ordonnance de l’examinatrice indépendante Kathleen O’Neil, c’est-à-dire la décision du 10 mars 2005, précisée par sa décision du 8 août 2005. La demande de mesures accessoires est rejetée. Le demandeur a droit à ses dépens, taxés à la discrétion de l’officier taxateur.
Traduction certifiée conforme
Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1085-06
INTITULÉ : BARRY BURSTYN ET AGENCE DU REVENU DU CANADA
et.
JOHN JRAIGE ET RON GALBRAITH
LIEU DE L’AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 8 FÉVRIER 2007
ET ORDONNANCE : LA JUGE HENEGHAN
DATE DES MOTIFS : LE 7 AOÛT 2007
COMPARUTIONS :
Steven Welchner |
POUR LE DEMANDEUR |
Alexander Gay |
POUR LA DÉFENDERESSE – AGENCE DU REVENU DU CANADA |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Welchner Law Office Professional Corporation |
POUR LE DEMANDEUR |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada |
POUR LA DÉFENDERESSE
– AGENCE |