Ottawa (Ontario), le 30 juillet 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES
ENTRE :
GUADALUPE CLAUDIA MELENDEZ GODINEZ,
JORGE ADIRAN DE L AMORA GARZA,
CLAUDIA VANESSA SALAZAR MELENDEZ,
SANTIAGO ALESSANDRO DE LA MORA SALAZAR
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par le demandeur, Marco Antonia Salazar Santos, ainsi que sa famille, d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté leur demande d’asile.
LE CONTEXTE
[2] Les demandeurs sont citoyens du Mexique. Leurs demandes d’asile sont fondées sur des allégations de menaces de persécution dirigées contre M. Salazar entre 1995 et 2005.
[3] M. Salazar a affirmé avoir été arrêté et détenu en 1995 par les autorités policières locales relativement à des accusations montées de toutes pièces de vol qualifié, de détention illégale, de menaces et d’association illégale. Il était d’avis que son arrestation avait été orchestrée par un chef de police qui cherchait un bouc émissaire pour un crime dont on avait beaucoup parlé et qui n’avait pas été résolu. La raison pour laquelle on s’en prenait de cette façon à M. Salazar n’a pas été expliquée.
[4] Compte tenu de ces difficultés juridiques, M. Salazar a retenu les services d’un avocat qui a été en mesure de le faire libérer après seulement quelques jours. Il a porté plainte auprès de la Commission des droits de la personne, à la suite de quoi il aurait subi des représailles à son endroit par voie d’un deuxième mandat d’arrestation, l’incitant ainsi à quitter Mexico mais non sans d’abord avoir demandé à son avocat de contester le mandat d’arrestation dont il fait l’objet.
[5] M. Salazar a affirmé dans son témoignage devant la Commission qu’il avait été en mesure d’obtenir la protection de la Cour fédérale qui avait ordonné aux autorités de l’État de mettre fin et de renoncer à toute poursuite contre lui. Ce processus, qui a duré plus ou moins un an, a néanmoins permis de prouver que M. Salazar était complètement innocent.
[6] M. Salazar est retourné dans son État d’origine en 1996, mais il a affirmé avoir été continuellement la cible de harcèlement mineur, c’est‑à‑dire qu’il était ouvertement suivi et surveillé par des inconnus jusqu’en 2005. Selon M. Salazar, le fait culminant qui a précipité sa fuite du Mexique a été la réception de deux lettres d’extorsion anonymes. Encore une fois, M. Salazar n’a rien fait pour signaler ces incidents aux autorités avant de partir pour le Canada en juillet 2005. Sa famille a suivi et elle est arrivée au pays en octobre 2005.
LA DÉCISION DE LA COMMISSION
[7] Bien qu’elle ait exprimé une réserve quant à la question de savoir si les actes dont se plaignait M. Salazar constituaient de la persécution, la Commission ne s’est pas prononcée de façon déterminante sur cette question. Elle a plutôt conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à réfuter la présomption de l’existence de la protection de l’État au Mexique. Elle a souligné que, lorsque M. Salazar avait sollicité une protection judiciaire, celui-ci l’avait obtenue.
[8] Bien qu’elle ait constaté des problèmes de corruption et d’inefficacité au sein de la police et du système judiciaire, ainsi que des cas de violation des droits de la personne, la Commission a également conclu que ces problèmes avaient été pris en charge et que le système de protection offert par l’État n’était pas complètement dysfonctionnel. La preuve documentaire corroborait amplement ces conclusions.
[9] La Commission a terminé en concluant que les demandeurs n’avaient pas fait des efforts raisonnables en vue de se réclamer de la protection au Mexique. Voici ses conclusions à cet égard :
« En l’espèce, la preuve ne démontre pas que les demandeurs d’asile ont fait des efforts raisonnables ou ont exploré quelque option pour se protéger contre la criminalité. Ils ne se sont pas vu refuser la protection et n’ont pas reçu une protection inadéquate.
Compte tenu de ce qui précède, je conclus que les demandeurs d’asile ne sont pas exposés à une possibilité sérieuse de persécution au Mexique et qu’ils n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention. »
LA QUESTION EN LITIGE
[10] a) Quel est la norme de contrôle appropriée applicable aux questions soulevées par les demandeurs?
b) La décision de la Commission renferme-t-elle des erreurs susceptibles de contrôle?
L’ANALYSE
[11] Il n’est pas nécessaire en l’espèce de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle étant donné que je ne peux déceler aucune erreur dans la décision de la Commission.
[12] Les demandeurs ont allégué que la conclusion de la Commission relativement à la protection de l’État était déraisonnable, mais ils ont omis d’indiquer, de manière expresse, les points faibles de l’analyse du droit ou de la preuve effectuée par cette dernière. La conclusion de la Commission, selon laquelle les demandeurs pouvaient réclamer que l’État les protège contre les actes de persécution qu’ils craignaient, était raisonnable d’après la preuve dont elle disposait. Le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire n’est pas de réexaminer la preuve. Même si je n’avais à faire preuve d’aucune retenue à l’égard de cette conclusion, je n’aurais pas conclu différemment en l’espèce.
[13] L’autre conclusion de la Commission, selon laquelle les demandeurs n’avaient pas réussi à établir qu’ils avaient fait des efforts raisonnables pour se réclamer de la protection de l’État au Mexique, était également raisonnable. En fait, toute autre conclusion aurait été abusive.
[14] Même lorsque les services de protection de l’État d’origine comportent des problèmes ou sont insuffisants, un demandeur d’asile qui allègue une crainte subjective fondée sur une conduite criminelle doit, en l’absence de justification sérieuse, faire des efforts raisonnables pour y avoir accès.
[15] M. Salazar ne pouvait pas rester les bras croisés pendant les dix années au cours desquelles il aurait subi du harcèlement de la part d’inconnus pour ensuite justifier son inaction au Mexique en affirmant qu’il ne faisait pas confiance aux autorités locales. En 1996, il avait réussi à se réclamer de la protection en ayant recours aux tribunaux fédéraux. Ainsi, il était donc raisonnable de s’attendre à ce qu’il communique de nouveau avec les autorités fédérales pour s’informer s’il pouvait se réclamer de la protection à l’échelle locale. Même à cette époque, il ne faisait que soupçonner qu’un responsable de la police locale était d’une quelconque façon mêlé à cette affaire, et il n’a jamais fait d’efforts pour savoir si, au plan local, on pouvait l’aider à résoudre son problème. Il me suffit de dire que le défaut de protection policière locale ne permet pas automatiquement de conclure que la protection de l’État est totalement inexistante : voir Dannett c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1701, 2006 CF 1363.
[16] La Commission a conclu que la conduite de M. Salazar était déraisonnable et elle l’était. Tel que mon collègue le juge Micheal Phelan l’a affirmé dans la décision Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ), [2005] A.C.F. no 1381, 2005 CF 1126, un demandeur d’asile ne réfute pas la présomption de l’existence de la protection de l’État dans un pays où la démocratie fonctionne normalement en affirmant seulement qu’il a une « réticence subjective […] à solliciter la protection de l’État ».
[17] Plus récemment, dans l’arrêt Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 584, 2007 CAF 171, la Cour d’appel fédérale a confirmé l’importance de chercher à se réclamer de la protection de son État d’origine avant de présenter une demande d’asile dans un autre pays. L’omission de s’acquitter de cette obligation donnera lieu d’ordinaire au rejet de la demande d’asile, au moins lorsque le bon fonctionnement de la démocratie dans l’État d’origine n’est pas remis en question, que l’État a la volonté de fournir une certaine protection à ses citoyens et qu’il dispose des moyens nécessaires pour y parvenir. Dans l’arrêt Hinzman, la Cour a décrit le lourd fardeau qui incombe au demandeur dans ces circonstances dans le passage suivant :
« Les arrêts Kadenko et Satiacum ensemble montrent que, dans le cas de démocraties bien établies, il incombe au demandeur de prouver qu’il a épuisé tous les recours dont il pouvait disposer et celui‑ci ne sera exempté de son obligation de solliciter la protection de son pays qu’en certaines circonstances exceptionnelles : Kadenko, à la page 534, Satiacum, à la page 176. Selon l’ensemble de ces précédents, le demandeur d’asile provenant d’un pays démocratique devra s’acquitter d’un lourd fardeau pour démontrer qu’il n’était pas tenu d’épuiser tous les recours dont il pouvait disposer dans son pays avant de demander l’asile. Compte tenu du fait que les États‑Unis sont une démocratie ayant adopté un ensemble complet de mesures garantissant que les personnes s’objectant au service militaire font l’objet d’un traitement juste, je conclus que les appelants n’ont pas produit suffisamment de preuve pour satisfaire à ce critère exigeant. En conséquence, je conclus qu’il était objectivement déraisonnable pour les demandeurs de ne pas avoir pris de mesure tangible pour tenter d’obtenir la protection des États‑Unis avant de demander l’asile au Canada. »
[18] Je conclus que la décision de la Commission en l’espèce est bien fondée en droit et raisonnable et rejette donc la présente demande de contrôle judiciaire. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé une question aux fins de certification et aucune question de portée générale n’est soulevée en l’espèce.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif, LL.B, trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4602-06
INTITULÉ : MARCO ANTONIO SALAZAR SANTOS ET AUTRES
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 25 JUILLET 2007
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE BARNES
DATE DES MOTIFS : LE 30 JUILLET 2007
COMPARUTIONS :
DARIUSZ WROBLEWSKI POUR LES DEMANDEURS
TAMRAT GEBEYEHU POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocat
36, rue King POUR LES DEMANDEURS
Brantford (Ontario) N3T 3C5
tél. : 519-752-3641
cell. : 416-305-5802
fax : 519-752-1578
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Toronto (Ontario)
tél. : 416-973-0444
fax : 416-954-8982