Ottawa (Ontario), le 21 juin 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’REILLY
ENTRE :
YU MEI ZHANG
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1]
Mme
Yu Mei Zhang a présenté une demande d’asile au Canada après avoir appris que
des agents de sécurité en Chine s’étaient rendus chez ses parents pour tenter
de la trouver. Elle croit qu’on la cherche du fait qu’elle était membre d’une
église catholique clandestine en Chine avant son arrivée au Canada à titre
d’étudiante.
[2] Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de Mme Zhang au motif qu’il ne croyait pas sa version des faits. Mme Zhang soutient que la Commission a commis plusieurs erreur dans l’examen de sa crédibilité et elle me demande d’ordonner la tenue d’une nouvelle audition devant un tribunal différemment constitué. Je conclus que les erreurs de la Commission m’obligent à annuler la décision de cette dernière et, par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.
I. La question en litige
[3]
Les
conclusions de la Commission quant à la crédibilité de la demanderesse
étaient-elles étayées par la preuve?
II. L’analyse
[4]
La
Commission a conclu que le témoignage de Mme Zhang n’était pas
convaincant. Elle a énoncé six motifs pour justifier ses réserves et, au bout
du compte, elle a conclu que la demanderesse n’était pas du tout chrétienne.
J’examinerai chacun de ces motifs à tour de rôle.
i) La
modification de son Formulaire de renseignement personnel (FPR)
[5]
La
Commission a trouvé curieux que Mme Zhang ait modifié son FPR trois
semaines avant son audience pour y ajouter la date du jour de son baptême. La
demanderesse a mentionné que c’était le jour le plus important de sa vie et la
Commission a donc conclu qu’elle aurait dû l’indiquer initialement dans son
exposé circonstancié.
[6] Le FPR devrait faire état des faits importants à l’origine de la demande d’un demandeur. Je ne suis pas convaincu que la date du baptême de Mme Zhang constitue un fait si marquant, du moins pas selon les faits de l’espèce (on en est venu à la même conclusion dans la décision Zhuo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1271, [2005] A.C.F. no 1547). Même si la demanderesse avait complètement oublié d’inscrire la date, il est difficile d’imaginer quelle conclusion défavorable on aurait pu tirer de cette omission. De même, il est difficile de comprendre la préoccupation de la Commission sur cette question. Étant donné que la demanderesse avait clairement indiqué qu’elle était chrétienne, on pouvait présumer qu’elle avait été baptisée à un certain moment. La date précise n’était pas un fait essentiel de la demande.
ii) L’omission de modifier son FRP
[7]
La
Commission a également tiré une conclusion défavorable du fait que Mme
Zhang n’avait pas modifié son FPR en vue d’y indiquer que des agents de
sécurité s’étaient récemment rendus chez ses parents. Ces visites ont eu lieu après
que Mme Zhang eut déposé son FPR.
[8]
Encore
une fois, le fondement de la préoccupation de la Commission est difficile à
comprendre. La demanderesse a cru, à bon droit, qu’elle pourrait témoigner à
propos des récents événements sans avoir à modifier ses documents écrits.
[9]
De
plus, Mme Zhang a soutenu que, même si elle avait modifié son FPR,
la Commission aurait bien pu tirer une conclusion défavorable de toute façon,
étant donné les conclusions tirées par cette dernière. Je ne suis pas convaincu
que cette allégation fasse justice au raisonnement de la Commission.
Évidemment, il y a des circonstances dans lesquelles une conclusion défavorable
peut être tirée du fait d’une omission dans un FPR ou d’une modification de
celui-ci, selon les faits et les circonstances de l’affaire. Je ne reprocherais
pas à la Commission de tirer ces conclusions, et ce, même dans la même affaire.
Chaque conclusion doit être examinée isolément. Le problème n’est pas que la
Commission a mis en doute le témoignage de Mme Zhang du fait
qu’elle avait modifié son FPR, d’une part, et du fait qu’elle avait omis de
modifier son FPR, d’autre part. En examinant les deux conclusions isolément, je
suis plutôt convaincu qu’aucune des deux ne résiste à un examen assez poussé de
la preuve.
iii) L’omission
de demander l’asile lors de l’arrivée au Canada
[10]
La
Commission a conclu que la conduite de Mme Zhang était
incompatible avec une crainte subjective de persécution du fait qu’elle n’avait
pas présenté de demande d’asile lorsqu’elle était arrivée au Canada pour la
première fois. Mme Zhang savait que la pratique de sa religion
était interdite en Chine, et elle aurait donc dû, selon la Commission, chercher
à présenter une demande d’asile à la première occasion raisonnable.
[11]
Cependant,
Mme Zhang a affirmé que les agents de sécurité ne s’étaient pas
mis à sa recherche avant qu’elle n’ait quitté la Chine. Si elle avait présenté
une demande d’asile dès son arrivée au Canada, elle n’aurait probablement pas
été en mesure d’établir qu’elle avait raison de craindre d’être persécutée. Je
ne trouve aucun fondement pour justifier la conclusion de la Commission selon
laquelle la conduite de Mme Zhang n’était pas raisonnable dans
les circonstances.
iv) Les
courriels envoyés à ses confrères pratiquants
[12]
Mme Zhang
a affirmé dans son témoignage qu’elle continuait de communiquer par courriel
avec ses confrères chrétiens de Chine. La Commission doutait du fait que Mme Zhang
ne soit pas au courant du danger du danger qu’elle et ses confrères pratiquants
couraient en s’envoyant ces courriels. Le tribunal s’est également demandé
pourquoi Mme Zhang n’avait pas déposé d’éléments de preuve à ce
sujet.
[13]
Je
ne vois rien de mal dans la conclusion de la Commission sur cette question.
v) La
connaissance de Mme Zhang au sujet de la fête de Pâques
[14]
La
Commission a tiré une conclusion défavorable du fait que Mme Zhang
n’était pas en mesure de décrire précisément le lien entre la Cène et Pâques.
Elle a initialement affirmé que la Cène avait eu lieu pendant la fête de la
Pessah (pâque juive) qui commémore le moment où Moïse a guidé les Israélites
hors de l’Égypte. Après avoir été interrogée plus longuement, Mme Zhang
a commencé à douter de plus en plus de sa réponse et a finalement affirmé
qu’elle ne savait pas quel était le lien entre ces deux fêtes.
[15]
À
la lecture du témoignage de Mme Zhang sur cette question, il me
semble que cette dernière avait bien fait un lien entre la Cène et la Pessah,
mais, une fois interrogée, qu’elle était incertaine quant aux détails s’y
rattachant. Étant donné que la Pessah est une fête juive, j’ai de la difficulté
à comprendre pourquoi la Commission a reproché à Mme Zhang, de
confession chrétienne, son manque de connaissance détaillée à ce sujet. Elle a
certainement présenté des éléments de preuve concernant d’autres aspects
importants de sa foi (baptême, sacrements, Bible, etc.)
vi) La connaissance de Mme Zhang sur les diverses confessions protestantes
[16]
La
Commission a estimé que Mme Zhang aurait dû connaître les
divers mouvements du protestantisme. Cette dernière semblait seulement
comprendre la distinction entre le catholicisme et le protestantisme, et non
entre les nombreux mouvements de la foi protestante. Mme Zhang
savait que le protestantisme était inspiré par Martin Luther, mais elle était
incapable de nommer les confessions protestantes propres à la Chine ou au
Canada.
[17]
La
preuve documentaire dont disposait la Commission indiquait l’existence en Chine
de deux mouvements chrétiens : le catholicisme et le protestantisme. Il
n’existe pas diverses confessions protestantes dans ce pays. Mme Zhang
a affirmé qu’au Canada elle faisait partie de l’Église chrétienne gospel (elle
a présenté une preuve documentaire à l’appui). Cette Église ne semble pas avoir
une confession protestante particulière. Il est donc difficile de fonder une
conclusion défavorable sur le manque de connaissance de Mme Zhang
au sujet des confessions protestantes.
[18] Évidemment, la Commission a le droit de tirer des conclusions relatives à la crédibilité fondées sur la preuve dont elle dispose, et la Cour doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard de ces conclusions, car ce n’est que lorsque celles‑ci ne sont pas étayées par la preuve que la Cour interviendra.
[19]
Dans
la présente affaire, en raison de l’effet cumulatif des conclusions douteuses
de la Commission relativement à la crédibilité de Mme Zhang, je
suis convaincu que la décision de la Commission devrait être annulée.
[20]
J’accueillerai
la présente demande de contrôle judiciaire et ordonnerai qu’un tribunal
différemment constitué procède à une nouvelle audition.
[21] Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale aux fins de certification et aucune ne le sera.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour que celui-ci procède à une nouvelle audition;
2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif, LL.B, trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4907-06
INTITULÉ : YU MEI ZHANG
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 13 JUIN 2007
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE O’REILLY
DATE DES MOTIFS : LE 21 JUIN 2007
COMPARUTIONS :
Shelly Levine
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
Negar Hashemi
|
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Levine and Associates Toronto (Ontario) |
POUR LA DEMANDERESSE |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR |